Revue Romane, Bind 28 (1993) 1

Les adverbiaux de durée introduits par pendant et en dans la théorie aspectuelle de Verkuyl: de l'interprétation itérative à la catégorie achèvement.

par

Geneviève Dehon

Introduction1

La plupart des études consacrées à l'aspect prennent pour point de départ la classification verbale quadripartite de Vendler, remettent en question les critères linguistiques sur lesquels elle s'appuie et proposent une nouvelle classification, en général tripartite. L'originalité de l'approche de Verkuyl consiste à faire dépendre sa classification d'une théorie compositionnelle de l'aspect, qui repose elle-même sur des critères linguistiques.

Parmi ces critères, il en est un particulièrement intéressant: c'est celui qui consiste à affirmer que si l'on combine une phrase S, telle que s[NP[Pierre]Np vp[v[a écrit]vNP[une lettre]Np]vp]s> avec un adverbial de durée introduit par pendant (noté pendant Ntps), la seule interprétation disponible pour la phrase résultante S', s'[s[Pierre a écrit une lettrejs Adv[pendant trois jours]Adv]ss est une interprétation itérative. C'est à partir de ce constat que Verkuyl élabore sa théorie aspectuelle dont l'argumentation peut se résumer en trois points: premièrement, Verkuyl considère que l'interprétation itérative de S' est provoquée par la combinaison de l'aspect non duratif de S et de l'adverbial pendant Ntps ; ceci l'amène tout naturellement, dans un deuxième temps, à utiliser pendant Ntps comme un critère décisif pour déterminer quelles sont les phrases qui sont d'aspect non duratif; finalement, une analyse contrastive des aspects non duratif et duratif l'amène à calculer l'aspect d'une phrase en fonction de certaines propriétés lexicales du verbe et des propriétés quantificationnelles des NP (sujet et objet) qui en dépendent.

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Dans le cadre de la théorie aspectuelle de Verkuyl, je voudrais, dans un premier temps, remettre en question le statut de la lecture itérative, et critiquer le fait que les adverbiaux de durée introduits par en ne sont pas considérés comme un critère linguistique déterminant pour les études aspectuelles. Ensuite, à la lumière de ces critiques, j'essaierai de dégager les propriétés sémantiques respectives de pendant et de en lorsqu'ils introduisent des adverbiaux de durée. Finalement, je montrerai quels sont les impacts des résultats obtenus sur la classification situationnelle de Verkuyl.

Dans les deux premières sections, je présenterai respectivement la classification verbale de Vendler et la théorie aspectuelle de Verkuyl. La troisième partie mettra en évidence, à partir de l'étude de quelques exemples, les problèmes que posent l'interprétation itérative. Ces problèmes recevront une solution dans la quatrième partie, où seront dégagées les propriétés de pendant et de en. Finalement, dans la dernière partie, j'étudierai certains facteurs lexico-pragmatiques liés à l'acceptabilité de l'interprétation itérative.

Les adverbiaux de durée et la classification quadripartite de Vendler

La classification verbale2 de Vendler s'appuie sur des critères linguistiques
qui ont été abondamment discutés dans la littérature sur l'aspect, et que l'on
peut résumer schématiquement de la façon suivante:


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Dans un premier temps, Vendler distingue les verbes qui peuvent apparaître
à la forme progressive ( + en train de) de ceux qui ne le peuvent pas (-en
train de). Ainsi, d'après Vendler, on pourra dire

(1) II est en train de chanter une chanson; il est en train de courir; il est en train
de manger un sandwich; etc..

mais non pas

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(2) *Roméo est en train d'aimer Juliette; Pierre est en train de posséder une
voiture; il est en train de détester le chocolat; elle est en train d'atteindre le
sommet de la montagne; etc..3

Dans un deuxième temps, Vendler distingue, parmi les verbes qui ont la caractéristique [ + en train de], ceux qui peuvent se combiner avec un adverbial de durée4 introduit par pendant et dénotent des situations homogènes de ceux qui se combinent avec un adverbial de durée introduit par en et dénotent des situations non-homogènes. Les premiers sont appelés des ACTIVITES, les seconds des ACCOMPLISSEMENTS. Le critère d'homogénéité consiste à voir si chaque partie du procès dénoté par le verbe est de même nature que la totalité du procès.5 Le critère de co-occurrence avec pendant Ntps ou en Ntps repose sur la constatation que les activités répondent à la question «Pendant combien de temps... ? », alors que les accomplissements répondent à la question «En combien de temps... ? ». Ainsi, dans (1), Vendler classe chanter une chanson et manger un sandwich parmi les accomplissements, et courir parmi les activités:

(la) II a chanté une chanson en 2 heures; il a mangé un sandwich en 2 heures.

(lb) II a couru pendant 2 heures.

Finalement, Vendler distingue, parmi les verbes qui ont la caractéristique [-en train de], ceux qui dénotent des situations ponctuelles qui ont lieu à un moment défini de ceux qui dénotent des situations qui s'étalent pendant une période de temps plus ou moins longue. Les premiers sont appelés des ACHEVEMENTS, les seconds des ETATS. Le critère linguistique qui accompagne cette division fait appel à nouveau aux compléments de temps : les achèvements peuvent apparaître avec des adverbiaux du type à 2 heures, les états avec pendant Ntps. Ainsi, dans (2), atteindre le sommet de la montagne est un achèvement, tandis que aimer Juliette, posséder une voiture et détester le chocolat sont des états, comme l'attestent (2a) et (2b):

(2a) Elle a atteint le sommet de la montagne à 2 heures.

(2b) Roméo a aimé Juliette pendant 2 ans; Pierre a possédé une voiture pendant
2 ans; il a détesté le chocolat pendant 2 ans.

Vendler remarque, de plus, que les accomplissements et les achèvements peuvent tous deux se combiner avec en Ntps, mais que la portée de l'adverbial n'est pas la même dans les deux cas. En effet, dans (la), la durée de l'accomplissement // a chanté une chanson est égale à la durée introduite par en, c'est-à-dire 2 heures. Par contre, la durée 2 heures dans

(3) Elle a atteint le sommet de la montagne en 2 heures.

ne détermine pas la durée de l'achèvement dénoté par le VP, mais plutôt la
durée d'une activité que l'achèvement présuppose. Ainsi (3) signifie

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(3a) Elle a mis 2 heures à atteindre le sommet de la montagne.

Les adverbiaux de durée apparaissent donc comme des critères importants dans la détermination des classes verbales. On notera toutefois que Vendler n'envisage pas tous les cas possibles. Ainsi, s'il analyse les cas où pendant Ntps se combine à une activité ou à un état, et où en Ntps se combine à un accomplissement ou à un achèvement, il laisse de côté les cas où pendant Ntps se combine à un accomplissement ou à un achèvement et ceux où, éventuellement, en Ntps pourrait se combiner à une activité ou à un état6:

(4) Koos et Robby ont mangé un sandwich pendant 1 heure.

(5) Le chasseur a atteint le refuge pendant 3 semaines.

(6a) II a couru en 1 heure.

(6b) II a détesté cette nana en quelques heures.7


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Tableau 1

Si Vendler n'envisage pas les exemples du type de (4), (5), (6a) et (6b), c'est probablement parce qu'ils sont à la limite de l'acceptabilité. Mais dans la mesure où ces énoncés peuvent tout de même recevoir une interprétation, il paraît nécessaire de les étudier afin de déterminer justement ce qui les rend moins acceptables que (la), (lb), (2b) et (3). C'est le point de vue adopté par Vcrkuyl dont la théorie aspect uelle est enire autres une tentative d'explication de ces différences d'acceptabilité.

Les adverbiaux de durée et ia théorie aspectuelle de Verkuyl

Dans cette partie, je m'intéresserai dans un premier temps aux adverbiaux de durée qui servent de critères au développement de la théorie aspectuelle; ensuite je présenterai une synthèse de la théorie elle-même et finalement j'exposerai la position de Verkuyl quant aux liens qui existent, d'une part entre sa théorie et sa classification des situations, d'autre part entre sa classification et celle de Vendler.

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Pourquoi 'pendant Ntps' et pas 'en Ntps'?

La raison pour laquelle Verkuyl privilégie les adverbiaux de durée introduits par pendant plutôt que ceux introduits par en nous est fournie dans sa critique de la classification de Vendler. Il y présente le critère de co-occurrence avec les adverbiaux de durée, chez Vendler, de la façon suivante:

The first sort of criteria concern certain restrictions on co-occurrence of verbs with certain adverbials or verbs. I shall refer to thèse criteria with the letter F for For -adverbials, I for In -adverbials and T for the verb take, as exemplified by [ (7)]:

[(7)] (a) He ran for half an hour.
(b) #He ran a mile for half an hour.

F

[(8)] (a) *He ran in half an hour.
(b) He ran a mile in half an hour.

I

[(9)] (a) *It took him half an hour to run.
(b) It took him half an hour to draw the circle.

T

The peculiar feature of sentences like [ (7b)] is not only that a single event reading is blocked, but that in many cases an interprétation is invoked in which répétition of the event or a peculiar sort of stretching of the event, in this case 'He ran a mile', is forced upon us (cf. Verkuyl 1987, Footnote 4).... One of thè basic problems of aspectual theory is how to explain the blocking of the singular event reading and the tendency to assign a répétitive reading.

Un peu plus loin, il explique:

Many linguists consider I to be équivalent to F. I doubt it. Note, for example, that [ (Ba)] can hâve the meaning 'it took him (less than) half an hour before he started to run'. The same interprétation can be given to [ (9a)]. The notion of "inchoativity" is absent in F. The problem is that in can mean 'within, i. e., counting the time units from the begin to the end of an intervaP and 'on/at, i. e. locating a unit in a larger unit'. Thus, I rely more on F and C [the Conjunction-criterion] than on I. (1989, p. 49-51)

Ce passage est le seul commentaire de Verkuyl sur les adverbiaux de durée du type en Ntps et il est loin d'être convaincant. Tout d'abord, je ne vois pas en quoi l'interprétation de (8a) rend le critère I moins fiable que le critère F puisque dans le cas de F, le même type de phénomène peut être observé: Verkuyl constate lui-même que la combinaison d'un accomplissement ou d'un achèvement avec pendant Ntps déclenche une interprétation forcée. D'autre part, Verkuyl semble attribuer l'interprétation «inchoative» de (8a) au fait que in peut avoir deux sens, le premier correspondant aux adverbiaux

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de durée (ceux qui nous intéressent ici), le second à des adverbiaux qui dénotent une date (cf. note 4 ). Selon Verkuyl donc, in halfan hour dans (8a) pourrait être un adverbial de date et, en tant que tel, déclencherait l'interprétation«inchoative». Personnellement, je pense que in half an hour ne peut pas être un adverbial de date: si tel était le cas, alors l'exemple (3) devrait avoir une lecture comparable à celle disponible pour la phrase Elle a atteint le sommet de la montagne en 1991, ce qui n'est pas le cas. L'exemple (8a) est donc particulier pour d'autres raisons que celles avancées par Verkuyl. Je reviendrai sur ce type d'exemples plus loin.

La théorie aspectuelle.

La théorie aspectuelle de Verkuyl est une tentative pour rendre compte des
différences d'acceptabilité entre les exemples (a) et (b) de la série suivante:

(10a) Greetje heeft urenlang gewandeld.
Greetje s'est promenée pendant des heures.

( 10b) #Greetje wandelde urenlang een kilometer.
Greetje s'est promenée un kilomètre pendant des heures.

( 1 la) De jager verbleef (gedurende) drie weken in die berghut.
Le chasseur est resté dans ce refuge pendant trois semaines.

(llb) #De jager bereikte (gedurende) drie weken die berghut.
Le chasseur a atteint ce refuge pendant trois semaines.

Les exemples (b) sont considérés par Verkuyl comme inacceptables dans une lecture singulière, c'est-à-dire que (10b) et (llb) ne dénotent pas des situations uniques: Greetje ne s'est pas promenée un kilomètre qu'une seule fois et le chasseur n'a pas atteint le refuge qu'une seule fois; chacune de ces deux situations s'est répétée un certain nombre de fois pendant l'intervalle considéré. On pourrait paraphraser (10b) et (llb) respectivement par:

(10c) Greetje s'est promenée un kilomètre plusieurs fois pendant des heures.

(1 le) Le chasseur a atteint ce refuge plusieurs fois pendant trois semaines.

D'après Verkuyî, rinacceptabilité des exemples (b) tient au fait que le VP a un trait NONDURATIF incompatible avec le trait DUREE associé à l'adverbialde durée. Le trait NONDURATIF ne peut pas être attribué au verbe car alors la plupart des verbes seraient à la fois duratifs et non duratifs: par exemple, se promener serait NONDURATIF dans (10b) et DURATIF dans (10a). Verkuyl conclut donc que l'aspect n'est pas une caractéristique propre au verbe, mais plutôt au VP et même à un S qui domine le VP et son sujet. Il remarque également que l'aspect varie en fonction du type d'objet direct. Ainsi, dans (12a) le complément un sandwich force, d'après Verkuyl, une

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lecture itérative, alors que dans (12b) des sandwichs n'impose pas une telle
lecture:

(12a) II a mangé un sandwich pendant 1 heure.

(12b) II a mangé des sandwichs pendant 1 heure

Par conséquent, manger un sandwich est non duratif alors que manger des sandwichs est duratif. Cette constatation amène Verkuyl à considérer l'aspect comme compositionnel, dans le sens où il peut être calculé à partir de propriétés spécifiques au verbe et à certains de ses arguments, en particulier les compléments d'objet direct et indirect, et le sujet.

Le trait verbal fondamental est «ADD TO»: les verbes qui ont ce trait sont des
verbes qui expriment un changement, une évolution dans le temps:

... we could say that moving from some point P¡ to another point Pj, where the distance between P¡ and Pj is the interval (P¡, Pj), can also be conceived in terms of thè predicate 'ADD TO'. If someone is walking at Pm, where Pm G (P,, Pj),..., we can say that he is adding some distance measuring units to the interval (Pi, Pm-i). It is not possible to use the sentence Hij wandelt nu (He is walking now) if he is at P¡. (Verkuyl, 1972, p. 95-96)

«ADD TO» est un trait lexical que Verkuyl définit par une fonction s comparable
aux axiomes de Peano, qui définissent les nombres naturels en mathématiques:


DIVL269

Cette définition signifie que si un verbe possède le trait [ + ADD TO], alors il peut être en partie interprété par s. Plus concrètement, on peut dire que cette fonction exprime le caractère dynamique de la situation dénotée par le verbe, c'est-à-dire le fait que cette situation progresse dans le temps.

Le trait nominal fondamental est 'SQA': il caractérise un NP et signifie que ce NP dénote soit une quantité spécifique de N, soit une quantité non spécifique de N. Ce trait est défini à l'aide de la théorie des quantificateurs généralisés:

Définition: Specified quantity ofA.


DIVL277
Side 10

Définition: Unspecified quantity ofA.


DIVL281

Verkuyl va interpréter le trait [ + SQA] par une fonction p qui va associer
chaque élément de A* à un intervalle i de I. p est donc une fonction de A*
dans I telle que:


DIVL285

(a)

(b)


DIVL291

Puisque d'après les règles de composionalité, [[V]] est une fonction de [¡NP]] dans 5VP}], alors s se composera avec p dans les cas où UNP]] a le trait [ + SQA]. Cela signifie que, dans ce cas-là, le nombre d'applications de s sera limité par p et c'est ce qui explique que l'aspect du {[VP]] sera non duratif.

De façon générale, l'aspect, tant au niveau du VP qu'au niveau de la phrase S, est déterminé compositionnellement à partir des traits «ADD TO» et «SQA». Le tableau 2, ci-dessous, résume cette compositionalité (cf. Verkuyl, 1989, p. 80):


DIVL297

Tableau 2

La catégorisation situationnelle de Verkuyl.

Dans son article de 1989, Verkuyl consacre toute une section à la classification de Vendler et essaie de montrer en quoi elle est inadéquate. La classification qu'il propose, en contrepartie, repose entièrement sur sa théorie aspectuelle. Elle peut être présentée schématiquement de la façon suivante:

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Tableau 3

Le constat que l'on peut faire immédiatement, c'est que la catégorie «achèvement», que l'on trouve chez Vendler, n'apparaît pas dans cette classification. En effet, Verkuyl considère que le critère de ponctualité qui caractérise les achèvements n'est pas valide9 (cf. p. 55-58) et que par conséquent les achèvements ne se distinguent pas des accomplissements : il réunit ces deux catégories sous sa catégorie «event».

Dans cette partie, je me suis contentée de décrire dans ses grandes lignes la théorie aspectuelle de Verkuyl, tout en mettant l'accent sur les points qui intéressent directement mon propos10: d'une part, j'ai montré que le critère de l'interprétation itérative tient une place fondamentale dans cette théorie, dans la mesure où il est à la source même de la reconnaissance des deux catégories aspectuelles envisagées; d'autre part, j'ai rappelé en quoi la classification situationnelle que propose Verkuyl est entièrement subordonnée à sa théorie aspectuelle, et ceci m'a tout naturellement amenée à reconsidérer le problème que pose la catégorie vendlérienne «achèvement», catégorie qui a été et est encore très controversée. Si je mentionne une fois de plus ce problème, c'est parce que je suis convaincue que la question du statut de cette catégorie et les problèmes que posent l'interprétation itérative chez Verkuyl sont étroitement liés.

A propos de l'interprétation itérative

Nous avons vu que l'hypothèse de départ de Verkuyl est que la combinaison d'une phrase d'aspect non duratif avec un adverbe de durée de type pendant Ntps est inacceptable dans une lecture singulière: seule une lecture itérative forcée est possible. Cette hypothèse amène Verkuyl à utiliser pendant Ntps comme un critère décisif pour déterminer quelles sont les phrases qui sont non duratives.

Un point reste néanmoins très peu discuté: c'est le fait que l'interprétation itérative n'est pas toujours la seule possible et que les interprétations concurrentes ne sont pas toujours forcées. Ce que Verkuyl pense des interprétations concurrentes tient en quelques lignes:

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Our real world knowledge with respect to a sentence like (i) He ate a sandwich for an hour says that it (normally) takes some minutes to eat a sandwich. Consequently, we force ourselves into either a forced répétition or into stretching in order to solve the tension we feel with assigning a single event reading to (i). Note that even though one substitutes for two minutes for for an hour there remains a tension which is absent in He ate for two minutes (or for an hour). Soit is this tension which constitutes the linguistically interesting property. If he in (i) refers to a mouse and a sandwich to a sandwich intended for humans, then our problem of assigning a single event reading to (i) is usually solved by interpreting (i) as a sentence having a progressive form. If he is a giant, then the enforced répétition reading is strongly favoured. Thèse examples can be taken as illustrating that the language user is normally very ingenious in finding ways out in order to maintain communication. (1987, p. 112, note 4)

Cette note est intéressante parce qu'elle jette un jour nouveau sur l'hypothèse de Verkuyl concernant l'interprétation itérative. Ce n'est pas Pitérativité en soi qui est importante (puisque d'autres interprétations sont possibles), mais plutôt le fait que quelle que soit l'interprétation disponible, cette interprétation est forcée. La théorie aspectuelle a donc été conçue non pas pour expliquer le type, mais plutôt la nature d'une interprétation. On peut donc interpréter les résultats de Verkuyl de la façon suivante: si l'aspect non duratif se combine à un adverbial de type pendant Ntps, alors l'interprétation attribuée à l'ensemble est nécessairement forcée (on remarquera par ailleurs que Verkuyl ne remet nulle part en question cette nécessité).

Je voudrais, pour ma part, montrer qu'en français il existe des phrases où la combinaison de l'aspect non duratif avec pendant Ntps ne provoque pas nécessairement une interprétation forcée. Verkuyl n'est pas le seul à avoir étudié des exemples du type // a mangé un sandwich pendant 1 heure. Vet (1980) et Boriilo (1984) proposent des analyses comparables. Par exemple, Rorilîo écrit:

Si l'on considère les phrases au temps verbal du passe" composé, on constate que pendant-durée ne peut s'appliquer à des constructions qui représentent des accomplissements et des achèvements, sauf si l'on peut interpréter la situation dans un sens duratif-itératif, ce qui n'est pas toujours possible (p. 53)

Plusieurs exemples illustrent son point de vue:

(13) II a dépensé toute sa fortune pendant six mois.

(14) II a chanté le même refrain pendant toute la soirée.

(15) II a rempli des formulaires pendant huit heures.

Side 13

L'exemple (13) illustre, d'après Boriilo, le cas où aucune interprétation n'est possible: la phrase est inacceptable. Personnellement, je pense que si effectivement l'interprétation itérative est impossible, une interprétation du type de celle que propose Verkuyl ci-dessus reste possible:

(13a) Pierre est incapable de faire des économies: il claque son fric en moins de
temps qu'il ne faut pour le dire. Pourtant, il a dépensé toute sa fortune
pendant six mois.

Pourtant introduit nécessairement un fait qui va à l'encontre de ce qu'on croit être vrai: cela signifie, si mon intuition sur (13a) est correcte, que il a dépensé toute sa fortune pendant six mois dénote une situtation qui ne corrobore pas l'idée qu'on a de Pierre, à savoir qu'iV claque son fric en moins de temps qu 'il ne faut pour le dire. Par conséquent, le sens de (13a) est que Pierre a mis plus de temps pour dépenser sa fortune qu'on ne pensait qu'il en mettrait. On remarquera que si l'on remplace pendant six mois par en six mois, alors (13a) devient inacceptable du point de vue de l'argumentation.

L'interprétation itérative est illustrée par les exemples (14) et (15). Le cas de (15) est intéressant dans la mesure où il montre qu'il est dangereux de préférer pendant Ntps à en Ntps comme critère de distinction entre différentes situations. En effet, d'après Boriilo, remplir des formulaires est un accomplissement qui combiné avec pendant Ntps déclenche une interprétation itérative. Mais, si remplir des formulaires était vraiment un accomplissement, alors il devrait pouvoir se combiner avec en Ntps, ce qui n'est pas le cas. En fait, remplir des formulaires est une activité et l'impression de répétition est due au fait que des formulaires est un NP au pluriel indéfini. L'exemple (14) est quant à lui ce que j'appellerai 'tendancieux', c'est-à-dire que les expressions même et toute la soirée favorisent une interprétation itérative (qui ne me paraît pas d'ailleurs forcée). Si l'on modifie (14) en (14a),

(14a) II a chanté le refrain pendant dix minutes.

alors trois interprétations semblent possibles:

interprétation 1: l'accomplissement envisagé n'a pas atteint son terme (il
n'a pas achevé de chanter le refrain).

interprétation 2: l'accomplissement envisagé a mis plus de temps que prévu
pour atteindre son terme (il a chanté tout le refrain,
mais cela a duré plus longtemps que prévu).

interprétation 3: l'accomplissement envisagé s'est répété un nombre de
fois indéterminé (il a chanté le refrain plusieurs fois).

L'interprétation 1 n'est mentionnée ni chez Boriilo, ni chez Verkuyl. On la
trouve toutefois chez Vet (1980) à propos de l'exemple suivant:

(16) Hélène a fait la réparation pendant deux heures.

Side 14

Vet dit de (16) que c'est une phrase qui «ne se référerait qu'à une partie de
l'intervalle, qui n'en contiendrait pas la fin; on ne peut donc pas conclure ...
que la réparation serait terminée» (p. 130).

Qu'en est-il de la nature de l'interprétation des exemples (13)- (16) ? A
première vue, (13) semble peu naturel, mais si l'on enlève toute

(13b) II a dépensé sa fortune pendant six mois.

alors la phrase paraît beaucoup plus naturelle. Dans (14), c'est quasiment l'inverse qui se passe: (14) semble plus acceptable que (14a). Ceci peut s'expliquer par le fait que (14) n'a qu'une interprétation, alors que (14a) peut en avoir trois. Quant à (16), il me semble assez évident que l'interprétation proposée par Vet n'est pas forcée.

Considérons d'autres exemples:

(17) II a mangé un sandwich pendant 1 heure.

(18) II a lu ce roman pendant 1 heure.

(19) II est arrivé pendant 1 heure.

La théorie de Verkuyl traite ces trois exemples sur le même pied. Pourtant, il paraît évident que (17) et (18) sont acceptables alors que (19) est indubitablement peu naturel. La différence entre (17) et (18) d'une part, et (19) d'autre part, c'est que dans le premier cas on dispose de trois interprétations, alors que dans le deuxième on ne peut avoir que l'interprétation itérative. Une autre différence est que manger un sandwich et lire ce roman sont des accomplissements tandis que arriver est un achèvement. On est dès lors en droit de se demander si ce parallélisme est fortuit ou non. De toute façon, quelle que soit la réponse apportée à cette question, il paraît évident qu'en se focalisant sur l'interprétation itérative, Verkuyl ne pouvait pas se poser cette question puisqu'à ce niveau-là les trois exemples sont aussi peu naturels les uns que les autres: (17) implique qu'il est concevable de manger plusieurs fois un même sandwich,11 tandis que (18) implique que le lecteur est extrêmement rapide et/ou le roman extrêmement court; quant à (19) il implique des départs répètes. L'acceptabilité de la lecture itérative dépend donc manifestement de facteurs lexicaux et/ou pragmatiques sur lesquels je reviendrai dans la dernière partie de ce travail.

Les propriétés de pendant et en lorsqu'ils introduisent un adverbial de durée

Je voudrais proposer ici une analyse sémantique de pendant et en dans laquelle
ces deux termes sont conçus comme des fonctions, notées respectivement
pendant et en, qui attribuent à chaque situation une durée.

Side 15

Fixer la durée d'une situation, c'est en fait la délimiter. Ainsi, lorsqu'on dit // a poussé une voiture, on ne dit rien sur la durée pendant laquelle cette activité s'est déroulée, on ne fixe aucune limite temporelle. Par contre, si l'on dit II a poussé une voiture pendant 1 heure, on pose des bornes à l'activité en question: entre le moment où il a commencé à pousser une voiture et celui où il s'est arrêté, il s'est écoulé une heure. Le même raisonnement peut s'appliquer aux accomplissements à la différence près que, comme l'a montré Verkuyl, ils sont non duratifs alors que les activités sont duratives. Cela revient à dire qu'un accomplissement est a priori limité, alors qu'une activité ne l'est pas. Par exemple, manger un sandwich est une situation qui a un début et une fin a priori et pour laquelle, en fonction de ma connaissance du monde, je peux déterminer une durée. Cette durée n'est donc pas une valeur absolue, vraie pour n'importe quel individu, mais une valeur relative dans la mesure où elle n'est vraie que dans ma représentation du monde. Le fait de fixer une telle durée a priori, en dehors de tout contexte, signifie qu'on sera amené à confronter cette durée à celles qui seront fixées en contexte. C'est par rapport à cette confrontation qu'il est intéressant, à mon avis, d'étudier les usages de pendant Ntps et en Ntps. Pour ce faire, je vais essayer de réinterpréter les résultats de Verkuyl en termes de durée.

Comme on l'a vu, Verkuyl définit l'aspect duratif d'une activité au moyen d'une fonction récursive qui attribue à un intervalle i son successeur i +1. Dans ce cas la récursivité est illimitée et on peut représenter une activité par un intervalle ouvert. Pour ce qui est des accomplissements, la récursivité étant limitée, on peut les représenter par un intervalle fermé. Quant aux états, leur aspect duratif tient au trait [-ADD TO] pour lequel Verkuyl ne donne pas d'interprétation. Je supposerai, toutefois, qu'un état peut être représenté temporellement comme une activité puisqu'ils ont le même aspect. Bien que Verkuyl considère, d'un point de vue aspectuel, les achèvements comme un cas particulier des accomplissements, je les distinguerai: un achèvement sera représenté par un intervalle ponctuel. Schématiquement:

états/activités


DIVL392

accomplissements


DIVL396

achèvements


DIVL400

Tout intervalle non ponctuel peut être, en principe, interprété comme une durée dont la valeur est égale à t2-tl, c'est-à-dire à un nombre pris dans ÏR+*, l'ensemble des réels positifs non nuls.12 La question qui se pose alors est de savoir comment représenter à ce niveau-là la différence entre intervalles ouverts et intervalles fermés. Dans le cas des activités (et par analogie des états) la réponse est assez simple: d (Ie/a) =x, xG ÏR+*. Pour ce qui est des accomplissements, il faut pouvoir exprimer le fait que la durée qui leur est associée dépend d'une certaine manière de la représentation du monde qu'a un individu particulier. On peut utiliser pour ce faire une fonction lambda

Side 16

définie comme suit: ((Ax)x)dh, où dh est la durée attribuée par l'individu h à un accomplissement donné. Si H est l'ensemble des individus, alors ((Ax)x)dH sera l'ensemble des durées attribuées par chaque individu de H à un accomplissement donné. L'ensemble ((Ax)x)dH est donc un sous-ensemblede 9ft+*, noté D^h- La durée d'un accomplissement pourra donc être représentée par d(IaCc) = ((^x)x)dh, ((Ax)x)dhG Dtn-

Les achèvements, quant à eux, ont ceci de particulier que si l'on applique strictement la définition de la durée d'un intervalle, alors leur durée est nulle. Ce résultat est cependant peu satisfaisant dans la mesure où il contredit fortement notre intuition : comment concevoir l'existence d'une situation en dehors d'une certaine durée, aussi infime soit-elle. Pour éviter ce problème, on peut poser que d (Iach) — limO+, c'est-à-dire que la durée d'un achèvement est une constante dont la valeur est le réel positif le plus proche de zéro. On remarquera que cette valeur ne peut pas être exprimée avec les unités de temps traditionnelles (secondes, minutes, etc.), ce qui explique qu'elle ne sera jamais introduite par les adverbiaux de durée.

A partir de l'étude qui vient d'être faite et de celle des exemples, je définis
les fonctions pendant et en comme suit:


DIVL408

DIVL410

DIVL412

DIVL414

DIVL416

DIVL418

Ces définitions appellent quelques commentaires: tout d'abord, la définition négative de la fonction pendant2 signifie que la durée attribuée a priori à un accomplissement n'est pas égale à la durée introduite par pendant. On a donc soit d(Iacc) < dNtps, soit d (ïacc) > divtps- A ces deux possibilités correspondent îes trois interprétations déterminées précédemment:

interprétation î: c'est le cas où d (laCc) > dNtps, c'est-à-dire que l'accomplissement
est considéré comme inachevé.

interprétation 2/3: c'est le cas où d (laCc) < dNtps, c'est-à-dire que soit l'accomplissement
a duré plus longtemps que prévu, soit il
s'est répété.

Considérons la phrase suivante:

(17) II a mangé un sandwich pendant 1 heure.

Si un individu appelé Jo énonce (17) à un autre individu appelé Zette,
comment Zette va-t-elle interpréter (17)? Tout dépend de la durée que Zette
attribue a priori à l'accomplissement manger un sandwich. En d'autre termes,

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tout dépend de la valeur dzette- Si dzette > 1 heure, alors c'est l'interprétation 1 que Zette choisira. Par contre, si dzette < 1 heure, alors Zette optera pour les interprétations 2 ou 3 (Je reviendrai plus loin sur les contraintes liées à l'interprétation itérative qui permettent de distinguer entre 2 et 3). Que se passe-t-il du point de vue de Jo? Le fait que l'interprétation de (17) dépende de dzette signifie-t-il que Jo n'a aucune prise sur cette interprétation? Cela reviendrait à dire que lorsque Jo énonce (17), il ne peut jamais être sûr d'être compris. En fait, il faut remarquer que si Jo et Zette partagent le même monde, alors il ya une très forte probabilité pour que djo et dzette soit du même ordre de grandeur. Par conséquent, le degré de certitude de Jo quant àsa capacité de se faire comprendre est d'autant plus élevé que djo et dzette sont proches, c'est-à-dire le degré de certitude est plus grand si Jo et Zette partagent le même monde. Cette conclusion semble bien refléter notre intuition.

On remarque, d'un autre côté, que les achèvements sont exclus du domaine de définition des fonctions pendant et en, et que les activités et les états sont exclus du domaine de définition de en. Ceci ne signifie pourtant pas que ces situations sont incompatibles avec les adverbiaux de durée pendant Ntps et en Ntps. Considérons les exemples suivants :

(3) Elle a atteint le sommet de la montagne en 2 heures.

(20) II est parti pendant 10 jours.

(6a) II a couru en 1 heure.

(6b) II a détesté cette nana en quelques heures.

Quel que soit leur degré d'acceptabilité, ces phrases reçoivent toutes le même type d'interprétation, à savoir que la durée dénotée par l'adverbial ne s'applique pas à la situation SI dénotée par le VP, mais à une situation complexe S composée de SI et d'une situation présupposée ou impliquée par SI. Si une telle interprétation existe, alors la situation S existe elle aussi et appartient nécessairement au domaine de définition de en ou de pendant.

Ainsi, dans (3), SI est un achèvement qui présuppose une activité dont il marque le terme: c'est ce que j'appellerai un achèvement égressif. La combinaison de cet achèvement avec l'activité qu'il présuppose donne tout naturellement un accomplissement (d'où le terme d'achèvement-accomplissement proposé par Boriilo), et comme les accomplissements appartiennent au domaine de définition de en, (3) reçoit l'interprétation (3a):

(3a) Elle a mis 2 heures à atteindre le sommet de la montagne.

Le même type de raisonnement tient pour (20) : SI est un achèvement ingressif qui marque le moment initial de l'état qu'il implique, à savoir // n'est pas ¡plus là. La combinaison de cet achèvement et de l'état qu'il impliquedonne un état (d'où le terme d'achèvement-état proposé par Boriilo), et

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comme pendant s'applique par définition aux états, (20) est interprétable et
peut être paraphrasée par (20a):

(20a) II n'a pas été là pendant 10 jours.

Les exemples (6a) et (6b) peuvent recevoir des interprétations comparables à celles proposées pour (3) (cf. note 6). Cependant, il faut remarquer que l'activité présupposée par SI dans (6a) et (6b) l'est en vertu du fait que l'adverbial de durée en Ntps est présent dans ces phrases, alors que dans (3) c'est l'achèvement égressif qui détermine l'existence de l'activité, et ceci indépendamment de la présence de l'adverbial de durée. En d'autres termes, dans (6a) et (6b), c'est en Ntps qui force SI, c'est-à-dire une activité ou un état, à présupposer une activité, de telle sorte que la succession dans le temps de cette activité et de SI donne deux situations dont l'une, complexe, peut être considérée comme un accomplissement et l'autre est SI: l'accomplissement résulte du fait que le terme de l'activité présupposée est marqué par le moment initial de SI.

En résumé, une phrase S = NP + VP peut se combiner avec un adverbial de durée de type pendant/en Ntps si la situation dénotée par le VP appartient au domaine de définition de pendant ou de en, ou s'il existe une situation dérivée de la situation de départ qui remplit cette condition.

Le statut des achèvements.

L'analyse ci-dessus montre clairement que les achèvements peuvent se combiner tout à fait normalement avec pendant Ntps ou en Ntps suivant qu'ils sont égressifs ou ingressifs. Ceci semble être dû au fait qu'un achèvement est une situation ponctuelle qui fait partie intégrante de la situation qu'il présuppose ou qu'il implique. Quoi qu'il en soit, les classifications situationnelles qui, comme celle de Verkuyl, incluent les achèvements dans la classe des accomplissements sont manifestement inexactes. Si réduction des achèvements il y a, alors elle doit couvrir deux classes situationnelles au moins: les accomplissements et les états.13 Dans le cadre de la théorie aspectuelle de v crKiiVi, ccia signiiic que i aspect uc \^j est non uuratix, tandis que cciUî uC (20) est duratif.

L'analyse de Verkuyl prédit pourtant, avec raison, que l'aspect de (20) peut être non duratif: dans ce cas // est parti est considéré comme un accomplissement.Cet accomplissement a la particularité d'avoir une durée infime constante qui ne peut pas être dénotée par Ntps. Dès lors, nous nous trouvons dans le cas où d(IaCc) < djvtps et comme d(IaCc) est une constante, l'interprétation 2 (celle qui étend la durée de l'accomplissement) est exclue.14 Donc (20) reçoit nécessairement l'interprétation itérative. Ce résultat est bien celui obtenu par Verkuyl, mais on voit que les raisons qui motivent l'interprétation itérative ne se limitent pas au type aspectuel: le fait que la

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valeur de la durée soit spécifiée est fondamental. Cette différence entre la nature de la durée des accomplissements et celle des achèvements, que Verkuyla cru pouvoir négliger, s'avère ici être essentielle. Dans (20), cette valeur est spécifiée par la nature même de l'achèvement, mais il est également possible de la spécifier par le biais d'un adverbial de durée de type en Ntps. Ainsi, // est parti en 5 minutes signifie qu'il a mis cinq minutes pour partir, et // est parti en 5 minutes pendant 1 semaine signifie que sur une période d'une semaine, chaque fois qu'il est parti, il a mis 5 minutes pour le faire. De même, si c'est la durée d'un accomplissement qui est précisée, alors Elle a avalé son déjeuner en 5 minutes pendant 1 semaine reçoit nécessairement une interprétationitérative. L'interprétation itérative est donc privilégiée dans les phrases qui combinent pendant Ntps et une situation non durative dont la durée est établie de façon précise, soit par la nature même de la situation (un achèvement), soit par la présence d'un adverbial de durée introduit par en.

Certains achèvements peuvent être à la fois ingressifs et égressifs. C'est le
cas d'atteindre dans

(21) Cette Ferrari a atteint 400 km/h en quelques minutes pendant 1 heure.

Cet exemple diffère de ceux donnés au paragraphe précédent dans la mesure où en Ntps n'est pas ici nécessairement dans la portée de pendant Ntps. (21) est ambiguë entre une interprétation itérative (cf. ci-dessus) et une interprétation qui met en évidence deux situations, un accomplissement et un état:

(21a) Pendant 1 heure, cette Ferrari a plusieurs fois atteint 400 km/h en quelques
minutes.

(21b) Cette Ferrari a mis quelques minutes à atteindre 400 km/h et a maintenu
cette vitesse pendant 1 heure.

De façon générale:

(i) Si un achèvement est combiné avec en Ntps, alors cet achèvement se
comporte comme un accomplissement dont la durée est égale à la durée
dénotée par Ntps;

(ii) Si un achèvement est combiné avec pendant Ntps, alors cet achèvement se
comporte soit comme un accomplissement, soit comme un état:

s'il se comporte comme un accomplissement, alors la durée de cet accomplissement
est égale à la durée de l'achèvement, c'est-à-dire limO+, et l'interprétation
itérative est la seule possible;

s'il se comporte comme un état, la durée de cet état est égale à la durée dénotée
par Ntps;

(iii) Si un achèvement est combiné à la fois avec en Ntps et pendant Ntps,
alors cet achèvement se comporte soit comme un accomplissement, soit
comme un accomplissement suivi d'un état:

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s'il se comporte comme un accomplissement, alors la durée de cet accomplissement
est égale à la durée dénotée par en Ntps, et l'interprétation itérative est la
seule possible;

s'il se comporte comme un accomplissement suivi d'un état, alors la durée de
l'accomplissement est égale à la durée dénotée par en Ntps, et la durée de l'état
est égale à la durée dénotée par pendant Ntps.

Les facteurs lexicaux ou pragmatiques et l'itérativité

Je voudrais revenir sur les exemples du type de (17), afin d'étudier plus en
détail les contraintes lexico-pragmatiques qui pèsent sur l'interprétation itérative
que Verkuyl leur attribue (cf. note 11):

(17) II a mangé un sandwich pendant 1 heure.

(22) Zette a planté une rose pendant 3 heures.

J'envisage ces contraintes par rapport à deux aspects différents: le premier
concerne la possibilité même d'avoir une lecture itérative, le second la pertinence
d'une telle lecture.

Comme je l'ai déjà dit, (17) dans une lecture itérative est très peu naturel. Par contre, (22) est tout à fait acceptable. Pour rendre compte de cette différence, je vais supposer que s'il y a itérativité, alors il existe une situationunité qui se répète et dont je peux étudier la présupposition et l'implication.

Zette a planté une rose pendant 3 heures signifie, dans une interprétation itérative, que la situation Zette a planté une rose s'est répétée un certain nombre de fois. Je noterai cette situation par [planter r], où r représente la rose particulière que Zette a plantée. Il est assez aisé de déterminer la présupposition et l'implication de cette situation: [planter r] présuppose que r n'est pas planté et implique que r est planté. Que se passe-t-il au niveau de l'énoncé même ? L'itération dans (22) peut être notée [[planten r], [plante^ r],..., [plantern r]], c'est-à-dire que (22) dénote une suite de situations identiques^numérotées de 1 à n. Chaque situation de cette suite a les mêmes présupposition et implication que la situation [planter r]. Dans ces conditions,il y a incompatibilité entre l'implication et la présupposition de deux situations successives prises dans la suite de situations dénotée par (22), puisque r est le même pour chacune de ces situations. Pourtant, (22) est acceptable. Ceci peut s'expliquer par le fait que chaque situation [planterx rj est implicitement accompagnée de la situation inverse [déplantéx r]. L'interprétationitérative semble donc dépendre de la possibilité pour une situation donnée d'être conçue comme pouvant être «réversibilisée». Et c'est là la différence entre la situation [manger s] et [planter r]: (17) n'est pas acceptabledans une lecture itérative parce que [manger s] n'est pas réversible, au sens où une fois que le sandwich est mangé, il n'est pas possible de le

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récupérer dans un état qui nous permette de le reconnaître comme étant un
sandwich.

La question de la pertinence peut se poser, à mon sens, dans les termes suivants: si je dis (22), à quelles conditions mon interlocuteur, disons Jo, va-t-il pouvoir l'interpréter de façon itérative? Cela revient à se demander à quelles conditions (22), dans son interprétation itérative, est vraie dans Wjo, le monde de Jo. Rappelons que Jo attribue a priori une durée, notée djo, à l'accomplissement planter une rose. Dans ces conditions, (22) est vraie si, et seulement si, djo = N.divtps, N étant une constante à déterminer.

Admettons, par exemple, que djo =5 minutes. Alors, il semble évident que
l'interprétation itérative sera d'autant plus acceptable pour Jo que le rapport
djo/dNtps sera grand. On peut vérifier cela avec les exemples suivants:

(22a) Zette a planté une rose pendant 10 minutes.

(22b) Zette a planté une rose pendant 1/2 heure.

(22c) Zette a planté une rose pendant 1 heure.

(22d) Zette a planté une rose pendant des heures.

Dans (22a), N = 2 est probablement trop petit pour que Jo opte pour l'interprétation 3 plutôt que 2; (22b-c) restent ambiguës par rapport à ces deux interprétations; (22d), par contre, favorise nettement l'interprétation itérative parce que N peut être supposé très grand.

Conclusion

La présente étude a montré que les prépositions pendant et en, lorsqu'elles introduisent des adverbiaux de durée, ont des propriétés sémantiques qui varient en fonction du type de situations avec lequel elles se combinent. Normalement, la fonction des adverbiaux de durée introduits par en et pendant est d'attribuer une valeur à la durée des situations qu'ils qualifient. Dans cette fonction, pendant Ntps est utilisé avec les activités ou les états (au sens vendlérien de ces termes), tandis que en Ntps est utilisé avec les accomplissements. Toutefois, les exemples montrent que pendant Ntps peut s'utiliser avec les accomplissements : dans ce cas, la fonction sémantique de pendant est de provoquer la non coïncidence de la durée qu'il introduit avec la durée a priori associée à l'accomplissement. Dans les phrases qui mettent en jeu cette contrainte, trois types d'interprétation sont possibles, dont l'interprétation itérative de Verkuyl n'est qu'un cas particulier. Finalement, il a été montré que en Ntps et pendant Ntps peuvent se combiner avec des achèvements: dans ce cas-là, l'achèvement doit toujours pouvoir être réinterprété comme un accomplissement ou un état.

Geneviève Dehon

Université Libre de Bruxelles

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Notes

1. Ce texte présente des résultats de recherche du Programme national d'impulsion à la recherche fondamentale en intelligence artificielle, mis en œuvre à l'initiative de l'Etat belge - Service du Premier Ministre - Programmation de la Politique Scientifique. La responsabilité scientifique est assumée par son auteur. Je tiens à remercier Marc Dominicy quimaim'a donné la possibilité de réaliser ce travail et dont les nombreuses remarques m'ont été très utiles.

2. La classification verbale de Vendler est en fait une classification de situations. J'utiliserai donc le terme «situation», suivant en cela Boriilo (1987), pour désigner les diverses catégories existantes.

3. Il a été montré que le critère de la forme progressive n'est pas décisif, comme l'atteste le dernier exemple de (2). Pour une discussion plus détaillée, cf. Mourelatos

4. Boriilo (1987) définit les adverbiaux de durée introduits par pendant de la façon suivante: L'adverbial de mesure de durée construit avec pendant doit être constitué d'un nom de mesure temporelle, Ntps, lui-même accompagné d'un quantitatif, qui peut être un numéral ou un indéfini: pendant quelques jours, pendant un certain temps. A ne pas confondre avec l'adverbial pendant Ndur, constitué d'un nom susceptible d'avoir une durée temporelle, donc entre autres d'un Ntps, mais non plus sous son aspect unité de mesure mais tout simplement sous son aspect adverbe de localisation: II a disparu pendant trois jours II a disparu pendant la nuit (note 3, p. 236) J'applique cette définition également aux adverbiaux de durée introduit par en et je reprends à Boriilo sa notation pendant Ntps et en Ntps. Pour une discussion plus détaillée, cf. Boriilo (1984).

5. Cf. Dowty (1979, p. 57) qui distingue entre homogénéité et imperfectivité.

6. La plupart des exemples étudiés dans la suite de cet article sont des traductions (ou adaptations) françaises d'exemples néerlandais ou anglais étudiés par Verkuyl (1972-89). Le temps verbal utilisé, le passé composé, n'a pas d'impact direct sur ics résultats auxquels aboutit cette étude. Il a cependant l'avantage de mieux mettre en évidence les problèmes traités.

7. Les exemples (6a) et (6b) sont peu naturels. Cependant, on peut !es paraphraser respectivement par «il lui a fallu 1 heure pour se mettre/apprendre à courir» et «il lui a fallu quelques heures pour détester cette nana».

8. La fonction que je propose ici est une version simplifiée de celle proposée par Verkuyl (1989, p. 86).

9. cf. Mittwoch (1991) pour une critique de cette critique.

10. Un certain nombre de problèmes, que je ne n'aborderai pas ici, sont plus ou moins directement liés à mon propos. Par exemple, les syntagmes nominaux génériques en position objet (cf. Verkuyl, 1987, p. 98-99), la détermination de l'aspect duratif pour certaines activités (cf. Verkuyl, 1989, p. 92, note 5), et finalement le rôle du complément prépositionnel dans la détermination de l'aspect de phrases comme // a poussé sa voiture jusqu'au garage, qui lorsqu'elles se combi- nent à un adverbial de durée du type pendant 3 jours peuvent recevoir une lecture itérative.

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10. Un certain nombre de problèmes, que je ne n'aborderai pas ici, sont plus ou moins directement liés à mon propos. Par exemple, les syntagmes nominaux génériques en position objet (cf. Verkuyl, 1987, p. 98-99), la détermination de l'aspect duratif pour certaines activités (cf. Verkuyl, 1989, p. 92, note 5), et finalement le rôle du complément prépositionnel dans la détermination de l'aspect de phrases comme // a poussé sa voiture jusqu'au garage, qui lorsqu'elles se combi- nent à un adverbial de durée du type pendant 3 jours peuvent recevoir une lecture itérative.

11. Galmiche (1985), se référant à Kupferman (Etudes sur l'article en français, Thèse de 3ème Cycle, Université Paris VIII, 1976), note que les syntagmes génériques du type un N n'apparaissent pas, normalement, en position objet. Si cette observation est exacte, (17) ne peut pas signifier que plusieurs sandwichs (distincts) ont été mangés pendant 1 heure.

12. Pour une justification du choix de 9Î, cf. Bennett (1981, p. 13-14).

13. Il existe peut-être des achèvements ingressifs qui impliquent une activité. Personnellement, je n'en ai pas rencontré.

14. Le même raisonnement est valable pour une phrase telle que Elle a atteint le sommet de la montagne pendant 10 jours.

15. La notion d'identicité pose problème pour les constructions qui font intervenir ce qu'on a appelé accusativus effectivus. Dans des phrases comme // a tricoté un pull ou Elle a construit une maison, Pexistence-même du pull et de la maison dépend de l'activité dénotée par le verbe. Par conséquent, si ces phrases apparaissent dans un contexte comparable à (22), il n'est pas évident a priori que [tricoter p] et [construire m] soient les situations itérées.

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Résumé

Le présent article discute du type et de la nature des interprétations que peuvent recevoir des phrases telles que s'[s[Pierre a écrit une lettre]s Adv[pendant trois jours]Adv]s'- La théorie aspectuelle de Verkuyl prédit que ces phrases, parce qu'elles résultent de la combinaison d'une phrase S d'aspect non duratif avec un adverbial de durée introduit par pendant, ont nécessairement une lecture itérative forcée. Cette prédiction est remise en question par l'existence en français de phrases qui répondent à la description de Verkuyl et qui pourtant peuvent recevoir d'autres interprétations que l'interprétation itérative. Earticle présente d'abord une analyse qui rend compte des interprétations d'énoncés de la forme S'=S+pendant/en Ntps en s'appuyant sur la durée qui caractérise la situation dénotée par S et sur les propriétés sémantiques de pendant et en lorsqu'ils introduisent des adverbiaux de durée. Cette analyse débouche sur une discussion concernant le statut des achèvements. Finalement, il est montré que certaines contraintes lexico-pragmatiques pèsent sur l'interprétation itérative et la rendent ainsi moins accessible que les interprétations concurrentes.

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