Revue Romane, Bind 27 (1992) 2

Olivier Soutet : La concession en français des origines au XVIe siècle. Problèmes généraux. Les tours prépositionnels. Publications romanes et françaises, CLXXXIX. Librairie Droz, Genève, 1990. 186 p.

Povl Skårup

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Ce volume est le premier d'un ouvrage dont le second portera le titre La Concession
dans la phrase complexe, en français, des origines au XVIe siècle. La première partie du
présent volume, Problèmes généraux, sert d'introduction à l'ouvrage entier.

Je vais dire d'emblée mon objection principale. Pour décrire les phrases concessives, l'auteur se sert de formules empruntées à la logique. Cependant, il définit mal ses symboles. Cela vaut surtout pour «q» et «p». Ala p. 14, il dit que dans «Bien qu'il soit malade, Pierre travaille beaucoup», «q» est «Bien qu'il soit malade» et «p» est «Pierre travaille beaucoup». Cela correspond très bien avec la définition qu'il a donnée à la p. 11 : «q étant la protaseet/? l'apodose». Mais cela ne correspond pas avec l'emploi qu'il fait de «q» : non pas pour «Bien qu'il soit malade», mais pour «II est malade» ou plutôt «On est malade» ou le contenu sémantique de ces phrases. De même, il emploie «p» non seulement pour «Pierre travaille beaucoup», mais surtout pour «On travaille beaucoup» ou le contenu sémantique de ces phrases. S'il y a une négation dans la protase ou dans l'apodose, l'auteur ne les désigne plus par «q» et «p» mais par «nég. q» et «nég. p», parti pris qu'il n'explique pas. Lorsque «q» est appliqué à un tour prépositionnel avec valeur concessive, l'auteur laisse à l'intuition du lecteur le soin de deviner ce qu'il désigne exactement; ceci est d'autant plus regrettable que c'est là le sujet de la partie empirique du livre. S'il avait précisé le sens de ces symboles, son ouvrage aurait gagné à la fois en rigueur et en lisibilité.

L'auteur propose une typologie de phrases considérées comme concessives. Cette typologie ne prétend pas à Pexhaustivité. Un des types qu'on pourrait ajouter est même : «même l'homme robuste faiblit, et même l'homme jeune chancelle» (Gide), «même lorsqu'on s'intéresse à des faits de langue tardifs, il n'est pas possible de renoncer au témoignage de textes qui sont d'une tenue linguistique en apparence

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traditionnelle» (Soutet, dans son texte, p. 21). La valeur de même est la même dans
ces exemples que dans «Même s'il est malade, Pierre travaillera beaucoup», à savoir
d'ajouter ce qui en fait une phrase concessive.

Après avoir établi cette typologie, l'auteur pose la question suivante: «Quels sont les traits communs à tous ces types de phrase qui font qu'on les identifie toutes, malgré des différences, comme concessives?». Voici sa réponse : «La relation concessive peut donc se définir, très généralement, comme la négation d'une relation si q, nég.p». Ailleurs il dit que «si q, nég.p» appartient à l'anti-univers du locuteur; cette formule savante veut dire simplement que le locuteur considère la phrase «si g, nég. p» comme fausse.

Sur ce dernier point, je ne peux pas suivre l'auteur. Les phrases concessives présupposent une norme, qui est transgressée par ce qui est posé. La phrase «Bien qu'il soit malade, Pierre travaille beaucoup» présuppose soit la norme particulière «S'il est malade, Pierre ne travaille pas beaucoup», soit la norme générale «Si on est malade, on ne travaille pas beaucoup». C'est ce que l'auteur exprime par sa formule «si q, nég. p». Mais cette norme n'est pas niée par le locuteur, elle n'est que transgressée par ce qui est posé dans la phrase «Pierre travaille beaucoup». La norme peut être maintenue, même par le locuteur lui-même, pour d'autres cas : «II est vrai que si on est malade, on ne travaille pas beaucoup, mais Pierre est l'exception qui confirme la règle».

Après les problèmes généraux, l'auteur passe aux tours prépositionnels d'avant le
XVIe siècle, surtout l'emploi concessif de p0r..., comme dans cet exemple : «Elle nont
eskoltet les mais conselliers, Qu'elle Deo raneiet chi maent sus en ciel, Ne por or ned
argent ne paramenz, Por manatce regiel ne preiement» (Ste Eulalie, 5-8; l'auteur ne
discute pas de l'appartenance des vers 7-8 aux vers précédents plutôt qu'aux vers
suivants).

Eauteur ne s'intéresse pas à préciser la valeur concessive depon... Ainsi, il ne range
pas ce tour prépositionnel dans sa typologie, établie au début de l'ouvrage, et, comme
je l'ai dit, il n'identifie pas la norme présupposée mais transgressée.

Ce qui intéresse l'auteur, c'est la désambiguïsation des exemples de p0r..., dont la
valeur n'est pas toujours concessive, même en énoncé négatif comme dans l'exemple
cité.

Hauteur ne cite pourtant pas un seul exemple où la valeur de por... ne soit pas concessive. Même pour montrer les autres valeurs possibles, il se sert de l'exemple cité de Ste Eulalie, en en donnant des interprétations auxquelles il ne croit pas luimême. Pour mieux illustrer les deux autres interprétations dont parle l'auteur, j'emprunte les exemples suivants à l'article por du Tobler-Lommatzsch : (1) «por la vostre honte ne fut dit ne penset» (Voyage de Charlemagne, 38); (2) «Car nuls ne l'osout dire d'els pur le rei Henri» (Guernes de Pont-Sainte-Maxence, éd. Walberg, 2336). Ces trois exemples se distinguent par la portée de la négation : le noyau de la proposition + por... (Ste Eulalie), seulement por... (Voyage), seulement le noyau (Guernes). Mais l'auteur a raison de dire que cette distinction ne s'applique pas aux exemples sans négation et qu'elle n'est pas directement visible.

Les exemples cités par l'auteur sont ceux qu'il a interprétés intuitivement - et sans
doute avec raison - comme concessifs, et la désambiguïsation consiste à identifier ce
qui, dans le texte, lui fait préférer cette interprétation. Il est regrettable que les

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critères établis ne soient pas confrontés avec des exemples où la valeur de por... n'est
pas concessive.

Malgré ses insuffisances, cet ouvrage constitue une contribution intéressante à la
discussion de la concession en générale! surtout à l'étude de l'emploi concessi f de por
et de quelques autres prépositions.

Université d'Ârhus