Revue Romane, Bind 27 (1992) 2Influences. Relations culturelles entre la France et la Suède. Actes publiés par Gunnar von Proschwitz. Gôteborg et Paris, 1988. 320 p. Illustrations. Vincent Fournier: L'Utopie ambiguë. La Suède et la Norvège chez les voyageurs et essayistes français (1882 - 1914). Clermont-Ferrand, 1989. 320 p.Merete Grevlund
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Les articles publiés ici sont les actes d'un colloque «bilatéral» sur les relations culturelles entre la France et la Suède (septembre 1987). Le premier exemple remonte au monde des troubadours et des Minnesanger. C'est la carole française qui va rejoindre la folkvisa scandinave, non sans passer par des relais anglais ou germaniques (Régis Boyer). Cet espace européen qui entoure les échanges franco-suédois sera sensible dans la plupart des études qu'on va lire, jusqu'à devenir, au XVIIIe siècle, un «espace du dedans» entièrement dominé par la France. Lun des auteurs n'hésite pas à parler de la «francisation» (p. 117) de la Suède à l'époque où le français devient «la langue de la cour, de l'aristocratie, de la diplomatie, de la culture et de la courtoisie» (p. 157). Il ne faut donc pas être surpris que le colloque ait surtout réuni des contributions sur le siècle des iumières. Il y a toutefois des prolégomènes parmi lesquels l'étude sur Berain m'a paru particulièrement bien venue. Ce dessinateur de Louis XIV savait passer avec brio, sinon indifféremment, des modèles de pompes funèbres pour la Reine de France ou la Grande Mademoiselle aux dessins de proue et de poupe pour les vaisseaux du Roi. Par l'intermédiaire de son architecte Nicodème Tessin, Charles XI lui fit passer, à partir de 1693, plusieurs commandes prestigieuses, destinées à exercer une longue influence en milieu suédois (Jérôme de la Gorce). On est heureux aussi de trouver un article sur l'œuvre gravée de Lajoùe qui a grandement contribué, en Suède et ailleurs, à diffuser les modèles décoratifs du style rococò - architecture, paysages, perspectives - si présents dans l'image que nous nous faisons de la vie culturelle sous Louis XVI et Gustave 111 (Marianne Roland Michel). On se rend compte que la Suède a été extrêmement heureuse dans le choix de ses représentants à Paris, à commencer par le comte de Creutz. Voltaire écrivait à MadameGeoffrin que le Sénat de Suède avait commis une étourderie en le nommant en Espagne, alors qu'il aurait fait du bien en France ... (lettre du 21 mai 1764, citée p.
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148). Par la suite, il «fit du bien» à Paris pendant 17 ans, de 1766 à 1783, et contribua beaucoup à susciter et entretenir chez le Prince Royal, le futur Gustave 111, l'amour pour la culture et la langue françaises. C'est par lui que YEncyclopédie et l'lngénu arrivent en Suède. Grâce à son entremise, les Incas de Marmontel paraissent avec une dédicace à Gustave 111 - et le Huron que le même auteur devait tirer du conte de Voltaire, avec une dédicace au comte de Creutz ... (Marianne Molander). Marmontel aide ainsi à propager en France une image quelque peu idéalisée de Gustave 111 qui devient, avec Frédéric 11, Catherine de Russie, Léopold de Toscane et quelques autres,la figure de Roi dont rêvent Philosophes et hommes de lettres. On la retrouve dans le dossier réuni par Gunnar von Proschwitz autour du Mariage de Figaro. Le Roi de Suède avait vu et revu la pièce de Beaumarchais à la Comédie Française en 1784 et tout en la trouvant «insolente», il avait eu le bon goût de ne pas s'arrêter à son caractère «immoral». A son retour, il la fit représenter par sa troupe française au château de Drottningholm. Beaucoup de textes inédits ou peu connus viennent ainsi enrichir notre connaissance du XVIIIe siècle suédois et du XVIIP siècle en général. Le plus important est peut-être la lettre adressée en 1773 par Du Pont de Nemours au comte de Scheffer, ancien ministre de Suède à Paris, ancien gouverneur du Prince Royal, ami et conseiller de Gustave 111. Moins originale par la forme et la pensée que ne semblent le croire et l'épistolier lui-même et l'auteur de l'article Barbro Ohlin, c'est un texte didactique bien de son temps, où s'esquisse un système d'éducation morale et civique pour le peuple suédois. «Il est certain, écrit-il, que la Suède fera toujours de grandes choses aisément, parce qu'elle a un Peuple bon et noble. Il est certain qu'il en fera beaucoup sous ce règne, parce qu'elle a un Prince éclairé qui sait parler à ce Peuple ..» (p. 121). Il propose donc, à mi-chemin entre Rousseau et Robespierre - à moins que ce ne soit le père Gérard - l'établissement d'un grand nombre de fêtes sur le modèle des exercices militaires, mais axé sur les changements de saisons, comme en Chine. Sous sa plume, on voit prendre au pays de nulle part, dont rêvent les eprits du siècle, les traits d'une Suède de fantaisie. A côté de cette représentation fortement intellectualisée, il en existe une autre qui se nourrit d'un imaginaire plus ancien. Elle ne fait ici que des apparitions épisodiques, notamment dans le commentaire d'une nouvelle de l'abbé Prévost, Aventure intéressante des mines de Suède (1736), qui contient une description hallucinée des mines de Falun. Et Jean Sgard de conclure: «... on revient toujours à ce qui fut peut-être depuis l'antiquité le mirage nordique: les confins de la terre, la disparition du soleil, l'accès aux Enfers». Cette Suède à double face se retrouvera au XIXe siècle, comme en témoignent à la fois l'étude sur Gobineau et le «modèle suédois» (Jean-Hervé Donnard) et l'article sur la réception en France des premières traductions de Strindberg (Eva Ahlstedt). Elle fait aussi le sujet de tout un livre sur les voyageurs et essayistes français qui ont parlé de la Suède et de la Norvège entre 1882 et 1914. On se demande sous quels traits persiste aujourd'hui cette «utopie ambiguë» d'où Vincent Fournier exclut formellement le Danemark comme faisant déjà partie de «l'ensemble proprement européen» (p. 22). Université de Copenhague |