Revue Romane, Bind 27 (1992) 2

Jean Giraudoux: Œuvres romanesques complètes I. Edition publiée sous la direction de Jacques Body. Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, Paris, 1990. 2005 p.

John Pedersen

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Ce volume comporte plus que ne promet son titre. La tradition a fait opter pour «Œuvres romanesques», mais en réalité, il s'agit de toutes les œuvres narratives, contes, récits, romans ... D'ailleurs, parlant des oeuvres de Giraudoux, on est fondé à se demander dans quelle mesure il s'agit de romans. Body affirme qu'avant Suzanne, le terme de roman serait impropre. Ce qui précède se caractériserait mieux comme 'contes', voire allégories.

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La question mérite une réflexion: dans quelle mesure l'auteur de Juliette au pays des hommes est-il un romancier? Serait-ce plutôt à partir de Bella, seulement, qu'il convient de le caractériser ainsi? Sans vouloir trancher, il sera peut-être permis de se féliciter, en tant que lecteur, que Giraudoux, plume en main, ait superbement négligé toute préoccupation fâcheuse concernant la «genrologie», au sens académicien du terme.

En revanche, le lecteur de ses textes narratifs a droit à la vaste gamme de ses inspirations littéraires et personnelles, aussi bien qu'à ses «jongleries» au niveau stylistique. Deux mots clés résument l'heureux paradoxe de Giraudoux, ici comme dans son théâtre: le sourire et le sérieux. Le ton particulier qui en fait un amalgame domine incontestablement ces textes, qu'il s'agisse de contes, de récits ou de romans. Pour s'en convaincre, il suffit de penser à ce chef d'œuvre que sont Les Aventures de Jérôme Bordini.

Le recueil s'ouvre par trois petits récits poétiques {Premier rêve signé, Echo et Les Rides). En appendice, on trouvera les premiers écrits. En général, cependant, les textes figurent selon l'ordre de leurs premières parutions. Ce premier volume se termine par La Grande Bourgeoise - restent donc, entre autres trésors, Choix des Elues et Combat avec l'Ange pour le prochain volume, auquel seront jointes, apprendon, les «œuvres cinématographiques complètes», qui se résument, en gros, à l'adaptation de La Duchesse de Langeais et au Film de Béthanie.

On trouvera, au début du volume, une chronologie solidement étayée et qui va
jusqu'au centenaire en 1982 et aux manifestations auxquelles donna lieu cet anniversaire.

L'établissement du texte a posé un problème délicat, notamment en ce qui concerne les dialogues, domaine capital dans l'œuvre de Giraudoux. Les éditeurs ont souhaité les encadrer par des guillemets, ce qui se défend fort bien. Or, Giraudoux s'était contenté de les introduire par un simple tiret. Il en résulte que, face au texte joyeusement coulant, le lecteur n'aura plus à décider lui-même où peut bien se terminer telle ou telle réplique. Cela n'est pas toujours un avantage, surtout dans les cas où Giraudoux a joué savamment sur les glissements entre le style direct et le style indirect

Chaque œuvre s'accompagne d'une notice historique et littéraire, notamment sur les principaux thèmes et sur leurs destins. En outre, bien entendu, comme il se doit pour un volume figurant dans cette collection prestigieuse, se trouvent des notes sur le texte, manuscrits, versions primitives, variantes etc.

«Ne croyez pas que les feuilles mortes tombent d'un coup, comme les fruits mûrs, ou sans bruit, comme les fleurs fanées. . . » C'est ainsi que commence, pour l'auteur de ce compte rendu, l'œuvre narrative de Giraudoux, l'attaque des Provinciales. Le ton est là, dès les premières lignes. On est heureux de trouver, sous la plume de Colette Weil, des remarques pertinentes qui accordent à cette œuvre toute sa valeur.

Lise Gauvin a fait, également, une belle présentation de Suzanne et le Pacifique, mais on s'étonne qu'elle ne cite pas les pages pertinentes que Gérard Genette a dédiées à ce roman dans Palimpsestes. Lintertextualité de Giraudoux n'est pas un domaine réservé aux giralduciens attitrés.

Choisissons, comme dernier spécimen, la notice qu'a rédigée Michel Potet pour
Juliette au pays des hommes. Très riche en renseignements utiles et en jugements
valables, la notice insiste sur la fonction de mise en abyme que revêt la célèbre Prière

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sur la Tour Eiffel. On aurait souhaité, cependant, que le commentateur utilise pleinement,dans sa lecture du roman, le retour de Juliette et la scène finale entre Juliette et le narrateur. Cette scène, «symétrique» s'il en fut, n'aura pas encore été lue de façon entièrement satisfaisante.

Dans l'ensemble, aussi bien que dans la quasi-totalité des détails, Jacques Body et son excellente équipe nous auront rendu des services durables en préparant cette belle édition des œuvres narratives de Giraudoux. On attend avec impatience le second volume, destiné à compléter l'ouverture si prometteuse.

Université de Copenhague