Revue Romane, Bind 27 (1992) 2

Ceci dit

par

Thanh Nyan

1. Introduction

Ce qui suit est une description des emplois pragmatiques de ceci dit dans le
cadre de la théorie de l'argumentation de Ducrot.

Ce type d'étude s'inscrit directement dans le contexte d'une analyse de la cohérence argumentative. En effet, si cette cohérence dépend de la consistance interne du réseau de contraintes imposées par les connecteurs et opérateurs argumentatifs, elle n'admet pas moins certaines formes de déviation par rapport à cette norme, lesquelles peuvent également être régies par des contraintes issues d'opérateurs et de connecteurs pragmatiques (qu'ils soient argumentatifs ou non).

Ceci dit fait partie de ces expressions dont la fonction est justement de
permettre des ruptures dans le tissu cohésif du texte sans mettre en danger sa
consistance globale.

Quelques indications relatives au plan. D'emblée il sera proposé un schéma général dont les points pertinents seront discutés et illustrés. A cette première partie succédera une seconde dont le but sera de prendre en compte l'existence de «degrés d'acceptabilité» présentés par les énoncés permis par le schéma.

1.1 Schéma.

Soit une suite «X ceci dit Y» (où X et Y sont des suites matérielles). En
disant «ceci dit Y», à la suite de «X», le locuteur L fait un discours parenthétique
adressé à un interlocuteur privilégié.

Ce discours, qui porte sur l'un des engagements de consistance1 de L en
X, dit que si d'une manière générale cette position de L est maintenue, L
adhère, cependant, simultanément à une position (exprimée en Y) qui va,

Side 182

dans une certaine mesure, à l'encontre de la première et doit lui être substituée
en certaines circonstances.

1.2 Considérons:


DIVL3115

(1)

où, du point de vue de l'intention discursive (en l'occurrence, l'intention argumentative), on dira que X exprime un argument P ([ils ne sont restés que deux jours à Vienne]) orienté vers une conclusion r ([ils n'ont eu le temps de rien faire]), et Y, un argument Q ([ils ont vu la maison de W. ]) orienté vers la conclusion inverse, -r.

Les contenus pertinents, Cx et Cy, (c'est-à-dire ceux qui sont mis en rapport par ceci dit) seront: pour Cx, la croyance que le fait qui fonde P (le fait qu'ils sont restés deux jours à Vienne) doit amener à conclure à r ; pour Cy, la croyance que le fait qui fonde Q (le fait qu'ils ont vu la maison de W.) doit amener à conclure à -r.

En disant «X» (exprimant P), L prend vis-à-vis de son endossement de Cx un engagement de consistance en ce sens qu'il s'engage à ne rien faire ou dire qui aille à l'encontre de cette prise de position. Autrement dit, aux yeux de l'interprétant, cet engagement le lie, entre autres choses, à ne pas mettre en cause l'idée que P doit (nécessairement) mener à r. En ajoutant «ceci dit Y», L émet une réserve à propos de son engagement antérieur: ceci dit, en effet, présente le fait exprimé par Cy ( le fait qu'ils ont vu la maison de W.) comme devant limiter l'applicabilité de cet engagement.

Une paraphrase possible de cette interprétation serait la suivante: «D'une manière générale, je suis prêt à dire qu'ils n'ont eu le temps de rien faire ( = r), du fait qu'ils ne sont restés que deux jours à Vienne ( = P); cependant, je dirai également que, en un sens, ils ont fait quelque chose ( = -r), dans la mesure où ils ont vu la maison de W..

1.3 Pour pouvoir dire que «ceci dit Y» a la fonction que nous lui assignons, il nous faudra montrer:

1) que ceci dit constitue un discours parenthétique (compris en un sens
qui sera défini plus bas);

2) que les contenus pertinents véhiculés respectivement par X et Y entretiennent
un certain type de rapport (qui sera précisé ultérieurement).

Side 183

1.4 Présupposés d'ordre descriptif et méthodologique

1. 4. 1. Cette étude, comme un certain nombre d'études antérieures2 effectuées dans le cadre de la théorie de l'argumentation de Ducrot, adopte un point de vue descriptif qu'on appellera «interne». En effet pour nous les connecteurs et opérateurs pragmatiques ont pour fonction de véhiculer des instructions de lecture (portant sur la situation d'énonciation et l'environnement linguistique), et en tant que tels sont la source de contraintes discursives, envisageables dans beaucoup de cas sous forme de situations construites ou de cristallisation de situations.

Ainsi nous dirons que «ceci dit» force à interpréter la suite «X ceci dit Y»
comme ayant la fonction que nous lui assignons.

Ce parti pris descriptif, on le notera, s'oppose à celui qui consiste à parler de conditions d'emploi, et relève d'un point de vue «externe». Dans la mesure où le bien fondé de la position que nous adoptons ici a été défendu ailleurs,3 nous nous contenterons d'avancer un seul argument: penser en termes d'instructions permet d'expliquer pourquoi même lorsque Y n'est pas matérialisé, il est possible d'interpréter l'intention globale de L. Parler de conditions d'emploi ne le permet pas.

Ainsi, dans l'exemple suivant:


DIVL3156

(2)

où Y n'est pas matérialisé, on interprète cependant aisément l'intention de L
comme étant d'introduire une réserve à ce qu'il vient de dire.

1.4.2 Le fait d'adopter un point de vue descriptif interne et de concevoir le sens des morphèmes pragmatiques en termes de situations construites nous amène à avoir une conception particulière du problème de l'acceptabilité des énoncés.

Pour nous, seront acceptables (sentis comme acceptables) les suites dans
lesquelles on peut facilement dériver des contenus appropriés pour instancier
les schémas de situation que sont les situations construites.

Les suites non-acceptables seront, au contraire, celles où une telle instandatio
n4 ne paraîtra possible, idéalement, pour aucun interprétant.

Une telle conception de l'acceptabilité admettra des degrés d'acceptabilité.Ainsi,
seront acceptables à un degré moindre les suites qu'on aura plus de
difficultés à interpréter, parce qu'à partir des segments matériels concernés

Side 184

(X, Y) on aurait plus de mal à trouver des contenus appropriés pour instancierles
situations pertinentes.

Remarque:

sans nier les problèmes que peut poser une telle approche (i. e., une approche basée (en partie) sur l'aisance avec laquelle l'interprétant (ou la plupart des interprétants) parvient à une interprétation, nous pensons, cependant, qu'elle correspond à une réalité cognitive dont il convient de tenir compte).

1.4.3 La prise en compte des degrés d'acceptabilité aura, comme nous le
verrons dans notre dernière partie, une incidence sur la conception même du
schéma.

2. Ceci dit Y constitue un discours parenthétique

Définition:

On dira d'un discours d2 qu'il constitue un discours parenthétique par rapport
à un discours dl auquel il fait suite (ou à l'intérieur duquel il se trouve
inséré) si :

(a) la suite dld2 relève de 2 mouvements énonciatifs;

(b) entre dl et d2 il y a une rupture énonciative.

(c) le locuteur de d2 (qui devra aussi en être l'énonciateur) est le
même que celui de dl (dont il est également énonciateur);

(d) les engagements de consistance pris en dl ne valent pas à l'intérieur
de d2.

(e) les engagements de consistance pris en d2 n'ont pas pour effet d'annuler, ou de rectifier ce qui précède (à savoir dl, en tant que permettant un acte donné ou en tant que véhiculant un certain contenu).

Autrement dit, nous définissons le discours parenthétique en termes de contraintes discursives: un discours parenthétique sera exempt de contraintes imposées par le discours principal, comme celui-ci sera exempt de ses contraintes discursives.

Remarques

1. La condition(e) est nécessaire car avec maintenant5 ou dans les cas de rectification (voir enfin6) dont on verra des exemples plus bas, la condition (d) est remplie mais on assiste à un effet rétroactif qui oblige à modifier, rectifier, ou même annuler ce qui précède.

2. Pour ce qui est de la notion de discours parenthétique, les divers paramètres

Side 185

qu'elle renferme va permettre, comme nous le verrons, de distinguer ceci dit
d'autres connecteurs qui lui sont proches par le sens (quoique, pas que, entre nous
dit).

Dans ce qui suit nous allons essayer de montrer que ceci dit répond à ces
cinq conditions.

2.1 X ceci dit Y relève de deux mouvements énonciatifs.

Dire que ceci dit Y constitue un discours parenthétique par rapport à X
revient à présupposer que «ceci dit Y» relève d'un acte d'énonciation distinct.

Autrement dit, contrairement à ce qui se passe avec les structures de la forme X mais Y (dont (3), «Ils ne sont restés que deux jours à Vienne, mais Us ont vu la maison de Wittgenstein» est un exemple), L en disant «X» ne se présente pas comme prévoyant de dire «ceci dit Y».

A l'appui de cette hypothèse on citera les quatre types d'indices présents
également dans le cas de d'ailleurs.7

2.1.1 II semblerait que ceci dit ne soit pas compatible avec l'emploi d'expressions telles que non seulement (qui appelle un mais) ou d'abord (qui appelle un ensuite) en X, expressions qui marquent deux mouvements énonciatifs successifs:

Ainsi on n'aura ni:

ni


DIVL3223

(4)


DIVL3226

(5)

On vérifiera aisément que ces suites redeviennent possibles sans ceci dit.

Side 186

2.1.2 Ceci dit comme d'ailleurs, puisque* et maintenant (qui donnent égalementlieu à deux mouvements énonciatifs) produit une structure à laquelle on ne peut appliquer ni la négation, ni l'interrogation, ni l'enchâssement. Ainsi on trouvera difficilement:

(6) ? *I1 semblerait qu'ils ne soient restés que deux jours à Vienne et que ceci dit
ils aient vu la maison de Wittgenstein.

(7) ? *Ce n'est pas vrai qu'ib ne sont restés que deux ¡ours à Vienne, et que ceci
dit ils ont vu la maison de Wittgenstein.

(8)? * Est-ce qu'ils ne sont restés que deux jours à Vienne et que ceci dit ils ont vu
la maison de Wittgenstein ?

Ici encore les suites deviennent possibles sans ceci dit

2.1.3 Le troisième type d'indice tient à ce que X et Y peuvent être marqués
pour des actes différents. On rencontre ainsi des enchâssements: suggestionassertion,
excuse-reproche, félicitation-assertion, promesse-question.


DIVL3229

(9)


DIVL3232

(10)


DIVL3235

DIVL3237
Side 187

2.1.4 Le quatrième indice a trait à la possibilité d'avoir une rupture du cadre énonciatif, rupture qui semble attestée dans tous nos exemples. En effet, même si (comme nous le verrons en 2. 3. 2 - 2. 3. 5) l'énonciateur de Cy et celui de Cy sont tous les deux assimilables au locuteur, en passant de «X» à «ceci dit Y», ce dernier change d'identité discursive;9 les positions qu'il prend en X et en Y (et qui le définissent d'un point de vue discursif), ne sont pas d'une façon générale compatibles. Ainsi, en (10), le fait de dire Y paraîtra inconsistant avec l'intention qui a motivé l'acte d'excuse en X. En (13):


DIVL3239

(13)

non seulement on assiste à un changement d'identité discursive pour le locuteur (en X il s'engage à ne voir personne , en Y il prétend ne pas être contre l'idée de voir le destinataire.) mais également pour le destinataire: en X, le destinataire construit par L est assimilable à la fois à Pallocutaire et au reste du monde pour ainsi dire; en Y, en revanche, le destinataire construit n'est plus identifiable qu'avec Pallocutaire seul, pour qui L fait une exception.

2.2 X ceci dit Y présente une rupture du cadre énonciatif.

2.2.1 Cette condition, contrairement à ce qu'on pourrait peut-être penser, ne découle pas nécessairement de la précédente. En effet, dire qu'on a deux mouvements énonciatifs implique seulement la possibilité d'une rupture du cadre énonciatif, et non pas une rupture effective.

22.2 Ceci étant, pourquoi a-t-on besoin de l'adjonction de cette condition? La réponse à cette question tient au fait que la suite XCY (où C et un connecteur) pourra relever de deux mouvements énonciatifs sans que CY s'inscrive dans un cadre énonciatif différent. On songe par exemple au cas du enfin de rectification dans:


DIVL3359

(14)

En effet en (14), ce que enfin10 dit (entre autres choses) c'est que l'interprétant doit remplacer «pendant un an» par Y; autrement dit, même si on argue que renonciation de «enfin» préconstruit un destinataire susceptible d'objecter à «pendant un an», ce à quoi on a affaire c'est moins à un changement du cadre énonciatif qu'à la substitution d'un cadre à un autre.

Side 188

2.2.3 Pour revenir à présent à «ceci dit», en sus du fait que «X ceci dit Y» relève (ou plutôt est censé relever) de deux mouvements énonciatifs, il semblerait qu'on ait systématiquement toujours également une rupture de cadre énonciatif, en ce sens que dans tous les cas examinés on assiste à un changement d'identité discursive pour le locuteur.

Dire comme nous le ferons plus bas que L est énonciateur à la fois de Cx et de Cy signifie seulement que la personne présentée par les énoncés concernés comme responsable de renonciation endosse également les contenus pertinents (à savoir Cx et Cy). Ceci n'implique rien sur la nature des engagements de consistance qui s'effectuent lors de ces endossements. Or, dans tous les cas que nous avons, l'engagement pertinent pris en Y n'est pas consistant avec son homologue en X.

Ainsi en (13) l'invitation qu'on a en Y va à l'encontre de la décision exprimée en X de ne voir personne. De même en (9), le fait que L dise en Y que cela lui est égal le cas échéant de prendre le train, n'est pas consistant avec la suggestion en X de prendre le bateau.

Autrement dit, en termes de ses endossements et surtout de ses engagements de consistance, L se définit de manière différente en X et en Y; différente en ce sens que l'identité qu'on a en Y ne résulte pas de celle qui lui précède à laquelle seraient venus s'adjoindre des actes supplémentaires (et compatibles). Ce cas est distinct de celui d'un discours «normal», c'est-à-dire consistant d'un bout à l'autre: là, en effet, si l'identité de L change au fur et à mesure que les actes se succèdent, cette identité est à chaque instant la somme des identités précédentes. Dans le cas de ceci dit, l'enclave que constitue ceci dit F dans le discours normal empêche, comme nous le verrons plus bas, les identités liées à X et à Y de s'additionner. C'est en ce sens qu'il faut comprendre pourquoi avec ceci dit on va nécessairement toujours avoir un changement d'identité discursive et par conséquent une rupture énonciative.

2.3. X ceci dit Y présente une distribution d'énonciateurs particulière, en ce sens que L, le locuteur de la suite, contrairement à ce qui se passe avec X mais Y est énonciateur des deux prises de position pertinentes, c'est-à-dire celles mises en rapport par le connecteur.

2.3.1 Considérons (1) et (3) quineine diffèrent que par le type de connecteur
utilisé.


DIVL3362

(1)

Side 189

DIVL3365

(3)

D'un point de vue argumentatif il est possible de dire, pour (1) comme pour (3), que X exprime un argument P ([ils ne sont restés que deux jours à Vienne]) orienté vers une conclusion r ([ils n'ont eu le temps de rien faire]); et Y, un argument Q ([ils ont vu la maison de]) tendant vers la conclusion inverse.

Si à présent on analyse les deux exemples en termes de contenus pertinents
(Cx et Cy) et de prises de position pertinentes, la configuration à
laquelle on arrive sera quelque peu différente dans les deux cas.

En (3), Cx sera la croyance que le fait qui fonde P (le fait qu'ils ne sont restés que deux jours à Vienne) doit amener à conclure à r; Cy, celle selon laquelle le fait qui fonde Q (le fait qu'ils ont vu la maison de Wittgenstein) doit amener à conclure à r.

Pour ce qui est des prises de position correspondantes, on aura en X,
l'endossement de Cx, et en Y, celui de Cy.

En (1), si Cx et Cy ont la même valeur qu'en (3), les prises de position pertinentes qui leur correspondent sont différentes. En X, ce qui importe ce n'est pas tant l'endossement de Cx que l'engagement de consistance correspondant (en endossant Cx, L s'engage à ne rien faire ou dire qui aille à l'encontre de cet endossement); en Y, la prise de position pertinente correspond non pas, comme en (3) à l'endossement de Cy, mais à l'acte que L effectue par le fait de présenter comme parenthétique (au moyen de ceci dit) son endossement de Cy.

2.3.2 Pour en venir à présent àla différence que présentent (1) et (3) en termes de la distribution d'énonciateurs: En (3) la position pertinente en X sera attribuée au destinataire; L, pour sa part, ne prendra à son compte que le statut de P en tant qu'argument pour r, sans reconnaître que cet argument est applicable dans les circonstances présentes. L'argument que lui met en avant étant Q, dont il tire r. Autrement dit, L ne sera énonciateur que de la prise de position correspondant à l'endossement de Cy.

La situation est autre en (1). En effet, L y est l'énonciateur des deux positions pertinentes: en disant X, L, contrairement à ce qui se passe en (3), accepte que P est fondé, et qu'il est applicable dans la situation donnée, c'est-à-dire qu'il faut conclure à r; en disant «ceci dit Y» L déclare accepter parallèlement et de manière officieuse, pour ainsi dire, que Q est fondé et qu'il faut en tirer -r.

Side 190

2.3.3 Concernant la prise de position, une objection qui vient immédiatement à l'esprit est que L ne saurait en être l'énonciateur, parce qu'on peut avoir en X une reprise (celle d'un discours antérieur attribué à l'autre), doublée d'une concession. Ainsi en (1'):


DIVL3368

( 1')

contrairement à ce qu'on aurait eu avec mais, L, tout en reprenant un discours
attribué à D, reprend également à son compte l'argumentation que D
est censé avoir faite.

En réponse à cette objection nous dirons qu'elle n'est possible que moyennant une confusion entre P«énonciateur premier», c'est-à-dire celui qui est à l'origine d'un point de vue, et l'énonciateur second», celui qui reprend le point de vue à son compte dans son intégralité.

Autrement dit, le fait qu'un segment matériel (en l'occurrence, X) véhicule une concession n'est pas une raison suffisante pour conclure que L n'en est pas l'énonciateur. Tout ce que l'on peut dire c'est qu'il n'en est pas l'énonciateur premier.

On notera également que le simple fait qu'il y ait une concession ne suffit pas pour permettre de conclure que L n'est pas l'énonciateur premier. Pour qu'une telle conclusion soit possible il faut qu'on ait affaire à une concession partielle, comme en (15):


DIVL3371

(15)

où L n'endosse que le statut d'argument de P, mais non le fait que P soit
applicable dans les circonstances présentes.

En (V) le type de concession auquel on a affaire n'est pas partiel: L
reprend Cx dans son intégralité. Autrement dit, même en raffinant le test de
la concession, on ne peut pas l'appliquer à (1').

Side 191

2.3.4 Le même type d'objection ne s'applique pas davantage à la prise de
position de L en Y bien qu'on puisse également y trouver une concession.
Considérons:


DIVL3374

(16)

En Y ici (comme en X en (1')), L reprend à son compte un point de vue qui à l'origine n'était pas le sien, à savoir le statut d'argument de l'argument concerné et le fait qu'il soit applicable dans les circonstances données, ou encore qu'on peut en tirer la conclusion correspondante.

L'objection selon laquelle L ne saurait être énonciateur du point de vue concerné en Y ne vaut pas davantage ici. La raison, cependant tient cette fois, non plus à ce que ce point de vue est repris dans son intégralité, mais, au simple fait que le point de vue concerné n'est pas celui qui fait l'objet de la concession.

2.3.5 L'hypothèse selon laquelle L serait énonciateur du contenu pertinent en
Y permet de comprendre la nuance de réticence que l'on trouve en (17):


DIVL3377

(17)

Cette idée que L en (16) endosse Cy sans réserve expliquerait pourquoi en
(13) «ceci dit Y» est interprétable comme une véritable invitation, alors
qu'en (13') «maintenant Y» fera figure d'invitation forcée:


DIVL3380

(13')

Side 192

2.3.6 La distribution d'énonciateurs que nous proposons expliquerait également pourquoi ceci dit, contrairement à maintenant, ne semble pas permettre de retourner, en Y, à une parole de l'autre qu'on aurait laissée de côté en X. C'est ainsi qu'on n'aura pas:


DIVL3383

(18

en réponse à:

D: Est-ce que, en tant que poète, il est heureux à Harvard?

2.4 Les engagements de consistance prise en dl ne valent pas à l'intérieur de d2. Ceci est attesté par l'existence de suites (de la forme «X ceci dit Y») remplissant les trois conditions précédentes (celle des deux mouvements énonciatifs, celle de la rupture du cadre énonciatif, ainsi que celle ayant trait à la distribution des énonciateurs) qui sont acceptables malgré le fait que les engagements de consistance en X sont contradictoires avec ceux en Y.

Comme exemples on citera:


DIVL3386

(10)


DIVL3389

(9)

En (10), en disant X, L s'engage à être consistant avec le fait qu'il s'excuse d'avoir fait attendre son interlocuteur, attente que l'on suppose désagréable; en disant Y, précédé de «ceci dit» il implique qu'il n'y a sans doute pas lieu de s'excuser.

En (9), dans la mesure où la suggestion (de prendre le bateau) implique de la part de son auteur le désir correspondant, L, en accomplissant cet acte (en X) s'engage à être consistant avec sa position, notamment à ne rien faire ou dire qui aille à l'encontre de la préférence qu'il est censé avoir pour le bateau. Or, en Y, en disant que cela lui est égal de ne pas prendre le bateau, il se montre inconsistant à l'égard de sa position en X.

(10) et (9), on le remarquera, constituent des suites parfaitement acceptables
malgré les inconsistances signalées.

Side 193

Signalons un autre exemple du même type:


DIVL3392

(20)

où L, en Y, dit que c'est bien fait pour Thomas, après s'être engagé en X à
être consistant avec la position inverse.

Ici, comme en (9) et (10) la suite demeure acceptable malgré les engagements

2.5 Les engagements de consistance pris en d2 n'ont pas pour effet d'annuler,
ou de rectifier ce qui précède (à savoir dl en tant que permettant un acte
donné, ou véhiculant un certain contenu).

2.5.1 D'emblée il convient de noter que cette condition ne fait pas double emploi avec la précédente. Les emplois de maintenant cités et les cas de rectification (par exemple avec enfin) remplissent la condition précédente, mais pas la présente. Dans ces deux types de cas, en effet, il se produit un effet (rétroactif) qui oblige à modifier l'intention de L ou le contenu de cette intention en X.

2.5.2 En faveur de la condition e (redonnée en 2.5) on invoquera le maintien
des deux positions pourtant contradictoires de L.

En (20) le maintien des deux attitudes de L à l'égard de Thomas se voit au fait qu'il est possible d'insérer «entre nous» entre «ceci dit» et Y, sans qu'il en résulte d'autre changement de sens qu'une explicitation du caractère d'aparté déjà présent en (20).

Dans la mesure où entre nous présente ce qui suit comme relevant d'un aparté, et présuppose, de ce fait, le maintien d'un discours antérieur (identifiable à l'expression de la position de L vis-à-vis de Cx) si l'on suppose que ceci dit articule les mêmes contenus - et rien ne s'oppose à une telle interprétation ici - la compatibilité qui existe entre entre nous et ceci dit, ainsi que l'absence d'effet de sens non-prévisibles à partir de ceci dit seul, seraient une raison de penser que ceci dit également demande le maintien des deux engagements de consistance.

2.5.3 Le maintien des deux positions apparaît aussi clairement dans des
exemples tels que:

Side 194

DIVL3395

(21)

En effet, la possibilité d'avoir un aussi (sans qu'il en résulte d'effets de sens qui ne soient déjà implicites en ceci dit) qui oblige à relier la prise de position de L à l'égard de Cy ([les goûts et les couleurs, cela ne se discute pas]) à celle Cx, l'opinion contraire, impliquée par l'énonciateur de X, va à l'encontre de l'hypothèse opposée à la nôtre: si ceci dit avait présenté les deux positions de L comme ne pouvant pas coexister, aussi n'eût pas été possible.

2.5.4 Un autre argument en faveur de l'hypothèse du maintien des deux positions de L tiendrait au fait que X et Y, comme nous essayerons de le montrer en 3. 3., servent toujours à accomplir des actes différents (En 2. 1. 3. il n'a été question que de la possibilité qu'il soient marqués pour des actes différents).

L'existence d'actes différents, ou encore d'actes relevant d'intentions discursives «indépendantes», permettrait, en effet, de comprendre pourquoi des positions telles que celles décrites peuvent être maintenues: si comme nous le pensons le discours exprimé en Y porte sur celui exprimé en X, on comprend alors que des positions situées à des niveaux différents puissent être maintenues, bien que contradictoires.

Remarque i

Contrairement à ce qu'on aurait pu croire, cela n'aurait pas suffi de mettre en avant l'argument du double mouvement énonciatif pour défendre l'hypothèse du discours parenthétique (dans le sens défini). En effet, dire d'une structure XCY (où C marque la place d'un connecteur) qu'elle relève de deux mouvements énonciatifs n'implique pas que CY constitue un discours parenthétique. Inexistence de deux mouvements énonciatifs signifie seulement que CY constitue un discours distinct, sans que cela implique quoi que ce soit au niveau de l'interaction des contraintes discursives. Ainsi en:


DIVL3398

(22)

on a bien deux mouvements énonciatifs, responsables respectivement de «X» et de «maintenant Y», pourtant «maintenant Y» ne constitue pas un discours parenthétique du fait que l'élément qu'il introduit (le fait que Colin n'a peut-être pas les renseignements en question) et qui est à replacer dans le contexte énonciatif de X, affecte l'acte pertinent (en l'occurrence le «conseil») au niveau de ses

Side 195

contraintes de suite: après avoir dit «maintenant Y», L n'est plus tenu de se
présenter comme croyant à la nécessité de voir Colin.

Remarque ii

Dire, comme nous l'avons fait que les engagements de consistance pris en Y ne donnent pas lieu à des contraintes discursives applicables dans le discours «normal» (à savoir, X et sa suite éventuelle) ne signifie pas qu'au niveau de l'identité discursive de L, l'image construite en Y ne viennent pas s'additionner à celle construite en X.

Du point de vue du processus interprétatif, le fait que L ait dit «ceci dit Y» a une
influence sur l'image qu'il construit de lui-même et, par suite, la relation entre
interlocuteurs, laquelle peut être manipulée à des fins stratégiques.

Autrement dit, il faut ici distinguer le niveau des contraintes discursives de
celui de la construction des images interlocuteurs, et donc du contexte
(construit au fur et à mesure du discours).

3. Fonction de ceci dit Y

En disant «ceci dit Y», à la suite de «X», L fait - nous le rappelons - un discours parenthétique adressé à un interlocuteur privilégié. Ce discours, qui porte sur l'un des engagements de consistance de L en X, dit que, si d'une façon générale cette position de L est maintenue, L adhère cependant également à une autre position (exprimée en Y), laquelle va (dans une certaine mesure) à l'encontre de la première et doit lui être substituée en certaines circonstances.

Si, au vu de ce qui précède, on vous accorde que ceci dit Y constitue un discours parenthétique (adressé à un interlocuteur privilégié) et qu'il y a, par conséquent, maintien des positions considérées ce qui nous reste à montrer va porter essentiellement sur la nature de l'enchaînement imposé par ceci dit.

Dans ce qui suit, nous nous efforcerons de ce fait, de montrer:

(i) que dans tous les cas examinés la suite est interprétable dans
notre sens;

(ii) que la position exprimée en Y est inconsistante avec celle exprimée
en X;

(iii) que la première position est d'un ordre plus général que la
seconde.

3.1 Les exemples qui se prêtent le plus facilement à l'interprétation que nous
proposons sont ceux du type de (13'):

Side 196

DIVL3492

(13')

où les éléments nécessaires au repérage des contenus concernés sont explicites: en disant «X», c'est-à-dire en affirmant qu'il ne verra personne, L s'engage à ne rien faire ou dire qui aille à rencontre de cette prise de position; en ajoutant «Y» précédé de «ceci dit», il invite D à venir le voir, invitation qui est inconsistante avec son engagement antérieur, mais n'a pas pour effet de l'invalider; Y est ainsi interprétable comme comportant les circonstances qui justifient cette invitation, à savoir le désir éventuel de D de venir

A côté d'exemples tels que (13') on trouvera, à l'autre extrême des cas du
type de:


DIVL3495

(23)

où on ne voit pas d'emblée comment instancier les contenus concernés. Ici nous proposons de dire que en X l'engagement de consistance porte sur le désir que L est censé avoir du fait de sa requête, à savoir celui que D ne dise rien à personne.

Pour ce qui est de la prise de position pertinente en Y, elle porte sur le désir qu'au contraire D n'accède pas à la requête, désir qu'implique le fait de dire «évidemment» que l'on interprétera comme servant à accomplir une requête indirecte (par le biais d'une réaction presque polémique à une question/objection imaginaire attribuable à l'autre). Les circonstances, en revanche, sont explicitement exprimées par «si c'est nécessaire». On vérifiera aisément que les exemples comportant en X un acte autre que l'assertion pourront s'analyser de manière analogue.

3.2 La position pertinente exprimée en Y est «inconsistante» avec l'engagement
de L en X avec lequel elle est mise en rapport.

La raison qui nous permet d'arriver à une telle conclusion tient simplementau fait que les exemples d'acceptabilité maximale présentent cette caractéristiqueet que les degrés d'acceptabilité moindres semblent liés au degré de difficulté qu'on a à interpréter les deux attitudes de L comme étant mutuellement exclusives (en l'absence de conditions extérieures). Bien évidemment,le rejet, dans cette optique, serait à mettre en rapport, sinon avec

Side 197

l'impossibilité de repérer l'inconsistance, du moins avec l'impression d'une telle impossibilité. (On notera que ce cas est différent de celui qu'on avait en 3. 1. où la différence était due au repérage de contenus pertinents. Ici on se place dans la situation où ce repérage a été effectué et où le seul problème d'ordre interprétatif tient à la nature des contenus mis en rapport).

Les exemples suivants illustrent trois types de degrés d'acceptabilité, par
ordre descendant.


DIVL3498

(24)


DIVL3501

(25) ? (26) ??


DIVL3504

Comme on peut le voir, alors qu'en (24) le fait de dire de quelqu'un qu'il ne refusera pas le chat du destinataire est sémantiquement/logiquement inconsistant avec le fait de déclarer qu'il ne veut pas de chats, en (25) on aurait besoin d'imaginer tout un scénario pour arriver à comprendre en quoi ce qui est dit en Y va à l'encontre de ce qui est dit en X. (26) est en général rejeté d'emblée, sans doute en raison de l'absence, d'une part, d'opposition sémantique entre les contenus concernés et, d'autre part, de contextes immédiatement accessibles qui permettaient de rétablir l'opposition.

3.3 Outre le fait que les deux positions pertinentes doivent (idéalement) être
inconsistantes, il semblerait qu'il faille également que la première soit d'un
ordre plus général que la seconde.

3.3.1 La postulation d'une telle contrainte permet de comprendre l'existence de ce rapport dans les exemples d'acceptabilité maximale comme (24) et (13'). En (24) comme en (13'), l'adjonction d'un «d'une façon générale» en X, n'aurait d'autre effet que celui d'expliciter un aspect du sens de l'énoncé (en contexte), et d'annoncer ce qui va suivre.

Une telle postulation rendrait également compte du fait que dans un cas
tel que:

Side 198

DIVL3506

(27)?

l'enchaînement ne va pas de soi. En effet, X décrit un incident unique qui
n'est pas susceptible de généralisation, contrairement à ce qui se passe en:


DIVL3509

(28)

3.3.2 Un autre argument en faveur de cette hypothèse tient à l'effet obtenu lorsqu'on intervertit X et Y: au lieu d'être simplement difficilement interprétable, les suites concernées deviennent susceptibles d'une interprétation ironique.

Un exemple en serait (24'):


DIVL3512

(24') ?

(On notera que Y à l'intérieur de cette interprétation s'interprétera comme signifiant,
«il prétend ne pas vouloir de chats».)

L'ironie en (24') proviendrait de ce que l'on ait en Y une «règle générale»
qui rend absurde l'affirmation faite en X, là où l'on s'attendait à des circonstances

Maintenant, que cet effet puisse étayer notre hypothèse tient conjointement à deux facteurs: d'une part à ce que l'attente qu'on a de trouver un cas particulier en Y se trouve déçue; d'autre part au fait qu'on ait tout le contraire de ce qu'on attendait: au lieu d'une «exception», on a une «règle générale».

Si la suite n'avait été qu'inacceptable, on n'aurait été en droit de conclure qu'à une simple violation de contraintes. Le fait qu'on ait un effet ironique semble indiquer que ces contraintes ont été enfreintes d'une manière bien déterminée, à savoir, celle que nous avons suggérée.

Side 199

3.3.3 Allant dans le sens de l'interprétation que nous donnons au rapport entre les contenus de X et Y, signalons le fait qu'il semble toujours possible de dériver de Y, au moins l'existence de circonstances autorisant l'exception à la règle. Autrement dit: dire que X et Y sont dans un certain rapport permet du même coup de rendre compte du caractère systématique de l'occurrence d'un autre élément du sens de Y. Un exemple type serait (24) où ces circonstances sont explicitées. Léonard, quineine veut pas de chats d'une façon générale, acceptera cependant, d'en adopter un, s'il s'agit d'un chat particulier.

A côté d'exemples tels que (24), il en est d'autres où les circonstances,
bien que non explicitées, n'en sont pas moins présentes. Ainsi en:


DIVL3515

(20')

qui est une suite parfaitement acceptable, on comprend «ceci dit Y» comme comportant une expression du type «en un sens», laquelle implique bien l'existence de circonstances expliquant l'introduction de cette réserve de la part de L.

En (29):


DIVL3518

(29)

où une interprétation similaire n'est pas possible, nous dirons que c'est l'interlocuteur
en tant que destinataire privilégié qui «explique» l'exception à la
règle: L ne sera là pour personne sauf pour D, parce que c'est D.

On nous objectera peut-être que dans les cas (tels que (30)) où la réserve
de L n'est pas explicitée, il n'y a guère de Y dont on puisse dériver fût-ce
l'existence des circonstances en question:


DIVL3521

(30)

Side 200

Notre réponse à cette objection consistera à dire qu'elle repose sur des présupposés qui nous semblent contradictoires: en prenant pour accordée acceptabilité de (30) et du même coup le fait que ceci dit suffit à signaler l'intention globale de L, elle admet l'existence de contraintes de lecture telles que nous les concevons; en disant qu'il n'y a guère d'Y dont on puisse dériver les circonstances pertinentes, elle fait dépendre l'expression de l'intention de L d'un Y matérialisé, déniant, ainsi, soit que ces contraintes puissent se suffire d'un support intonatif, soit que le contenu qui nous intéresse (à savoir celui qui correspond à la réserve de L) puisse exister sans un support matériel, ce qui revient à nier l'existence des contraintes.

Maintenant, à supposer que l'on puisse passer outre à ces difficultés est-ce
vraiment le cas qu'en (30) il n'est pas possible de dériver l'existence des
circonstances en question?

La position que nous adopterons est que dans tous les cas l'existence de telles circonstances serait impliquée par renonciation de «ceci dit». En d'autres termes, dans la mesure où toute énonciation se présente comme justifiée et que l'existence de ce type de circonstances est ce qui compterait comme justification ici, chaque fois que L dit «ceci dit» il implique nécessairement l'existence de circonstances correspondantes. Ceci, aussi bien pour les exemples où Y est matérialisé que les autres. Maintenant dans ceux où Y se trouve matérialisé et n'exprime que la position de L, on pourra, en outre, avoir une «spécification», à divers degrés de la nature de ces circonstances.

3.3.4 Dire comme nous l'avons fait que les deux positions de L entretiennent
un rapport de «règle à exception» ne suffit pas pour expliquer pourquoi (31)
est senti comme (légèrement) déviant:


DIVL3524

(31)

Le problème, tel que nous le voyons tiendrait à ce que le contenu auquel «ceci dit Y» fait ici référence ne relève pas de l'intention principale en X (celle d'amener D à aller à une certaine exposition); mais d'une intention subsidiaire, celle d'asserter que les gens en question font les choses d'une manière fastueuse.

Cette manière d'envisager le problème permettrait du même coup de
distinguer ceci dit de quoique, qui justement semble porter sur un contenu lié
à une intention secondaire; comme le montre:

Side 201

DIVL3527

(32)

3.3.5 La question qui vient immédiatement à l'esprit est celle de l'identification
des contenus concernés (c'est-à-dire ceux qui font l'objet de l'engagement
de consistance de L)

Au vu des cas d'acceptabilité maximale que nous avons, il semblerait qu'on puisse mettre en avant l'hypothèse que la réserve exprimée en Y porte sur la validité de l'acte accompli en X. Autrement dit, par le fait d'accomplir un acte donné en X. L s'engage à ne rien faire ou dire qui aille à l'encontre de cet acte et plus particulièrement du fait qu'il «demeure valable» d'une façon générale. En ajoutant «ceci dit Y», L introduit la possibilité qu'un tel engagement puisse être enfreint en certaines circonstances, qui peuvent ou non être explicitées.

Un test11 «qu'on pourra invoquer à l'appui de cette hypothèse consiste à
se demander quelle est l'interprétation qui vient le plus naturellement à
l'esprit dans les cas où Y n'est pas matérialisé.

Considérons les cas suivants où X permet respectivement l'accomplissement
d'une assertion, d'un conseil, et d'un ordre:


DIVL3530

(2) (33)


DIVL3533

On vérifiera aisément que dans les trois cas l'interprétation la plus naturelle consiste à faire porter la réserve non exprimée en Y sur «la validité» de l'acte effectué en X ou plutôt de l'engagement de consistance correspondant: d'une manière générale L dit que son assertion (/conseil/ordre) vaut, sauf en certaines circonstances.

Allant dans le sens de cette hypothèse, on notera que les exemples tels que (34) et (35) ci-dessus, où la nature de Y ne permet pas de comprendre comment la réserve exprimée peut porter sur le champ d'application de l'engagement de consistance pris lors de l'accomplissement de l'acte marqué par X, seront sentis comme déviants:

Side 202

DIVL3535

(34) (35)?


DIVL3538

4. Degrés d'acceptabilité: comment en rendre compte?

Comme bon nombre de schémas, celui que nous avons donné constitue une forme d'abstraction à partir d'un ensemble de cas jugés acceptables. Or, comme nous l'avons vu, tous ces cas ne présentent pas le même degré d'acceptabilité. En outre, entre ceux qu'il est possible de «faire cadrer» avec le schéma et ceux qui sont unanimement rejetés, il en est qu'on appelle «marginaux» (entendant par là qu'ils ne sont pas acceptés de tout le monde) et qu'on ne sait trop comment les décrire.

Sans entrer dans le détail de ce qui fera l'objet d'un article séparé, nous voudrions, dans ce qui suit, esquisser dans les grandes lignes un type de schéma qui prendrait en compte l'existence au moins des degrés d'acceptabilité.

4.1 Fondé sur l'idée que pour tout connecteur (ou opérateur) donné (mais aussi bien tout autre type d'entités linguistiques) il existe dans l'esprit du sujet parlant un prototype correspondant aux cas d'acceptabilité maximale, le schéma auquel nous pensons reposerait sur la description d'un prototype réunissant les caractéristiques pertinentes d'exemples présentant un degré maximal d'acceptabilité.

Ainsi, dans le cas de ceci dit, un tel prototype pourrait comporter entre
autres les traits suivants (donnés dans le désordre)

i. ceci dit porte sur le champ d'application de l'engagement de consistance
pris lors de l'effectuation de l'acte principal en X;

ii. Y exprime de manière explicite une réserve à l'égard de l'acte
effectué en X ainsi que les circonstances qui la justifient;

iii. entre X et Y on assiste à un changement d'identité discursive du
locuteur accompagné d'un changement d'identité discursive du destinataire;

iv. L est énonciateur des contenus pertinents en X et Y ;

Side 203

v. Les deux positions de L (en X et en Y) coexistent à des niveaux
différents.

4. 2 Outre le fait de refléter les caractéristiques des cas d'acceptabilité maximale,
ce prototype permettrait de décrire les cas d'acceptabilité moindre
ainsi que ceux qui sont jugés carrément inacceptables.

En effet il serait possible de décrire ces cas en termes de déviation par
rapport à certains traits du prototype.

Ainsi un exemple dans lequel la structure de surface se prête difficilement
à une instanciation de la position de L en Y sera senti comme moins acceptable.

On notera à ce propos i) qu'il y a des exemples acceptés d'emblée comme acceptables sans qu'on soit tout de suite à même de repérer les contenus pertinents; ii) que l'absence de matérialisation en Y (cf. (2), (33), (34)) n'affecte pas l'acceptabilité (sans doute parce qu'il n'y a pas de possibilité d'incompatibilité entre ce qu'exigent les contraintes intéressées et l'existence ( ou plutôt la «repérabilité») de contenus pertinents).

Avec certains traits, toute forme de déviation donne lieu à une suite inacceptable.
Ce cas est illustré par:

II pleut, ceci dit, je n'y crois pas
X Y

(36) *

Le trait affecté ici étant (v)

4.3 L'élaboration d'un tel type de schéma ne va pas sans soulever nombre de
problèmes. Pour n'en citer que deux:

Le fait qu'on ait à présent un continuum allant des cas d'acceptabilité maximale aux cas non acceptables, envisagés comme des cas de déviation extrême, nous dispense encore moins que dans un schéma plus traditionnel de poser la question de la ligne de démarcation entre les cas marginaux et ceux qui sont inacceptables (pour tout le monde).

A priori pour les cas pertinents (comme celui de ceci dit, par exemple) il devrait être possible de décrire les cas inacceptables en termes de déviation par rapport à certains traits, critère qu'on pourrait envisager de combiner avec des facteurs d'ordre cognitif relatif en processus interprétatif. Cependant il serait bien entendu plus intéressant de se demander s'il est possible d'avoir une règle générale qui permettrait de prédire cette ligne de démarcation dans chaque cas.

Side 204

Un problème de même type se pose à propos de cas présentant des degrés
différents d'acceptabilité (Nous nous limiterons ici aux différences entre les
degrés «perçus»).

4.4 Pour clore cette partie signalons qu'un tel type de schéma donnerait une place plus centrale aux critères distributionnels d'ordre syntaxique comme sémantique. En effet, il y a dans certains cas un lien direct entre le repérage des contenus pertinents (c'est-à-dire, ceux qui sont mis en rapport par le connecteur et l'opérateur) et le degré de déviation : plus ce repérage est difficile, plus il y a de chances pour que la suite soit jugée inacceptable; et cette difficulté tient, dans ces cas, à ce que la structure syntactico-sémantique attestée se prête mal au repérage. En d'autres termes, dire d'un connecteur (ou opérateur) qu'il possède tel ou tel environnement syntaxique et /ou sémantique revient à dire que cet environnement est le plus favorable au repérage des contenus pertinents.

Conclusion

A l'issue de cette étude nous voudrions faire deux remarques. La première a trait à la «rupture» que ceci dit introduit dans le tissu cohésif du texte. Contrairement à ce que l'on serait peut-être porté à penser, bien qu'on ait affaire à un même locuteur prenant simultanément deux attitudes opposées à l'égard d'un même point, ceci dit ne marque pas l'intrusion de la réalité psychologique dans ce qui relève essentiellement de la «logique conceptuelle». Selon cette logique, le fait de dire «II pleut» engage le locuteur à ne pas ajouter qu'il ne croit pas que c'est le cas - sauf, bien sûr, s'il change d'avis - et ceci parce que la croyance qu'il pleut fait partie de la structure conceptuell e12 de l'assertion. Il n'en va pas de même au niveau psychologique: Comme chacun le sait, on peut asserter qu'il pleut sans le croire.

Notre seconde remarque concerne le type de rupture lié à l'emploi de ceci
dit (mais aussi à celui d'autres connecteurs similaires) lequel entre dans la
catégorie de ce que nous appellerons la «rupture permise».

Comme on peut s'y attendre, les «ruptures permises» résultent de prises
de position inconsistantes relevant d'un discours parallèle au discours principal.
Mais l'aspect qui nous intéresse ici a trait au fait qu'elles sont justifiées.

Dans le cas de ceci dit, la réserve ou l'exception se «comprend» à partir de circonstances particulières qui l'autorisent: d'une manière générale la position de L sera telle que définie en X, sauf si on a affaire à une conjoncture particulière d'événements.

Ce type de rupture se trouve également «justifié» au niveau de la relation
entre interlocuteurs. Avec ceci dit on assiste à un changement d'identité
discursive pour le destinataire, lequel rend plus «plausible» l'existence d'un

Side 205

discours différent. (On notera qu'un tel changement ne découle pas nécessairementde
la dualité du mouvement énonciatif).

Allant dans le sens de cette idée de «rupture permise», on rappellera ce fait déjà signalé: bien que le discours parenthétique (d2) constitue une zone privilégiée pour ce qui est des engagements de consistance et des contraintes de suite (à ce niveau, on s'en souvient, d2 n'a aucune influence sur le discours principal dl, pas plus que dl n'en a sur d2), la continuité est assurée entre dl et d2 au niveau de l'identité discursive du locuteur. En effet, le changement de l'identité discursive noté à maintes reprises, entre dl et d2 n'empêche pas que, dans une perspective discursive, l'identité liée à d2 vienne s'ajouter à celle correspondant à dl, tout comme dans un discours qui ne contiendrait pas de ruptures. (Cette construction progressive de l'identité de L serait un aspect de la construction du contexte au fur et à mesure que le discours se déroule).

Thanh Nyan

Université de Manchester



Notes

1. Engagement de consistance: chaque fois qu'un locuteur L prend position vis-à-vis d'un contenu, par exemple par le fait d'effectuer un acte, il s'engage à ne rien dire ou faire qui aille à rencontre de cette prise de position. Ainsi, si L promet de venir demain, il prend implicitement un certain nombre d'engagements de consistance, parmi lesquels, celui de ne pas dire qu'il n'a pas l'intention de venir demain, ou encore qu'il n'est pas en mesure de le faire. Autrement dit, toute prise de position vis-à-vis d'un contenu implique une prise de position vis-à-vis des autres contenus relevant du même «réseau conceptuel». Dans le cas de la promesse, ce réseau est déterminé, entre autres choses, par la structure sémantique de l'acte de promesse. Pour plus de détails voir Nguyen 1988.

2. Voir par exemple Cadiot et al. 1985a, 1985b, Ducrot et al. 1986, Nguyen 1986, Nguyen 1988b, Nyan 1991.

3. Voir Nguyen 1988 op. cit.

4. On dira d'un contenu qu'il est «instancié» s'il est possible à un degré plus ou moindre de le préciser. Tout contenu instancié ne sera pas pour nous «matérialisé», en ce sens qu'il ne sera pas réalisé à l'aide d'un segment matériel. Comme on le verra plus loin, il est possible d'avoir des suites Xceci dit F où Y tout en étant instancié n'est pas matérialisé (Voir par exemple (28)).

5. cf. «Maintenant», Nyan 1991.

6. cf. «Enfin, opérateur métalinguistique», Cadiot al 1985.

7. cf. «d'ailleurs ou la logique du camelot» in Ducrot et al. 1980.

8. «Car,parce que,puisque», Groupe A-l.

9. Par identité discursive du locuteur nous entendons son identité telle qu'elle est définie par ses prises de positions, c'est-à-dire ses actes, ses endossements, ses refus d'endossements, ses engagements de consistance. D'un énoncé à l'autre cette identité se modifie au fur et à mesure que s'accumulent les prises de position.

Side 206

Résumé

Cette description de ceci dit, qui prend pour cadre la théorie de l'argumentation de Ducrot, s'inscrit dans le contexte d'une étude de la cohérence discursive. En effet, ceci dit est une de ces expressions qui permettent l'introduction d'une «rupture permise» dans le tissu cohésif du discours, lequel relève en partie de contraintes issues d'autres expressions pragmatiques.

Bien que cet article se veuille essentiellement descriptif, nous aborderons également, tout à la fin, un problème d'un autre ordre, celui de l'intégration des degrés d'acceptabilité dans un schéma général - problème, qui, selon nous, demanderait à être posé à propos de tout schéma général.



10. Voir «enfin», opérateur métalinguistique», op. cit.

11. Ce test repose sur un certain nombre de présupposés, dont les suivants: i. Ceci dit véhicule des contraintes de lectures, qui obligent à projeter un certain type de contenu sur les supports intonatifs pertinents. ii. Si nous possédons ces contraintes (que ce soit ou non sous forme de «règles mentales»), elles devraient être immédiatement accessibles, surtout dans un simple cas de projection comme celui que nous envisageons. iii. S'il existe plus d'une lecture et que celles-ci présentent des degrés d'accessibilité variables, on supposera que la plus accessible est celle qui correspond le mieux au schéma type imposé par ces contraintes.

12. Voir Searle 1983.

Bibliographie

Anscombre, Jean-Claude; Oswald Ducrot (1983): L'argumentation dans la langue.
Pierre Mardaga, Bruxelles

Cadiot, Anne; Oswald Ducrot; Bernard Fradin; Thanh-Binh Nguyen (1985a): Enfin,
opérateur métalinguistique, Journal of Pragmatics 9.

Cadiot, Anne; Oswald Ducrot; Thanh-Binh Nguyen; Anne Vicher (1985b): Sous un
mot une controverse: les emplois pragmatiques de «toujours». Modèles linguistiques.
VII, 2.

Ducrot, Oswald (1989): Logique, Structure, Enonciation. Editions de Minuit, Paris.

Ducrot, Oswald; Thanh-Binh Nguyen; Anne Vicher (1986): Les emplois pragmatiques
de toujours (suite): le cas des conclusions assertives. Modèles linguistiques
VIII, 2.

Groupe A-1 (1975): Car, parce que, puisque. Revue Romane, X, 2.

Nguyen, Thanh-Binh (1988a): Toujours en position finale: emploi pragmatique particulier,
Revue Romane, 23, 1.

Nguyen, Thanh-Binh (1988b): Sens, situation, intentionnalité. Thèse d'Etat Université
de Paris Sorbonne IV.

Nyan, Thanh (1991): Maintenant: emploi pragmatique, Journal of French Language
Studies 1,2, Cambridge.

Rosch, Eleanor (1978): Principies of Categorization, in: E. Rosch et B. B. Lloyd
(eds.): Lawrence Erlbaum, Hillsdale, New Jersey.

Searle, John (1983): Intentionality. Cambridge University Press.