Revue Romane, Bind 26 (1991) 2

Knud Togeby: Grammaire française, Vol. I à IV. Publiée par Magnus Berg, Ghani Merad et Ebbe Spang-Hanssen. Knud Togeby, Magnus Berg, Ghani Merad et Ebbe Spang-Hanssen: Grammaire française, Vol V. Copenhague, Akademisk Forlag, 1982-1985 Romanes de l'Université de Copenhague, hors série).

Odile Halmøy,

Arne-Johan Henrichsen,

Tove Jacobsen,

Reidar Veland

Harald Ulland

Volume I: Le Nom, 1982, 551 p.

Eimpitoyable Faucheuse de nos routes, en tendant le piège de la plaque de verglas qui devait coûter la vie à Knud Togeby, fin décembre 1974, n'a triomphé, ce jour-là, que partiellement: ce qui apparaît déjà comme l'opus magnum du grand romaniste danois, sa Grammaire française, a pu paraître, sous forme de publication entièrement posthume, en cinq volumes dont les dates de parution s'échelonnent entre 1982 et 1985. Cette victoire sur la fatalité, nous la devons avant tout au dévouement de trois de ses collègues des universités de Copenhague et d'Aarhus, Magnus Berg, Ghani Merad et Ebbe Spang-Hanssen, qui peu de temps après la disparition du grand maître se sont attelés à la tâche d'achever l'énorme manuscrit laissé par Togeby. Ce dernier n'avait en fait cessé d'y travailler depuis 1965, année de la publication de sa grammaire du français rédigée en danois - Fransk grammatik - dont l'auteur se préoccupait à juste titre de procurer une version, augmentée et remaniée, qui soit accessible à un public non-scandinave. La préface des éditeurs au premier volume, de 1982, et encore plus celle dont ils ont doté le volume cinq, de 1985, lèvent un coin du voile sur les mille problèmes avec lesquels les réalisateurs de l'ouvrage ont eu à se battre: état d'ébauche d'un manuscrit dont la mise au point a demandé entre autres l'intégration, après évaluation du rôle qui leur était destiné dans l'édifice en cours de construction, d'un très grand nombre de fiches confectionnées par Togeby lui-même qui préparait ainsi les corrections et amplifications à apporter au manuscrit de base, inexistence, dans le manuscrit français rédigé de la main de l'auteur disparu, d'un ensemble de chapitres dont la comparaison avec la Fransk grammatik laissait pourtant prévoir l'indispensable intégration dans l'ouvrage remanié en gestation, puis, vérification faite, impossibilité de traduire les parties correspondantes de la version danoise dont la qualité n'a pas été jugée à la hauteur du reste de cette grammaire ni du manuscrit inachevé de la version française... Ne serait-ce que pour avoir comblé cette lacune, dans l'esprit d'une totale fidélité aux principes adoptés par le maître regretté, les éditeurs de la grammaire en question méritent pleinement d'en être considérés aussi comme des co-auteurs.

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En fonction de quels critères faut-il juger une entreprise comme celle-ci? On peut évidemment prendre l'auteur au pied de la lettre quand il déclare d'entrée de jeu que «l'analyse grammaticale du présent ouvrage suit les principes exposés dans notre «Structure immanente de la langue française» (1951, 1965)» (Vol. I, p. 9) et voir dans cet ouvrage l'application sur une large échelle d'une théorie que beaucoup ont accueillie avec scepticisme, faute, peut-être, d'une réelle illustration de sa capacité descriptive. Ou faut-il plutôt, comme les éditeurs semblent nous y inviter, adopter une approche historisante, ce qui pourrait nous amener à accorder la priorité à la vérification du bien-fondé de leur évaluation de cette grammaire qu'ils conçoivent comme «une synthèse impressionnante de tout ce qu'on pouvait savoir sur la grammaire du français moderne en 1974» (Vol. I, Préface, p. 7)? Il nous semble pourtant qu'il existe une troisième attitude, qui s'impose avec d'autant plus de force que c'est Knud Togeby lui-même qui l'a suggérée, fût-ce en marge de l'ouvrage grammatical proprement dit. En effet, les éditeurs ont eu la bonne idée d'inclure, sous forme d'annexé du dernier volume, un texte datant de 1968 (et déjà publié, «Principes d'une grammaire française», Revue Romane, numéro spécial 2, p. 166-172) où Togeby, en pleine rédaction de la grammaire qui nous occupe, prenait le temps de consigner ce qui se lit aujourd'hui comme sa profession de foi de grammairien. Surprise: les maîtres mots de cet exposé ne sont ni «glossématique» ni «immanence», mais «règles contextuelles» et... «souci pédagogique». Eaune à laquelle il faudra juger l'ouvrage en question est donc avant tout celle qui se profile à travers ce credo: «la meilleure théorie grammaticale est celle qui donne les règles les plus précises pour l'emploi des éléments et des unités de la langue» (Vol. V, p. 214). Une telle conception pédagogique de sa tâche de grammairien, Togeby n'a aucun mal à la concilier avec l'objectif qu'il doit s'assigner en tant que chercheur, étant donné que pour lui «la meilleure théorie grammaticale, c'est-à-dire celle qui rend compte du plus grand nombre de constructions, sera également le meilleur guide pour apprendre la langue» (ibid.; en effet, dans son article de 1968, l'auteur présente avec trop de modestie sa future grammaire comme étant destinée «avant tout aux étudiants des universités Scandinaves»). C'est en fin de compte cette préoccupation pédagogique, qui semble avoir de tout temps animé Tbgeby (attitude qui a été soulignée à plusieurs reprises, entre autres par Michael Herslund, cf. la «Préface» de son choix d'articles de Knud Togeby, Revue Romane, numéro spécial 15, 1978, p. 16), que les éditeurs mettent en relief dans leur préface en déclarant avoir voulu «rédiger un livre utile plutôt que de tirer du manuscrit de quoi ériger un monument à la mémoire de son auteur» (Vol. I, préface, p. 7). André Martinet, dans son compte rendu des deux premiers volumes de cette grammaire, et par conséquent de celui où figure l'annonce du programme théorique déjà cité, a déjà insisté sur l'écart frappant entre l'intention déclarée et la pratique suivie: «dès qu'on aborde le corps de l'ouvrage on est transporté dans un autre monde» (La Linguistique, 19,1983, p. 149). Voyons de plus près ce monde.

Dans une courte «introduction» (9 pages seulement pour un ouvrage qui en compte plus de deux mille) l'auteur (dorénavant KT) expose sa méthode. Laissons à d'autres le soin de déterminer dans quelle mesure cet exposé liminaire reproduit les principes d'analyse que l'auteur avait élaborés dans sa thèse du début des années 50 et dont il se réclame ici encore expressément. En tout cas, la description syntaxique se conçoit ici non moins que là comme un double mouvement descendant et ascendant. Méthodologiquement,en

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dologiquement,eneffet, la première démarche à effectuer consiste selon KT en l'opération d'une succession de divisions du texte infini de la langue française dans le but d'aboutir, au bas de l'échelle, à l'inventaire des unités indivisibles (opération qui ressemble à s'y méprendre au procédé distributionnaliste inauguré par Bloomfield). Vient ensuite un mouvement ascendant, de synthèse, qu'il faut entreprendre pour vérifier la combinatoire des unités ainsi mises au jour. Celle-ci se manifeste dans le cadre structurel des syntagmes que le mouvement analytique initial aura permis d'établir.La première opération est ici menée rondement en moins de dix pages; pour parachever la seconde deux mille pages ne seront pas de trop. Il se confirme donc, dès le départ, que KT n'est pas véritablement un syntacticien; l'art où il excelle, c'est la morphologie au sens large du terme (ou «morpho-syntaxe» comme il préfère dire lui-même, cf. Vol. I, p. 17). Nous en voulons pour preuve la facilité avec laquelle la mise en œuvre d'un programme linguistique aussi rigoureux et radical peut se concilieravec l'adoption d'un cadre notionnel fort traditionnel, au point même que la seule référence à un travail de syntaxe théorique qui figure dans cette introduction générale est un article d'Alf Lombard remontant à 1929!

En prenant le parti de se passer sinon de théorie du moins de toute théorisation, un auteur dont le travail se veut scientifique prend le risque de se couper d'emblée d'une certaine catégorie de lecteurs. La réaction de Marc Hug (Structures du syntagme nominal français; étude statistique, Paris-Genève, 1989, p. 5) est assez caractéristique à cet égard: ce chercheur déclare avoir pris connaissance du traitement insignifiant réservé par KT à la syntaxe du SN dans son ensemble - «un peu plus d'une page en tête de son livre» - puis s'en être détourné dans la mesure où «il n'y avait pas à tirer de là de doctrine syntaxique globale sur la structure du syntagme nominal». La déception que traduit un tel jugement est compréhensible. Il faut pourtant se faire une raison: pour circonstanciée qu'elle soit, l'étude des éléments nominaux qu'on trouve dans cette grammaire ne nous apprendra rien sur la constitution ou l'interprétation de la configuration catégorielle que présuppose leur fonctionnement. Mais il y a l'autre bout de la lorgnette, celui qui permet d'apprécier la richesse de «remarques intéressantes et d'observation judicieuses» (Hug, ibid.). C'est dans cette perspective qu'il convient de se placer. Elle sera, en tout cas, la nôtre dans ce compte rendu du premier volume de la grammaire de KT.

Eorganisation du volume reflète parfaitement l'approche morphologique adoptée puisque les cinq chapitres principaux sont consacrés à autant de classes de mots (nominaux): le substantif (p. 18-119), le nom propre (p. 120-176), le nom de nombre (p. 177-220), l'adjectif (p. 221-330), le pronom (p. 331-532); pas d'index (l'index général de l'ouvrage occupe la moite du volume cinq, où l'on trouve aussi l'ensemble des errata, une dizaine de pages au total, et les références bibliographiques complètes), mais une table des matière très claire facilite la consultation du volume.

La description des substantifs est centrée sur les catégories de genre et de nombre. Avec un luxe de détails, l'auteur examine les paramètres susceptibles d'expliquer les caractéristiques propres aux différentes unités. Les critères formels sont exploités au maximum, les considérations sémantiques n'interviennent qu'en dernier lieu. Les informationsfournies paraissent très sûres, spécialement en ce qui concerne la langue littéraire. Quelques observations dispersées: le nom cafétéria figure deux fois sans accents (p. 20), ce qui est contraire à l'usage actuel; p. 23 nous lisons qu' «alvéole est donné comme masculin par tous les dictionnaires», ce qui n'est pas, ou plus, vrai pour

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ceux de chez Larousse; du mot espace il est dit (p. 25) qu'il est du féminin «comme terme de typographie», ce qui n'est vrai qu'à moitié (cf. - et non pas «cp.», passim - l'article sur ce mot dans le TLF); le mot fliquesse est présenté comme appartenant au langage familier (p. 38), alors qu'il faut recourir au Dictionnaire du français non conventionnel de Jacques Cellard et Alain Rey (Paris, 1980) pour en trouver une attestation; le pluriel moderne de idéal serait idéals (et non idéaux) (p. 40) - Le bon usage nouvelle version est d'avis contraire (§ 504, p. 838); la forme amers est présentéecomme un pluriel fixe (p. 44), ce qui est conforme à la description de ce mot que propose le TLF (s.v. amers) et que l'auteur suit peut-être sur ce point; or dans le corps de l'article de cet ouvrage figure également le singulier amer.

La section consacrée à l'article recense d'abord les formes, non seulement des différentes unités appartenant à cette classe de mots mais de l'ensemble des morphèmes susceptibles de servir de déterminant du SN puisque le terme d'article désigne ici également la fonction syntaxique. Quand on sait le débat qu'a suscité, et que continue de susciter, la question de l'interprétation des différents types de déterminants, une définition comme la suivante, qui de plus ne s'applique qu'à un sous-ensemble des cinq espèces d'«articles» que pose l'auteur, paraîtra bien décevante: «l'article défini, le démonstratif et le possessif ont ceci de commun qu'ils établissent un rapport de détermination en renvoyant à un terme déjà représenté dans le texte» (p. 46). Eauteur consacre un court paragraphe à déterminer la fréquence des divers articles. Ce paragraphe appelle des remarques de deux ordres, et d'abord en ce qui concerne la nature des indications de fréquence dont fourmillent non seulement ce premier volume, mais l'ouvrage d'un bout à l'autre. KT ne fait aucun mystère de la «statistique parfaitement insuffisante» (p. 47) dont il s'est servi pour calculer la fréquence exacte des différents articles. La statistique est effectivement insuffisante (basée comme elle l'est sur le dépouillement des dix premières pages seulement d'un roman policier), ce qui fait que nous n'attribuons qu'une valeure toute relative aux renseignements qu'elle fournit. Or il est extrêmement rare que KT fournisse la moindre indication sur la façon dont a pu être estimée la fréquence des divers phénomènes pour lesquels sont données des indications quantitatives. Il faut espérer que le fondement de ces évaluations de fréquence est en général plus solide que celui du tableau de fréquence des articles. Mais il y a plus. Selon cette même statistique, 20 % des groupes nominaux n'auraient pas d'article du tout. Est-ce que cela veut dire pour autant qu'ils se présentent sans déterminant? Sans doute pas, puisque trois pages plus loin nous apprenons que les «adjectifs indéfinis» (p. 50) - il s'agit d'unités comme maint, plusieurs, chaque etc. - «occupent souvent la place des articles et en excluent l'emploi». De tout cela il faut conclure que parmi les 20 % de SN sans article, beaucoup, probablement, sont quand même «articulés». Une distinction nette entre forme et fonction empêcherait ce genre de malendu. Une approche fonctionnelle du SN éviterait aussi l'éclatement qui résulte du «morphocentrisme» pratiqué par l'auteur: la description des adjectifs «indéfinis», justement, est différée jusqu'au moment d'aborder la classe des adjectifs en tant que telle.

Changement de décor pour la description des différents cas d'emploi ou de nonemploique présentent les cinq types d'articles que l'auteur a identifiés: une attention extrême est portée à l'environnement formel de chaque exemple étudié, qu'il s'agisse de la structure interne au SN (facteurs cataphoriques, p. 54-57, et p. 66-67, et facteurs anaphoriques, c'est-à-dire résultant de l'influence qu'exercent les prépositions sur le

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fonctionnement des articles, décrite, celle-ci, de façon excellente p. 88-100) ou du contexte phrastique auquel appartient le groupe hébergeant l'article à étudier (p. 67-87). Même lorsqu'il s'agit des emplois qui en principe sont fonction de la «nature» particulière de certaines classes de substantifs - ceux notamment qui désignent des installations techniques, des maladies, des parties du corps - (p. 57-66), bien des cas sont répertoriés où la tendance dominante est contrariée par des facteurs syntaxiques jouant en sens inverse. Ce qui est inquiétant, c'est que la même tendance se constate pour la description de l'emploi des articles dans leur ensemble: les règles contextuelles auxquelles aboutit cette description, et qui mettent indiscutablement au jour des corrélations importantes, souffriront quand même de nombreuses exceptions pour peu que le niveau de leur formulation atteigne une certaine généralité . Dès lors ce développement consacré aux articles n'entamera pas sérieusement le scepticisme de ceux qui doutent de la possibilité de décrire de façon adéquate cet ensemble morphologiqueen faisant abstraction des implications sémantiques spécifiques à chaque sousensemble.

Le long chapitre sur le pivot du système nominal se termine par une section consacrée à certaines «catégories particulières de substantifs», à signification temporelle pour la plupart, où les unités en question sont étudiées de manière fort instructive sous l'aspect du jeu des prépositions et des articles auquel elles donnent lieu (p. 103-119).

Le trait définitoire retenu pour le nom propre est sa flexion fixe (genre et aussi nombre uniques) (p. 120), à quoi s'ajoute une considération d'ordre référentielle puisque le domaine d'application du nom propre est défini comme étant celui des «lieux, moments ou personnes» (ibid.) assimilables à des individus. Ici encore un cadre syntaxique plus rigoureux serait le bienvenu; celui-ci permettrait notamment de formuler la différence entre substantifs et noms propres en termes de niveau structurel: le nom propre, même dans une acception du terme aussi large que celle qu'adopte KT, appartient, dans son fonctionnement prototypique, au niveau du SN. Telle qu'elle est conçue ici, la catégorie des noms propres embrasse évidemment une quantité énorme de désignations qui vont du nom de pays aux lettres de l'alphabet sans que soient ignorés les planètes et le ciel. La préoccupation constante de l'auteur est une nouvelle fois de traquer dans ses derniers retranchements l'interaction des articles, partie intégrante des noms propres à des degrés divers, et des prépositions qui situent ceux-ci dans le discours (et dans le référentiel). Les exemples foisonnent et les règles qu'ils sont censés illustrer reçoivent une formulation claire et convaincante la plupart du temps. Seul regret à formuler: la portion congrue qui échoit à l'énorme domaine des «marques commerciales» (p. 168-169). Pour une fois, on a l'impression que l'auteur, de guerre lasse, a baissé les bras. Point fort de ce chapitre: le traitement approfondi de tous les aspects de la syntaxe des noms de villes (p. 148-155). Mais à propos de l'accord d'un pronom qui se rattache à un nom de ville, il est dit (p. 155) que le genre du pronom est «presque toujours le féminin». C'est faire exception - sciemment sans doute - de Paris, puisque la capitale de la France est honorée d'un paragraphe à part (p. 151-152). Un renvoi à ce paragraphe s'impose, et, pourquoi pas, dans celui-ci une mention du titre fameux Paris brûle-t-il? (D. Lapierre et L. Collins, 1964).

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La cinquantaine, ou peu s'en faut, de pages qui sont consacrées à la catégorie du nom de nombre permet à l'auteur de décortiquer sous toutes les coutures les unités qui ressortissent à cette catégorie. A titre de comparaison il peut être noté que le chapitre correspondant du Bon usage dépasse à peine vingt pages, ce qui s'explique en partie par le plus grand émiettement des informations dans cette grammaire. Il y a une raison supplémentaire à ce déséquilibre: KT présente dans un plus grand détail les aspects phonologiques des nombres cardinaux (p. 178-187), et incorpore parmi les noms de nombre davantage d'unités que les grammairiens belges. Notons, à titre d'exemple, que ceux-ci ne font pas de place à un adjectif ordinal comme dernier, alors que KT consacre, avec raison, plus d'une page à la description des divers emplois de cet adjectif. Mais le souci d'exhaustivité qu'on devine nous fait regretter d'autre part l'adjectif ultime parmi les ordinaux (la seule allusion explicite à cet adjectif se trouve dans le chapitre décrivant les latitudes de placement des adjectifs, cf. Vol. V, p. 186). En ce qui concerne l'opposition deuxième/second, l'auteur croit pouvoir dire, sans autre précision, que ces deux adjectifs «sont d'une fréquence égale» (p. 197), affirmation qui se concilie difficilement avec l'avis exprimé par L. Foulet sur second, qu'il cite (p. 198): «la grande majorité de la nation le comprend, mais ne s'en sert pas» (aucune référence à l'article en question dans la bibliographie générale). Parmi les facteurs qui selon KT favoriseraient l'emploi de second au détriment de deuxième, il y a la tendance de la langue littéraire à «employer second comme substantif, c'est-à-dire lorsque le nom dont il s'agit est sous-entendu» (ibid.), formule approximative pour une règle qui est assurément correcte. Par contre, il y aurait beaucoup à redire à la façon dont est décrite la concurrence de ces mêmes adjectifs dans un site d'anaphore (p. 199): les situations recensées sont hétérogènes, et dans le cas de l'exemple suivant, une erreur de transcription a dû se produire, cf. (ibid.) *un lien de parenté s'établit spontanément dans l'esprit de l'auteur entre les lais et les aventures, les secondes prenant en quelque manière la relève des premières (= des premiers, avec coréférence au SN m. pi. les lais). A ce propos un renvoi au couple démonstratif celui-ci/celui-là (où un renvoi en sens inverse à l'endroit idoine) serait à sa place. Dans un paragraphe fouillé sur mi, il est question entre autres du genre de l'expression la mi-été. Celui-ci est donné comme le résultat de la synomymie de cette expression et du SN la Saint-Jean (p. 207), rapprochement qui étonne, vu qu'en France la fête de ce saint coïncide assez exactement avec le début de l'été. Il est vrai que l'équivalence posée existe dans l'univers mental des Scandinaves. Dans le dernier paragraphe de ce chapitre, où sont décrits les adjectifs dérivés en -énaire, on est une nouvelle fois irrité de tomber sur une évaluation de fréquence dont on se demande sur quoi elle est fondée: comment l'auteur sait-il que quadragénaire est «devenu peu usuel», tout comme quinquagénaire, alors que les quatre adjectifs restants de ce type échappent à une telle étiquette? Les chiffres fournis par le Dictionnaire des fréquences du TLF (Nancy, 1971) n'étayent d'ailleurs pas l'hypothèse d'une telle évolution.

Les plus de cent pages bien enlevées qui sont consacrées à la description des adjectifs ne suffisent pas à la tâche, puisque la question de la place de l'adjectif épithète fait partie des sujets traités au Vol. V (sous le chef «ordre des mots dans le syntagme nominal» (p. 164-201). Ce paramètre intervient toutefois à maint propos dans ce premier volume également, surtout dans la section sur «les espèces d'adjectifs»(p. 266-271). Dans ce chapitre nous apprenons évidemment tout sur les variationsformelles que présentent les différents adjectifs, y compris dans leur flexion de

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comparaison (qui est synthétique ou analytique) et d'adverbialisation: pour KT la seconde correspond à un cas adverbial qui est attesté non seulement par des formes comme peu, moindrement, petitement, mais aussi, ce qui est logique dans la perspectiveréductionniste où s'inscrit une telle analyse, par les emplois adverbiaux que peuventassumer certains adjectifs invariés et dont un exemple choisi au hasard pourrait être s'arrêter net (cf. p. 226-227). La description très soignée des variations formelles impliquées par la classe des adjectifs s'accompagne d'une série de mises au point d'ordre syntaxique dont certaines sont clairement inspirées par des considérations contrastives («le comparatif absolu», p. 254, catégorie qu'ignore le français et qui n'a donc d'intérêt qu'en tant que schème de départ des apprenants Scandinaves (cf. aussi l'utile mise en garde contre la tentation de suivre l'usage anglais et allemand dans certains contextes de comparaison véritable), emplois de «l'adjectif substantivé», p. 260-263, etc.). La brièveté des remarques consacrées à la «construction des adjectifs» (p. 264-265) peut étonner, d'autant que cette question est présentée, toutes proportionsgardées, comme l'exact parallèle du problème que pose la construction des verbes, sujet étudié dans un vaste chapitre au Vol. 111 (p. 212-318). Cette lacune n'est toutefois qu'apparente en ce qui concerne plusieurs catégories d'adjectifs puisque la description des prépositions, au Vol. IV, recense aussi la compatibilité de certaines prépositions, de et à (marque du datif) notamment, avec tel ou tel adjectif.

Nous avons déjà fait allusion au fait que KT se passe entièrement de modèle du SN, à tel point qu'un concept aussi central que «article» (à défaut d'un terme plus moderne comme «déterminant») ne se détache pas nettement de la nébuleuse des «adjectifs»; la deuxième partie du chapitre consacré aux adjectifs, qui porte sur les «adjectifs indéfinis» (p. 271-330), se ressent de cette parcimonie conceptuelle. Il s'agit d'une catégorie aussi embrouillée que solidement ancrée dans une longue tradition grammaticale, à laquelle l'auteur se réfère (p. 271), mais avec laquelle il ne rompt pas comme l'a fait désormais Le bon usage, où la plupart de ces «adjectifs indéfinis au sens large» - c'est la dénomination qu'adopte finalement KT (ibid.) - sont présentés comme figurant une classe particulière de déterminants indéfinis (§§ 605-624, p. 967-993), en intersection formelle avec les pronoms indéfinis (§§ 705-736, p. 1113-1158). qui empêche KT de sauter le pas - ne précise-t-il pas que «les «adjectifs indéfinis» occupent le plus souvent la place syntaxique des articles» (ibid.)? - c'est encore une fois la priorité absolue qu'il accorde à l'aspect morpho-dérivationnel des choses, laquelle lui fait penser «que l'article indéfini est un adjectif indéfini et que l'article défini peut être considéré comme un adjectif dérivé d'un pronom» (p. 271-272). conséquence néfaste de cette espèce d'obnubilation formelle est le risque de voir les distinctions s'estomper sur le plan de l'analyse syntaxique aussi.

Deux remarques critiques en ce qui concerne le détail de la présentation des «adjectifs indéfinis», laquelle nous vaut d'ailleurs une série de renseignements précieuxsur leur emploi effectif: dans un paragraphe consacré au tour nous autres, catholiques, (...) (p. 282), il est dit que le mot autres et les virgules entourant l'appositionpeuvent tomber, tendance illustrée par cet exemple: On nous dit que c 'est à nous professeurs de faire régner l'ordre. Ealinéa suivant est confus: «Dans ce cas, on peut aussi supprimer la pause (la virgule), mais alors l'emploi de l'article s'impose, paraît-il [sic]», un des exemples étant nous les prêtres. Or l'exemple précédent (cf. supra) atteste bien qu'une telle restriction n'existe pas. Aux cinq emplois qui sont recensés pour l'adverbe autrement (p. 283-284), il convient d'en ajouter un sixième: attribut du

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sujet, cf. C'est éteint dans le salon, c'est silencieux, c'est autrement: c'est mercredi: jour
de maman (Janine Boissard, L'esprit de famille, p. 57; Le Livre de Poche).

Comme il fallait s'y attendre, le cinquième et dernier chapitre de ce tome est le plus volumineux: en plus de deux cents pages y sont classées et décrites, dans un panorama où il y a du bon et du moins bon, les différentes espèces de pronoms. Ce gonflement tient en premier lieu au choix, qui dérive en droit fil de l'analyse structurelle «immanente» des pronoms que KT avait déjà proposée, pour ne jamais en varier, dans sa thèse de 1951 (cf. 1965, pp. 160-161, 186), de postuler pour la classe des pronoms interrogatifs-relatifs (p. 446-532) un inventaire aussi démesuré que contestable. Boiteux déjà pour le sous-ensemble des formes relatives et interrogatives proprement dites, ce que l'auteur admet lui-même, cf. p. 504 à propos de dont, ce regroupement est à qualifier de farfelu lorsqu'on sait qu'il conduit à postuler l'existence en français moderne d'un seul et unique «introducteur d'une proposition subordonnée» (p. 446), à savoir le «pronom introducteur qui» (p. 334). Corollairement, ce genre d'analyse entraîne la réduction des multiples emplois du mot que à une seule base dérivationnelle, ce même archi-pronom interrogatif-relatif. Comment aussi, autrement que par magie verbale, faire apparaître l'introducteur si exprimant l'hypothèse comme une forme casuelle de ce dernier? Une conséquence logique de cette frénésie réductionniste (dont un autre résultat inattendu est le classement des particules ci et là parmi les «formes casuelles du pronom démonstratif», p. 334, définition d'autant plus surprenante qu'on sait que celles-ci figurent également dans des SN non-pronominaux, cf. cet homme-ci, ibid., et, surtout, que les latitudes fonctionnelles des syntagmes de l'un et de l'autre type formel ne sont en rien affectées par ce marquage casuel) serait l'abolition de la frontière entre les traditionnelles classes de propositions subordonnées. Celles-ci semblent pourtant surnager comme si de rien n'était, ce qui nous force à la tenue d'une double comptabilité. La pédagogie n'y trouve guère son compte.

D'une façon générale on peut dire que la doctrine qui informe ce chapitre sur les pronoms a pris pas mal de rides. Les références qui figurent en tête de chapitre concernent le premier tome de la grammaire structurale de Jean Dubois, de 1965, livre contestable sur bien des points, ainsi qu'un petit article de Jacqueline Pinchón de la même année. Quelques-unes des études ponctuelles qui sont citées au long du chapitre datent du début des années soixante-dix. Eauteur tente de formuler une définition générale des pronoms à l'aide du concept de «représentation» (p. 331), choix logique à l'époque où ce texte a été rédigé. Or si on adopte une théorie du pronom qui implique la transmission d'information déjà encodée, il est plus que jamais primordial de disposer d'un modèle explicite du SN, ce qui n'est pas le cas dans l'ouvrage qui nous occupe. C'est ainsi qu'il est affirmé à propos du relatif qu'il représente«son antécédent» [notion qui ne reçoit pas de définition] «dans la proposition relative: je connais l'homme qui parle» (ibid.), alors que le rôle du pronom personnel est décrit comme étant celui de «représenter un nom du contexte: Je viens de rencontrerun homme. Il m'a dit que (...)» (ibid.), cas qui implique donc (contrairement à l'exemple précédent) la relation de coréférence (propriété associée normalement au syntagme nominal, ce par quoi il faut traduire ici «nom»). Cette impression de flou artistique qui se dégage de la description des pronoms est en partie une conséquence du fait qu'aucune importance n'est accordée à l'analyse des pronoms représentants sous l'aspect de leur fonctionnement paradigmatique, même s'ils sont aussi appelés

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parfois des substituts, cf. par exemple p. 331. Nous avons déjà vu que les traditionnels pronoms indéfinis étaient absorbés par les adjectifs correspondants, annexion justifiée par leur incapacité de représenter. Pour illustrer ce fait l'auteur tient le raisonnement suivant: «Un peut en apparence représenter un nom, mais seulement par l'intermédiaired'un pronom véritable: j'en connais un» (ibid.). On voit immédiatement que la représentation qu'il faut poser pour comprendre correctement cette phrase suppose une autre interprétation du «nom» en question que dans les exemples précédents; de plus, cette représentation est le fait de la seule forme en (effectuant la reprise d'une expression lexicale) dont la détermination est en l'occurrence assurée par l'article indéfini de forme masculine. Il est difficile aussi d'accepter que dans «j'ai pris l'autre, c'est l'article défini, contenant un pronom véritable, qui établit la référence et la représentation, non autre» (ibid.); cette dernière précision est toutefois correcte puisquele représentant à l'œuvre dans cet exemple ne saurait être que l'ellipse lexicale. Quant à la référence en question, elle est celle qu'instaure de façon solidaire les éléments de la description définie l'autre. Il est vrai que le mot «référence» est employédans l'ouvrage en discussion comme un terme dérivé de l'expression verbale «se référer» et non pas du verbe «référer» comme cela est régulier aujourd'hui. De ce choix terminologique résulte une insistance peut-être excessive sur les latitudes de renvoi inhérentes aux différentes expressions pronominales au détriment de toute question relative à leur mode de signification. On peut critiquer aussi la manière dont est menée l'analyse des pronoms personnels de la première et de la deuxième personnequi n'ont pas de renvoi textuel; le propre de ces deux ensembles de formes serait de «ne pouvoir renvoyer qu'à eux-mêmes» (ibid., cf. aussi p. 389), ce qui est vrai deje mais faux de tu, forme par laquelle un je renvoie à son interlocuteur et qui n'est donc pas du tout «sui-référentielle».

Le tableau de la dérivation des adjectifs correspondant aux différentes classes de pronoms (p. 332-333) risque également d'offusquer certains. Disons d'abord que c'est une bonne idée de rendre au type mien, dérivé du pronom personnel, son statut de véritable adjectif de valeur possessive, même si la distribution de celui-ci connaît de fortes restrictions. Mon est présenté comme un adjectif conjoint ou «article». Voilà pour les dérivés du pronom personnel. Mais l'auteur veut aller plus loin et n'hésite pas à transformer l'article défini en «adjectif conjoint» dérivé du «pronom impersonnel ou neutre il», sans doute à cause de l'encombrement constaté autour du pronom personnel proprement dit. Pour être juste, il faut préciser que des considérations sémantico-syntaxiques semblent également avoir été mises dans la balance: il est dit (p. 386) que l'emploi des formes du pronom personnel «diffère tellement de celui de l'article défini qu'il ne paraît pas possible de les identifier». De cela il ne s'ensuit pas, a contrario, qu'une relation quelconque relie l'article défini au pronom impersonnel en question. Est-ce également pour cause de saturation du côté du pronom personnel que en est considéré comme «le génitif du pronom démonstratif» (p. 349), alors que dans une perspective de représentation comme celle qui domine dans cet ouvrage ce pronom ne remplace pas nécessairement une expression démonstrative, ni, même, un SN? Que l'auteur propose, pour le démonstratif variable celui, un rapprochement avec les formes disjointes du pronom personnel peut se comprendre: au niveau de la morphologie, c'est une évidence. Sur le plan de la syntaxe c'est une autre affaire, et l'affirmation suivante a de quoi laisser pantois: «la syntaxe de celui, ceux est, dans les grandes lignes, analogue à celle de lui, eux» (p. 333).

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Voici quelques remarques critiques plus ponctuelles en ce qui concerne le traitement des démonstratifs postulés par KT. La description de la capacité de en à représenter des personnes (p. 350) est confuse: la batterie de règles qui y est développée n'appréhende pas les vrais mécanismes en jeu parce que les notions qui servent à la formulation des règles ne sont pas les bonnes. Comment, par exemple, la règle suivante est-elle à concevoir au juste: «en est même obligatoire pour représenter un nom [de personne] avec l'article partitif: des amis? Il n'en a qu'un seul» (ibid.). Cette règle n'est-elle pas, si on la prend au pied de la lettre, mise en défaut par un énoncé comme Demain j'irai à la pêche avec des copains. - Est-ce que leurs femmes sont au courant? En ce qui concerne le pronom démonstratif variable celui (que KT appelle «composé», faisant ainsi de ce terme un superordonné, ce en quoi il se démarque de la tradition grammaticale française pour laquelle les formes composées, celui-ci et celui-là, sont celles qui s'opposent aux formes simples comportant une expansion analytique, cf. Le bon usage, § 667, p. 1055), un certain nombre d'erreurs sont à noter: l'exemple suivant: Je n'aime pas beaucoup la «Morale de l'Ambiguïté»; ni «Pyrrhus et Cinéas», bien sûr. Mais celui-là, du moins, était assez mince; l'autre (...) c'est vraiment celui que j'aime le moins (p. 367), est censé illustrer le fait que celui-là peut «renvoyer au dernier mot de ce qui précède». Or, le «mot» - et c'en est un - que présuppose ici le pronom celui est le nom livre (antécédent lexical) qui figure dans la question, élaguée, qui précède la phrase reproduite: - Autre question stupide: y a-t-il un de vos livres que vous n'aimiez pas?, si bien que le SN pronominal celui-là effectue à cette occasion une double «référence» (lexicale, à livre, et référentielle, vers le livre mentionné en dernier parmi ceux des siens que Simone de Beauvoir déteste, à savoir Pyrrhus et Cinéas). Dans le paragraphe intitulé «celui de + substantif» (p. 368), nous trouvons cet exemple: Ceux mêmes d'entre nous qui ont cru approcher de (...), lequel appartient en réalité au type «celui + proposition relative» (p. 367), étant donné que la séquence facultative intercalée entre le pronom et son complément obligatoire comprend, en dehors de mêmes, le complément d'entre nous. Il est vrai que ce type de construction, avec un complément partitif enchâssé dans le SN introduit par celui, est relativement rare: la riche documentation sur l'emploi des pronoms que l'on trouve dans le livre de Kristian Sandfeld (Syntaxe du français contemporain; I: le nom, Paris, 1928) n'en fait pas état.

Nous avons déjà mentionné le fait que KT opère avec une classe de pronoms qui s'ajoute aux espèces traditionnelles, le pronom impersonnel dont les formes sont il/le; cela ressort nettement du tableau de la p. 335. En effet, la plupart des grammairiens donnent la priorité à l'aspect morphologique et se contentent de signaler, parmi les emplois des formes conjointes, un ensemble de fonctionnements dits neutres (cf. par exemple Le bon usage, § 643, p. 1022-1023). La démarche adoptée ici comporte toutefois des avantages, et aux pages 373-386 l'auteur traite de main de maître l'épineuxproblème que constitue la concurrence des différents pronoms susceptibles d'emplois «neutres». La description des emplois «personnels» des pronoms homonymess'en trouve aussi considérablement allégée, même si KT nous fait naturellementvisiter tous les recoins de l'énorme patchwork syntaxique qui résulte de la mise en œuvre des formes conjointes et disjointes du pronom personnel. Sur un point son traitement tient de la pirouette: s'agissant de l'aptitude de ces dernières à faire fonctionde régime d'une préposition lorsque leur réfèrent n'est pas un être humain, l'auteur affirme: «La langue française est cartésienne: elle considère plutôt les animauxcomme

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mauxcommedes machines» (p. 415). Or Harald Thun, qui cite cette appréciation de la situation (Personalpronomina fur Sachen: Ein Beitrag zur romanischen Syntax und Textlinguistik, lubingen,l9B6, p. 144), n'a aucun mal à démontrer qu'elle manque de fondement, sans toutefois qu'il approfondisse lui non plus cette question comme elle mérite de l'être.

Eensemble des formes du pronom réfléchi comporte chez KT cinquante pour cent de plus d'unités que dans n'importe quelle autre grammaire puisqu'il y incorpore aussi, à côte de se et soi, le pronom on (à cause de la case vide «cas sujet» que présente le pronom réfléchi traditionnel?). Or même si l'auteur établit qu'il existe une affinité particulière entre on et soi (p. 424-427), ses exemples montrent aussi que cette affinité n'a pas les caractéristiques d'un paradigme pronominal ordinaire. Les pages consacrée au passif pronominal, y compris ses formes périphrastiques (p. 421-424), très bien faites.

Deux remarques sur les possessifs disjoints pour terminer. Les formes du type le mien sont dites représenter normalement «un substantif précédent». A condition que le terme de substantif reçoive ici le sens «unité lexicale», se distinguant ainsi du terme correspondant de nom, dont il est fait un usage polysémique tout au long de l'ouvrage, cette observation est bien sûr correcte. Nous n'apprenons cependant rien de précis sur les mécanismes impliqués par la représentation lexicale qu'opère ce type de SN pronominal. Etant donné que KT fait grand cas des rares mais intéressants emplois du possessif sans apparition concomitante de l'article défini, et qu'il arrive à la conclusion qu'il s'agit d'un adjectif presque ordinaire (cf. p. 445-446), on peut regretter qu'aucun parallélisme ne soit établi avec les SN incomplets à adjectif «substantivé» du type l'autre et le rouge, le bleu signalés (p. 331) comme des expressions quasipronominales. Il est vrai que là non plus, la conclusion qui à nos yeux s'impose n'est pas tirée: dans un cas comme dans l'autre il s'agit de descriptions définies dont le noyau lexical n'est pas explicite mais saturé par représentation elliptique. L'exemple suivant, qu'il soit correctement transcrit ou non, paraît déformé, cf. Entre 1923 et 1953, date des morts de Lénine et de la sienne (p. 444); lire, selon toute logique: entre 1923 (= le 21 janvierl924) et 1953, dates de la mort de Lénine et de la sienne.

D'une façon générale, et pour conclure, nous souscrirons volontiers au jugement que Martinet (1983) porte sur le premier volume de la grammaire de KT: ainsi que nous l'avons déjà mentionné, ce dernier se dit frappé par la rupture, réelle, qui existe entre la déclaration de principe et la pratique suivie. La première insiste, nous l'avons vu, sur la filiation glossématico-immanentiste de l'ouvrage alors que la seconde fait irrésistiblement penser à «la tradition danoise des Jespersen et des Sandfeld» (1983, p. 149), une tradition, et ceci est à souligner, que l'auteur marque de sa griffe si caractéristique. Or, la comparaison avec Sandfeld s'impose avec une insistance particulièreen ce qui concerne ce premier volume qui, vu la part considérable qu'il fait à la catégorie du pronom, se pose en concurrent direct du livre classique de Sandfeld sur cette classe de mots (1928). D'un point de vue pédagogique, donc de facilité d'accès à l'information dispensée, l'avantage revient à KT. Dans le même temps sa description des différentes espèces de pronoms ne marque pratiquement aucun progrès scientifiquepar rapport au traitement de son devancier, qu'il va falloir par conséquent continuerà consulter: certaines des réinterprétations les plus hardies du système pronominalfrançais proposées par KT risquent en effet d'apparaître comme autant d'impasses.Mais cette précarité théorique est largement compensée par une couverture

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empirique impressionnante et une acuité d'analyse constante qui font du Nom de Knud Togeby une mine d'informations irremplaçable sur la plupart des questions qu'on peut légitimement subsumer sous le chef de la morpho-syntaxe des expressions nominales en français moderne.

Reidar Veland

Volume II: Les Formes Personnelles du Verbe, 1982, 460 p.

Le second volume est consacré aux «formes personnelles du verbe», et la disposition en est comme d'habitude soigneusement justifiée: si «la flexion nominale change d'après les racines nominales (...), par contre, presque toutes les racines verbales se combinent avec tous les flexifs verbaux, et il est donc plus naturel de disposer la section verbale de la grammaire selon les flexifs verbaux: personne, nombre, mode, temps, aspect, et d'après les dérivatifs verbaux: participe passé, participe présent, infinitif, pour étudier le comportement des racines verbales dans un chapitre final consacré à la construction des verbes. Pour la même raison, on peut donner, pour l'ensemble des verbes, un aperçu de la morphologie de la conjugaison verbale» (p. 7).

On a là le plan des deux tomes relatifs aux formes verbales. Plus précisément, le volume qui nous occupe est divisé en sept chapitres de longueur inégale, traitant respectivement: I - de la conjugaison verbale (une vingtaine de pages ); II - du verbe fini et ses flexifs (une page et demie); 111 - de l'accord (une quinzaine de pages); IV - des modes (impératif, indicatif et subjonctif: plus de deux cents pages); V - des temps simples (soixante pages); VI - des aspects, c'est-à-dire, en gros, de la différence d'emploi entre le passé simple et l'imparfait (quelque 75 pages); et VII - des temps composés, et notamment de l'emploi des auxiliaires (cinquante pages). La plus grande partie du volume traite donc de deux chapitres de la grammaire française qui présentent pour les étrangers de très grosses difficultés, pour les Scandinaves particulièrement, puisque le subjonctif est pour ainsi dire inexistant dans leurs langues et que la différence aspectuelle se manifeste autrement que par la flexion verbale. A titre de comparaison, et toutes proportions gardées, la dernière édition (1986) du Bon usage consacre - sur les 1768 pages que compte l'ouvrage au total - six pages à l'emploi du subjonctif en général (avec des renvois aux divers paragraphes dispersés dans la description pour les emplois en proposition subordonnée), et cinq pages à l'emploi respectif de l'imparfait et du passé simple, où la différence d'emploi n'est pas envisagée d'un point de vue aspectuel.

Je passerai rapidement sur les trois premiers chapitres. Les pages sur la conjugaisonverbale donnent un tableau exhaustif et méticuleux de la morphologie du verbe français, émaillé de remarques personnelles, qui témoignent du goût prononcé de Togeby pour le détail. Si la réforme de l'orthographe en cours est un jour appliquée, il est évident que nombre des commentaires de Togeby auront un caractère périmé, l'exposé n'en gardant pas moins un intérêt historique. On ne néglige pas de nous apprendre, pour prendre un exemple, que l'on rencontre pour le verbe bouillir (p. 13) dans la langue populaire, les formes boura au futur, il bouille au présent, ça boue au subjonctif, et bouillu au participe passé - café bouillu, café foutu, dit en effet l'adage (que Tobeby ne mentionne pas!). Le Bon usage signale également d'autres formes: selon M. Cohen - que cet ouvrage cite sur ce point - il s'agirait d'une conjugaison parallèle à celle de «l'usage littéraire», et non réservée au «parler populaire» (§ 821). Remarquons au passage l'étiquette de «langue populaire», à laquelle s'ajoutent

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éparses dans l'exposé celles de «langue classique», «littéraire», «ancienne langue»,
etc., mais de façon sporadique, et sans traitement systématique de la notion de registreou
de niveau de langue - ces notions ne figurant d'ailleurs pas dans l'index final.

Le chapitre IV, consacré aux modes, s'ouvre sur une rubrique «définition des modes» - qui est en fait, comme toutes les «définitions» de la Grammaire française (GF), plutôt une caractérisation. Pour Togeby, il y a trois modes en français, à savoir - du plus marqué au moins marqué - l'impératif, le subjonctif et l'indicatif. Contrairementà la terminologie française traditionnelle, le participe et l'infinitif ne sont pas considérés comme des modes. En revanche, une place est faite dans ce chapitre - entre l'impératif et l'opposition indicatif-subjonctif - aux expressions voici et voilà (4 pages d'ailleurs pas tout à fait convaincantes peut-être), L'essentiel du en. IV - 200 pages, soit près de la moitié du volume - traite des emplois respectifs de l'indicatif et du subjonctif, ce dernier étant joliment caractérisé comme le «mode du non-jugement»(p. 59). La démarche consiste à étudier successivement les «propositions nonintroduites»,puis celles qui sont introduites par si, quand, comme, et enfin les subordonnéesintroduites par que. Pour ces dernières, sont pris en considération, outre la place et la fonction de la proposition, les différents verbes, adjectifs ou expressions linguistiques qui l'introduisent. Lexposé se présente comme un catalogue impressionnant,extrêmement fourni, d'exemples classés et commentés, accompagnés de considérationsstatistiques empruntées pour la plupart à trois études d'auteurs Scandinaves,la thèse de Helge Nordahl (Les systèmes du subjonctif corrélatif, Universitetsforlaget,Bergen, 1969), celle de Gerhard Boysen (Subjonctif et hiérarchie, Odense University Press, Copenhague et Odense, 1971) et un article de Lars Bôrjeson publié dans Studia Neophilologica, 1966 («La fréquence du subjonctif dans les subordonnéescomplétives introduites par que étudiée dans des textes français contemporains»), - sans oublier ceux de Lennart Carlsson, Bengt Hasselrot, Einar RonsjO, etc. - publiées toutes trois au cours de la décennie qui sépare la parution de la Fransk grommatile danoise (FG, Gyldendals Forlag, Copenhague, 1965) de la disparition de Togeby en 1974. Le développement - qui suit dans ses grandes lignes celui de la FG - se trouve donc considérablement gonflé, passant d'une soixantaine de pages à plus de 200! C'est que Togeby puise abondamment dans les matériaux de ses collègues Scandinaves,consignant scrupuleusement leurs statistiques, non sans commenter, nuancer,et critiquer à l'occasion leur présentation, tout en améliorant leur exposé sur certains points. Ce catalogue peut paraître assez fastidieux à la longue, - mais il est évident qu'une grammaire de cette envergure n'est pas faite pour être lue de part en part: on consultera ces pages pour chercher la réponse à une question, vérifier une construction, etc., et il est indéniable qu'en tant que pages de référence, elles sont extrêmement précieuses pour un public d'étrangers. Ce chapitre constitue en effet pour eux l'un des domaines les plus épineux de la grammaire française, sinon «le plus fascinant qui soit», pour reprendre la formule de H. Nordahl. Si l'on voulait à tout prix adresser quelque reproche à ce recensement magistral, ce serait peut-être - ce que Togeby reproche d'ailleurs parfois lui-même aux linguistes qu'il cite! - de ne pas tenir compte systématiquement du temps du verbe recteur, facteur qui bien souvent peut contribuer à déterminer le mode du verbe de la subordonnée: ainsi, l'opposition réel/virtuel est-elle totalement absente de l'explication des faits. Pour ne prendre qu'un exemple (mais on pourrait les multiplier, voir notamment pp. 217, 239, etc.), la tournure le gênant + subjonctif est illustrée par une seule citation de Butor, avec un

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conditionnel: Le gênant, ce serait qu'il sache que tu as dévoilé son secret, n'est-ce pas? (p. 196). Nordahl aurait, dans ce même contexte, enregistré 3 indicatifs qu'il ne cite pas, apprend-on. Or il est évident que si on change le conditionnel en présent, l'énoncépasse du domaine du virtuel à celui du réel, et l'indicatif est alors tout à fait légitime: Le gênant, c'est qu'il a appris (ou qu'il sait ou qu'on lui a dit ) que tu as dévoilé son secret. Notons que les concepts de virtuel et de réel ne figurent pas non plus dans l'index - mais ils sont bien entendu exploités ailleurs, à propos du traitement des propositions causales, concessives et conditionnelles, par exemple (Vol. V, p. 116).

Les trois derniers chapitres traitent des temps, répartis en ce que Togeby appelle 1) «temps» (ch. V), où sont étudiés les temps du subjonctif et les temps simples de l'indicatif, avec des développements sur la concordance des temps, l'influence des adverbes et les constructions hypothétiques, 2) «aspects» (ch. VI), où est exposée la question épineuse pour un non-francophone de l'emploi respectif du passé simple et de l'imparfait, et 3) «temps composés» (ch. VI), section suivie de quelques pages finales sur l'emploi des verbes auxiliaires.

Faute d'ouvrages plus récents, Togeby s'appuie surtout dans ces chapitres sur l'étude de Holger Sten (Les temps du verbe fini (indicatif) en français moderne, Munksgaard, Copenhague, 1952) et, bien sûr, à propos de l'emploi des adverbiaux de temps, sur la thèse de Arne Klum (Verbe et Adverbe, Almqvist & Wiksell, Upsala, 1961), dont il présente statistiques et pourcentages. On pourra peut-être regretter que, par souci de fidélité et contrairement à ce qu'ils ont fait pour le volume V de la GF, les éditeurs n'aient pas incorporé les derniers développements relatifs à ce domaine: les travaux de Co Vet, par exemple, et tout particulièrement son Temps, aspects et adverbes de temps en français contemporain (Droz, Genève, 1980) jettent une lumière nouvelle sur ces questions. Le chapitre V rendra surtout de grands services aux étrangers dont la langue maternelle ne connaît pas une répartition aspectuelle similaire. Mais ce chapitre pourra aussi alimenter la réflexion des francophones, moins sensibilisés au problème. La description des aspects «passé simple» et «imparfait» commence par des généralités sur le sens des deux formes, esquissant l'opposition entre l'aspect et le mode d'action, avant de passer en revue les compatibilités avec les différents compléments adverbiaux - c'est là que Togeby donne la parole à A. Klum - pour terminer par une étude approfondie du jeu des deux formes dans les subordonnées, temporelles d'abord, relatives et autres ensuite.

On ne peut qu'admirer au fil de ces pages la profusion des exemples, la minutie de la description et la justesse des observations. Il est très rare que la justification proposéene soit pas convaincante; cela arrive parfois cependant, par exemple p. 263, où Togeby se donne bien du mal pour expliquer l'occurrence de l'indicatif après vouloir bien, quand l'explication la plus évidente est qu'on a là affaire à un emploi de la locution au sens de reconnaître. Il faut souligner pour être juste que cette explication figure au § 692.2, paragraphe auquel il est d'ailleurs renvoyé à la page qui nous occupe. Remarquons à ce propos la multitude des renvois internes, très utiles, dans tout le corps de l'ouvrage. Autre chose: il arrive qu'on ne comprenne pas très bien si la description se présente comme exhaustive. Ainsi, quand on lit à longueur de pages que tel ou tel emploi temporel est «fréquent», «possible», «rare», «exceptionnel», on se demande si un autre temps passé sous silence dans la construction étudiée est «tout à fait exclu». Prenons le cas de l'emploi des temps avec même si (§ 875). On apprend que même si se construit avec l'imparfait - en relation avec une principale au

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conditionnel ou au futur -, avec le présent - en relation avec une principale au présent ou au futur (cette dernière construction étant qualifiée de «rare») - que l'on peut «trouver le passé simple, avec la valeur du passé composé» - mais peut-on trouver le passé composé? et rien n'est dit sur le temps de la principale -, et enfin que «le conditionnel est très rare». Pas un mot sur le futur. Doit-on en conclure qu'il est exclu? J'ai relevé récemment (Louis-Jean Calvet, Roland Barthes, Flammarion, Paris, 1990) des occurrences de cette construction - même si suivi du futur - avec, dans les principales, un futur ou un présent:

Barthes s'insurge contre cette charité qui les transforme, dit-il, en «petits
pauvres reconnaissants», même si, nous le verrons, il saura profiter de la
situation, (p. 38)

C'est peut-être à partir de ce refus, pense aujourd'hui Nadeau, que leurs
routes divergent, même si, nous le verrons plus loin, ils se rejoindront toujours
dans les moments importants, (p. 168)

Edgar Faure s'affirme pour la peine de mort, Giscard dit qu'il est contre,
même s'il ne fera rien au cours de son septennat pour la supprimer, (p. 258)

II s'agit d'un emploi de futur historique, mais la construction est sans doute antérieure
à la rédaction de la GF, et elle n'est pas particulière à L.-J. Calvet.

Eabondance des faits consignés et des remarques de détail peut par ailleurs avoir un effet déroutant: les arbres cachent la forêt, on risque de perdre le fil directeur. Il en est ainsi des pages, remarquables à bien des égards, sur l'opposition aspectuelle passé simple/imparfait. A trop morceler la description, certains commentaires semblent en contradiction avec les lignes générales qui se sont évaporées en cours de route. On arrive même à des impasses: après avoir signalé par exemple, au § 940, qu'avec des indications temporelles perfectives de type deux ans, un instant, etc., on emploie le passé simple, et cité une dizaine d'exemples à l'appui, dont un «vilain petit canard» à l'imparfait: je restais (c'est moi qui souligne) plus d'une heure stupide et tremblant devant ce cadavre, copie fautive d'un exemple - qui est bien, lui, au passé simple - de Sten: il s'agit sans doute d'une coquille due à l'homophonie des formes, comme Togeby en a d'ailleurs relevé chez les bons auteurs, mais elle ne figure pas dans la liste des «errata» du volume V - les auteurs ajoutent un dernier exemple qui laisse perplexe: Un moment elle pensait que toute sa vie serait empoisonnée. Commentaire: «l'imparfait peut être aussi dû à d'autres facteurs.» Ehistoire ne dit pas lesquelles, et le mystère reste entier. Notons à ce propos qu'il est difficile de se prononcer sur l'emploi des temps, et plus encore des aspects, sans un contexte suffisant, et que la linguistique textuelle qui travaille sur de longs textes et non seulement sur des phrases présente là un avantage certain. A la page suivante, à propos de jusqu'à, on lit que «on s'attendrait à ce que jusqu'à, qui marque la limite finale d'une action, régisse également l'aspect perfectif, mais on constate qu'en fait l'imparfait est tout aussi fréquent». Et Togeby, qui semble renoncer, de donner quatre exemples de passé simple et deux - empruntés à Sten - d'imparfait, sans autre commentaire. Libre au lecteur alors de faire preuve d'imagination, ou de se reporter à l'ouvrage de Sten, qui, lui, avance une explication (p. 165 et non 163, comme l'indique Togeby).

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On a parfois l'impression que bénéficient de développements particulièrement substantiels les points de grammaire qui ont été étudiés en détail par les linguistes, et que la description est plus rapide quand tel n'est (n'était) pas le cas. De la sorte, l'emploi de l'imparfait dit «pittoresque» - qui ne présente d'ailleurs pas de grosses difficultés - est exposé en long et en large, alors que celui, beaucoup plus complexe, des temps et aspects avec le verbe devoir, disséminé en remarques réparties sur de nombreux paragraphes, peut laisser le lecteur sur sa faim.

Quelques remarques d'ordre général pour finir. La GF se veut sans doute une grammaire descriptive, et on évite soigneusement tout jugement normatif. Aussi, quand un auteur écrit d'une façon qui n'est pas conforme à la description présentée, dira-t-on avec une certaine indulgence qu'il «s'amuse» (R. Vailland, dans La Loi, «s'amuse à rompre la concordance des temps», p. 297; M. Duras, dans Moderato Cantabile, «s'est amusée à mélanger le passé simple avec le présent», p. 345, etc.). Parfois, pourtant, des remarques de type normatif échappent aux éditeurs: on lit par exemple que «l'accord (...) parfois (...) se fait fautivement» (p. 40), ou que (p. 67) «pour la mauvaise graphie X., voir Z» (c'est moi qui souligne). Le § 796, traitant de après que, hésite aussi entre le descriptif et le prescriptif. Est-il besoin de dire que dans une grammaire du français langue étrangère, comme l'est malgré tout l'ouvrage de Togeby, de telles remarques sont souhaitables sinon tout à fait indispensables?

On pourra s'étonner d'autre part, dans ce catalogue d'exemples littéraires, écrits, de l'irruption incongrue parfois d'un exemple oral, non commenté comme tel (pp. 79, 260, 263, notamment). C'est très gênant, car c'est méconnaître la spécificité de l'oral par rapport à l'écrit - spécificité à laquelle nombre d'études parues ces dernières années ont sensibilisé les linguistes.

J'aimerais m'arrêter pour terminer sur le rôle que Togeby accorde à la sémantique dans sa description, et renvoyer par ailleurs à ce propos à l'article très éclairant de Ebbe Spang-Hanssen sur la question, publié dans les Actes du 9ème Congrès des Romanistes Scandinaves, Helsinki, 1986, p. 353-365, et intitulé «L'élaboration et la publication de la Grammaire française de Knud Togeby (5 volumes, 1982-1984) à partir du manuscrit de l'auteur». Togeby écrit dans ses Principes d'une grammaire française, reproduit dans le Vol. V (p. 214-220), que la sémantique est «une discipline extrêmement difficile», et que, «en la remettant au second plan, on rendra la grammaireproprement dite d'un accès plus direct et facile» (p. 215). Ce dernier point est pour le moins contestable, et, heureusement d'ailleurs, le volume fourmille de notationssémantiques: tout le chapitre sur l'emploi des modes en complétive est basé sur un classement sémantique des verbes et autres expressions linguistiques susceptibles d'introduire la complétive en question. C'est le recours au sens, en effet, qui permet le plus souvent d'expliquer les phénomènes linguistiques de la façon la plus économique et la plus satisfaisante. Parfois, cependant, on a l'impression que, se rappelant son principe de base, Togeby s'acharne à exclure l'explication sémantique, quitte à laisser le lecteur sur sa faim. Prenons par exemple le cas de l'accord du verbe et du sujet dans la phrase son neveu et rival vit dans le luxe (p. 46). L'explication donnée est que «on a obligatoirement le singulier si deux substantifs au singulier sont reliés par un seul et même article» (ibid.). Pourquoi se priver de souligner que les deux substantifs en question réfèrent à une seule et même personne, cumulant les deux qualités ou étiquettes de neveu et de rival - paraphrase possible: son neveu qui est aussi son rival -, et qu'il est logique dans ce cas d'avoir un verbe au singulier? Ce serait pédagogiquementaussi

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quementaussiplus satisfaisant. Comme on l'a déjà dit, cette soigneuse élimination du sens est heureusement l'exception. Et dès la page suivante, toujours à propos de l'accord, on apprend que si comme a la valeur d'une conjonction de coordination, le verbe se met au pluriel (l'un comme l'autre paraissent amenés par la rime), alors que s'il introduit une comparaison (l'un comme l'autre est pris au jeu), le verbe se met au singulier. On peut d'ailleurs se demander dans ce cas précis si la règle n'est pas un peu ad hoc.

En ce qui concerne la terminologie, on est irrité par la répétition peu éclairante des expressions «une espèce de», «une sorte de»: on peut se demander ce que c'est qu'une «espèce de proposition nominale» (p. 41), une «espèce de conjonction composée» (p. 128, pour en admettant que), une «espèce de verbe de sentiment» (p. 174, à propos de la locution avoir de la chance), ou une complétive qui est une «sorte d'apposition» (ibid.), une «espèce de présent» (à propos du passé composé, p. 267, ou de la périphrase vais + inf., p. 301), une «espèce de phrase indépendante» (p. 281), une «espèce d'imparfait dilaté» (p. 326), etc. On remarquera aussi l'emploi très particulier que font les éditeurs (Togeby?) du terme «systématiquement» au sens de «sur le plan du système» - opposé à «sémantiquement» (pp. 59,381). On peut s'interroger également sur le fait que Togeby classe sans discussion parmi les «complétives objets de substantifs» (p. 167) une séquence telle que nous n'avions pas besoin que Paul Valéry nous en avertisse (cf. aussi p. 171 l'expression avoir peur). Ne considère-t-on pas d'habitude ces expressions plutôt comme des verbes composés ? Il serait aussi inutile que mesquin de multiplier les critiques de détail: on a beau jeu de pinailler quand on examine à la loupe une grammaire de cette envergure, et plutôt que de continuer à chercher la petite bête, on préférera féliciter les éditeurs d'avoir mené à bien la tâche considérable à laquelle ils s'étaient attelés.

Odile Halmøy

Volume III: Les Formes Impersonnelles du Verbe et la construction des verbes, 1983, 332 p.

Le troisième volume comprend quatre chapitres. Les trois premiers traitent de ce que Togeby dans le titre appelle les formes impersonnelles du verbe (dans le texte les formes du verbum infinitum, dont il donne la définition aux paragraphes 1077-78) et que les grammairiens français ont l'habitude de dénommer les modes impersonnels du verbe. Le quatrième chapitre est consacré à la construction des verbes.

Si l'on compare ce volume aux chapitres correspondants de la version danoise (Fransk grammatik), il s'avère, comme pour les autres volumes, que l'étendue en a sensiblement augmenté. Dans l'ensemble, ceci est un avantage, au moins pour deux raisons. D'abord, le nombre total d'exemples est beaucoup plus élevé dans la version française. Etant donné qu'un grand nombre de bons exemples va contribuer à la longévité de toute grammaire, même si un jour les commentaires et les explications du grammairien peuvent avoir perdu quelque chose de leur poids, ceci est un progrès. Mais ce qui est encore plus important, c'est le fait que la version française, étant basée sur des matériaux amplifiés par rapport à la version danoise, permet à l'auteur de nuancer ses conclusions. En voici un exemple: dans Fransk grammatik, § 635, Togeby croit pouvoir constater que dans la périphrase aller + participe présent le temps du verbe aller est toujours le présent ou l'imparfait. Or, dans le volume qui nous occupe, nous apprenons (§ 1122) que, si les exemples avec le présent ou l'imparfait constituentla

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tuentlagrande majorité, on rencontre également le passé composé, le futur, la périphrasefuturale
aller + infinitif et le présent du subjonctif.

Jetons maintenant un coup d'œil sur les différents chapitres en commençant par le premier qui traite du participe passé. Ce chapitre est divisé en trois parties: 1) Accord du participe passé, 2) Le «passif», 3) Les autres fonctions du participe passé. Ce qui le distingue du chapitre correspondant de Fransk grammatik, c'est que dans sa nouvelle grammaire, Togeby a incorporé le «passif» dans le chapitre sur le participe passé au lieu de le traiter avec les temps composés du verbe. Le passif a toujours été un problème pour les grammairiens du français. Dans la plupart des grammaires, il a été traité dans le chapitre sur la conjugaison et, pour ce qui est du complément d'agent, dans le chapitre sur les prépositions. En réalité, le français n'a pas de formes spéciales pour le passif, et c'est pourquoi Togeby a toujours mis ce mot entre guillemets. Ainsi il préfère, à juste titre, parler de la périphrase passive être + participe passé. Son point de vue est exprimé avec concision dans les premières lignes du § 1094: «La périphrase passive être + participe passé n'est pas un temps composé, mais simplement la construction être + attribut, auquel le contexte donne la nuance passive.» Il souligne également que le participe passé peut avoir la valeur passive même s'il a la fonction d'épithète: «un génie méconnu par tout le monde.» En étudiant les facteurs qui créent la valeur passive, Togeby doit entre autres choses s'occuper du complément d'agent, ce qui justifie le traitement de l'alternance par/de dans ce chapitre. Dans Fransk grammatik, il semble avoir hésité, car il y traite le problème par deux fois, dans le chapitre sur la conjugaison et dans celui sur la préposition (§ 616 et § 759), chaque fois en trois pages avec de petites variations! Comme c'est dans le traitement du passif que consiste l'originalité de ce chapitre, je me suis concentré sur ce point, et j'ajouterai seulement qu'on y trouve également des sous-chapitres sur l'accord du participe passé et sur les différentes fonctions de ce participe (phrase participiale, constructions absolues, etc.).

Le deuxième chapitre du volume est consacré au participe présent - du moins, c'est ce que laisse entendre le titre du chapitre. En réalité, Togeby y a réuni, comme le font la plupart des grammairiens, ce qu'il appelle le participe présent, l'adjectif verbal et le gérondif; pour la définition de ces trois formes, voir § 1121. Togeby y souligne que l'adjectif verbal en -ant est un pur adjectif dérivé du verbe, dénué de fonction verbale. Je suis tout à fait d'accord avec lui, et c'est pourquoi (dans un petit article de Revue Romane, 11, 1967, p. 97-107) j'ai appelé cette forme adjectif déverbal, terme qui se rapproche de celui employé par Damourette et Pichón (Essai de Grammaire de la Langue française, § 1196), à savoir adjectif nominal déverbal. Le participe présent est défini par Togeby comme une forme invariable dérivée du verbe, mais qui conserve la faculté verbale de prendre des compléments. En ce qui concerne le gérondif, il dit que cette forme est tout simplement la combinaison de la préposition en avec le participe présent en fonction adverbiale. Ici aussi je préfère une autre terminologie (voir mon article mentionné ci-dessus). Pour moi le français n'a qu'une seule forme verbale en -ant, qui est invariable. Cette forme assume trois fonctions: a) la fonction adjectivale, b) la fonction adverbiale, c) elle fait partie d'une périphrase verbale (aller (en) + -ant). Dans le cas a) on ne trouve jamais la préposition en, tandis que dans les cas b) et c) il y a alternance entre la forme en -ant précédée ou non de cette préposition. Mais quittons ces questions de terminologie. Pour ce qui est du fond, on constate que l'auteur donne souvent un traitement plus exhaustif des problèmes que ce n'est le cas

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dans la version danoise. J'ai déjà, au début de ce compte rendu, mentionné le paragraphesur la périphrase aller + infinitif (§ 1122). Plus développés et plus nuancés sont également les paragraphes sur aller + en + participe présent (§ 1123) et sur le sujet du gérondif (§ 1136). Dans l'ensemble, ce chapitre présente des progrès considérablespar rapport à l'édition danoise.

Le troisième chapitre, le plus long du volume, traite de l'infinitif. Il est divisé en cinq parties (division qui résulte de la définition de l'infinitif, § 1147): 1) l'infinitif membre verbal sans sujet, 2) l'infinitif membre verbal avec sujet, 3) l'infinitif complément adverbial, 4) l'infinitif membre nominal et 5) l'infinitif substantivé. Dans l'ensemble, l'organisation du chapitre est très proche de celle de Fransk grammatik, ce qui est tout à fait normal, étant donné que Togeby base sa présentation dans les deux cas sur Kr. Sandfeld, Syntaxe du français contemporain - L'lnfinitif, ouvrage envers lequel il reconnaît d'ailleurs sa dette.

Après avoir donné sa définition de l'infinitif et avant d'entrer dans les détails de son emploi, Togeby développe (§ 1148 L'article de l'infinitif) une idée qui lui est chère. Cette idée est déjà en partie exposée dans un article datant de 1957 et intitulé De + infinitif successeur de l'infinitif substantivé (dans Le Français Moderne, 25, p. 1-5). Dans l'introduction à la grammaire qui nous occupe (Vol. I, p. 15), Togeby donne un exposé succinct de cette idée:

On remarque que l'article n'est pas une catégorie morphologique, mais une position syntaxique qui peut être occupée aussi bien par un pronom possessif ou démonstratif: mon jardin -ce jardin, que par les articles au sens traditionnel: le jardin.

Il en est de même de l'indice de l'infinitif, fonction qui peut être tenue par les prépositions de et à: il promet de le faire - il apprend à le faire, et qui fait de l'infinitif un membre nominal, échangeable avec un substantif sans préposition: il promet le livre - il apprend la leçon, par opposition aux constructions où de et à gardent leur fonction prépositionnelle: il le charge de le faire, cp. il le charge du travail.

Je ne suivrai pas Togeby dans son traitement des diverses fonctions de l'infinitif, ce qui d'ailleurs serait impossible dans un court compte rendu. Disons tout simplement qu'au cours de ces plus de 140 pages on trouvera une masse impressionnante d'informations utiles, illustrées par un très grand nombre d'exemples pertinents. Et grâce à la table des matières et surtout à l'index à la fin du dernier volume, ces richesses sont commodes à consulter.

Le quatrième et dernier chapitre de ce volume, intitulé La construction des verbes, se distingue profondément du chapitre correspondant de Fransk grammatik, en premierlieu par son étendue. Tandis que la version danoise consacre un peu plus de dix pages à ce problème, le chapitre comprend maintenant plus de cent pages. La matière est organisée d'après certains principes généraux (voir § 1343). Pour Togeby le principefondamental est que «Pour classer les verbes, (...) il faut chercher les critères de classement dans les relations qu'ils établissent avec d'autres éléments». Il distingue d'abord les verbes intransitifs des verbes attributifs et des verbes transitifs, directs ou indirects. A cela s'ajoutent un certain nombre d'autres critères (le cas que régissent les verbes, l'emploi ou le non-emploi d'un indice de l'infinitif, sujet (ou objet) animé

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ou inanimé du verbe, etc.) Le résultat, c'est que les verbes français se répartissent sur un grand nombre de sous-classes, qui parfois contiennent seulement un verbe. Ceci fait naturellement penser à la manière dont les verbes sont présentés dans les dictionnairesou dans Bonnard, Leisinger et Traub, Grammatisches Wôrterbuch. Franzôsisch, ouvrage dont Togeby s'est d'ailleurs inspiré. Pour illustrer ma pensée, prenons un verbe plus ou moins au hasard dans la grammaire de Togeby, à savoir rêver (§ 1462) et comparons sa présentation à celle du Petit Robert. Les deux ouvrages donnent à peu près les mêmes constructions et les mêmes nuances de sens avec l'exception que rêver que + subjonctif et rêver sur manquent dans Le Petit Robert (en revanche on trouve rêver sur dans Trésor de la langue française). On peut se demander pourquoi un paragraphe de grammaire et un article de dictionnaire se ressemblent à tel point. Togeby lui-même a donné la réponse à une telle question dans un article de 1968, reproduit dans Grammaire française, Vol. V, p. 214-20. On y lit (p. 220): «(...) il faut se rappeler qu'il n'y a pas de limite stricte entre la grammaire et le lexique. Plus la grammaire se développera, et plus elle empiétera sur le lexique. A ce propos, il est curieux de voir que le dictionnaire le plus récent de la langue française, le Dictionnaire du français contemporain (Larousse, 1967), se rapproche dans une grande mesure d'une grammaire, puisqu'il contient un très grand nombre de digressions grammaticalessous forme de schémas.» Je suis d'accord avec Togeby quand il dit qu'il n'y a pas de limite stricte entre la grammaire et le lexique. Mais dans la pratique, il faut essayer d'établir une limite entre les deux domaines. Je suis d'avis que «les digressions grammaticalessous forme de schémas» dont fait mention Togeby dans la citation ci-dessus, n'ont rien à faire dans un dictionnaire. D'autre part, je trouve que Togeby est allé trop loin en introduisant dans le chapitre qui nous occupe des matériaux qui sont plutôt à leur place dans un dictionnaire.

Arne-Johan Henrichsen

Volume IV: Les Mots Invariables, 1984, 323 p.

Le volume IV est pour une grande partie consacré à une description très détaillée des
prépositions, ce qui rend ce volume précieux pour les lecteurs non-français pour qui le
choix de la préposition correcte reste souvent une énigme.

Pour le classement des prépositions, Togeby s'inspire tout particulièrement de la théorie d'Ebbe Spang-Hanssen élaborée dans Les Prépositions incolores du français moderne (1963) et qui est basée sur l'opposition entre prépositions abstraites et prépositions concrètes. Les trois prépositions abstraites, et de loin les plus fréquentes, de, à et en, qui dans certaines conditions sont échangées contre les prépositions concrètes, créent des constructions à cohésion forte, tandis que les prépositions concrètes marquent un certain relâchement. Suit la liste des facteurs qui déterminent le choix d'une préposition abstraite ou d'une préposition concrète (p. 38).

Cette façon d'envisager les problèmes théoriques permet de traiter le domaine des prépositions avec rigueur et cohérence, ce qui distingue favorablement la grammaire de Togeby des grammaires traditionnelles, où trop souvent le chapitre sur les prépositions se limite à une série de règles sans queue ni tête.

En ce qui concerne la présentation des faits, Togeby reste fidèle aux exemples littéraires, même s'il s'est également servi d'exemples tirés des dictionnaires pour actualiser les données. On peut regretter que ce ne soit pas fait sur une plus grande échelle, surtout dans les domaines où il y a un certain flottement quant au choix des

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prépositions. Prenons d'abord comme exemple l'emploi des prépositions après des adjectifs «marquant une attitude», où «le complément indiquant la personne à l'égard de qui on adopte cette attitude est introduit par l'une des prépositions pour, avec, envers. (...) Eemploi de envers est littéraire, tandis que pour et avec appartiennent à la langue de tous les jours» (p. 170). Togeby cite dix adjectifs par ordre alphabétique (choisis au hasard?). Il s'agit de aimable, chic, courtois, généreux, gentil, grossier, impoli,injuste, méchant, sévère. Si l'on consulte les dictionnaires à propos de cette liste, on trouvera proposée pour certains adjectifs également la préposition à l'égard de que Togeby passe sous silence. Si, en plus, on consulte Lélia Picabia: Les constructions adjectivales en français (1978), on y trouvera aussi une liste d'adjectifs qui se construisentavec plusieurs prépositions (p. 126). Aimable et généreux figurent également sur la liste de Picabia, aimable suivi de avec et envers, et généreux uniquement avec envers. Résultat qui ne correspond ni tout à fait à Togeby ni aux dictionnaires consultés. Togeby n'a donc rien à envier à Picabia pour la précision de sa description, mais la liste des adjectifs concernés est loin d'être complète et on ne peut que se ranger à l'avis de Picabia (p. 85): «Sans doute faudrait-il s'aider d'un très large corpus, en plus de la liste complète des adjectifs, pour faire une étude systématique où il y ait moins de flottementdans la description.»

Il faudrait aussi mentionner sur, préposition qui semble gagner du terrain en français contemporain. Sur est traité avec vers et contre (p. 160) dans le chapitre sur les compléments adverbiaux. D'après Togeby, ces trois prépositions indiquent la direction, mais sur ajoute une nuance d'«ouverture d'un terrain»: les habitants émigrent volontiers sur Paris. A part le fait que cette définition est peu claire, elle ne semble pas tout à fait rendre compte d'exemples comme les suivants où l'idée de direction s'atténue progressivement: La Royal Air Force organise un raid aérien sur le Beach Club où sont réunies de nombreuses personnalités ennemies {Télérama, 2073, p. 115). Un avion soviétique a été détourné sur la Suède {France Info, 9 juin 1990). Le brouillard sur Moscou et le nord de l'Europe rendait tout trafic impossible sur l'aéroport de Sheremetyevo (Frédérique Hébrard: Le mari de l'ambassadeur, p. 147). Est-ce que vous êtes sur Caen? (question posée chez le coiffeur, juin 1989).

Aéroport ne figure pas sur la liste des noms pouvant être conçus comme une surface et où il y a alternance à/sur (p. 127). Pourtant, le glissement de sens qu'on observe dans l'alternance sur/à l'aéroport/l'aérodrome vaut bien un petit commentaire. Il faut également signaler que contrairement à ce qui est dit implicitement p. 120, on peut très bien dire grimper sur un arbre. Et finalement, nous aurions bien aimé voir traités les adjectifs qui se construisent avec sur, du genre: Sur Botticelli, Ronald Lightbown est incollable (Télérama, 2106, p. 18).

Un chapitre important s'intitule De introduisant un complément de nom, et on y découvre (p. 58) la subtilité du jeu des articles et des prépositions. Prenons l'exemple des «substantifs de sentiment» qui présentent tous à des degrès divers cette particularitéde pouvoir faire alterner de et pour (admiration, amour, enthousiasme, goût, etc.). Goût montre bien cette variation: le goût de, un goût de/pour, ce goût de/pour, son goût de/pour, du goût pour, le goût + subordonnée relative de/pour, goût à (comme dans les expressions avoir/prendre goût à). Un substantif qui se rapproche de goût par son signifié, sens, ne semble pas, à première vue, être susceptible de permettre la même alternance: La gauche n 'est plus militante, elle a perdu le sens du combat, le goût du débat (Télérama, 2036, p. 37), // a un sens aigu de l'observation sociale {Télérama,

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2038, p. 126), Devant de tels succès, la comtesse décide de faire partager à d'autres son sens si pointu de l'esthétique (Marie-France, octobre 90, p. 39), Ce sens de l'élégance, je l'ai sans doute acquis par le goût et la recherche perpétuelle de la beauté (Marie- France, octobre 90, p. 38). Mais sens ne se trouve pas parmi les substantifs cités.

Après avoir survolé rapidement les prépositions sur, avec, envers, de et pour, nous aimerions terminer par quelques remarques sur l'emploi de en tel que Togeby l'a décrit. Il semble que la langue française ait quelque peu évolué après la rédaction de cet ouvrage. C'est la seule façon d'expliquer l'assertion suivante de Togeby (p. 126) à propos du choix de la préposition avec les moyens de transport: «On ne dit pas en train, probablement parce que cette expression a déjà un autre sens: voyager par le train (Robert).» Or, nous savons pertinemment qu'il n'en est rien. Le français moderne n'hésite pas à employer en train: voyager en train, arriver/rentrer en train.. En est également en concurrence avec à et dans avec le substantif page. On peut dire aussi bien à la première page que en première page. Pour Togeby, à est la préposition couramment employée, tandis que en est plus littéraire. Une opposition sémantique existe entre à et en, «en évoque aussi l'espace d'une page» (p. 121). Pour nous, il s'agit plutôt de l'emploi de en sans article qui ne cesse de s'étendre dans le français contemporain. Pour renvoyer à une page précise, en semble quasi obligatoire: Le sommaire de ce numéro est en page 19 (Le Nouvel Observateur, 839, p. 4) Lire en page 5 (Ouest-France), Suite de l'article en page 3 (Robert méthodique). (Bien sûr, on peut aussi supprimer la préposition: Lire page 5. Suite page 3.) Il y aurait également opposition sémantique entre en et dans: « Avec dans, on précise que l'on reste à l'intérieur des limites de la page.» Malheureusement, une telle opposition ne ressort pas très bien des exemples qui suivent, et on aurait aimé plus d'exemples avec page au pluriel, où dans certains contextes dans semble être préféré: Retrouvez-la avec la flamboyante Alison dans les pages 46 à 55 (Elle, 2219, p. 3), dans le petit conte futuriste que vous lirez dans les pages suivantes (Marie-Claire, 322, p. 7).

Togeby passe rapidement en revue les conjonctions et les interjections, mais consacre un chapitre assez important aux adverbes. Etant donné que, pour Togeby, adverbe veut dire «particule ayant la fonction de membre subordonné», il exclut d'emblée, entre autres, tous les adverbes de manière en -ment, considérés comme des cas adverbiaux des adjectifs, de même que bien, mal ti peu qui sont interprétés comme des cas adverbiaux des adjectifs bon, mauvais et petit. Comme Togeby l'indique lui-même, ces sujets sont traités dans le premier volume, §§ 234-245. Les adverbes qui restent, les adverbes de degré et de qualité, les adverbes de temps et les adverbes de négation, sont soumis à une classification rigoureuse d'après la nature des unités auxquelles ils sont subordonnés et décrits avec la même richesse de détails et d'exemples que les prépositions. C'est particulièrement vrai pour le chapitre sur les adverbes de négation, où Togeby tire parti des excellents ouvrages qui existent sur la question (par exemple Gaatone et Sten).

Si nous avons choisi de donner tant de place aux prépositions dans notre compterendu, c'est parce que Togeby a pleinement réussi à montrer l'intérêt d'un domaine qui a été longtemps boudé par les linguistes. Ses pages sur les prépositions regorgent de commentaires et d'exemples qui méritent des études approfondies.

Tove Jacobsen

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Volume V: La Structure de la Proposition + index, 1985, 376 p.

Le cinquième tome de la Grammaire française de Togeby (GF) se distingue des quatre volumes précédents de plusieurs manières. N'ayant pu être basé sur le manuscrit de Togeby (manuscrit resté inachevé à la date de son décès en 1974), ce tome est pourvu d'une deuxième préface rédigée en 1984. Il contient également une postface, ainsi que l'article «Principes d'une grammaire française» écrit par Togeby et publié pour la première fois en 1968. On trouve aussi dans ce volume l'index des ouvrages et articles consultés, des textes cités et des mots-clés, ainsi que la liste des errata des volumes I à IV.

Les trois rédacteurs avaient l'intention, annoncée dans la première préface, de donner dans le volume V une simple traduction de la version danoise. En fin de compte, ils ont préféré une refonte assez radicale, tout en respectant la disposition générale voulue par Togeby. Ainsi les rédacteurs ont-ils pu prendre en considération de nombreux travaux récents sur les sujets à traiter dans ce volume. Je crois que la plupart des usagers de la grammaire leur en seront reconnaissants, bien que l'empreinte de Togeby par ce fait ne soit pas partout aussi manifeste que dans les volumes là IV.

Comme auteurs de ce volume figurent donc, sur la couverture, non seulement Knud Togeby mais aussi Magnus Berg, Ghani Merad et Ebbe Spang-Hanssen. Etant donné qu'il est difficile de savoir qui a écrit quoi, j'indiquerai dans mon compte rendu partout par les initiales KT le nom (pour moi inconnu) de l'auteur ou des auteurs de chaque chapitre.

A mon avis, les sujets traités dans les cinq chapitres que comporte le cinquième volume sont d'une importance capitale pour toute grammaire du français et pour toute grammaire en général. Il s'agit de la formation des mots, la phrase et les propositions, les fonctions syntaxiques, l'ordre des mots et l'accord.

Au lieu de la division traditionnelle des affixes en préfixes et suffixes, on trouve, dans le chapitre sur la formation des mots, une division en «affixes homogènes, qui ne changent pas la classe du mot auquel on les ajoute, et affixes hétérogènes, qui déterminent la classe du mot dérivé» (p. 12). On obtient ainsi une tripartition des affixes: (a) les affixes antéposés, qui sont tous homogènes, (b) les affixes postposés homogènes et (c) les affixes postposés hétérogènes. La dérivation est traitée en trois souschapitres correspondant à cette tripartition des affixes: (a) les préfixes, (b) les modificatifs, (c) les suffixes. En fin de compte, KT suit donc la terminologie traditionnelle, sauf pour les affixes postposés, qui sont divisés en modificatifs et suffixes. Comme définition des modificatifs, on trouve (p. 22): « affixes postposés qui ne changent pas la classe du mot auquel on les ajoute.» Il est un peu étonnant alors qu'on puisse parler (pp. 45 à 49) des suffixes substantivaux ajoutés aux substantifs (exemples: encrier, feuillage, princesse). Selon la définition, il ne peut s'agir là que de modificatifs. En réalité - c'est ce que montre la lecture des pages 22 à 32 - «modificatifs» n'est autre chose, pour KT, que la désignation commune de diminutifs et augmentatifs. Le terme employé doit donc se référer plutôt à la sémantique, semble-t-il, et non pas à la (morpho)syntaxe, comme le laisse penser la définition.

Si le chapitre sur la dérivation semble un peu confus, la composition et surtout l'abréviation sont traitées de manière brillante. J'apprécie surtout le choix des exemplesd'abréviations diverses (formes tronquées, sigles littéraux et syllabiques, ainsi que les dérivés formés à partir des sigles). Pour tous ceux qui sont déconcertés par la

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prolifération des sigles dans la langue moderne, il y a une sorte de consolation qui termine le chapitre sur la formation des mots: l'auteur nous rappelle qu'il ne s'agit pas d'un phénomène nouveau: «il y a quatorze siècles, les sigles ayant envahi médailles, inscriptions, textes de lois, Justinien ler en interdit l'usage.» Y aurait-il là une tâche pour les réformateurs de l'orthographe d'aujourd'hui?

Au chapitre II se trouve traité le problème bien connu du classement des propositions. Il s'agit d'une question compliquée que doit envisager tout grammairien du français: quels critères choisir pour classer les propositons? Sans qu'il le dise explicitement, KT a dû constater qu'un classement unique est impossible et que, par conséquent, il faut en faire plusieurs. Sur ce point, je suis entièrement d'accord: trop de grammaires françaises contiennent un classement des propositions avec un mélange curieux de critères qui ne fait que dérouter le lecteur. Mieux vaut donner plusieurs classements, où l'on s'en tient à un seul ou à un nombre très restreint de critères à la fois. On trouve donc dans ce chapitre un classement des propositions d'après leur structure interne, d'après l'introducteur, d'après leur fonction et d'après leur sens. Le classement le plus original est celui qui est fait d'après l'introducteur. Etant donné qu'il n'y en a qu'un seul (le pronom interrogatif-relatif) selon Togeby, la subdivision se fait par rapport à l'antécédent: introducteur sans antécédent, introducteur avec antécédent inhérent et introducteur avec antécédent explicite. La notion d'antécédent inhérent reste pourtant un peu floue: qu'il y en ait un dans l'exemple Qui dort dîne, d'accord. Cette proposition équivaut à Celui qui dort dîne. Mais dans l'exemple S'il vient, je me, j'ai des difficultés à voir un antécédent inhérent. La synonymie de si avec au cas où ne me semble pas une raison suffisante pour dire que 5/ dans cet exemple a un antécédent inhérent.

Le classement des propositions d'après leur fonction est introduit par une démonstration des inconvénients que présentent souvent les classements traditionnels. Une proposition dite adverbiale («une soi-disant adverbiale», comme dit KT) peut avoir une fonction nominale: Cela me rappelle quand j'étais petit, et une proposition dite nominale (complétive) peut avoir une fonction adjectivale: Je n'aime pas l'idée qu'elle soit hospitalisée là-bas. Mieux vaut donc un classement purement fonctionnel comme celui fourni dans ce chapitre. Mais ce classement reste erroné par le fait qu'on a négligé le travail récent de Moreau (C'est. Etude de syntaxe transformationnelle,. Mons, 1976), alors que ce même travail a été pris en considération dans le même volume (p. 131) et même dans le chapitre en question (p. 80). On ne peut pas s'attendre à ce que le lecteur examinant le classement des propositions d'après leur fonction (p. 95-110) pense à consulter immédiatement le chapitre sur les fonctions syntaxiques, où les auteurs, en se référant à Moreau, disent (p. 131): «Certaines complétives que nous avons considérées comme des attributs sont donc plutôt des sujets.»

Un chapitre sur les fonctions syntaxiques doit constituer la base même de toute grammaire du français (et de n'importe quelle langue). Ce qui est étonnant, c'est la place qu'occupe ce chapitre dans la GF: il est placé dans le dernier volume. On trouve ici la définition de notions importantes comme sujet, objet direct, épithète, etc., notionsdont on doit se servir tout au long d'une grammaire. Evidemment, on peut dire que l'usager ne lit pas nécessairement la grammaire en commençant par le commencement,c'est-à-dire par le premier tome. Mais il reste que le chapitre sur les fonctions syntaxiques occupe ici une place un peu inattendue. N'empêche qu'on y trouve une

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discussion intéressante et éclairante, mais à mon avis trop courte, de certains critères employés pour distinguer verbes simples (Elle veut répondre ) et verbes composés (Elle va répondre ) dans le cas où un verbe fini est suivi d'un infinitif. Ce problème est souvent traité de façon trop sommaire, ou pas traité du tout, dans les grammaires françaises en général.

En ce qui concerne la terminologie grammaticale, il est aisé de voir que KT reste bien ancré dans la tradition danoise, ou scandinave, ce qui peut causer des problèmes lorsque la présentation se fait en français. Il faut se demander, par exemple, si le terme épithète pour un lecteur français (je suppose que cette grammaire vise un public francophone) est vraiment l'équivalent du terme danois attributiv (cf. p. 138: «L'épithète postposée se rencontre sous des formes très variées. Ce peut être un adjectif (...), un participe (...), un substantif (...), un nom propre (...), un syntagme prépositionnel (...), une proposition subordonnée»). Le traité de linguistique française bien connu d'Arrivé, Gadet et Galmiche (La Grammaire d'aujourd'hui, Paris, 1986), signale à l'entrée épithète: «C'est généralement l'adjectif qui exerce la fonction d'épithète. Dans certains cas, pourtant, le nom, adjectivé, peut fonctionner comme épithète: le Parlement croupion, une femme médecin.» Et chez Goosse/Grevisse (Nouvelle Grammaire Française, 2e édition, Paris/Louvain, 1989) on trouve: «une épithète, c'est-à-dire un adjectif ou un participe.» Le terme épithète dans la tradition française n'équivaut donc pas, ou n'équivaut que partiellement, au danois attributiv, que KT a traduit en français par épithète. Une autre question concernant la terminologie: pourquoi intituler un paragraphe «Le complément prépositionnel» tout en disant dans le même paragraphe que «le terme de complément prépositionnel n'est pas très heureux» (p. 128)? Le terme «attribut libre» est probablement une traduction du danois «frit praedikat» employé dans la Fransk Grammatik de Pedersen, Spang-Hanssen et Vikner (1980). Autant que je sache, ce terme n'est pas employé dans la tradition grammaticale française, qui désigne sous le nom d'apposition, ou d'épithète détachée, la fonction du premier mot d'une phrase comme Enfant, il eut de graves difficultés familiales.

Quoi qu'il en soit, on soulève dans le chapitre sur les fonctions syntaxiques nombre de questions intéressantes et qui font réfléchir, comme par exemple la fonction des adjectifs dans un exemple comme Ils arrivent propres. Ils repartiront sales. Ce ne sont pas des attributs «ordinaires», car arriver et partir ne sont pas des verbes attributifs, mais il ne s'agit pas non plus d'attributs «libres» comme dans l'exemple Elle s'arrêtait, furieuse. On a quelque chose qui se trouve à mi-chemin entre l'attribut du sujet et l'attribut libre. KT a parfaitement raison de soulever ce fait comme un problème, mais on reste un peu sur sa faim, parce qu'on ne trouve rien d'autre que la constatation de l'existence du problème. De façon trop sommaire sont traités également le syntagme adjectival (6 lignes) et le syntagme adverbial (3 lignes).

Le chapitre sur l'ordre des mots est, à mon avis, le chapitre le plus instructif de ce volume. La plupart des pages sont bien sûr consacrées aux deux problèmes majeurs, à savoir l'inversion du sujet, qui occupe la plus grande partie de «L'ordre des mots dans la proposition», et la place de l'adjectif, qui occupe la plus grande partie de «Eordre des mots dans le syntagme nominal». Toutefois, on n'a pas négligé les autres problèmes importants, comme la place des compléments adverbiaux et l'ordre des épithètes

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Quelques remarques pour terminer: on peut regretter qu'il faille attendre le dernier volume pour pouvoir consulter un index général. Ce défaut est en partie compensé par une table des matières extrêmement détaillée à la fin de chaque volume. Il faut souligner à ce propos la qualité de l'index du volume V: sous le titre «mots-clés», il

Les 16 pages consacrées à l'inversion du sujet portent l'empreinte de la synthèse de Korzen («Réflexions sur l'inversion dans les propositions interrogatives en français», in: Analyses grammaticales du français. Etudes Romanes, 24, 1983) et constituent donc un exposé bâti sur des fondements solides. Cet exposé invite le lecteur à réfléchir et aide à mieux comprendre les mécanismes du phénomène. La documentation est riche, surtout dans la partie concernant les adverbiaux déclencheurs d'inversion complexe. La distinction faite entre deux variantes de l'inversion finale, dans les constructions bipartites et dans les constructions tripartites, me paraît essentielle non seulement pour la compréhension de l'inversion du sujet, mais également pour la conception générale de la phrase française et de sa division en segments.

Dans la partie intitulée «Eordre des mots dans le syntagme nominal» KT a choisi de traiter d'abord l'ordre interne des compléments de nom postposés de nature différente (adjectifs, syntagmes prépositionnels, propositions relatives) et ensuite la place de l'adjectif, alors que l'ordre interne des déterminants se trouve traité dans le chapitre sur les fonctions syntaxiques, ce qui me paraît un peu étrange. Rien d'étonnant, au contraire, à ce que le problème de la variation entre le type Le ministre suédois des affaires étrangères et Le ministre des affaires étrangères suédois soit basé sur la monographie de Carlsson {Le degré de cohésion des groupes subst. + de + subst. en français contemporain, Upsala, 1966), qui encore aujourd'hui fait autorité en la matière. Trente-cinq pages sont consacrées à la place (antéposition ou postposition) de l'adjectif, ce qui pourrait paraître démesuré, mais qui ne l'est pas, vu l'abondante documentation d'exemples littéraires et journalistiques qu'on y trouve. Ce qui est particulièrement frappant pour la façon dont a été traité le problème de la place de l'adjectif, c'est le lien étroit avec ce qui a été dit dans le manuel Fransk Grammatik, où l'on trouve par exemple des titres de paragraphe comme «Efterstilling af normalt foranstillede adjektivsyntagmer» et «Foranstilling af normalt efterstillede adjektivsyntagmer»; dans la GF on a utilisé leur traduction en français: «Postposition d'adjectifs normalement antéposés» et «Antéposition d'adjectifs normalement postposés». Aussi les auteurs disent-ils dans la préface du volume V, à propos du manuel Fransk Grammatik, que «coauteurs ou usagers assidus de cet ouvrage, nous ne pouvions manquer d'en être imprégnés et, pour la présentation de certains points, nous nous en sommes largement inspirés» (préface, p. 8).

La plupart des problèmes d'accord ayant été traités ailleurs, le chapitre sur ce sujet ne contient qu'une dizaine de pages avec autant de paragraphes «destinés à servir de rappels ainsi qu'à combler certaines lacunes» (p. 202). La plus grande partie de ces pages a été consacrée à l'accord nominal. Personnellement, mais c'est peut-être parce que je me suis toujours intéressé à la linguistique générale, j'apprécie surtout les remarques préliminaires concernant la question fondamentale de savoir si l'accord est une relation symétrique ou asymétrique et le problème de la relation entre accord, subordination syntaxique et antériorité.

Harald Ulland

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couvre très exactement cent pages, ce qui en soi représente un exploit. Très fourni, très lisible, facile à consulter, c'est un modèle du genre, et il ajoute indiscutablement à la valeur de l'ouvrage tout entier. Il n'en reste pas moins qu'il eût été pratique de pouvoir consulter aussi un index partiel pour chaque tome. Cette remarque vaut également pour la bibliographie générale. On appréciera en revanche les indications bibliographiques qui sont données tout au long de l'ouvrage au fur et à mesure des développements: nombreuses, puisant abondamment - et on ne saurait que s'en féliciter - dans les contributions des linguistes Scandinaves à la description du français, elles sont très précieuses pour qui s'intéresse au sujet traité, et une source d'inspirationconstante pour les chercheurs. Il est dommage cependant que la typographie ne mette pas toujours en valeur ces indications bibliographiques qui se fondent dans la masse du texte. Seules les notes à caractère historiques, introduites par «Dans l'anciennelangue», «Dans la langue classique», «Historiquement», etc., bénéficient en général - mais là non plus, ce n'est pas suffisamment systématique - de petits caractèresqui facilitent la lecture, en structurant le texte.

«La critique est aisée mais l'art est difficile», disait déjà Boileau. A plus forte raison quand il s'agit de rendre compte d'un ouvrage aussi complet, et qui vise à la description de l'ensemble de la langue. Telle qu'elle se présente, il est indéniable que la Grammaire française en cinq volumes de Togeby constitue, comme le disent les auteurs dans la préface du volume I (p. 7), «une synthèse impressionnante de tout ce qu'on pouvait savoir sur la grammaire du français moderne en 1974» - ce à quoi il faut ajouter, pour le volume V, une mise à jour qui tient compte de développements plus récents. Bilan à valeur historique, donc, et fantastique réservoir d'exemples des œuvres littéraires contemporaines de Togeby, il nous reste à souhaiter que l'ouvrage trouve la place qui lui revient dans les bibliothèques et les bibliographies futures.

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