Revue Romane, Bind 27 (1992) 1

Jacqueline Giry-Schneider: Les prédicats nominaux en français. Les phrases simples à verbe support. Langue et Cultures 18. Librairie Droz, Genève-Paris, 1987. 400 p.

Michael Herslund

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Pour l'analyse syntaxique, la fonction de complément d'objet direct (O) est une relation très étroite entre le verbe et un constituant nominal qui le complète et le précise sémantiquement; on peut dire que verbe + O forment ensemble un prédicat syntaxique. Dans cette optique, on comprend que parfois le contenu du prédicat est presque entièrement véhiculé par le O, alors que le verbe est un simple support syntaxique. C'est souvent le cas en français avec les verbes faire et avoir. Avec des noms prédicatifs tels que campagne et contact, p. ex., on peut en effet dire que ces verbes ne servent qu'à «conjuguer» les noms, comme dans les exemples suivants (p. 1):

Le gouvernement fait une campagne contre le tabac.
Luc a des contacts avec l'ennemi.

En passant par des constructions relatives:

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La campagne que le gouvernement fait contre le tabac continue.
Les contacts que Luc a avec l'ennemi sont connus.

les phrases simples à verbe support sont considérées comme les sources NPs
complexes tels que

La campagne du gouververnement contre le tabac continue.
Les contacts de Luc avec l'ennemi sont connus.

Au lieu donc de parler simplement de la valence de ces noms prédicatifs, l'étude porte sur ces NPs en tant que réductions de phrases selon le postulat théorique de base que les noms, en fait toutes les unités lexicales, n'ont pas de sens en eux-mêmes, mais seulement à l'intérieur d'une phrase: l'unité lexicale de base est la phrase simple. Les propriétés syntaxiques des NPs complexes comportant un nom prédicatif (comme dans les exemples cités ci-dessus) peuvent seulement être analysées en termes de relations entre un verbe et une phrase. Il s'agit donc d'abord d'isoler les phrases avec faire N qui peuvent constituer des entrées lexicales.

L'étude en question, qui fait suite aux études antérieures de l'auteur sur le verbe faire (p. ex. «Syntaxe et lexique: un exemple de classe sémantique», Revue Romane IX, 57-58, 1974, et Les constructions du verbe faire. L'opérateur faire dans le lexique. Genève: Droz, 1978) est coulée dans le moule désormais bien connu des études émanant de L.A.D.L.: l'information essentielle est présentée sous forme de tables (p. 255-342), alors que le texte a plutôt le caractère d'une série de commentaires à ces tables, et de ce fait, le texte est quelque peu kaléidoscopique. Il faut dire aussi que j'ai trouvé les abréviations choisies pour désigner les différents types de structures (FN, FNPN, FCPN, etc. (p. 11-13)) selon la préposition et les déterminants souvent ambiguës et, sur le plan mnémonique, impossibles. En voici des exemples: Les musiciens font une pause (FN), Paul fait un pèlerinage à Rome (FNPN), Paul fait du chantage à Luc (FNAN), Ce journal fait une rétrospective de l'année 1983 (FNDN), Julie fait du genre (FC), Paul fait le point des opérations (FCPN), Luc fait la peau à Paul (FCAN).

Même si le sujet de l'étude est surtout l'emploi du verbe faire, il découle de la définition même de verbe support que n'importe quel verbe peut avoir cette fonction: «on ne peut définir isolément un verbe comme verbe support: c'est avec tel ou tel N spécifique qu'un verbe joue ie rôle de Vsup: ainsi, écrire sera verbe support avec N —: lettre, mais pas avec N =: le nom de son père ou N =: des obscénités» (p. 21). De même, il faut tenir compte d'extensions aussi bien aspectuelles (faire - commencer, continuer) que lexicales (faire = commettre). On a donc une construction à verbe support chaque fois que «le poids prédicatif» se localise dans le O. Cette approche tout intuitive est évidemment étayée par une série de critères syntaxiques, comme p. ex. les contraintes sur ce qui peut agir comme sujet par rapport au nom prédicatif O: Marie fait un faux pas vs. *Marie fait le faux pas de Paul (p. 27).

Un des aspects les plus intéressants de cette étude est la discussion de l'analyse de structures complexes, comportant en plus du verbe support et de son O, un complémentprépositionnel: Luc a fait un marché avec Paul. Fst-ce que le complément avec- Paul est un complément du nom un marché ou du verbe, dans le formalisme du L.A.D.L., est-ce qu'on a Nofait (Dét N Prép NO ou Nofait (Dét N) (Prép N{) ? Cette question est abordée à plusieurs reprises (p. ex. p. 45 ss.) et l'auteur conclut à la

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réalité de ce qu'elle appelle la double analyse comme une particularité des verbes
support. Alors qu'on a, avec un verbe support, deux extractions possibles:

Max a eu une entrevue avec Lucie hier.
C'est avec Lucie que Max a eu une entrevue hier.
C'est une entrevue avec Lucie que Max a eue hier.

la même chose ne se vérifie pas avec des verbes ordinaires:

Luc raconte une entrevue avec Lucie.
*C'est avec Lucie que Luc raconte une entrevue.
C'est une entrevue avec Lucie que Luc raconte.

Il semble donc permis de voir dans la structure à verbe support une configuration
syntaxique toute spéciale.

Tout bien considéré, on peut dire que Jacqueline Giry-Schneider fait, avec beaucoup de compétence, un tour d'horizon complet des constructions du verbe faire en tant que verbe support. Et elle a avant tout le mérite d'avoir introduit la notion de verbe support dans la grammaire du français, notion qu'on connaît depuis longtemps p. ex. en grammaire allemande («Funktionsverben»), et d'en avoir donné la première description à grande échelle.

Ecole des Hautes Etudes Commerciales de Copenhague