Revue Romane, Bind 27 (1992) 1

Tristan et Iseut. Les poèmes français. La saga norroise. Textes originaux et intégraux présentés, traduits et commentés par Daniel Lacroix et Philippe Walter. Le Livre de Poche, Lettres Gothiques. Librairie Générale Française, 1989. 667 p.

Jonna Kjær

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Ce volume contenant sept textes tristaniens en ancien français avec des traductions, ainsi que la première traduction jamais parue en français de Saga af Tristram ok Îsônd, fait partie d'une nouvelle collection, Lettres Gothiques, dirigée par Michel Zink. La collection se propose «d'ouvrir au public le plus large un accès à la fois direct, aisé et sûr à la littérature du Moyen Age. «D'autres volumes déjà parus ou devant paraître contiennent La Chanson de la croisade albigeoise. Journal d'un bourgeoisde

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geoisdeParis, Lais de Marie de France, La Chanson de Roland, Le Conte du Grani,
Anthologie de fabliaux erotiques, Le Roman de la Rose, Roman de Thèbes et les
romans de Chrétien de Troyes et la poésie de Villon.

En plus, selon l'annonce de la collection, celle-ci s'adresse aussi aux étudiants, et elle privilégie toujours le texte original «en s'efforçant de répondre à de véritables exigences scientifiques, sans être pour autant d'un accès difficile ou rebutant». Après avoir lu le recueil tristanien, j'estime que la collection réalisera ses objectifs et qu'elle sera bien accueillie par les publics visés.

Lidée même de présenter dans un même recueil plusieurs textes sur Tristan et Iseut n'est pas sans précédent. Déjà en 1974, Jean Charles Payen publia chez Garnier Frères son Tristan et Yseut qui présentait les textes français du Xlle siècle avec des traductions: les romans de Béroul et de Thomas, ainsi que les deux Folies Tristan et Chèvrefeuille de Marie de France. Comme l'on sait (voir par exemple les comptes rendus de Colette Van Coolput dans Le Moyen Age, LXXXIII, 1977, p. 565-66 et de Grâce Armstrong Savage dans Romance Philology, XXXII, 1978-79, p. 122-27), la publication de Payen a suscité quelques réserves, ce qui n'empêche que son initiative fût en soi géniale - et appréciée.

Dans le présent volume, nous retrouvons les mêmes textes, mais complétés par le passage du Donnei des Amants qui raconte l'épisode appelé «Tristan rossignol» et par la Saga, datant tous les deux du XHIe siècle. Linclusion de ces derniers n'exige aucune justification. Il est évident que «Tristan rossignol» fait partie intégrante de la légende et l'intérêt de la Saga en tant que le seul témoin complet de la tradition courtoise est incontestable. Je m'étonne par contre que «Tristan ménestrel», épisode de la Continuation de Perceval par Gerbert de Montreuil (XHIe siècle), ne figure pas dans le recueil et qu'il n'y soit même pas mentionné.

La préface nous offre un brillant exposé sur la «Genèse de la légende» par Philippe Walter, qui a traduit les textes français. A mon avis, Philippe Walter fait bien de mentionner non seulement le texte celtique de «La Poursuite de Diarmaid et Grainne» et le texte persan de «Wis et Ramin», mais aussi les recherches mythologiques actuelles, celles de Georges Dumézil, qui doivent nous inciter à prendre en considération la notion d'un «héritage mythologique commun», probablement indoeuropéen, si nous voulons comprendre l'origine des versions multiples et différentes de la légende tristanienne et de ce «mythe littéraire» qu'elle ne tardera pas à devenir.

Une bibliographie donne les principales éditions qui ont servi à l'établissement du texte en ancien français, mais aucune traduction précédente n'y est mentionnée (contrairement à ce qui est le cas pour la Saga). Cependant, et puisque le recueil est destiné aux étudiants, ceux-ci auraient peut-être intérêt à comparer avec les autres traductions du texte de Béroul, texte très difficile, publiées par Herman Braet (Gand, 1974) et Pierre Jonin (Champion, 1974), respectivement.

Pour me faire une opinion sur les nouvelles traductions des textes français du recueil, j'ai entrepris une comparaison avec une cinquantaine de passages qui m'avaient jadis assez gênée dans le volume de Jean Charles Payen. Le résultat en est clair: les choix de Philippe Walter sont tous proches de l'original et beaucoup plus précis que ceux de Payen qui a tendance à faire des fioritures.

En plus de la traduction excellente des textes français, il est heureux qu'une traductionfrançaise
de la Saga voie enfin le jour, après les traductions allemande (Kolbing.1878).
anglaise (Paul Schaeh 1973) et espagnole (Á Gnnnlaugsdrtttjr, IQ7K).

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traductions qui sont mentionnées dans la bibliographie de Daniel Lacroix, responsablede la traduction de la Saga. Cette bibliographie relative à la Saga renferme aussi quelques études critiques devenues classiques et qui permettront de s'initier au contexte littéraire et culturel nordique. Je propose d'y ajouter les deux titres suivants qui sont plus récents et qui me semblent importants: d'abord le livre de Marianne R. Kalinke, King Arthur North-by-Northwest (Bibliotheca Arnamagnasana, Copenhague, 1981), qui traite de la transmission de la littérature arthurienne en Scandinavie dans son ensemble, puis l'article de M. F. Thomas, «The Briar and the Vine: Tristan goes North» (Arthurian Literature, 111, 1983, p. 53-90), qui compare la Saga a/Tristram ok Isônd, norvégienne (le texte du recueil), avec sa contrepartie islandaise, Tristrams saga og ïsoddar (qui n'est pas mentionnée dans le recueil), et cela dans le contexte global de la transmission européenne (surtout les textes allemands) et nordique (dont Geitarlauf,la traduction de Chèvrefeuille) du Tristan.

Pour amorcer une discussion sur le jugement négatif qu'a porté, malheureusement, Joseph Bédier sur la Saga {Le Roman de Tristan, I-11, Société des Anciens Textes Français, 1902-1905) et qui se fait (encore) sentir dans quelques remarques critiques de l'introduction présentée par Daniel Lacroix, je me permets de renvoyer à mon article: «Tristrams saga ok ísondar - une version christianisée de la branche dite courtoise du 'Tristan'» (Courtly Literature: Culture and Context. Eds. K. Busby and E. Kooper. Amsterdam/Philadelphia, 1990, p. 367-77).

En ce qui concerne l'établissement des textes en ancien français et du texte norrois de la Saga (non reproduit dans le volume) qui ont servi aux traductions, il est impossible de le contrôler, bien que les manuscrits et éditions utilisés soient énumérés dans les introductions. Voici comment s'expliquent les (éditeurs-) traducteurs: «Le texte en ancien français qui a servi de base à notre traduction à été établi grâce aux diverses contributions philologiques (...). Les éditions les plus récentes ainsi que les comptes rendus auxquels elles ont donné lieu...» (Ph. Walter) et, pour la Saga: «La traduction (...) a été faite principalement à partir de l'édition Brynjúlfsson qui donne uniquement le manuscrit AM 543 4°; mais nous adoptons les variantes contenues dans les autres éditions, et surtout dans les fragments sur parchemin, lorsque celles-ci nous ont paru intéressantes. Dans cette entreprise nous avons souvent repris les choix de Paul Schach...» (D. Lacroix).

Il n'y a pas d'apparat critique à proprement parler (variantes, leçons rejetées, références), et la raison en est que l'on a voulu éviter d'«alourdir les volumes» (l'avis de l'éditeur). Acceptons ce choix de principe, et félicitons-nous en revanche des nombreuses notes textuelles qui sont toutes pertinentes et lumineuses. Ce sont d'ailleurs les mêmes qualités que l'on retrouve partout dans ce recueil tristanien si soigneusement travaillé que je recommande donc avec plaisir aux enseignants de littérature médiévale.

Université de Copenhague