Revue Romane, Bind 27 (1992) 1

Diderot : hésitations autour de la promesse (Histoire de Madame de la Carlière)

par

Maryse Laffitte

Dans un certain nombre de ses textes, philosophiques et fictionnels, Diderot s'interroge à la fois sur ce qui régit le comportement des êtres humains et sur ce qui fait lien entre eux, c'est-à-dire sur ce qui peut être considéré comme une attitude morale acceptable. D'après Jacques Scherer, «l'œuvre de Diderot offre, non point une, mais deux doctrines de la moralité: une officielle, exposée surtout à propos de son théâtre, qui se veut vertueux et même professeur de vertu; et une autre, inverse de la précédente, cynique, qui affleure surtout dans les romans et dans les œuvres posthumes. Sa vraie pensée est plus proche de la seconde doctrine, mais la première même est originale et diffère, sur des points essentiels, des banalités que transmettent l'enseignement et la prédication» (Le Cardinal et l'Orang-outang. Essai sur les inversions et les distances dans la pensée de Diderot, SEDES, 1972, p. 88-89). Je ne m'attacherai pas, dans le cadre de cet article, à la doctrine de la moralité «officielle» présentée par Diderot dans son théâtre. Je ne m'occuperai que du petit texte, intitulé Histoire de Madame de la Carlière, qui n'est pas un roman, mais un récit, présenté sous forme de dialogue entre l'auteurnarrateur et un ami. Ce texte, qui date de 1772, mais qui ne fut publié qu'en 1798, après la mort de Diderot - Diderot est mort en 1784 -, dans la première édition des œuvres complètes de Diderot, entre donc dans le cadre des oeuvres posthumes qu'évoque Jacques Scherer. Nous allons tenter de voir si la réponse que Diderot apporte au problème moral qu'il soulève dans ce texte relève du cynisme ou d'autre chose.

Les œuvres romanesques ou posthumes de Diderot contiennent entre
autres - et c'est le cas de Y Histoire de Madame de la Carlière - un noyau de
réflexion qui s'est constitué autour de la problématique de la promesse, et en

Side 91

particulier autour de la promesse amoureuse et de la promesse de fidélité
erotique.

Il nous a semblé intéressant de réfléchir à la manière dont ce philosophe
matérialiste pose le problème de la relation intersubjective et le problème de
la relation au futur que soulève la promesse.

Sur l'inconséquence du jugement public

L'Histoire de Madame de la Cartière est un récit qui laisse perplexe, de prime abord, car il semble se dérouler sur deux registres différents dont le rapport n'est pas présenté de manière explicite. Ce récit évoque en premier lieu l'histoire du chevalier Desroches. C'est elle qui a inspiré à Naigeon, l'ami de Diderot, qui a publié les œuvres complètes de ce dernier, le titre qu'il a probablement attribué au texte et sous lequel cet écrit a été publié, à savoir Sur l'lnconséquence du Jugement public de nos actions particulières. En effet, le chevalier Desroches «est une des plus malheureuses victimes des caprices du sort et des jugements inconsidérés des hommes» (Diderot, Œuvres Romanesques, Garnier, 1962, p. 814). Il est tenu à l'écart par tous et accusé de fautes dont il n'est pas coupable, affirme le narrateur. Il mène une vie triste et solitaire, et passe pour un fou instable «qui a subi toutes sortes de métamorphoses, et qu'on a vu successivement en petit collet, en robe de palais, et en uniforme» (ibid.). Effectivement, Desroches a fait partie de l'Eglise, de la magistrature et de l'armée, pourtant ces changements d'état ne sont pas le fruit d'une instabilité caractérielle mais de circonstances précises, que le narrateur va porter à la connaissance de son interlocuteur et du lecteur, pour corriger les bruits que l'opinion publique, qui juge sans connaître le fond des choses, a fait courir sur le malheureux chevalier. Le narrateur se propose donc, pour s'opposer à ces abus, de raconter la véritable histoire de Desroches, qui recoupe en partie celle de Madame de la Carlière.

L'histoire du chevalier Desroches soulève la question au jugement public. L'histoire de Madame de la Carlière introduit un second registre, celui de la promesse, dont nous essaierons de comprendre précisément la nature ultérieurement. Cette histoire évoque le destin d'une jeune veuve à qui son premier mariage avec un homme âgé et tyrannique a laissé des souvenirs suffisamment désagréables pour qu'elle hésite longuement avant de se remarier. Madame de la Carlière finit par accepter d'épouser en secondes noces le chevalier Desroches, qu'elle avait accueilli et soigné alors qu'il était blessé, chevalier qui jouit d'une réputation galante propre à inquiéter Madame de la Carlière. Avant de s'engager tout à fait, la veille du mariage, elle le prie, devant un groupe d'amis pris à témoins, de bien vouloir réfléchir avant de renoncer à sa liberté et de ne lui prêter serment de fidélité que s'il est tout à fait sûr d'être capable de lui être absolument fidèle.

Side 92

Si vous vous sentez ce même penchant à l'inconstance qui vous a dominé jusqu'à présent; si je ne suffisais pas à toute l'étendue de vos désirs, ne vous engagez pas; je vous en conjure par vous-même et par moi. Songez que moins je me crois faite pour être négligée, plus je ressentirais vivement une injure. J'ai de la vanité, et beaucoup. Je ne sais pas haïr; mais personne ne sait mieux mépriser, et je ne reviens point du mépris. (...); songez qu 'il y va de ma vie. (Op. cit., p. 818. C'est moi qui souligne)

Madame de la Carlière ne badine ni avec l'amour ni avec le mariage et pour elle, la promesse de fidélité incluse dans le rituel religieux du mariage n'est pas un simple contrat que l'on peut éventuellement résilier au gré de son caprice, mais une promesse intériorisée et définitive. Elle attend en outre de l'homme qu'elle aime une réciprocité sans faille dans la constance. Elle en avertit clairement le chevalier Desroches qui prête serment de fidélité et s'engage à ne plus jamais regarder d'autre femme que la sienne, sous peine d'être rejeté de manière irrévocable et d'entraîner la perte de celle qu'il a épousée. Il s'engage en fait à la légère, puisqu'il ne saisit pas le sérieux de la parole donnée et la part de menace que contient le discours de sa future épouse. Desroches, en effet, ne tiendra pas sa promesse et il trompera son épouse, c'est-à-dire qu'il aura une liaison assez espacée, pendant que sa femme allaite leur enfant, avec une femme influente qu'il était important, d'après le narrateur, «d'obliger», pour favoriser les affaires d'un ami de Desroches. (Diderot accorde donc deux excuses à son personnage: son épouse n'était pas disponible et il a rendu service à un ami.) Cette trahison sera découverte et entraînera les conséquences annoncées par Madame de la Carlière, à savoir le silence, la retraite et la mort. Elle se montrera inflexible devant Desroches, en dépit de sa propre souffrance et de celle de l'infidèle.

Une des questions qui se pose au lecteur est celle de savoir pourquoi Madame de la Carlière refuse jusqu'au bout de se laisser fléchir, comme le lui recommandent ses amis, après qu'elle a découvert la trahison de son époux, et pourquoi elle préfère s'enfermer, jusqu'à ce que mort s'ensuive, dans la solitude et la souffrance, plutôt que d'accorder à un époux pourtant repentant un pardon qui leur aurait peut-être évité à tous deux beaucoup d'affliction? Qu'y a-t-il dans la promesse en général, et dans la promesse de fidélité erotique en particulier, qui puisse engendrer un tel jusqu'au-boutisme? Car c'est bien cet extrémisme en matière d'engagement amoureux que Diderot blâme.

La question qui se pose en outre à la lecture de ce conte est celle qui porte sur la cohérence des deux registres abordés par Diderot dans son récit. Quel rapport y a-t-il en effet entre l'inconséquence de l'opinion publique, qui se permet de mal juger Desroches, alors qu'elle ne connaît pas son histoire véridique, et le problème de la promesse de fidélité conjugale, exigée par

Side 93

Mme de la Carlière, et dont la rupture aura les conséquences que l'on sait pour les deux personnages? Il y a bien sûr un rapport narratif évident, puisqueDesroches a été cet époux infidèle qui porte la responsabilité de la mort de Madame de la Carlière. Mais quel rapport sémantique et philosophique peut-il bien y avoir entre l'absence de bien fondé des jugements émis par l'opinion publique, jugements qui sont le fruit d'apparences tronquées, et l'interrogation sur la légitimité d'une promesse de fidélité conjugale prise au pied de la lettre? Nous tenterons en fait de répondre tout d'abord à la seconde question pour pouvoir répondre ensuite à la première.

Promesse et futur

La notion même de promesse est un phénomène étrange, dans le mesure où la promesse est un engagement sur un futur qui n'existe pas et par conséquent sur lequel il est difficile de se prononcer. On pourrait dire que la promesse est un problème métaphysique, au sens aristotélicien, c'est-à-dire relevant d'un discours sur le registre physique observable et catégorisable. En effet, Aristote constatait déjà, dans De interpretatione, la bizarrerie du jugement portant sur le futur, dans la mesure où il n'y a pas d'existence dans le futur, donc pas de forme déterminable par anticipation. Le sujet seul ne peut anticiper une réalité à venir, puisqu'il est nécessairement soumis à la nature, c'est-à-dire à un arbitraire qui s'exprimera sous forme d'obstacles imprévisibles d'importance variable: accidents, catastrophes, mort... Le futur, ce qui arrivera, est par conséquent l'œuvre d'une rencontre entre le sujet et la nature, il suppose la jonction d'un vouloir - celui du sujet - et d'un pouvoir - permis par la nature.

Si l'on s'en tient à ces remarques, on peut rapidement conclure que la promesse, en théorie générale, est un acte absurde, puisqu'on prétend pouvoirs'engager à ne jamais changer de «vouloir», que le futur sur lequel on s'engage n'existe pas et que, par conséquent, d'un point de vue présent, il est invérifiable. Si promettre, c'est engager la nature, il faudrait en effet être tout puissant pour faire une promesse. Pourtant, toute l'activité qui existe entre les sujets humains est fondée sur la notion de promesse: prendre un simple rendez-vous, c'est faire et exiger une promesse, dans la mesure où l'on supposeque l'on sera en état de se rendre sur tel lieu, à telle heure, dans un certain nombre d'heures ou de jours, et que la personne avec laquelle on a pris rendez-vous aura la possibilité de respecter un engagement parallèle. Inviter des amis à dîner, signer un contrat sont autant de promesses. Aucun rapport entre les sujets humains ne semble pensable sans l'existence et la pratique de la promesse, c'est-à-dire sans \anticipation d'actes projetés dans l'avenir, qui lient les sujets. Peut-on concevoir un seul instant de ne penser que le moment présent? Cela supposerait ou bien que le temps s'arrête ou bien que les sujets échappent à son emprise Sans doute cela est-il un vieux

Side 94

rêve humain qui nourrit toujours la littérature fantastique et la littérature de science fiction, mais dans l'existence en proie au temps, la pratique de la promesse semble inévitable. La pragmatique de tradition anglo-saxonne (Austin, Searle) constate bel et bien l'existence de promesses, leur présence dans le discours intersubjectif et social, le rôle qu'elles y jouent et leur efficacité.L'étude des actes de langage qui s'est développée depuis une vingtaine d'années prend la promesse en considération, étudie ses effets de sens, et il semble peu réaliste d'affirmer que toute promesse, puisqu'elle définit un futur qui n'existe pas, est intenable.

Le problème paraît toutefois tellement paradoxal qu'il donne l'impression d'être insoluble. Et c'est sans doute cet aspect paradoxal de la promesse qui a frappé Diderot, puisqu'il insiste sur son caractère volontariste, en percevant toutefois l'impossibilité de relations humaines sans aucune forme d'engagement. Mais il lui est impossible de trancher dans un sens ou dans un autre, à savoir dans le sens de la spontanéité totale et solitaire ou dans celui d'une contrainte inter-subjective engendrée par la promesse. Car la promesse est en partie une contrainte, ce que Madame de la Carlière a parfaitement

Je suis, je crois [déclare-t-elle à Desroches], l'unique pour vous en ce moment; et vous l'êtes certainement pour moi; mais il est très possible que nous rencontrions, vous une femme qui soit plus aimable, moi quelqu'un qui me le paraisse. Si la supériorité de mérite, réelle ou présumée, justifiait l'inconstance, il n'y aurait plus de mœurs. J'ai des mœurs; je veux en avoir, je veux que vous en ayez. C'est par tous les sacrifices imaginables, que je prétends vous acquérir sans réserve. Voilà mes droits, voilà mes titres; et je n'en rabattrai jamais rien. (Op. cit., p. 819. C'est moi qui souligne)

La constance, affirme Madame de la Carlière, est un choix que l'on fait librement et auquel on se tient par la volonté. Il y a un ton cornélien chez cette femme, une affirmation de maîtrise du sentiment dont le caractère péremptoire s'oppose radicalement au culte de la spontanéité passionnelle en vigueur au XVIIIe siècle. Et Diderot rend ici l'exigence de promesse absurde, en la radicalisant jusqu'à l'absolu (il met en scène la logique du tout ou rien), sans autre argument que celui des «mœurs», c'est-à-dire le renvoi au conformisme religieux et moral de l'époque. Le commentaire de Diderot à ce qu'il considère comme une prétention exorbitante - puisqu'il s'arrange pour nous la présenter comme une contrainte sans nuances imposée à Desroches - est à trouver dans les lignes qui ouvrent à la fois Sur l'lnconséquence du Jugement public et le Supplément au voyage de Bougainville. Ces deux textes ont souvent été mis en relation, à commencer par Diderot qui évoque les personnages de Madame de la Carlière à la fin du Supplément, et ce rapprochement est d'ailleurs évident. Le Supplément au voyage de Bougainville(1772;

Side 95

ville(1772;édition posthume 1796) est un «conte de fées philosophique» (Norman Hampson: Histoire de la pensée européenne, Le siècle des Lumières, trad. française, Ed. du Seuil, 1972, p. 178). Diderot se sert dans ce texte du récit que l'explorateur Bougainville avait fait de son voyage à Tahiti, entre autres, de 1766 à 1769. D'abord enthousiasmé par la liberté des mœurs de ce qu'il avait appelé «le Jardin d'Eden», Bougainville avait ensuite modéré son enthousiasme. Mais les coutumes locales d'hospitalité sexuelle firent rêver les Européens, et Diderot présente Tahiti, dans son texte, «comme un paradisterrestre, précisément parce qu'il était plus proche de la nature que l'Europe contemporaine, en ce sens que la pratique sociale reflétait des instincts humains primordiaux plutôt que des conventions artificielles» (NormanHampson, loc. cit.). D'autre part, Le Supplément, qui s'ouvre et se clôt sur des considérations météorologiques, se présente comme la suite naturelle de Y Histoire de Madame de la Carlière, qui reprend ces mêmes considérationsdans son introduction. Ces passages essentiels, consacrés à Vautorégulationspontanée des menaces atmosphériques - ciel couvert, qui après avoir libéré l'humidité dont il est chargé, fait spontanément place à un ciel dégagé et étoile - contiennent en réalité toute la contre-argumentation philosophiqueque Diderot oppose à la logique de la promesse.

Météorologie versus promesse

La météorologie est l'étude scientifique des phénomènes atmosphériques dont la prévisibilité n'affecte qu'un futur relativement proche. On peut prévoirle temps qu'il fera pour les heures ou pour les jours à venir. Le pouvoir de prévision de la météorologie ne dépasse guère une semaine. Pourtant, une certitude s'impose toujours aux victimes de deux pluvieux, c'est que le beau temps succède immanquablement, à un moment ou à un autre, à la pluie. Il faut savoir attendre les effets de cette autorégulation naturelle, qui fonctionneranécessairement, puisqu'elle met en jeu des processus harmonieux, organisésdans le temps, qui s'équilibrent sans aucune intervention extérieure, et dont le déroulement porte en soi une promesse absolue de changement. Le narrateur promet effectivement à son interlocuteur, au début des deux textes, que le ciel chargé de nuées ou couvert de brouillard s'éclaircira de lui-même, et il constate, à la fin de ces mêmes textes, que «sa» promesse de beau temps a été tenue. Le narrateur ne se limite pas à une affirmation de bon sens paysan et décrit scientifiquement le processus d'évaporation de l'humidité accumulée au-dessus de lui, c'est-à-dire la manière dont Virrégularité naturellede l'atmosphère se résoud spontanément en régularité. L'attente, dont le bien-fondé a été expliqué et prouvé, a porté ses fruits: en laissant faire la nature, c'est-à-dire certains processus physiques qui comportent une logique propre, l'harmonie se réinstalle. Il y a dans la nature, semble dire Diderot,

Side 96

une raison, qui suppose la variabilité et la fluctuation comme facteurs de
stabilité.

Mais quel rapport la météorologie a-t-elle avec la promesse de fidélité conjugale? Diderot fournit lui-même la réponse au lecteur en introduisant, à la fin du Supplément, un petit commentaire sur les femmes qui feraient obstacle aux projets des hommes et qui nieraient la réalité des faits, femmes qui sont en large partie responsables de l'hypocrisie sociale, suggère Diderot, puisqu'elles soutiennent les mœurs prônées par l'Eglise. A cette hypocrisie qui règne en Occident, Diderot oppose les arguments développés dans le Supplément par Orou, le Tahitien, devant l'aumônier français. Ce sont l'abstinence des prêtres et l'exigence de fidélité conjugale qui, par leur caractère contre-nature, engendrent la dépravation des mœurs. En revanche, les mœurs raisonnables des Tahitiens, fondées sur la spontanéité d'un désir sexuel polygame, garantirait la transparence des rapports humains... et l'efficacité de la reproduction de l'espèce. (Je ne m'étendrai ici ni sur l'eugénisme implicite que contiennent les propositions de Diderot, ni sur le sous-entendu d'hygiène raciale que renferme le culte du primitif ethnique, ni enfin sur le principe hautement pragmatique d'efficacité que le philosophe matérialiste place avant toute autre chose - je reviendrai sur ce dernier point.) Pour résumer le rapport d'opposition qu'établit Diderot entre météorologie et promesse de fidélité conjugale, il suffit de se reporter au sous-titre du Supplément, à savoir «Sur l'inconvénient d'attacher des idées morales à certaines actions physiques qui n'en comportent pas». Le propos est explicite. Les «actions physiques» dont il est question ne sont que physiques, c'est-à-dire qu'elles ont leur propre logique «météorologique», comparable à celle de l'atmosphère, dont la charge en humidité finit par se résorber (!) et que, par conséquent, il est non seulement inutile mais dangereux de les soumettre à une intervention extérieure sous forme de règles, de contraintes, de contrats, de promesses, tels que l'Eglise, entre autres, les a instaurés et tels que certaines femmes les exigent.

Le conte de Madame de la Carlière précède le Supplément et blâme sans ambiguïté le comportement de cette femme intransigeante, qui a exigé une promesse «intenable» de son futur époux comme fondement de leur union et qui a préféré renoncer à son mariage, ruiner sa vie et celle de son mari plutôt que de considérer «certaines actions physiques» pour ce qu'elles sont, à savoir des états qui, à l'instar de ceux du ciel, sont habités par une dynamique «passionnelle», supposant la mobilité et le changement. La promesse que Madame de la Carlière «arrache» à son futur époux a donc, d'après Diderot, une charge totalement destructrice, dans la mesure où cette promesse porte sur le registre purement sexuel et que le sexe ne peut faire l'objet d'une promesse: il est une énergie pure, incontrôlable, dont le libre exercice est une garantie d'équilibre entre les sujets humains.

Side 97

Le sens de la promesse

Nous en revenons au constat que nous avons déjà fait: la promesse semble formellement intenable - et pour Diderot, quand elle porte sur le registre erotique, elle l'est réellement. Pourtant, elle est présente dans toutes les relations humaines et sociales. (Cf. entre autres à ce sujet Qu'est-ce qu'une promesse?, Actes du colloque tenu à l'Université Paris VII les 11 et 12 mai 1990; Poetica et Analytica, Supplément 1, Aarhus University Press, 1991.) Quel est donc d'une part le sens ou le non-sens de la promesse? Pourquoi d'autre part les êtres humains, en dépit des difficultés que pose le fait de promettre, semblent-ils ne pas pouvoir s'abstenir de faire des promesses?

On peut dire que la référence de la promesse porte tout d'abord sur un croire, puis sur Y objet de ce croire, et enfin sur la durée de ce croire, car le contenu de la promesse devra être évalué (cf. à ce sujet l'analyse proposée par Per Aage Brandt, «Pour une sémiotique de la promesse. Quelques réflexions théoriques», in: Qu'est-ce qu'une promesse?, p. 19-48).

Il s'agit en effet de croire que quelque chose est possible, c'est-à-dire envisageable comme futur. Ce futur est perçu comme une projection du présent, comme un présent qui serait transporté dans un avenir offrant des points de similitude avec le moment dans lequel la promesse est faite. Il est, nous l'avons mentionné, l'expression d'un vouloir. Ce vouloir peut toutefois se heurter, dans sa réalisation, à des forces naturelles objectives. Est-ce à dire que toute promesse est impossible ? Le fait qu'une personne qui a pris un rendez-vous le rate parce qu'elle s'est laissé distraire par une occupation plus agréable ou parce qu'elle a perdu le désir de voir la personne impliquée par cet engagement, n'offre pas les mêmes caractéristiques qu'une situation dans laquelle la même personne ne respecte pas son rendez-vous parce que le train qu'elle a emprunté a du retard ou bien parce qu'elle s'est fait renverser par une voiture. Il est donc nécessaire d'introduire, dans le champ de la promesse, des catégories qui permettent de séparer les types de forces naturelles qui peuvent intervenir et amener à rompre, à juste titre ou non, une promesse, c'est-à-dire les catégories de forces majeures et de forces mineures.

Dans le cas des forces mineures, il est possible de promettre, c'est-à-dire de croire qu'un futur possible, projeté dans un temps qui n'existe pas encore, suivra un présent possible et qu'il sera possible de respecter le contenu des décisions subjectives annoncées par la promesse (le possible suppose un équilibre entre une promesse et des forces mineures impliquées). Les raisons de convenance personnelle qui amènent à ne pas respecter un engagement pris relèvent bien évidemment de cette catégorie. On pourrait par conséquentaffirmer que les forces mineures qui entraînent une rupture de promessene

Side 98

messenesont pas des forces naturelles suffisamment puissantes pour justifier
une rupture de promesse.

En revanche, les cas de force majeure mettent en cause des raisons impératives de rupture de promesse, c'est-à-dire, tout d'abord, des événements tels que les retards de transports, les accidents, la mort, c'est-à-dire toutes les situations dans lesquelles le sujet prometteur est physiquement empêché de tenir sa promesse. Ce sont, bien évidemment, les cas les plus simples. Les situations dans lesquelles le sujet prometteur est moralement contraint de rompre une promesse sont beaucoup plus complexes et entraînent nécessairement une casuistique juridique et morale qui prenne en considération les règles et les normes d'une société.

En ce qui concerne la promesse d'amour, nous sommes dans un registre particulier. En effet, la promesse générale porte sur un don futur conçu comme don délimité dans le temps - à ce titre, on peut dire que la promesse s'inscrit également dans la logique du don que j'ai évoquée, à la suite de Michel Serres (voir «Le don de Dom Juan ou la naissance de la comédie», Critique, 250,1968) à propos de la déception provoquée par le personnage de Don Juan dans la pièce de Molière (voir «Promesse et déception dans le Dom Juan de Molière», in: Qu'est-ce qu'une promesse?, p. 101-117): elle est en effet un don de soi dans le temps, un don anticipé de temps qui appelle et suppose une réponse, un autre don en échange et elle fait surgir par là même un lien entre les sujets. Le contenu d'une promesse («je te promets que je ferai ceci dans une semaine, trois mois...») pourra être ainsi évalué, car il sera réalisé - ou non -, puis jugé ou du moins apprécié par rapport à ce que la promesse annonçait (cela pourrait expliquer en partie le caractère souvent déceptif des promesses politiques, destinées nécessairement à être évaluées, et dans un laps de temps très bref...). Dans la mesure où la promesse est un don, dans le présent, de temps futur, elle suppose la succession de trois temps sur le plan linguistique. Ces trois temps sont les suivants: le futur, celui de l'énonciation («je promets que je ferai»), le présent, celui de la réalisation («je fais ce que j'ai promis») et le futur antérieur, celui de l'évaluation (ce qu'on aura promis, sera évalué). En revanche, la promesse d'amour est un don illimité dans le temps, un don qui n'a pas de fin et qui, par là même, ne peut être évalué. Il est réalisé, mais dans la mesure où sa réalisation est continuelle et répétitive, il échappe indéfiniment au futur antérieur, sauf en cas de rupture. La promesse d'amour, contrairement à toutes les autres promesses, n'a pas de terme. Il est impossible de dire à quelqu'un, en espérantune évaluation positive, par exemple: «Je te promets de t'aimer cinq ans. Ainsi, j'aurai tenu ma promesse d'amour». Cela n'a pas de sens. (C'est pourtantce que fait la tante Julia, devant son jeune neveu qu'elle hésite à aimer et à épouser, dans le roman de Vargas Llosa, La tia Julia y el escribidor. Sa proposition n'a aucun succès!) Et si la promesse d'amour est rompue, la

Side 99

rupture signale un échec de cette promesse et suscite par conséquent une évaluation négative. La projection sans terme de la promesse d'amour ne permet donc qu'une évaluation hors du temps, à laquelle on ne peut se livrer qu'après la mort de l'un des amants, puisque la mort sépare nécessairement. Encore que... Dans certaines versions du mythe de Tristan et Iseult, on laisse entendre que les amants continuent de s'aimer au-delà de la mort, dans l'éternité, puisque leurs tombes sont réunies par une ronce ou protégées par les ramures d'un chêne. Leur promesse d'amour ne sera donc jamais évaluée. La phénoménologie particulière de la promesse d'amour est en effet celle d'un futur ouvert, non delimitatile et par là inaccessible à l'appréciation, sauf en cas d'échec.

On «comprend» mieux ainsi, peut-être, le comportement de Madame de la Carlière, que Diderot veut pourtant nous présenter comme une «hautaine bégueule». Elle interprète la promesse d'amour que lui a faite le chevalier au pied de la lettre, c'est-à-dire qu'elle lui donne son sens strict de promesse éternelle. En effet, une promesse d'amour qui ne porterait pas sur l'éternité n'aurait aucune raison d'exister. Quand elle constate la rupture de cette promesse, elle choisit de manière très conséquente de rentrer seule dans l'éternité, c'est-à-dire de se laisser mourir. On pourrait ainsi lui reprocher son manque d'indulgence, mais certainement pas sa mauvaise interprétation de la promesse. Ce sur quoi Diderot ne se méprend nullement d'ailleurs, puisqu'il oppose à l'existence même de la promesse d'amour la «liberté» de mœurs des Tahitiens. Diderot semble croire - ou affecte de croire - que la sexualité est une simple énergie matérielle libre, circulant sans entraves entre les sujets et qu'elle n'a pas besoin de répondre à des règles... excepté celles d'une saine reproduction de l'espèce, ce qui lui fait accepter comme allant de soi, dans le Supplément, le fait que toutes les personnes frappées de stérilité, par exemple, soient exclues du commerce erotique. Mais cela ne lui semble apparemment pas relever de la règle ou de la contrainte... (alors que l'on sait que dans toutes les cultures, la sexualité fait l'objet d'interdits très stricts et de ritualisations, fondés sur une vision religieuse du monde, qui délimite un champ de possibles). En voulant échapper à la logique de la promesse d'amour, Diderot tombe dans la logique de la finalité, qui fonctionne elle aussi comme une promesse, une promesse totalisante et utilitariste, qui exclut les nuances et le possible. Il oppose une religion de la sexualité, comme promesse implicite collective de race saine et de rapports sociaux harmonieux et transparents à une religion de l'amour, fondée sur un lien symbolique privé et un don de soi dans un temps illimité.

Side 100

Le jugement public

C'est au nom de cette critique de la promesse d'amour que Diderot, le philosophe-narrateur qui sait voir l'être des choses derrière leur paraître, prend la défense de Desroches, dénonce l'inconséquence du jugement public - qui ne se fie qu'aux apparences -, et prétend rétablir la vérité des faits. Peu importe, en effet, que Desroches ait fait ou non une promesse, tout cela n'est que formalisme artificiel, nous dit Diderot. En revanche, ce qui est essentiel, c'est la réalité locale, détaillée de la promesse, les circonstances dans lesquelles cette promesse a été faite, les événements qui entourent sa rupture et qui excusent et même justifient la faiblesse de Desroches (cette promesse lui a été extorquée en public et s'il y a manqué, il avait de bonnes raisons). La réalité globale, intentionnelle de l'acte de langage qu'est la promesse, réalité quine tient pas compte des détails, sauf en cas de force majeure, est frappée d'insignifiance, au nom, précisément, de l'importance accordée aux particularités de chaque situation. Pour le matérialiste déterministe qu'est Diderot, en effet, la seule forme vraie de l'acte surgit des détails qui le composent et cela, contre sa forme «formelle» et verbale. Je m'explique. Sur quoi repose le jugement public? Sur ce que voit le public, bien entendu. Un acte a donc d'une part une forme visible, et le sujet de cette vision est le public, et d'autre part une finalité cachée au public, mais révélée au philosophe. Mais le sujet de l'acte, celui qui commet cet acte, assume à la fois sa forme visible et sa finalité cachée. Nous sommes donc dans un registre éthique - celui de la cohérence entre la forme d'un acte et sa finalité -, et même dans un registre doublement éthique, celui de la cohérence entre l'acte lui-même et sa finalité. Un conflit est en effet possible entre l'acte et sa finalité, dans la mesure où l'acte peut nuire à la finalité et la finalité peut exiger un acte contraire à ce que l'on assume. En d'autres termes, les moyens sont-ils suffisants pour arriver à une fin ou inversement la fin justifie-t-elle les moyens? C'est une question bien connue.

Dans le cas de la promesse, nous avons affaire à un don initial de soi dans le temps, à un don de soi et de temps, donc à un bien initial immanent. Mais pour Diderot, qui opère à partir d'une logique finaliste - on fait quelque chose pour arriver à autre chose, pour obtenir quelque chose et il n'y a pas de lien éthique entre l'acte initial et sa finalité, puisque ce qui compte, c'est uniquement le résultat -, le bien initial ne garantit pas le bien final et peut même l'empêcher. Dans le cas de Madame de la Carlière, il est évident que Diderot considère qu'elle a tout gâché: il suffit de constater les conséquences qu'a entraînées son comportement... Cela signifie que Diderot ne veut pas assumer d'isoler la promesse comme catégorie éthique, comme point de départ éthique qui engage le contenu d'un acte de manière préalable.

Side 101

Le jugement public que critique Diderot se situe donc du côté de Y éthique et du paraître, c'est-à-dire du côté de la non-finalité, de ce qui est hors du temps et du détail des circonstances, alors que le philosophe, qui veut révéler la vérité des faits, se situe du côté des fins et de Y être, c'est-à-dire du côté de la finalité et du temps.

Mais le temps n'est pas unitaire. Il existe un temps réel, physique, qui dépend de la multiplicité du monde (les saisons, les temps de transport, etc.). Et il existe aussi un temps subjectif, intentionnel, qui projette une intention dans le futur (tout ce qui relève du pro-jet et de la pro-messe). En outre, il existe également deux futurs: d'une part un futur dont le contenu est représentépar les effets physiques; d'autre part, un futur dont les effets relèvent de l'intentionnalité et qui font l'objet d'une évaluation. Face à ces deux futurs, on peut, comme le fait Diderot, voir l'acte comme quelque chose qui précède simplement l'effet, sans lien significatif entre l'acte et l'effet, sans intentionnalité, ou bien on peut, comme le fait Madame de la Carlière, considérerque l'acte a son propre futur formel à côté du futur réel, c'est-à-dire que tout acte, en raison de son futur formel, peut influencer le futur réel. Pour Diderot, qui sépare futur formel et futur réel, Madame de la Carlière est, comme je l'ai déjà indiqué, une «hautaine bégueule»: en effet, son mari continuant de l'aimer - futur réel - bien qu'il ait rompu sa promesse de fidélité - futur formel -, elle n'avait aucune raison de faire tant d'histoires. Diderot ne veut tenir compte que du temps réel, dans lequel n'intervient pas la catégorisation des forces naturelles en forces mineures et forces majeures. Il assigne de plus le temps subjectif et intentionnel à la féminité, puisque ce sont les femmes, affirme-t-il, qui se situent du côté des règles et des contraintesen amour; il oublie là un peu vite sans doute qu'aucun rapport social ou intersubjectif n'existe sans règle et sans contrainte. En refusant de constater qu'il existe une interaction entre futur formel et futur réel, Diderot ne perçoit pas que, dans le cas de la promesse qui nous occupe aujourd'hui, la pratique - réelle - de la promesse crée autant la réalité - par la volonté de respecter ses engagements - qu'elle n'est créée par elle. Madame de la Carlière entend faire surgir une réalité précise de sa volonté de fidélité, là où Desroches se laisse porter par les événements. La faiblesse de ce dernier est-elle due à des forces mineures ou à des forces majeures? Pouvait-il refuser la liaison qu'il avait entamée ou bien était-il, à son corps défendant, contraint de l'accepter? Diderot tranche, au nom de la contrainte exercée sur un homme jeune et fougueux par la sexualité: Desroches n'était pas responsable. D'ailleurs il voulait rendre service à un ami... Diderot hésite entre la justification biologisanteet la justification sociale. Mais qui est responsable de la rupture de cette promesse? Personne ne serait responsable alors, puisque Diderot ne veut pas entrer dans la logique de la promesse, si ce n'est bien sûr Madame

Side 102

de la Carlière, dans la mesure où elle a exigé cette stupide promesse de
fidélité...

Cette réponse du philosophe et les circonstances atténuantes qu'il s'applique à reconnaître à Desroches révèle malgré tout un malaise. Diderot soulève à plusieurs reprises le problème de la promesse implicite et explicite que contiennent l'amitié et la relation amoureuse dans ses derniers écrits. Mais il ne parvient qu'à incriminer la promesse elle-même ou à proposer des solutions improvisées qui relèvent d'une casuistique opportuniste. En effet, penser au problème de la promesse en général, sans distinguer les forces majeures et les forces mineures, le temps formel et le temps réel, ne permet d'apporter que des réponses arbitraires et subjectives au problème. La promesse de fidélité amoureuse ne paraît pas sérieuse à Diderot, puisque par nature la sexualité et le sentiment sont volatils. Alors pourquoi en tenir compte? Pourtant, dans le récit intitulé Ceci n 'est pas un conte, en revanche, il stigmatise la brutalité morale d'un homme, Gardeil, qui, du jour au lendemain, met à la porte une femme qu'il a cessé d'aimer. Dans ce dernier cas, Diderot semble supposer qu'il existe au moins une promesse implicite de compassion élémentaire entre deux personnes qui se sont aimées. Mais à quel titre, serions-nous en droit de lui demander, puisqu'il soutient ailleurs que le sentiment est instable? C'est là en effet l'enjeu fondamental de la catégorisation des promesses, à savoir échapper au flou des appréciations. Une force mineure serait une force contre laquelle on dispose de stratégies efficaces: normes - croyance dans la valeur de l'engagement pris comme lien privilégié, par exemple - , présupposés narratifs. Mais dans le domaine de l'érotisme, Diderot semble vouloir éviter de réfléchir aux conditions de sens qui entourent la problématique de la promesse. Comment, en effet, faire coïncider les intérêts affectifs et matériels de différents individus sans rédiger le futur à partir du présent, c'est-à-dire sans lui donner une forme préalable définie entre autres par la promesse? Promesse qui, pour avoir un sens, ne peut être soumise à une casuistique subjective d'appréciation.

Dans ce XVIIIe siècle qui a voulu réhabiliter les passions, Diderot a tenté à la fois de penser une morale «naturelle», qui ne soit pas le résultat de règles et de contraintes imposées de l'extérieur - par l'Eglise, par la société - et il a essayé de délimiter un terrain de liberté totale pour le sujet, oubliant que tout registre humain, qu'il soit affectif ou sexuel, est nécessairement un registre intersubjectif. Je ne dirais donc pas, comme Jacques Scherer, que Diderot présente une doctrine de la moralité cynique dans ses derniers écrits - le cynisme comporte une part systématique de provocation que ne possède pas Diderot -, mais que, prisonnier de son idéologie finaliste, il ne parvient pas à penser les problèmes qu'il soulève en termes de catégories, en particuliercelui de la promesse, et s'abandonne alors à un pragmatisme casuistique. Il est vrai que, dans un autre texte, à un autre moment, Madame de la

Side 103

Carlière aurait pu se montrer plus indulgente. Mais elle avait formellement
raison.

Maryse Laffitte

Université de Copenhague

Résumé

Dans ses œuvres posthumes, en particulier dans l'Histoire de Madame de la Carlière, également intitulée Sur l'lnconséquence du Jugement public de nos actions particulières, Diderot tente de défendre l'idée d'une morale qui ne serait pas le résultat de règles et de contraintes imposées par l'Eglise et la société ou de promesses exigées par les femmes, mais une morale naturelle, en particulier dans le domaine erotique, fondée sur la libre circulation d'une énergie sexuelle qui ne saurait subir d'entraves. Madame de la Carlière a exigé de son époux, le chevalier Desroches, une promesse de fidélité absolue, qui aura des conséquences tragiques et c'est le chevalier Desroches qui sera accusé, par le jugement public, de tous les maux qu'a entraînés la promesse non respectée. Diderot, le philosophe-narrateur qui prétend voir la vérité des faits, derrière des apparences supposées trompeuses, va mettre en accusation la pratique même de la promesse amoureuse. Il semblerait pourtant qu'il ne se soit pas posé la question des catégories suscitées par la promesse, face à l'idée même de nature, ce qui l'amène à tirer de l'histoire de Madame de la Carlière et du chevalier Desroches des conclusions improvisées, relevant d'un pragmatisme casuistique.