Revue Romane, Bind 26 (1991) 1

Les déterminants de la quantité peu élevée en français Remarques sur les emplois de quelques et plusieurs

par

David Gaatone

Quelques et plusieurs peuvent être rapprochés à plus d'un titre. Tous deux fonctionnent comme déterminants du nom, si l'on entend par là des éléments linguistiques souvent nécessaires et toujours suffisants pour introduire celuici dans la phrase, c'est-à-dire, pour en faire un syntagme nominal:

Quelques amis m'ont aidé.
Plusieurs amis m'ont aidé.

Tous deux désignent une quantité indéfinie, ce qui les oppose, entre autres, aux numéraux cardinaux, et sont, de ce fait, classés traditionnellement comme adjectifs indéfinis. Tous deux, enfin, représentent, dans le cadre de la quantité indéfinie, le degré «peu élevé». Cette dernière caractéristique les oppose à un quantifieur comme beaucoup de, et les rapproche, en revanche, des quantifieurs peu de et un peu de tout en les différenciant nettement de l'article indéfini des, pur indéfini et parfaitement neutre quant au degré de la quantité.

Le sème «peu élevé» est employé quasi unanimement dans la définition de quelques, tant par les dictionnaires que par les grammaires françaises usuelles. L'accord n'est pas aussi général, cependant, sur la présence de ce même sème dans la définition de plusieurs. Quelques vieux dictionnaires (Littré, DGLF et Académie), de même que le PR, ne le mentionnent pas, ni non plus certaines grammaires relativement récentes du français moderne (Grevisse 1986, Wagner et Pinchón 1962, Chevalier et alii 1964). Notons à ce propos que le Trésor définit ce mot comme un certain nombre «le plus souvent peu élevé», ce qui semble impliquer qu'il ne s'agit pas d'un compo-

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sant nécessaire de son sens. Remarquons en outre que les dictionnaires renvoient assez régulièrement le lecteur de chacune de ces entrées à l'autre, ce qui signifie qu'elles sont considérées comme au moins proches par leur sens. Même le Littré renvoie à quelques, à l'article plusieurs, tout en omettant le renvoi inverse. Cet état de choses, et en particulier les divergences qui apparaissent dans le cas de plusieurs, doivent inciterà une étude comparée de ces deux déterminants indéfinis de la petite quantité, comme il a déjà été fait d'ailleurs, à plusieurs reprises, pour ces deux autres déterminants ou adverbes de la petite quantitié que soni peu et un peu (cf. bibliographie).

Il est banal de noter que les épithètes «peu élevée» ou «petite» modifiant, dans les définitions, le terme «quantité», peuvent correspondre, du fait même de leur caractère relatif à des quantités absolues très différentes, en fonction des référents des mots quantifiés. On trouve déjà cette observation, précisément à propos de quelques (some), dans Whorf (1956, p. 198), qui remarque que «quelques rois, navires de guerre, ou diamants peuvent être trois ou quatre, mais quelques haricots, gouttes de pluies ou feuilles de thé peuvent être trente ou quarante», ainsi que dans Gondret (1976, p. 147 et aussi Gross 1977 p. 80, note 20), pour lequel «la détermination de la cardinalité de quelques est...extralinguistique». Il est cependant moins évident que les deux adjectifs indéfinis se soient partagé les référents selon le critère suggéré par Gondret (ibid.), à savoir que plusieurs serait préféré «avec ce qui se présente en général en petit nombre», p. ex., j'ai plusieurs enfants, maisons, voitures, alors que quelques cooccurrerait plutôt «avec ce qui se présente habituellement en collections assez nombreuses», p. ex., les arbres ont encore quelques feuilles, cheveux, etc.. On voit mal, en effet, pourquoi les énoncés quelques enfants jouaient dans la rue, on apercevait au loin quelques maisons et quelques voitures, seraient moins naturels avec quelques qu'avec plusieurs, compte tenu, bien entendu, du message que l'on souhaite transmettre, ou, à l'inverse, ce qu'il y aurait de gênant dans la phrase il n'y a pas qu'un cheveu sur la soupe, il y en a plusieurs. Les différences, puisque différences il ya, ne proviennent manifestement pas du réfèrent du nom déterminé,1 mais du sens général de la phrase.

Comme il arrive assez souvent avec de nombreuses paires de mots de sens plus ou moins apparentés, quelques et plusieurs peuvent commuter dans des contextes identiques sans que paraisse, au premier abord du moins, en découler aucune différence réelle de sens. C'est le cas des exemples du début, ainsi que des suivants:

Nous avons assisté à quelques / plusieurs réunions.
Il faut prendre quelques /plusieurs jours de repos.

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Dans des phrases de ce type, nos deux déterminants paraissent fonctionner comme des variantes libres, c'est-à-dire, en fait, des synonymes, à la manière, p. ex., des adverbes de degré tant et tellement d'une part, et si et tellement d'autre part, dans les énoncés suivants:

Il y a tant / tellement de possibilités!
Elle souffre tant / tellement!
Vous êtes parti si / tellement vite!
Elle est si / tellement heureuse!

Mais on sait que tant et si qui, du fait de leur synonymie avec tellement
doivent logiquement être considérés aussi comme des synonymes, ne sont en
général pas commutables entre eux2:

Elle souffre tant / tellement / *si!
Vous êtes parti si / tellement / *tant vite!

On peut alors, sans renoncer à l'idée de la synonymie entre si et tant, voir dans ces deux adverbes des variantes contextuelles d'un même morphème désignant le degré ou la quantité élevés et décrire leurs distributions respectives en termes, p. ex., de parties du discours. Ainsi, si modifierait un adverbe et un adjectif, alors que tant se réserverait les verbes et les noms (cf. sur ce sujet Gaatone 1981, p. 76).

Notons tout d'abord que quelques et plusieurs ne sont pas commutables dans tous les contextes. Bien au contraire, on trouve des contextes qui excluent strictement l'un ou l'autre. Mais on ne pourra pas invoquer ici une quelconque distribution complémentaire, descriptible en termes syntaxiques. Les deux mots possèdent en effet, en gros, la même syntaxe, si l'on fait abstraction de la compatibilité du premier avec les déterminants spécifiques {les, mes, ces quelques amis), incompatibles en revanche, avec le second. C'est donc plutôt dans la compatibilité entre le sens des déterminants et celui des contextes en question qu'il faut chercher les raisons des différences de distribution. Voyons d'abord quelques exemples:

(1) a. Ça ne coûte que quelques /""plusieurs francs.
b. Quelques /*plusieurs personnes à peine assistaient.
c. Quelques /*plusieurs livres me suffisent.
d. Je me contente de quelques /*plusieurs regards.
e. Seuls quelques /*plusieurs enfants ont réussi à se faufiler.
f. Personne n'y croyait, sauf quelques/*plusieurs fidèles inconditionnels.

(2) a. S'il y a un ou plusieurs /*quelques témoins, les choses risquent de se
compliquer.
b. Ne consultez pas un seul médecin, mais plusieurs /*quelques-uns.
c. Il me faut un jour et même plusieurs /*quelques-uns pour finir ce travail.
d. J'ai appelé plusieurs /*quelques fois sans succès.

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e. La loi interdit de cumuler plusieurs /*quelques postes.
f. Les dictionnaires sont nombreux et de plusieurs /*quelques sortes.

Les exemples du premier groupe ont en commun un sens qu'on peut décrire comme «restrictif». Ce sens découle dans (a) de ne...que, dans (b) de à peine, dans (c) de suffire, dans (d) de se contenter, dans (e) de seuls, dans (f) de sauf. Plusieurs est clairement incompatible avec ce sens restrictif, contrairement à quelques. Les exemples du deuxième groupe, en revanche, où quelques est impossible ou, en tout cas, peu naturel, contiennent tous, explicitement ou implicitement, une comparaison avec l'unité, dans le sens positif (augmentatif, dans la terminologie de Gondret 1976). Dans (a), elle est marquée par ou, indiquant une alternative par rapport à un, dans (b) par mais, signalant une orientation argumentative contraire à celle annoncée au début de la phrase avec pas un seul, dans (c), par même, qui renchérit sur ««(jour) de la première partie. Dans (d, e, f)> Ia comparaison est implicite. Rien n'y fait formellement allusion, mais elle n'en est pas moins présente. On pourrait sans difficulté paraphraser par plus d'un, ce qui ne signifie cependant pas que l'on puisse considérer plusieurs et plus d'un comme des synonymes (voir plus loin). Une autre paraphrase relativement appropriée serait pas seulement un. Il est vrai que plusieurs comme d'ailleurs quelques, bien que les dictionnaires ne notent en général ce fait que dans la définition du premier, désignent une pluralité, donc, forcément, une quantité supérieure à un. Mais, en fait, il paraît normalement interprété comme représentant une quantité supérieure également à deux. Il semble en effet que, pour la quantité immédiatement supérieure à l'unité, le français préfère utiliser le numéral luimême plutôt que le quantifieur indéfini.3 Mais cela ne paraît pas constituer un trait essentiel du sens de plusieurs. Le fait est que un ou plusieurs et deux ou plusieurs sont tous deux également acceptables.

Plusieurs donc, conformément à son étymologie, est au fond un comparatif. Son sens profond est d'indiquer que la quantité d'un objet donné est plus élevée que l'unité, c'est-à-dire, que cette quantité est vue positivement, bien que peu élevée. Son incompatibilité avec des contextes restrictifs s'explique donc aisément, ainsi d'ailleurs que son incompatibilité avec l'adjectif rares qui, tout en renforçant encore l'idée de la petite quantité, n'en est pas moins compatible avec quelques, comme le montre l'exemple suivant:

Elle a connu dans sa vie quelques /*plusieurs rares jours de bonheur.

En fait, le trait «quantité peu élevée» ne semble pas faire réellement partie du sens de plusieurs. Il ne fait que découler de la comparaison avec la quantitéminimale. Autrement dit, c'est parce que son sens est «plus d'un ou deux» ou «pas seulement un ou deux» qu'on en déduit qu'il ne représente pas une quantité considérable d'un objet. Mais il ne sert pas à désigner cette faible

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quantité. On comprend mieux dès lors la bizarrerie, ou peut-être plutôt
l'impolitesse, d'une question telle que:

?Avez-vous plusieurs minutes?

face au caractère parfaitement naturel de la question parallèle avec quelques:

Avez-vous quelques minutes?

Dans la seconde question, le locuteur demande à l'interlocuteur de lui consacrer un certain temps, si bref soit-il. Dans la première, le sens comparatif de plusieurs, laissant dans l'ombre l'idée de quantité faible, comporte l'insinuation que le locuteur n'est pas disposé à se satisfaire du temps limité que l'interlocuteur, d'après lui, serait prêt à lui consacrer. De là, le caractère agressif de la question.

La différence entre plusieurs et quelques n'est donc pas dans la plus ou moins grande quantité que l'un désignerait par rapport à l'autre4. Comment pourrait-on même comparer des quantités représentées par des indéfinis? Notons en outre que la paraphrase plus d'un ou plus de deux, que proposent d'ailleurs pour plusieurs nombre de dictionnaires, ne suffit pas non plus à elle seule à rendre compte des emplois, si elle est interprétée comme désignant la quantité et non la comparaison. En effet, elle serait valable pour toute pluralité, y compris quelques, et ne permettrait pas de distinguer celui-ci de plusieurs. La différence entre les deux mots réside donc essentiellement dans ce caractère comparatif de plusieurs*. Il faut encore ajouter que la paraphrase ci-dessus risque aussi, comme sans doute toutes les paraphrases utilisées dans les dictionnaires, d'induire en erreur sur les emplois possibles de plusieurs. Distinguons d'abord plus d'unie), adjectif ou pronom indéfini, fonctionnant comme un seul mot, átplus d'un(e), plus de deux, etc., syntagmes comparatifs, avec adverbe, préposition et numéral. Le premier, tout en imposant au verbe un accord au singulier (s'il se trouve en position sujet), paraît sémantiquement proche de nombreux, plutôt que de plusieurs:

Elle a plus d'un tour dans son sac.
J'ai causé plus d'une fois avec le ministre.

Le second est composé d'éléments separables. L'adverbe est lui-même modifiable (beaucoup plus d'un), le numéral est variable et, surtout, il désigne une quantité immédiatement supérieure à celle du deuxième terme de la comparaison:

J'ai habité là plus d'un (deux, trois) an(s).

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Quant à quelques, la compatibilité constatée plus haut avec toutes sortes de contextes restrictifs ne permet pas de conclure au caractère restrictif de ce mot, mais seulement à sa non-incompatibilité avec la restriction. On ne peut pas non plus l'opposer à plusieurs, auquel il serait symétrique, avec une orientation inverse, négative, vers la quantité nulle, à l'instar, p.ex., de peu. La phrase j'ai quelques amis n'admettrait pas, comme j'ai peu d'amis, une séquence et même pas du tout. Bien au contraire, elle s'accommoderait très bien d'une suite telle que et même beaucoup d'amis, c'est-à-dire, d'une suite allant dans le même sens argumentatif et renchérissant sur ce qui précède. Quelques s'avère encore nettement différent de peu, par son orientation, et aussi de un petit nombre, dans les phrases suivantes:

Peu d'amis ont proposé leur aide.
Un petit nombre d'amis ont proposé leur aide.
Quelques amis ont proposé leur aide.

Il s'agit pourtant, dans tous ces cas, d'une quantité peu élevée. Avec peu, comme on sait, l'orientation est négative; avec un petit nombre, l'accent est mis sur la quantité faible; avec quelques, l'information essentielle est la proposition d'aide, plutôt que l'affirmation de la quantité. Comme dans j'ai quelques mots à vous dire, quelques, au fond, ne sert pas à parler de la quantité de mots, mais du désir de parler. De là, la différence entre les deux énoncés suivants:

Heureusement, quelques amis m'ont proposé leur aide.
*Heureusement, peu d'amis m'ont proposé leur aide.7

On comprendrait mal la présence de heureusement dans la première de ces phrases, si l'information essentielle résidait dans la faiblesse de la quantité d'amis, représentée par quelques, comme c'est le cas dans la seconde, où cette faiblesse est désignée par peu. Il n'y a aucune contradiction, en revanche, si l'on admet que la phrase avec quelques informe en priorité sur un certain événement. De ce point de vue, elle ne diffère pas du même énoncé avec un simple article indéfini:

Heureusement, des amis m'ont proposé leur aide.

Mais notons que heureusement est compatible aussi avec plusieurs, qui lui,
contrairement à quelques, met l'accent sur la quantité et, d'autre part, est
censé lui aussi en désigner la faiblesse:

Heureusement, plusieurs amis ont proposé leur aide.

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Dans l'hypothèse avancée plus haut, selon laquelle plusieurs ne sert pas vraiment à désigner la quantité peu élevée d'un objet, mais plutôt à affirmer que cette quantité est supérieure à un ou deux, cette compatibilité ne fait plus problème.

Quelques paraît donc comparable, comme l'a déjà suggéré Gondret (1976, p. 149), à un peu, dont l'orientation est positive, plutôt qu'à peu. Il en serait en fait le correspondant devant un nom nombrable pluriel, contexte dont un peu est exclu (cf. àce sujet Martin 1969, p. 76,84 et Boone 1988, p. 40):

*J'ai un peu d'amis./ J'ai quelques amis.
J'ai un peu de vin./*J'ai quelque(s) vin.

On peut aussi voir dans quelques, comme le fait Ducrot (1983, p. 43), un terme qui «présuppose la pluralité, mais ne la pose pas», ce qui est sans doute une autre façon de dire que quelques ne parle qu'accessoirement de la quantité, qu'il ne représente pas l'information centrale, visée par l'acte de parole. Il importe d'ailleurs de souligner clairement que ce n'est pas la pluralité qui est en question, puisque ce trait ne permettrait pas de distinguer quelques de des, lequel présuppose aussi la pluralité sans la poser, mais la quantité peu élevée. Quoi qu'il en soit, cette façon de voir rapproche également quelques de un peu, dans lequel le même auteur (1972, p. 195) voit un terme qui «restreint une affirmation», ce qui l'oppose h peu, lequel, selon lui, «affirme une restriction». Là encore, la formulation appelle certaines remarques. D'abord, les termes restreindre et restriction parfois utilisés dans la littérature au lieu de (quantité) faible, petite ou peu élevée, prêtent à confusion, puisqu'ils servent également à désigner le sens de mots tels que ne...que, seulement, etc.. En outre, il ne s'agit pas vraiment, dans les exemples de Ducrot (1972, p. 193) il a bu un peu de vin et il a bu peu de vin, d'une affirmation restreinte et d'une restriction affirmée,mais, dans les deux cas, d'une quantité peu élevée de vin. Dans la première phrase, cette information quantitative ne fait qu'accompagner l'information principale, à savoir, le fait d'avoir bu, dans la seconde, elle est l'information principale, le posé, selon les termes de l'auteur, le fait d'avoir bu étant alors présupposé. Ce rapprochement de quelques avec un peu et, de là, l'opposition entre ces deux mots et peu, permettront peut-être de mieux comprendre les rapports entre les groupes d'énoncés suivants:

A cause de la pluie, il y avait peu de promeneurs.
*A cause de la pluie, il y avait quelques promeneurs.
*A cause de la pluie, il y avait plusieurs promeneurs.
*Malgré la pluie, il y avait peu de promeneurs.
Malgré la pluie, il y avait quelques promeneurs.
Malgré la pluie, il y avait plusieurs promeneurs.

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Dans le premier groupe, l'adverbial à cause de la pluie crée, étant donné notre connaissance du monde, l'attente d'une absence de promeneurs. Peu, terme de quantité peu élevée, à orientation vers la quantité nulle, comble cette attente. En revanche, quelques promeneurs signale essentiellement la présence de promeneurs, allant ainsi à l'encontre de l'attente créée par l'adverbe, et n'indique qu'accessoirement que le nombre de promeneurs est peu élevé. Notons ici que la présence de ne...que ou seulement aurait rendu quelques prédicatif et la phrase aurait été acceptable (cf. aussi à ce sujet Gondret 1976, p. 149):

A cause de la pluie, il n'y avait que quelques promeneurs; il y avait seulement

Quant à plusieurs, il ne signifie pas principalement, comme on l'a vu, la petite quantité, mais une quantité supérieure à un ou à deux. Son orientation positive (augmentative) va elle aussi à l'encontre de celle de l'adverbe. C'est exactement le contraire qui se produit dans les phrases du deuxième groupe, avec l'adverbe malgré, créant l'attente inverse.

C'est sur la même base qu'on peut expliquer le comportement différent
des phrases suivantes (pour des exemples du même type, cf. Ducrot (1983, p.
43)):

(1) a. Désireriez-vous quelques jours de délai?
b. Oui, en tout cas un ou deux.
c. *Non, seulement un.

(2) a. Désireriez-vous plusieurs jours de délai?
b. Non, seulement un.
c. *Oui, en tout cas un ou deux.

La première question porte essentiellement sur le désir d'un délai, d'où la possibilité de répondre oui, sans qu'une telle réponse entraîne de contradiction avec la suite, qui désigne pourtant une quantité moindre que celle impliquée par le quelques de la question. En revanche, l'agrammaticalité de la deuxième réponse découle naturellement du fait qu'elle parle de la quantité désirée, sur laquelle (l)a. ne questionne pas. A l'inverse, la deuxième question, avec plusieurs, porte sur le quantifieur lui-même; il est en fait demandé à l'interlocuteur s'il désire non pas un délai, mais plus d'un ou de deux jours de délai. De là, la grammaticalité de (2)b., qui répond à cette question et l'agrammaticalité de (2)c, où la première partie, qui répondrait positivement à la question sur la quantité, serait en contradiction avec la seconde, qui désigne une quantité moindre que le plusieurs de cette question.

C'est encore et toujours ce caractère prédicatif de plusieurs qui lui permet
de subir une négation (polémique), ce qui ne paraît pas possible pour quelques
(cf. aussi Attal 1979, p. 493):

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II n'a pas assassiné plusieurs personnes (mais seulement une ou deux).
*I1 n'a pas assassiné quelques personnes (mais seulement une ou deux).

On notera ici que, comme on l'a déjà signalé plus haut, quelques deviendrait
prédicatif dans le contexte d'un adverbe d'exception (de restriction) et accepterait
alors la négation:

II n'a pas assassiné que quelques personnes, mais beaucoup.

Il peut être intéressant de remarquer que la mise en parallèle avec beaucoup ne paraît pas donner des résultats très naturels dans le cas de plusieurs, en accord avec le sens de ce mot, qui est essentiellement la comparaison à orientation augmentative par rapport à un ou deux:

*I1 n'a pas assassiné plusieurs personnes, mais beaucoup.

Au terme de cette trop rapide étude, on se rend peut-être mieux compte des nombreuses lacunes que peuvent laisser les définitions des dictionnaires et des grammaires, quant à la compréhension des relations entre des mots présentant, du moins en apparence, une certaine parenté de sens, et de la diversité de leurs emplois. Quelques et plusieurs diffèrent profondément entre eux. Le premier ne désigne la quantité faible qu'accessoirement, le second ne la désigne qu'indirectement ou, peut-être l'implique plutôt qu'il ne la désigne. Seul quelques peut être légitimement comparé à cet autre déterminant-adverbe de la petite quantité qu'est un peu. Plusieurs n'a en fait rien à voir ni avec un peu, ni avec peu. Dans l'inventaire assez varié des mots de la quantité «faible» en français, chaque élément possède une personnalité bien distincte. Il n'y a jamais double emploi.

Davis Gaatone

Université de Tel-Aviv



Notes

1. Dans quelques millions de soldats ou quelques milliards d'étoiles, les termes quantifiés sont, bien entendu, millions et milliards.

2. Kastérisque signale un énoncé impossible ou tout au moins peu naturel.

3. Cela ne semble pas être vrai de des. Comparons: J'ai des enfants; deux, pour être précis. ?*J'ai quelques enfants; deux, pour être précis. ?*J'ai plusieurs enfants; deux, pour être précis.

4. Cf. à ce sujet la discussion de Gondret (1976, p. 148) avec les auteurs de la Grammaire Larousse (1964), à propos d'un exemple de Sagan, dans lequel plusieurs semble désigner une quantité plus grande que quelques.

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5. Cf. aussi Wilmet (1986, p. 75), qui parle à ce propos de «dépassement d'une attente».

6. Notons en passant que les quantifieurs indéfinis se combinent avec année, alors que les numéraux, ainsi que plus d'un admettent aussi bien an que année.

7. Bien entendu, la seconde phrase devient acceptable dans une optique inhabituelle, où l'aide de quelques amis est considérée comme non souhaitable.

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Résumé

Les définitions de quelques et plusieurs dans les dictionnaires et les grammaires tendent à présenter ces deux mots comme des déterminants, plus ou moins synonymes, de la quantité peu élevée, les rapprochant ainsi de peu et un peu. Une étude plus approfondie des emplois de ces adjectifs indéfinis révèle cependant des différences assez considérables. Quelques, en général non prédicatif, ne désigne la quantité qu'accessoirement et joue un rôle parallèle à celui de un peu, alors que plusieurs signale plutôt la supériorité d'une quantité par rapport à une quantité minimale que la quantité faible elle-même. Il apparaît dès lors comme assez éloigné tant de quelques que de peu et un peu.

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