Revue Romane, Bind 25 (1990) 2

Formes et emplois des énoncés négatifs : polyphonie et syntaxe de «ne...pas»

par

Henning Nølke

1. Introduction

Rares sont les sujets linguistiques qui ont fait couler autant d'encre que la négation. Concept primitif et universel, la négation met en jeu toutes les sciences du langage : de la pragmatique à la lexicologie, en passant par la sémantique, la syntaxe, la morphologie. La négation a fasciné aussi bien les linguistes que les philosophes, les psychologues que les logiciens. Pour tenter de comprendre sa fonction il faudrait avoir une vision globale de l'activité linguistique.

Je me propose de montrer dans cette modeste contribution que l'analyse polyphonique de la négation syntaxique ne...pas nous permet d'une part de préciser certaines relations entre ses fonctions pragmatiques, d'autre part d'expliciter ses propriétés syntaxiques et sémantiques.

A l'instar de Oswald Ducrot (1984, p.2l7ss), je distinguerai trois emplois de la négation, et je proposerai une analyse polyphonique, selon laquelle l'emploi fondamental de nc.pas est polémique. Les négations métalinguistique et descriptive sont dérivées de cette valeur primaire. Ensuite je m'efforcerai de montrer que cette analyse pragmatico-sémantique a des conséquences syntaxiques et distributionnelles bien précises. On peut en effet repérer au niveau formel des contextes qui bloquent la dérivation et d'autres qui la favorisent. L'interdépendance des niveaux de description ainsi mise en évidence, cette analyse pourra prétendre avoir une certaine valeur explicativ e1.

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2. Types de négations

Qu'est-ce que la négation, au fond? Comment la définir? Tout dépend de l'optique choisie. Pour les philosophes c'est la non-existence, pour les pragmaticiens un acte de langage (de dénégation), pour les psychologues un comportement (de rejet ou de refus), pour les logiciens un opérateur vériconditionnel, pour les sémanticiens un trait sémantique (un sème), pour les syntacticiens une catégorie lexicale ou un morphème. Quel est le dénominateur

Quelle que soit l'approche adoptée, il semble que ne...pas, ou son emploi, réponde à toutes les définitions proposées. Me restreignant à une étude strictement linguistique de ce «mot discontinu», je pourrai donc garder la vision globale tout en évitant les ennuyeux problèmes de définition.

2.1. Les trois emplois des énoncés négatifs.

Pour illustrer les trois emplois des énoncés négatifs, considérons les exemples
suivants empruntés à Ducrot (et auxquels je reviendrai plus loin):

(1) II n'y a pas un nuage au ciel. (1972, p.38)

(2) Ce mur n'est pas blanc. (1972, p.38)

(3) Paul n'a pas cessé de fumer, en fait il n'a jamais fumé. (1984, p.217)

Si ces trois énoncés se ressemblent syntaxiquement et sémantiquement, ils n'ont pas les mêmes conditions d'emploi. En énonçant (1), le locuteur ne fait que décrire un état du monde. L'énoncé dans (2), par contre, «sera très rarement utilisé pour décrire un mur. (...) La plupart du temps, on l'emploiera pour marquer qu'on s'oppose à une affirmation antérieure Ce mur est blanc (affirmation qui peut d'ailleurs n'avoir pas été formulée explicitement par le destinataire (...))» (1972, p.38). L'énoncé (3), enfin, «est possible seulement en réponse à un locuteur qui vient de dire que Pierre a cessé de fumer» (1984, p.217). On remarquera que seuls les deux premiers types gardent les présupposés.

2.2. Emplois et forme de l'énoncé.

Peut-on repérer des relations entre les emplois des énoncés négatifs et la syntaxe de ne—pas? La tradition ne traite guère explicitement de cette question, mais l'idée qu'il existe de telles relations assez précises semble sous-tendre toutes les études syntaxiques qui portent sur la négation - en français comme en anglais.

En syntaxe, depuis Klima (1964) on distingue NEGATION DE PHRASE, de
CONSTITUANT, et parfois de PREDICAT2. Ces classifications sont souvent
mises en rapport avec la portée de la négation qui peut être NON RESTREINTE(la

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TREINTE(lanégation porte sur toute la phrase) ou bien restreinte (seulementune partie de la phrase est concernée)3. Sans vraiment étudier le problème,tout le monde semble penser que la négation de phrase (à portée non-restreinte) donne lieu à une lecture polémique, alors que la négation de constituant (à portée restreinte) véhicule, une lecture descriptive4. Certains (tel Cristea 1971) vont jusqu'à employer ces relations comme critères pour les analyses proprement syntaxiques. Or cette hypothèse implicite d'un rapportsimple, si attrayante soit-elle intuitivement, ne correspond pas bien à la réalité empirique. En effet, nous verrons plus loin qu'elle est pour le moins douteuse. Il est vrai qu'il existe des relations entre emploi et forme des énoncés renfermant ne...pas, mais celles-ci concernent surtout d'autres aspectssyntaxiques et sémantiques que la structure introduite par la négation. Remarquons enfin, pour être exhaustif, que la distinction sémantico-logique entre NEGATION EXTERNE et NEGATION INTERNE5 n'équivaut pas non plus à la nôtre.

2.3. Négations polémique et descriptive.

Quelles sont donc les relations entre l'emploi et la forme des énoncés renfermant ne...pas"? Pour pouvoir étudier cette question, il nous faut d'abord mieux comprendre en quoi consistent les trois emplois différents des énoncés négatifs. La négation métalinguistiqùe est assez facile à repérer. Son exécution demande la présence d'un autre locuteur, elle est seule à ne pas garder les présupposés, et par le fait qu'elle a trait à la forme de l'énoncé (pouvant concerner le choix d'un mot, par exemple6) elle ne pose guère de contraintes syntaxiques sur la position de ne...pas, lequel peut même porter sur des unités (tels les adverbes de phrase), qui ne sont pas normalement permises dans la portée de la négation.

En revanche, la démarcation entre négation polémique et négation descriptive n'est pas si nette que ne le donnent à penser les exemples étudiés. En effet, en considérant l'exemple (1) de plus près, on se rend compte que, dans des conditions appropriées, sa négation est susceptible d'être interprétée comme polémique (cela serait le cas si (1) servait de réaction à un énoncé comme Le temps va vers la pluie, par exemple). Ce vague d'interprétation est même plus net dans d'autres exemples:

(4) Paul n'est pas bête.

S'agit-il ici d'une négation descriptive ou d'une négation polémique? Sans
contexte, on ne saurait trancher.

Au fond, tout énoncé renfermant ne...pas véhicule une description, ne fût-ce qu'accessoirement. Ainsi, même dans son emploi polémique, l'énoncé de Ce mur n 'est pas blanc fournit indirectement une description dudit mur. En ce sens, toute négation est descriptive. On réserve cependant ce terme

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aux énoncés négatifs dont l'emploi met pour ainsi dire en relief cette valeur descriptive, où la description devient la raison d'être de la négation. Si la négation polémique effectue un acte de refus (d'un énoncé explicite ou implicite),la négation descriptive effectue une assertion (d'un contenu formellementnégatif). On peut dire que la négation descriptive porte sur un contenu en le transformant en un nouveau contenu (complémentaire du premier), alors que la négation polémique porte sur un énoncé (et la négation métalinguistiquesur la forme d'un énoncé). La négation descriptive sert ainsi le plus souvent à présenter une propriété (formellement négative) considérée comme pertinente pour la caractérisation d'un individu ou d'un état de choses. Ainsi, dire en réponse à une question comme «Quel temps fait-il?»: «Il n'y a pas un nuage au ciel» n'est qu'une autre manière - peut-être plus courante - de dire que le ciel est tout à fait bleu.

En résumé : on se sert de la négation pour des fins descriptives là où il n'y a pas de façon plus usuelle ou adéquate d'exprimer la même chose. Ainsi, si (4) peut avoir une lecture descriptive, c'est parce qu'on peut désirer ne pas aller jusqu'à qualifier Paul d'intelligent, soit parce que cette expression est tout simplement trop forte, soit parce qu'elle «sonne» trop fort ('pas bête' semble en réalité être devenu une manière presque figée d'exprimer la propriété d'intelligence7). La même explication s'applique pour (1). D'autre part, une condition pour faire fonctionner la négation polémique sera que l'alternatif positif (réfuté) est «actualisé». Ainsi, (4) est polémique dans une situation où, pour une raison quelconque, on prend en considération la possibilité que Paul soit bête. Tout à fait comme (1) est polémique si l'interlocuteur est censé penser qu'il y a des nuages au ciel.

3. Analyse polyphonique

3.1. Brève introduction.

La théorie de la polyphonie élaborée notamment par Oswald Ducrot nous fournira un cadre susceptible d'avoir une valeur explicative8. L'idée de base de cette théorie est la suivante : tout énoncé est susceptible de contenir plusieurs discours «encastrés». Ou plus précisément : le sens de l'énoncé est constitué par la superposition de plusieurs discours élémentaires. Certes, constater que l'énoncé renferme souvent des traces langagières de ses protagonistes est bien banal. On a les pronoms personnels, les adjectifs à valeur subjective, les incises, etc. Cette présence des êtres discursifs est un phénomène profondément intégré dans la langue naturelle : celle-ci renvoie en effet constamment à son propre emploi, elle est sui-référentielle. Or, si l'on pousse tant soit peu plus avant l'analyse de ces aspects, on verra que d'autres points de vue que ceux de l'émetteur et du récepteur peuvent être véhiculés à travers l'énoncé. Ainsi, dans l'exemple cité plus haut:

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(2) Ce mur n'est pas blanc.

on a nettement l'impression que deux points de vue (incompatibles) cohabitent : si l'on s'est servi de la négation, c'est parce que quelqu'un pense (ou aurait pu penser) que le mur est blanc, ce qui est contraire à l'opinion du locuteur. Notons qu'alors que le deuxième point de vue (qui prend le contrepied du premier) est forcément celui du locuteur (ce qu'on voit par le fait que celui-ci ne peut pas - dans un discours cohérent - nier avoir ce point de vue), on ne peut pas déduire du seul énoncé qui est responsable du premier. Ce sont des observations de ce genre qui ont amené Ducrot à développer sa théorie de la polyphonie. Nous dirons que lé locuteur présente deux POINTS DE VUE9 dans (2). L'important est alors que l'existence de ces deux points de vue est marquée linguistiquement par la présence de la négation ne...pas. En effet, elle se révèle dans la nature des enchaînements possibles:

(2) Ce mur n'est pas blanc.

(5) a. - Je le sais.
b. (...), ce que regrette mon voisin.

(6) a. - Pourquoi le serait-il?
b. (...), ce que croit mon voisin.
c. (...) Au contraire, il est tout noir.

On verra que les réactions (monologales comme dialogales) dans (5) renvoient au point de vue (négatif) du locuteur, alors que celles de (6) (monologales comme dialogales) enchaînent sur le point de vue positif (sous-jacent) véhiculé à travers (2). Il est remarquable que même les enchaînements monologaux dans (6) s'attachent à ce dernier point de vue, dont le locuteur se distancie explicitement. En effet, là où, dans (5b.), mon voisin regrette que le mur ne soit pas blanc, dans (6b.), il croit qu'il est blanc. De même, dans (6c), le fait que le mur soit tout noir n'est pas contraire au fait qu'il n'est pas blanc : c'est contraire au point de vue selon lequel il serait blanc. Cette double possibilité d'enchaînement n'existerait pas sans la présence de la négation grammaticale.

Or, la présence de ce genre de phénomènes ne dépend pas de la présence de la négation. Beaucoup de morphèmes et de tournures syntaxiques autres que la négation introduisent des structures polyphoniques. Nous en verrons quelques exemples dans la quatrième section. Le principal intérêt de la théorie de la polyphonie réside dans le fait qu'elle permet la formalisation de toutes ces nuances, ce qui rendra possible l'explicitation d'une large gamme de relations précises entre la forme de l'énoncé et son interprétation (cf. Nolke 1989). En effet, le locuteur peut présenter plusieurs points de vue dans un seul et même énoncé, et il peut établir toute une série de relations différentesentre ces points de vue, d'un côté, et les êtres discursifs, y compris

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lui-même, de l'autre. Cruciale pour la compréhension de l'énoncé sera alors
la détection de ces relations.

3.2. Analyse de la négation.

L'examen des trois emplois de la négation illustre quelques-unes de ces
relations. Reconsidérons les exemples vus plus haut:

(1) II n'y a pas un nuage au ciel.

(2) Ce mur n'est pas blanc.

(3) Paul n'a pas cessé de fumer, en fait il n'a jamais fumé.

L'examen polyphonique simple que nous venons de proposer pour la négation polémique dans (2) ne fonctionne pas bien pour les deux autres types. On peut cependant montrer que ceux-ci sont dérivés de la négation polémique. Prenons d'abord la négation métalinguistique. Nous en trouvons un autre exemple dans (7):

(7) Paul n'a pas peut-être compris la question.

Polyphoniquement, (7) s'analyse ainsi:

(7') ej: Paul a peut-être compris la question
e2: ej est faux

On sait que (7) ne sera acceptable que dans une situation où quelqu'un (normalement l'allocutaire) vient de dire Paul a peut-être compris la question. Or, c'est là justement le point de vue e^ La négation métalinguistique a donc la même structure que la négation polémique. Ce qui la distingue de celle-ci, c'est qu'elle demande la présence explicite d'un individu discursif, autre que le locuteur, auquel e, sera associé. La négation métalinguistique est ainsi une instance d'un type particulier de polyphonie que j'ai proposé ailleurs d'appeler CITATION (cf. Nolke 1989). Je parlerai de citation dans le cas où un point de vue en est associé àun être discursif complètement différent du locuteur10. On trouve aussi la citation dans les questions-écho, dans le discours indirect, etc. Il est important de noter que la négation métalinguistique est un emploi particulier de la négation grammaticale, encore que cet emploi puisse être indiqué au niveau de la phrase pour autant que la lecture de citation fonctionne comme une mesure de sauvetage pour certaines structures autrement malformées. Ainsi (7) est considéré comme malformé au niveau de la syntaxe, selon une règle qui interdit à l'adverbial peut-être d'être le foyer de la négation. Pour sauver l'énoncé de (7) on tente donc d'appliquer une lecture de citation.

Plutôt que de poser des problèmes pour l'analyse polyphonique, la négation
métalinguistique s'avère ainsi la corroborer. Concentrons-nous donc,
dans ce qui suit, sur l'examen de la négation descriptive exemplifiée dans (1):

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(1) II n'y a pas un nuage au ciel.

Si nous appliquons l'analyse polyphonique à cet énoncé, nous aurons:

(T) ej: II y a des nuages au ciel.
e2: ej est faux.

Le problème de (1') est que le point de vue ex ne semble pas être véhiculé
par (1). La preuve en est que les enchaînements sur elsel5 naturels après la
négation polémique, apparaissent déviants ici:

(1) II n'y a pas un nuage au ciel.

(8) a. <?) - Pourquoi yen aurait-il?
b-(?) (...), ce que croit mon voisin,
c. <?) (...) Au contraire, il est tout bleu.

Tout se passe en effet comme s'il s'agissait d'une simple affirmation d'un contenu propositionnel (sous une forme négative, bien sûr), sans allusion aucune à quelque autre contenu possible. Il n'y a pas de trace (formelle) de polyphonie : l'énoncé de (1) est «monophonique».

La conclusion de cette observation entraînera-t-elle l'abandon de l'analyse polyphonique, au moins pour la négation descriptive? Non! Le manque de parenté n'est en effet qu'apparent, et on a tout intérêt à garder l'analyse proposée. Pour des raisons méthodologiques comme pour des raisons empiriques. En effet, toutes choses égales par ailleurs, on gagne en clarté explicative en gardant une analyse générale au lieu de recourir à deux analyses distinctes, et nous avons déjà vu combien la distinction empirique des deux types de négation peut être difficile à maintenir.

Je propose de considérer la négation polémique comme l'emploi non marqué de ne...pos. La négation descriptive sera alors une valeur dérivée de celle-ci. Plus précisément, cette dérivation (que j'appellerai la dérivation descriptive) consiste en un effacement du point de vue e^ Seul restera le point de vue du locuteur qui s'appuiera directement sur le contenu négatif dont on aura ainsi une affirmation simple. Selon cette analyse, la négation polémique est primaire. Cela semble aussi correspondre aux résultats des psycholinguistes qui ont montré que c'est la valeur polémique qui se développe la première chez l'enfant (cf. Muller à paraître). Qui plus est, notre analyse a une valeur pronostique. En effet, non seulement elle anticipe les vestiges de la valeur polémique qu'on semble toujours pouvoir repérer dans les emplois descriptifs de la négation, mais elle prédit aussi l'existence de conditions spéciales pour l'instauration de cette lecture, puisqu'elle est dérivée. Or, nous verrons que contrairement à ce qui semble être l'hypothèse généralement admise, il ne s'agit pas là de la structure même introduite par la négation, ('négation de prédicat', 'portée restreinte', etc.; cf. 2.2.)

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4. Indicateurs syntaxiques

L'analyse proposée se voit en fait corroborée même au niveau syntaxique et lexical pour autant que certaines structures formelles favorisent la dérivation descriptive, alors que d'autres l'entravent. Les «contextes bloqueurs» (dorénavant les CB) sont souvent eux-mêmes polyphoniques, propriété que l'on ne trouve jamais dans les «contextes déclencheurs» (dorénavant les CD). Or, nous verrons qu'il y a encore une différence cruciale entre les CB et les CD : les premiers peuvent aller jusqu'à rendre la lecture polémique obligatoire en excluant définitivement une lecture descriptive, alors que les derniers ne font jamais rien d'autre que d'indiquer la lecture descriptive. La forme d'un énoncé peut rendre la lecture descriptive la plus plausible, mais elle ne peut jamais exclure totalement une lecture polémique. Si la lecture polémique est primaire, on doit aussi s'attendre à ce qu'un énoncé négatif comme Ce mur n 'est pas blanc, où il n'y a ni bloqueur ni déclencheur, reçoive très difficilement la lecture descriptive, ce qui correspond à nos observations.

4.1. Bloqueurs de dérivation descriptive.

La dérivation descriptive semble toujours être obstruée (ou bloquée) si, pour une certaine raison, le point de vue positif sous-jacent, e,, est pertinent pour l'interprétation de l'énoncé négatif. Tel est évidemment le cas, lorsqu'il s'agit de la négation métalinguistique, où et est présenté directement comme dépendant d'un autre locuteur; or tous les différents CB que je vais citer mettent en relief ce choc entre deux points de vue opposés. Nous verrons qu'on peut distinguer CB forts qui bloquent complètement la dérivation et CB faibles qui ne font que l'entraver.

La notion-clé est donc celle de contraste. Tout moyen linguistique qui introduit une nuance de contraste entrave la dérivation descriptive. Il s'agit d'abord des structures contrastives (ou adversatives) proprement dites comme dans:

(9) (...) -ce qui est exact juridiquement, pas pratiquement. (J6111)

(10) (...) - de l'exception d'inexécution par laquelle l'une des parties est justifiée à
suspendre l'exécution de sa prestation tant que l'autre n'exécute pas la
sienne; (J2B)

La négation est forcément polémique à cause de l'effet de contraste introduit
par ces structures, qui sont donc des CB forts.

Les structures concessives qui leur ressemblent beaucoup ne sont que des
CB faibles:

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(11) Earticle 809 du Code rural (art. 20 de l'ordonnance du 17 oct. 1945) dispose,
en effet, que le contrat de bail à ferme non écrit ne sera pas nul, mais
aura obligatoirement une durée de neuf années (...). (J5)

(12) Mais ces contrats ne sont pas, pour autant, des contrats successifs. (J3O)

La lecture descriptive semble bien être exclue de ces exemples, or il n'en
va pas de même si l'énoncé contient un déclencheur (cf. 4.2.):

(13) a. Bien qu'il n'y ait pas un nuage au ciel, nous resterons à la maison.
b. Selon la météo il allait pleuvoir aujourd'hui, mais il n'y a pas un nuage au
ciel.

Ces énoncés semblent susceptibles d'avoir des lectures descriptives de la négation, bien qu'on puisse observer une légère différence : cette lecture semble en effet s'instaurer plus difficilement dans b., où ne...pas se trouve dans la partie affirmée (par le locuteur), que dans a., où elle se trouve dans la partie concédée. Ces exemples laissent entrevoir combien l'interaction entre les CB faibles et les CD peut être subtile.

Le clivage est le moyen dont on se sert par excellence pour mettre en relief un constituant de la phrase. La sémantique de cette construction renferme l'idée de contraste et on doit s'attendre à ce que le clivage soit un CB. Tel semble effectivement être le cas:

(14) Ce n'est pas lui qui volontairement s'oblige. (J46)

(15) Ce n'est pas tout à fait ainsi que procède la jurisprudence. (J5l)

Ces énoncés ne se prêtent guère à une lecture descriptive.
Les énoncés suivants présentent d'autres exemples intéressants:

(16) (...) - et elles seraient très imprudentes de ne pas le vouloir - (...) (J6)

(17) Si les parties ne se mettent pas d'accord, l'interprétation doit être faite par le
juge. (J56)

(18) D'un côté, les relations contractuelles doivent avoir un minimum de stabilité
et ne pas être à la merci de faciles remises en cause, à raison des multiples
erreurs qu'un contractant commet. (J5O)

A côté de ne...pas, ces énoncés contiennent tous un autre élément introducteur de polyphonie. Dans (16) c'est le conditionnel (à valeur hypothétique), dans (17) le si hypothétique, dans (18) le verbe modal devoir. La polyphonie marquée au niveau de la phrase semble bien être un CB, ce qui s'explique par le fait que ces contextes renferment intrinsèquement l'idée d'un alternatif. En voici encore deux exemples avec des conditionnels:

(19) Le voyageur ne saurait discuter les conditions de son transport par la
S.N.C.F., pas plus que l'ouvrier embauché dans une usine ne pourrait obtenir
de modifications au règlement intérieur de l'entreprise. (J32)

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(20) (...) en droit l'erreur du vendeur sur sa chose ne devrait pas être une cause
de la nullité de la vente, pas plus, d'une manière générale, l'erreur du
contractant sur sa propre prestation (...) (J52)

On notera qu'on trouve ici pas dans des constructions elliptiques. Le fait
qu'H s'agisse de comparatives (qui, elles aussi, insistent sur l'alternatif) corrobore
probablement la lecture polémique.

D'autres structures qu'on n'associe peut-être pas d'ordinaire avec l'effet
de contraste semblent également entraver la dérivation descriptive:

(21) (...) ce ne sont pas des violations de la règle parce que ces conventions sont
en dehors du domaine de la loi. (Jl4)

(22) Dans la première espèce, l'option n'étant pas levée dans le délai, une prolongation
de celui-ci s'accompagne du versement d'une nouvelle somme
d'argent. (J25)

(23) La cession n'est pas opposable au débiteur cédé tant que les formalités de
publicité n'ont pas été accomplies. Elle ne l'est pas non plus aux autres
personnes intéressées à la cession. (J3B)

Dans (21) et (22), la structure de cause fonctionne comme CB. On remarquera que, dans les deux cas, la négation est dans la portée de l'opérateur de cause. En effet dans (21), seule la lecture où la subordonnée avec parce que se trouve en dehors de la portée de la négation semble possible. Dans (23), la subordonnée temporelle introduit une espèce de structure adversative comme dans (10), ce qui explique la lecture polémique des deux premières négations de cet exemple. La troisième négation polémique s'explique par le parallélisme souligné par l'adverbial paradigmatisant non plus.

L'exemple dans (24):

(24) Le demandeur au pourvoi, bénéficiaire d'une option accompagnée d'une indemnité d'immobilisation, reprochait à la Cour de Paris de ne pas avoir appliqué les articles 1152 et 1231 du Code civil et donc de ne pas avoir réduit le montant de l'indemnité (...) (J24)

montre que la sémantique du verbe peut jouer un rôle décisif. L'idée de contraste due à reprocher réside dans le fait que l'emploi de ce verbe laisse sous-entendre que la situation aurait pu être une autre que celle reprochée à la Cour.

4.2. Déclencheurs de dérivation descriptive.

De par sa nature même, la lecture descriptive semble impliquer une intégration sémantique plus ou moins forte de la négation. Les relatives indépendantes constituent une première classe d'exemples de CD où on trouve une telle intégration. En effet, dans ces subordonnées la négation semble toujours être descriptive:

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(25) Celui qui paye sciemment ce qu'il ne doit pas n'a pas le droit de répéter;
(J45)

Les proverbes, les maximes et les slogans constituent d'ailleurs une source
intarissable d'exemples de ce genre:

(26) a. Qui n'a pas souffert n'a pas vécu.
b. Celui qui ne sait pas dissimuler ne sait pas régner. (Louis XIII)
c. Qui a vu Paris et n'a pas vu Cassis n'a rien vu. (publicité)

L'effet de CD des relatives indépendantes s'explique sans doute par le fait
que ces relatives ont une lecture référentielle, contrairement aux autres relatives
qui donnent lieu à une lecture attributive12.

L'intégration sémantique de la négation peut s'établir comme une sorte de lexicalisation plus ou moins forte due à un développement diachronique : c'est la dérivation délocutive proprement dite. Considérons les exemples suivants:

(27) La vente n'en est pas moins valable et il suffit alors de publier le jugement
constatant la réalisation de la vente. (Jl2)

(28) II n'en reste pas moins vrai que le principe demeure, ce qui conserve toute
son utilité à la qualification dans un sens ou dans un autre d'un contrat
donné. (J29)

(29) II n'en demeure pas moins que le juge n'a pas adopté l'un des systèmes qui
avaient été proposés par les commentateurs de la réforme (...) (J23)

(30) Cependant, le consensualisme n'est pas sans présenter de graves inconvénients
pratiques. (J4)

(31) Si l'on sait que le fonds documentaire de Juris-Data a été exploré sur les
deux hypothèses, on ne manquera pas de noter cette divergence dans l'application
d'un texte symétrique. (J18)

(32) La question a aujourd'hui rebondi, car la règle 'pas de nullité sans texte'
est expressément consacrée par certaines dispositions législatives (...) (J36)

(33) C'est pas mal.

La construction n'en VERBE pas moins dans (27), (28) et (29) fonctionne comme connecteur concessif. Nous avons déjà vu que la concession favorise la lecture polémique, et la deuxième négation dans (29) a bien cette valeur. La double négation exemplifiée dans (30) et (31) est une figure répandue. Elle sert, on le sait, à atténuer l'expression positive (logiquement) équivalente(respectivement le consensualisme présente (...) et on notera (...)). L'effetd'atténuation réside justement dans les restes polémiques qu'on trouve en toute négation descriptive. Dans (32) et (33), enfin, la lexicalisation est encoreplus avancée. L'exemple (1) (// n'y a pas un nuage au ciel.) s'ajoute en fait à cette série dans la mesure oùpas un est devenu une sorte d'«auxiliaire»

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négatif (comme jamais, aucun, etc., cf. Vikner 1978). Pour cette même raison,l'énoncé
devient polémique si on remplace pas un par la construction
non figée pas de.

Une certaine classe de prédicats se prêtent particulièrement bien à cette dérivation «lexicale» : ce sont les prédicats qui renvoient à une échelle, tels 'être heureux', 'être intelligent', 'coûter cher'. Ces prédicats donnent souvent lieu à une dérivation descriptive accidentelle, comme dans l'exemple suivant emprunté à Muller (à paraître):

(34) Ce vin n'est pas mauvais.

Dans un emploi typique de (34), la négation sert à former un prédicat (pas
mauvais) marquant un degré particulier sur une échelle qualitative.

On comprendra facilement la raison de cet effet. Rappelons que l'information véhiculée par la négation descriptive est à chercher dans le contenu complémentaire du prédicat (positif). Si ce prédicat est scalaire, son complémentaire se prête à une description unique pour au moins deux raisons : parce qu'il désigne (aussi) une partie continue d'une échelle, donc un contenu cohérent et organisé, et parce qu'il n'y a pas d'autre façon de dire la même chose : le terme morphologiquement négatif - s'il existe - désigne en effet le contraire et non le complémentaire (c'est-à-dire le contradictoire)13. Il en va tout autrement pour des prédicats non scalaires comme 'être blanc' (cf. ex. (2)). Le complémentaire de ce prédicat est un ensemble non organisé qui se prête beaucoup moins bien à une description unique. En effet, on imagine difficilement une situation où l'on désire renvoyer à l'ensemble de couleurs qui n'ont en commun que la propriété de ne pas être blanches.

Cette influence particulière qu'exercent les quantités sur le fonctionnement de la négation a fait l'objet de nombreuses études linguistiques, et on a noté que la négation d'une quantité a tendance à restreindre sa valeur descriptive, à ne concerner qu'une portion d'échelle immédiatement inférieure au degré nié. Témoin l'exemple suivant emprunté à Muller (à paraître):

(35) Marie n'a pas quarante ans.

Comme le fait remarquer Muller, cet énoncé peut être utilisé pour véhiculer l'information que l'âge de Marie approche de la quarantaine. Cet effet particulier s'explique aisément dans le cadre de la théorie de la pertinence élaborée par Sperber & Wilson (1986).

Il est intéressant de noter qu'il y a une construction négative qui s'est spécialisée dans cet emploi descriptif : pas tout à fait. Cette tournure est apparemment un véritable CD. L'exemple suivant est calqué sur le même modèle:

(36) Eapplication du principe fait difficulté chaque fois que les parties n'ont pas
exactement précisé leur intention: (...) (Jl 1)

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L'adverbial paradigmatisant exactement introduit l'idée d'une échelle14.
Toutefois, l'inclination à opérer la dérivation descriptive semble moins marquée

La phrase (37) montre un tout autre exemple de l'influence que peut jouer
l'entourage linguistique:

(37) Le créancier victime de l'inexécution peut-il se contenter de démontrer que
le débiteur n'a pas ou a mal exécuté le contrat, ou doit-il en outre prouver
l'imprudence, la négligence ou la malveillance de celui-ci? (J5B)

Dans (37), c'est la coordination syntaxique de ne...pas avec l'adverbe de
manière mal qui impose la lecture descriptive.

Jusqu'ici nous n'avons considéré que des exemples où ne...pas était attaché au verbe de la phrase. Or tout porte à croire que, d'une manière générale, l'absence de ne est un CD favorisant fortement la dérivation descriptive. Faute de place, l'examen de cette problématique, qui fait entrer en ligne de compte l'étude d'une multitude de structures, y compris les ellipses et la négation des adjectifs, doit cependant attendre un travail ultérieur.

4.3. Les termes à polarité négative (les TPN).

Une autre question s'impose pour notre analyse polyphonique : en effet, quel est le rôle des TERMES A POLARITE NEGATIVE (dorénavant les TPN) dans ce jeu entre CB et CD? On connaît l'existence de ces expressions (telles grandchose, la moindre chance, lever le petit doigt, non plus) qui ne peuvent être insérées que dans des contextes syntaxiquement ou sémantiquement négatif s15. A première vue, elles semblent devoir être des CD, parce que les contreparties positives de leurs énoncés (e^ sont impossibles en tant qu'énoncés, et on se rappelle que l'effacement de ej mène à la négation descriptive:

(38) a. (Si Luc part demain,) il n'arrivera pas à faire grand-chose ici.
b. *(Si Luc reste demain,) il arrivera à faire grand-chose.

(38b.) est effectivement malformé. Mais on ne peut pas en déduire pour autant que cx est effacé. Les points de vue sont des entités sémantiques, et si l'on considère (38a.) de plus près, on se rend compte que la négation semble bien être polémique et qu'intuitivement cet énoncé sert à réfuter un point de vue selon lequel Luc arrive à faire un certain nombre de choses. Or c'est là exactement e! selon l'analyse polyphonique. Remarquons en passant que cette interprétation est indiquée par le si hypothétique qui est un CB, cf. ex. (17).

La lecture polémique d'énoncés négatifs renfermant des TPN n'est nullement
rare. On trouve en effet nombre d'exemples du type suivant:

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(39) A: Paul t'a aidé, n'est-ce pas?
B: Tu parles : il n'a pas levé le petit doigt!

où le rejet semble consister à simuler un énoncé positif absurde comme point
de vue que la négation rejette. Ces énoncés n'ont évidemment rien de descriptif.

Le comportement des TPN est plutôt un phénomène syntaxique qui est lié à la structure de portée de la négation. Il n'en reste pas moins qu'il y a une certaine parenté entre les TPN et la négation descriptive. Beaucoup de TPN désignent en effet l'extrême point d'une échelle. Ils forment donc des prédicats scalaires. Or nous avons vu que ceux-ci sont des CD. C'est sans doute pour cette raison que:

(40) II n'a pas la moindre chance de réussir.

qui renferme l'extrême quantitatif vers le bas, reçoit quasi automatiquement la lecture descriptive. On peut donc conclure que les (nombreux) TPN qui désignent une quantité extrême sont des CD, mais que, malgré les apparences, les TPN ne sont pas des CD en tant que TPN.

5. Conclusion

II y a une seule négation ne...pas, et elle est polémique. Tout autre emploi de ne...pas est le résultat d'une dérivation qui peut être marquée au niveau syntaxique. Cette analyse polyphonique s'est vue corroborée par nos examens des CB et des CD. Nous pouvons ainsi conclure de ces examens, d'une part, que la syntaxe joue un rôle important pour l'interprétation de la négation comme étant polémique ou descriptive (quoique ce ne soit pas le rôle qui lui est traditionnellement attribué, cf. 2.2.), et d'autre part, que la lecture polémique est primaire pour autant qu'on en retrouve toujours des vestiges indépendamment de toutes contraintes structurelles. L'énoncé dans (41) prononcé par un pilote d'avion après l'atterrissage est peut-être particulièrement révélateur à cet égard:

(41) II n'est pas permis de passer sous les ailes de l'avion.

Pas permis se remplace par interdit sans changement notable de sens dans cet énoncé. La négation est donc descriptive. Or, si le pilote a préféré la version négative, c'est sans doute parce que celle-ci garde des traces de sa valeur fondamentalement polémique et que la présentation du point de vue positif, partant impliqué, a une valeur atténuante.

Nous n'avons fait qu'effleurer certains aspects du fonctionnement de la négation en français; or on a, j'ose espérer, pressenti la quantité de voies intéressantes qu'ouvre l'approche polyphonique pour les recherches à venir. Une étude plus systématique des CB et des CD ainsi que de leur interaction s'impose avant tout. Cette étude pourrait aussi nous expliquer pourquoi tout

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le monde semble avoir considéré comme acquise l'existence d'une relation étroite entre la nature de la portée de la négation et l'interprétation de celle-ci. Il faudra aussi étendre l'analyse aux autres négations. Ainsi, les «semi-négations» (cf. Muller à paraître) comme ne...jamais, ne...auciin, etc., semblent donner lieu à des lectures plutôt descriptives. En un sens, ces négations sont elles-mêmes des CD (ce qui n'étonne guère, dans la mesure où elles peuvent être considérées comme des exemples de la parfaite intégrationpredicative de la négation). Des perspectives fascinantes semblent égalementse dégager pour les études contrastives et stylistiques, grâce à la vertu principale de l'approche polyphonique, qui est de permettre l'étude rigoureusedes rapports entre formes et emplois des énoncés négatifs. Or ces rapports constituent, me semble-t-il, un des principaux objets de toute étude linguistique.

Henning Nolke

Ecole des Hautes Etudes Commerciales d'Aarhus



Notes

1. L'œuvre de Claude Muller (à paraître) a été une source d'inspiration très riche pour cette petite étude. Bien que se situant explicitement dans un cadre syntaxique, cet ouvrage contient une foule d'observations judicieuses portant sur la sémantique et la pragmatique de la négation.

2. Parfois sous d'autres dénominations, on trouve les mêmes distinctions un peu partout (voir p.ex. Cristea (1971), Gaatone (1971), Muller (à paraître) et Jackendoff (1972)). En fait, on les trouve déjà chez Jespersen (1917).

3. Voir par exemple Ducrot (1973), Heldner (1981), Muller (à paraître), Zwanenburg (1977). Se servant d'une autre notation (de parenthèses), en partie inspirée de Jespersen (1917), la monumentale œuvre de Sten datant de 1938 présente en fait une étude minutieuse de la portée de la négation.

4. Ducrot (1973) tente de montrer explicitement ces relations. Toutefois, il n'étudie que des énoncés fabriqués pour l'occasion, et même les jugements portés sur ces énoncés semblent contestables. Moeschler (1982) reprend cette analyse et propose des relations explicites entre les différentes classifications - syntaxiques, logiques, sémantiques et pragmatiques - de la négation.

5. Il s'agit de la distinction entre a. Je ne crois pas que Pierre revienne et b. Je crois que Pierre ne reviendra pas, où il y a négation externe dans a. et négation interne dans b. (cf. Horn 1989).

6. Comme c'est le cas dans l'exemple suivant emprunté à Muller (à paraître): (A) -Je suis allé au coiffeur. - (B) - Tu n 'es pas allé au coiffeur : tu es allé chez le coiffeur.

7. Il s'agit d'une dérivation délocutive basée sur une litote. D'une manière générale la litote semble souvent être locomotive de la dérivation descriptive.

8. Pour une introduction plus approfondie de la théorie que celle qu'on trouve ici, voir Ducrot (1984) et Nolke (1989). Dans ce dernier travail, j'ai esquissé une élaboration de la théorie qui vise à l'ancrer dans la structure formelle de la langue, et j'ai essayé de montrer que cette démarche la dote d'une importante valeur explicative potentielle. La grande vertu de la théorie de la polyphonie est en effet qu'elle permet d'établir des liens précis entre différents niveaux de l'analyse linguistique.

9. Ducrot propose le terme technique: ACTES PRIMITIFS. Comme il ne s'agit pas d'actes au sens habituel de ce terme, j'ai préféré parler de POINTS DE VUE (comme Ducrot le fait d'ailleurs lui-même de manière informelle) tout en donnant à ce terme un statut formel.

10. Complètement différent pour exclure les êtres discursifs «ensemblistes» tels que ON, dont fait partie le locuteur. Ainsi les présupposés, dont l'énonciateur est lié à ON (cf. Ducrot 1984, p. 231), ne sont pas des citations.

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Résumé

L'auteur propose une analyse polyphonique de la négation ne...pas, selon laquelle son emploi fondamental est polémique. Les négations métalinguistique et descriptive sont dérivées de cette valeur primaire. La dérivation descriptive peut être entravée ou favorisée au niveau syntaxique. Eauteur examine un certain nombre de contextes Moqueurs (CB) et déclencheurs (CD) de cette dérivation, et il montre que le rôle que joue la portée de la négation est beaucoup moins important pour son interprétation que ne le veut une longue tradition linguistique.



11. La plupart des exemples de cette section sont tirés du corpus de textes juridiques établi à l'Ecole des Hautes Etudes Commerciales de Copenhague (cf. Dyrberg et al 1988). Je renvoie à ce corpus par la majuscule J. Le chiffre est un code qui permet de retrouver l'exemple dans son contexte.

12. En revanche, on ne peut pas décider à partir du seul énoncé de la lecture la plus probable de la deuxième négation de (25).

13. Ainsi, malheureux tipas heureux ne signifient pas la même chose: on peut n'être ni heureux ni malheureux.

14. C'est sans doute pour cette même raison que cet adverbial permet la présence de pas dans des réponses elliptiques, où on se sert par ailleurs de non. Ainsi on dira Pas exactement ou Pas tout à fait, exactement comme on dira Pas aujourd'hui, réponse dans laquelle la valeur descriptive de la négation ne fait pas de doute.

15. De nombreuses études portent sur ces phénomènes. Voir p.ex. von Bremen 1986, Fauconnier 1977, Gaatone 1971.

Bibliographie

Bremen, Klaus von (1986): Le problème des forclusifs romans, Lingvisticae Investigationes,

Cristea, Teodora (1971): La structure de la phrase négative en français contemporain.
Bucarest.

Ducrot, Oswald (1972): Dire et ne pas dire. Hermann, Paris.

Ducrot, Oswald (1984): Le dit et le dire. Les Editions de Minuit, Paris.

Dyrberg, Gunhild et al. (1988): Etablering af et juridisk tekstkorpus, Hermès 1, Ecole
des Hautes Etudes Commerciales d'Aarhus.

Fauconnier, Gilles (1977): Polarité syntaxique et sémantique, Lingvisticae Investigationes

Gaatone, David (1971): Etude descriptive du système de la négation en français
contemporain. Droz, Genève.

Heldner, Christina (1981): La portée de la négation. Norstedt, Stockholm.

Horn, Laurence R. (1989): A NaturalHistory of Négation. The University of Chicago
Press, Chicago.

Jackendoff, Ray F. (1972): Semantic Interprétation in Generative Grammar. MIT
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Jespersen, Otto (1917): Négation in English and other Languages. Copenhague.

Klima, Edward S. (1964): Négation in English, in Fodor, J.A. & J.J. Katz (eds.): The
Structure of Language. Readings in the Philosophy ofLanguage. PrenticeHall, Englewood.

Moeschler, Jacques (1982): Dire et contredire. Pragmatique de la négation et des actes
de réfutation dans la conversation. Peter Lang, Berne.

Muller, Claude (à paraître): La négation en français.

Nolke, Henning (1989): Polyfoni : En sprogteoretisk indforing. ARK 48, Ecole des
Hautes Etudes Commerciales de Copenhague.

Sperber, Dan & Deidre Wilson (1986): Relevance. Blackwell, Londres.

Sten, Holger (1938): Nœgtelseme ifransk Nyt Nordisk Forlag, Arnold Busck, Copenhague.

Vikner, Cari ( 1978): Les auxiliaires négatifs: fonction et position, Revue Romane XIII.