Revue Romane, Bind 25 (1990) 2

Une sottie méconnue: la «Moralité de Chascun, Plusieurs, le Temps-qui-court, le Monde» du manuscrit La Vallière

par

Svend Hendrup

Vers la fin du deuxième chapitre sur Nemo de leur très savante étude sur
Sermon Joyeux et truanderie, J. Koopmans & P. Verhuyck (1987) présentent
ainsi notre moralité:

Citons pour terminer une autre pièce méconnue, la moralité de Chascun, Plusieurs, Le Temps-qui-Court, Le Monde du recueil La Vallière, pièce-clef qui illustre bien les préoccupations essentielles de la plupart des sotties et dont le rayonnement sémantique se situe également sur l'axe qui va de Nemo à Chacun, (p. 139)

Le présent article se propose de remédier à cette méconnaissance en étudiant de plus près notre moralité, ou sottie, et en la rapprochant d'autres pièces semblables du théâtre profane français de la fin du Moyen Age, pour en arriver à une détermination plus précise du genre qu'elle représente: moralité ou sottie?

Nous aborderons ainsi le problème épineux de la distinction des genres de ce théâtre profane, problème qui, comme on le sait, a préoccupé les chercheurs dès les premières études théâtrales du siècle précédent et qui les préoccupe toujours. Citons encore, en dernier lieu, J. Koopmans (1989), qui commence ainsi son article sur «Frère Guillebert»:

La différence précise entre les genres du théâtre profane de la fin du moyen
âge et du début du XVIe siècle reste - malgré un grand renouveau d'intérêt
pour cette littérature dramatique - toujours problématique, (p. 49)

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Nous présenterons d'abord une analyse du texte de Chascun, Plusieurs, le Temps-qui-court, le Monde (désormais: Chascun), bien qu'une telle analyse ait déjà été faite par J. Koopmans & P. Verhuyck (1987, p. 139-41): en effet, leur analyse est plutôt une ébauche et, surtout, elle porte sur d'autres aspects («l'axe qui va de Nemo à Chacun», p. 139) que ceux qui nous intéressent ici.

Chascun est une petite pièce bien construite de 378 vers, (très) courte pour une moralité, de longueur moyenne pour une sottie. - Noter: La pièce est de 378 vers, si l'on garde les deux répliques identiques, v. 18-19 = 20-21, et si l'on retient le vers 36 comme un vers octosyllabique (et non pas deux vers de quatre syllabes).

La pièce comprend trois scènes de longueur égale, chacune d'elles
composée de deux ou trois parties, et un court épilogue (ou «adieu»).

La première scène, v. 1-120, comprend deux parties: Dans la première (v. 1-79), Chascun et Plusieurs se rencontrent sur la scène et échangent des menus propos sur des thèmes traditionnels: l'argent qui manque (v. 4-5 «le bas blesse/Qui n'a argent en habondance» + v. 32), le plaisir (v. 6 «Y n'est thresor que de plaisance» + v. 69, 75), autrefois/aujourd'hui (v. 22-23) «Le temps iadis estoyt bon, mais/Tousiours il empire au demain»). - Dans la deuxième (v. 80-120), Chascun et Plusieurs s'aperçoivent du Temps «qui court par devant eulx» (didascalie w. 79/80 et 88/89). Ils se décident à l'attraper à l'aide d'un «las» (v. 103 ss) pour lui demander la raison de son «sauluage habilement» (v. 93).

Dans la première partie (v. 121-70) de la deuxième scène, v. 121-260, le Temps attrapé demande à Chascun et Plusieurs qui ils sont et apprend que «Plusieurs gens chascun nous apelle» (v. 126, 130, ou au vers 263 sans aucun doute syntaxique: «On nous appelle plusieurs gens»). - Dans la deuxième partie (v. 171-224), le Temps explique qu'il est «de tout mestier» (v. 163): de Guerre (v. 181 ss), d'Eglise (v. 199 ss) et de Labeur (v. 219 ss), métier qu'ii a abandonné pourtant comme «trop pénible» (v. 224). - Dans la troisième partie (v. 227-60), le Temps, ayant gagné Chascun et Plusieurs à sa cause, leur promet maintenant: «ie...vous veulx le monde monstrer» (v. 244).

Dans la troisième scène, v. 261-369, première partie (v. 261-353), le Monde, présenté aux trois compagnons, reconnaît qu'ils sont de «loyeulx mignons, frisques et gens/Plus que les antiennes gens» (v. 272-73). D'abord un peu sceptique à leur égard, il se laisse pourtant persuader de suivre «la facon du Temps qui court» (v. 338), à savoir: «Mectre Paultruy auec le sien/Prendre tousiours, ne donner rien» (v. 336-37). - La deuxième partie (v. 354-68), la partie la plus courte de la pièce en est aussi la culmination. Le Temps ordonne au Monde, devenu membre de la «bande» (v. 350):

...afin qu'on te cognoise,
Vestir te fault à la renuerse
Et prendre ausy nostre liuree. (v. 355-57)

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Le changement d'habit effectué, Chascun peut constater:

Le monde est a ceste heure renuersé. (v. 364)

Ensuite, à Plusieurs de conclure:

Le monde par oultre cuydance
Est maintenant fol deuenu. (v. 367-68)

Un «département» en forme de triolet clôt alors la pièce (v. 369-76), suivi par
l'«adieu» caractéristique aux pièces du manuscrit La Vallière:

En prenant congé de ce lieu,
Une chanson pour dire adieu, (v. 377-78)

Comme on le voit, on ne peut pas méconnaître cette petite pièce-animée, ni son genre, ni sa qualité. Elle est bien construite, les scènes se succédant logiquement et rapidement, le style n'est pas lourd, la métrique est assez variée (des vers de 5, v. 38 ss etc., et de 10 syllabes, v. 10 ss, alternent avec l'octosyllabe commun; des formes strophiques accentuent les points importants: tercets v. 24-29 etc., sixains v. 310-38, triolets w. 125-30 et 369-76). En ce qui concerne le genre, les derniers vers, que nous venons de citer, ne laissent aucun doute: Chascun est bel et bien une sottie et ses personnages sont des sots (ou fols) portant leur costume traditionnel, et c'est justement en mettant «nostre liuree» que le Monde devient «fol» comme les trois autres de la «bande».

On objectera peut-être ici que, tandis que tout ce jeu, pour un spectateur, a dû être évident dès le début de la pièce (les personnages portant la «liuree»), un lecteur reste dans le doute jusqu'aux derniers vers de la pièce qui en révèlent le genre de manière évidente. Mais, un lecteur tant soit peu attentif saurait bien, lui aussi, reconnaître le caractère du texte, dès les premiers vers, grâce aux mots-clés et aux thèmes traditionnels de la sottie: v. 1 ss-les menus propos, v. 6-plaisance ( + v. 69-plaisir et leesse, etc.), v. 40-nos poix, v. 44-nos saultz ( + v. 63-le sault dangereulx), v. 77-jouer et rire ( + v. 268-nous esbatre). Le vocable «galans» (v. 262), par lequel le Monde désigne Chascun et Plusieurs, ne doit pas nous surprendre: il n'est pas rare que, dans les sotties, les sots emploient ce mot, en parlant d'autres sots ou en s'adressant à eux.

Chascun, donc, est une sottie et ne saurait être méconnue comme telle. Il en
va autrement pour une autre pièce, très semblable à Chascun, du même
manuscrit La Vallière: le Moral de Tout le Monde.

Cette pièce, un peu plus courte, de 314 vers, et qui ne comprend que deux
scènes, nous présente quatre personnages: trois «compaignons» et Tout le
Monde.

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La première scène nous montre les trois compagnons à la recherche de leurs «esbatemens» (v. 14), personnifiés par leur ami Pase Temps (v. 17); comme ils ne réussissent pas seuls à avoir accès auprès de lui, ils se décident à demander le secours de Tout le Monde.

La deuxième scène, v. 61-314, s'ouvre sur l'entrée de Tout le Monde,
portant un costume bizarre:

Le .IIe. [compagnon]

One en telle sorte ne vis
Le Monde. Ou il est afollé,
Ou c'est quelque sot avollé
De nouveau qui vers nous s'adresse.
Y porte Testât de Noblesse,
De Marchant, Labeur et l'Eglise, (v. 77-82)

Les trois compagnons lui conseillent de se contenter d'un seul de tous ces
«habits», mais aucun ne le satisfait et il finit par faire appel aux compagnons:

Mais baillés m'en un (i. e. un habit), je vous prye,
Oui soyt faict a ma fantaisie,
Car selon l'habit l'homme vault. (v. 253-55)

Les compagnons se rendent à sa prière et lui composent un «habit» qui
satisfait tous ses désirs Le résultat est commenté ainsi par Le Premyer
(compagnon):

Selon la teste et la raison
Le voyla vestu au léger, (v. 276-77)

Après quoi, tous les quatre se rejoignent dans une ballade finale de quatre
strophes dont nous citons la deuxième et la quatrième:

Le .IIe. [compagnon]

Le Monde par confusion
A perdu de raison la sente
Et, a sa grand dérision,
Est vestu de guise indécente,
Celuy n'y a qui ne consente
De porter chaynes d'or au col,
Qui monstre, ou sagesse s'absente,
Qu'aujourd'uy Toult le Monde est fol. (v. 293-300)

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Tout le Monde

Ausy souvent que le vent vente Du Monde le cerveau s'esvente; Par foys est dur, par foys est mol; Sans aelles souvent prent son vol; Sans yeulx veult voir chose latente, Dont concludz, la chose est patente, Qu'aujourd'hui Toult le Monde est fol. (v. 308-14)

Malgré ses dimensions réduites, 314 vers et deux scènes seulement, cette pièce rappelle bien la précédente; et, la scène de travestissement à part, le Moral de Tout le Monde (désormais: Moral) contient aussi d'autres traits de sottie: «esbatemens» (v. 14), «vol sans aelles» (v. 311), le Monde qui toujours est caractérisé comme «sot» (w. 77, 280) ou «fol» (w. 156, 243, 287) et dans les refrains de la ballade citée ici, les trois compagnons que le Monde désigne comme «mes supos» (v. 247).

Mais par rapport à Chascun, où il semble évident que «nostre liuree» (v. 357) désigne le costume des sots, il est beaucoup plus difficile de définir ici, dans Moral, ce que représente le travestissement de Monde, de préciser ce dont il s'agit au fond, et de déterminer le genre auquel se rapporte le Moral.

Cependant, avant de poursuivre le rapprochement des deux pièces et d'essayer de répondre à ces questions, voyons ce qu'en ont dit les critiques jusqu'ici. Il semble pertinent de consulter le Répertoire de P. de Julleville, le Recueil général des sotties d'É. Picot et les quatre spécialistes contemporains: B. Goth, J.-Cl. Aubailly, I. Nelson et H. Arden. Voici, en tableau schématique, les réponses ainsi obtenues:


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La critique, donc, est loin d'être unanime; et, chose bizarre, là où il y a accord, c'est aussi là où l'on s'y attend le moins: la majorité est contre une Chascun -sottie, pièce qui ne pose pourtant pas de problèmes particuliers, mais pour une Mora/-sottie, pièce dont le genre est, par contre, vraiment difficile à déterminer.

Cernons de plus près l'argumentation des critiques:


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Julleville tranche nettement: les deux pièces sont enregistrées avec les autres moralités, parce que leurs personnages sont des personnifications. - Picot ne dit pas pourquoi il compte Moral parmi ses sotties, mais omet Chascun. - Barbara Goth ne dit rien non plus à propos de Chascun, mais ce silence est peut être dû au silence de Picot. Elle nous renseigne pourtant sur les raisons qui lui ont fait omettre ('ausgrenzen') Moral de son corpus (Untersuchiingen p. 109-10), cette pièce ne correspondant pas aux définitions avancées par l'auteur. - Aubailly compte nos deux pièces pour des sotties, mais pour lui, ce sont des «formes bâtardes» et tardives, des «sotties-rébus» (Le monologue p. 346 ss). - Ida Nelson ne dit rien sur Chascun, peut-être pour les mêmes raisons que celles de B. Goth (absence de la pièce chez Picot); pour Moral elle annonce expressément (La sottie sans souci, p. 14) qu'elle a trouvé par elle-même cette pièce dans le Répertoire de Julleville, au lieu de la chercher chez Picot, à qui elle s'en rapporte ordinairement. Etrange, pourtant, que la première pièce lui ait échappé dans le Répertoire. - Heather Arden compte, comme Aubailly, et peut-être le suit-elle, les deux pièces dans son propre corpus.

Face à ces désaccords - et à ces silences - il serait peut-être prudent de chercher d'autres voies. Nous proposons, pour pouvoir porter remède à ce malaise classificatoire, d'introduire ici deux séries de distinctions qui s'avéreraient peut-être utiles en vue de classifications plus satisfaisantes, du moins pour le moment.

Nous empruntons la première série de distinctions aux Untersuchungen de B. Goth, étude fondamentale, qui, malheureusement, est restée un peu méconnue en France, malgré la présentation succinte, mais juste, faite par D. Poirion dans sa préface à La sottie sans souci d'lda Nelson. B. Goth distingue 'Hauptformen' (sotties), 'Grenzformen' (sotties) et 'Nebenformen' (non sotties).

A cette distinction nous ajoutons la distinction entre 'la sottie - genre littéraire (dramatique)' et 'la sottie - mode scénique', ce qui ne correspond pas exactement à la distinction traditionnelle entre un texte dramatique et sa représentation théâtrale. Nous nous expliquerons là-dessus. - Cette distinction n'est pas entièrement nouvelle, elle a, dans une certaine mesure, été proposée déjà par E. Droz, dans l'introduction de son Recueil Trepperel I (p. lxviii-lxix):

Nous serions porté à croire qu'un même texte pouvait, au gré des acteurs,
être farce ou sottie et qu'il suffisait d'un changement de mise en scène, de
costume, de rapidité dans le débit, pour transformer la sottie... en farce.

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Notons, en passant, que E. Droz, au fond, ne fait que reprendre des idées avancées déjà par P. de Julleville (La comédie et les mœurs, p. 69) et par G. Cohen (Le Théâtre comique au XVe siècle, p. 5). - L'hypothèse proposée par E. Droz, et par d'autres, demande, évidemment, des modifications: ce ne sont pas seulement des farces mais aussi des moralités que des sots auraient pu jouer. Ce n'est pas toute farce ou toute moralité qui aurait convenu à une telle forme de représentation. Des farces ou des moralités jouées par des sots ne deviennent pas pour autant des sotties. Mais, certains textes, farces ou moralités, joués par des sots en costume, ont pu acquérir, par là, une dimension en plus, une pointe supplémentaire. - Ce qui nous intéresse ici, c'est que justement des textes 'problématiques' comme ceux dont nous discutons ont pu être de tels textes, propres à être représentés par des sots.

En utilisant les deux séries de distinctions proposées, nous serons à même
d'avancer maintenant des classifications plus précises pour nos deux pièces:

Chascun: les vers 357 «nostre liuree» et 367-68 «le monde...est maintenant fol devenu» impliquent que les personnages de la pièce sont des sots. Les thèmes de la pièce: 40-poix, 44-sault, 268-esbatre, 356-a la renuerse et 364-le monde est a ceste heure renuersé (le thème du 'mundus inversus', fondamental à la sottie), impliquent que ces sots paraissent dans une sottie. La pièce doit être déterminée, pourtant, comme une 'Grenzform' puisque des éléments importants manquent tels qu'une hiérarchie bien définie (prince et sujets), des phases spécifiques du jeu (le cri, par exemple), une certaine rhétorique. A noter que la notion de 'mode scénique' ne joue pas ici puisque les personnages sont présupposés être des sots.

Moral: serait à identifier comme une 'Nebenform', c'est-à-dire comme une non sottie. Les personnages de cette pièce ne semblent pas être des sots et les thèmes n'ont pas le même caractère de sottie que ceux de Chascun', à la pièce manquent aussi, comme pour Chascun, des éléments importants. La pièce, par contre, est un bel exemple de 'mode scénique': si la pièce était représentée par des sots en costume, son thème de «Tout le Monde est fol» (le thème de 'stultorum numerus infinitus est') apparaîtrait de manière bien plus précise, de même que ses autres traits de sottie seraient précisés.

A la lumière des distinctions établies ici, d'autres pièces aussi pourraient être reclassées: la Farce de Tout, Chascun et Rien (Recueil du British Muséum,Ancien Théâtre françois n° 56) serait à déterminer, ainsi que Moral, comme une 'Nebenform' (une non sottie) et une pièce où la notion de 'mode scénique' jouerait; la pièce, d'ailleurs, est, avec Chascun et Moral, considérée par J.-Cl. Aubailly comme une sottie-rébus (voir aussi J. Koopmans & P. Verhuyck (1987) p. 137-39) - D'autres pièces 'problématiques' encore: la célèbre Moralité faite en foulois (Collège de Navarre, 1427) = 'Grenzform' (sottie); la Moralité de Mars et Justice, la Farce de Pattes-Ouaintes et la mystérieuseFarce de Trop, Prou, Peu, Moins de Marguerite de Navarre = des

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'Nebenformen' (non sotties) et des pièces où jouerait la notion de 'mode
scénique'.

Mais arrêtons-nous ici, car l'on nous reprocherait peut-être déjà d'avoir introduit, à l'encontre du principe d'Occam, des distinctions superflues, mal définies et qui ont un peu le caractère d'expédients. Soit. N'oublions pourtant pas que nous discutons des phénomènes moins bien définis, des textes et pièces problématiques, des cas limites dont personne jusqu'ici, à notre connaissance, n'a su rendre compte de manière tout à fait univoque. Admettons que les notions de 'Haupt-', 'Grenz-' et 'Nebenformen' puissent rendre des services, du moins provisoires, dans la discussion des cas marginaux par rapport aux cas centraux: en effet, il y a une différence bien nette entre une 'Grenzform' (qui est une sottie) et une 'Nebenform' (qui ne l'est pas). Admettons de même que la notion de 'mode scénique' puisse servir à préciser les relations entre le fait littéraire et le fait théâtral, et, peut-être, à mettre en lumière les intentions éventuelles de l'auteur dramatique: il est possible d'imaginer qu'un auteur de l'époque ait pu composer un texte en ayant en vue deux sortes de représentations, l'une où paraîtraient des acteurs 'normaux' et l'autre où paraîtraient des sots comme acteurs; dans ce dernier cas, l'auteur d'un texte hardi serait protégé par son innocence.

En affirmant l'utilité de cette notion de 'mode scénique', nous ne pensons pourtant pas aller aussi loin que J. Koopmans (1989, p. 50) pour qui «la compréhension des conventions scénographiques peut être fort pertinente au niveau du classement des pièces profanes». - Pour nous, ce classement, problème épineux de la distinction des genres du théâtre profane de la fin du XVe et du début du XVIe siècles reste un problème littéraire, une question de textes, de groupes de textes.

On pourrait penser avec F. Lecoy que

le problème ne se pose vraiment qu'au critique moderne [i.e. par opposition aux gens du moyen âge], lorsqu'il s'apprête à éditer un «recueil»... ou à dresser des listes...: mais dans ce cas, il suffit de s'en tenir à une solution conventionnelle, dont il faudra seulement éviter qu'elle soit ou trop large ou trop étroite. (Romania, 97, 1976, p. 139)

Mais que faire des prudents conseils de F. Lecoy («s'en tenir à une solution conventionnelle») quand, pour le genre qui nous occupe, la sottie, on se trouve en présence de quatre corpus aussi différents que ceux établis par les quatre spécialistes contemporains cités? Voici leurs 'listes', pour reprendre le terme de F. Lecoy:

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On cherchera en vain, ici, une «solution conventionnelle». Mais il y a plus: ceci n'est pas seulement une question purement quantitative, il s'agit aussi de différences qualitatives. Nous venons nous-même de terminer, provisoirement, des recherches taxinomiques sur la sottie. Ces recherches ont abouti à un corpus de 28 sotties, mais ces sotties ne sont absolument pas les mêmes que celles du corpus établi par B. Goth.

On le voit bien: dans ces circonstances - l'envergure des différences entre les
corpus de sotties - il est pratiquement impossible de comparer, par exemple,
ce que dit B. Goth de la sottie à ce qu'en dit, par exemple, H. Arden.

Devant de tels désaccords, on est obligé de donner raison à J. Koopmans (1989, p. 49), qui, à propos des différentes suggestions de classifications, souligne «surtout l'incompatibilité fondamentale des critères habituellement avancés». Certes, le problème de la distinction des genres du théâtre profane français de la fin du XVe et du début du XVIe siècle reste un problème épineux.

Dans ce petit article, qui s'est proposé un but modeste, nous espérons avoir apporté une solution à des désaccords de bien moindre envergure, désaccords relevés à propos de quelques textes 'problématiques' - et avoir contribué à la réhabilitation d'une sottie méconnue.

Svend Hendrup

Université de Copenhague


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Résumé

La critique reste divisée au sujet de la petite pièce très intéressante, Chascun, Plusieurs, le Temps-qui-court, le Monde, du ms La Vallière: pour les uns il s'agirait d'une moralité, pour les autres cette pièce serait plutôt une sorte de sottie. Le présent article cherche à trancher la question: d'abord par une analyse plus serrée des traits caractéristiques du genre de la sottie que présente notre pièce, puis par un rapprochement entre celle-ci et d'autres pièces 'problématiques', par l'introduction, enfin, de deux séries de critères de distinction empruntées à B. Goth (les notions de Haupt-, Neben- et Grenzformen de la sottie) et à E. Droz (l'idée de mode scénique).

Bibliographie

Arden, Heather (1980): Fools'Plays: A stiidy of satire in the sottie. Cambridge Mass.

Aubailly, Jean-Claude (1976): Le monologue, le dialogue et la sottie, essai sur quelques
genres dramatiques de la fin du Moyen Age et du début du XVT siècle. Paris.

Chascun, Plusieurs, Le Temps-qui-court, Le Monde: Le Roux de Lincy et Fr. Michel
(éds.) (1837): Recueil de farces, moralités et sermons joyeux. Paris. (4 volumes).
Vol 111, 2.

Cohen, Gustave (1940): Le théâtre comique au XVe siècle et dans la première moitié
du XVIe siècle. Paris. Cours de Sorbonne.

Droz, Eugénie (éd.)( 1935): Le recueil Trepperell: Les sotties. Paris.

Goth, Barbara (1967): Untersuchungen zur Gattungsgeschichte der Sottie. München.

Koopmans, Jelle (1989): «Frère Guillebert: taxinomies et visualisations d'une farce»
Revue Romane, 24, p. 49-64.

Koopmans, Jelle et Verhuyck, Paul (1987): Sermon joyeux et tnianderie (Villon-Nemo-
Ulespiègle). Amsterdam.

Moral de Tout le Monde: voir Picot, Emile (éd.) (1902-12), Vol. 111, p. 25-44.

Nelson, Ida (1977): La sottie sans souci: Essai d'interprétation homosexuelle. Paris.

Petit de Julleville, Louis (1886): La comédie et les mœurs en France au Moyen Age.
Paris.

Petit de Julleville, Louis (1886): Répertoire du théâtre comique en France au Moyen
Age. Paris.

Picot, Emile (éd.)( 1902-12): Recueil général des sotties (3 vols). Paris.