Revue Romane, Bind 25 (1990) 2

Esthétique de l'admiration. Le désir occulté de fiction

par

Morten Nøjgaard

Notre civilisation consomme inlassablement ses fantasmes littéraires dans l'angoisse. L'homme occidental a peur de la fiction et plus généralement, peut-être, des échos que l'art lui renvoie de la vie tumultueuse, incontrôlable de ses désirs. Il ne désire rien tant que de se laisser emporter par le torrent déchaîné de ses passions, de se livrer corps et âme au monde ensorcelé des fantasmes, mais la peur - il dira lui-même la raison, la volonté - le retient au bord du gouffre. Alors il cherche consolation et compensation aux bras des Muses, succombant aux charmes de ces fantasmes contrôlés et «raisonnables» que sont les œuvres d'art.

Un des chefs-d'œuvre de la littérature danoise, les Rêveurs («Phantasterne», 1857), roman de Hans Egede Schack, fait de ce besoin angoissé de fantasmes fictionnels le thème même de sa fiction, mais il le situe dans l'orbite rassurante de l'esthétique dominante de l'Occident, esthétique qui n'admet la représentation du trouble des instincts que dans la mesure où les pulsions sont aliénées par l'art en objets manipulables par la «raison» du citoyen, responsable de lui-même, mais surtout des autres, parmi lesquels il compte ses instincts.

Il semble bien qu'à l'origine même de notre culture littéraire se trouve la conviction que celui qui s'adonne au rêve, c.-à-d. au désir nu, est condamné sans appel: le fantasme pur est le poison qui tue. Voilà en tout cas l'enseignement de ce menteur impétinent, ce fabulateur magnifique que fut Ulysse. A deux reprises, Homère fait subir à celui-ci la tentation angoissante du fantasme pulsionnel. Elle prend la forme d'un envoûtement, d'un charme erotique et naît naturellement dans une île enchantée, lieu privilégié de toutes les extases comme de toutes les aberrations.

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On s'isole pour rêver - comme les étudiants de H. E. Schack - et pour jouir de ses fantasmes - comme Ulysse, car le lieu caché est l'emblème de la gratuité du désir déchaîné: sur l'île on ne craint aucun ennemi et dans le rêve on ne risque que de s'éveiller. Malheureusement le rêve - où tout est désir - bute à terme sur la «réalité», où tout est peine, de même que les voluptés de l'île enchanteresse échouent à étouffer la voix de la «raison»: il faut penser au retour...

La première fois, Ulysse succombe à la tentation (Od. V 145-64), tout en connaissant les affres du remords: il ne sait plus que pleurer, objet destitué du désir de la nymphe Calypso, abandonné sur la plage. Il dispose librement de la volupté de son désir - mais ne conserve plus de liberté. Le fantasme a ensorcelé la volonté. La deuxième fois, c'est Circe qui essaie de persuader le héros que le fantasme vaut mieux que le mensonge (Od. X 309 ss). Si cette fois-ci Ulysse fait preuve de mesure, c'est peut-être que Circe ne fait appel qu'à l'ivresse des sens, alors que Calypso transfigurait - artistiquement - le désir en eros idéalisé. Mais surtout c'est qu'Ulysse se lance maintenant dans le filet des passions muni d'un charme, don d'Hermès, contre le breuvage sorcier de la fée. En d'autres termes, l'homme a appris à apprivoiser son désir en retenant ses attaches avec la réalité, et la pointe de ces histoires est que si on soumet ses pulsions au contrôle de la raison - et de l'art - on ne reste pas seulement assuré de ses arrières - le retour à la réalité - mais on obtient en prime la satisfaction fantasmagorique de ses désirs: Ulysse ne manque pas de profiter, et largement, des charmes charnels de Circe (v. 330-47).

C'est ainsi que les fables homériques ne nous permettent pas seulement de poser le problème du désir fictionnel, mais aussi de le résoudre. D'une part, l'homme occidental est ainsi fait qu'il ne saurait se passer des fictions narratives qui modulent son désir. D'autre part, notre civilisation est si profondément imprégnée de ce que Simon O. Lesser appelle «fear of fantasy», que nous craignons de nous abandonner aux délices de la lecture. Résultat de ce dilemme, la création, puis la prédominance d'une esthétique narrative visant au contrôle rationnel de l'imaginaire fictionnel, créateur d'angoisse.

Dès les origines, notre création littéraire a accompli cette tâche de réduire l'angoisse en cimentant dans toutes les institutions sociales dont elle relève (école, concours, mécénat, etc.) ce que j'appellerai une esthétique de la conciliation. J'entends par là des systèmes artistiques permettant aux passions sauvages de s'affronter, mais qui soumettent en même temps leurs conflits destructifs au contrôle rassurant des processus cognitifs. De la sorte, la sarabande désordonnée des fantasmes se mue, sous les yeux émerveillés du lecteur, en valse voluptueuse, mais cadencée.

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Cela n'empêche pas notre lecteur, rêveur impénitent, de regretter le paradis perdu, l'île de Calypso. Le lieu du désir reste au fond de la mémoire, tout occulté qu'il est par la lumière empoisonnée de la cognition volitive. De temps en temps, la révolte gronde et le lecteur, surmontant sa terreur, exige que la fiction donne libre cours aux passions déchaînées. Voilà pourquoi il existe, à côté de l'esthétique de la conciliation, une esthétique de la fascination: nous voudrions tant nous perdre dans le charme des fantasmes, à condition d'être sûrs de rentrer sains et saufs dans le bon port de la santé mentale (un des étudiants de H. E. Schack devient fou). Il faut donc imiter Ulysse chez Circe, et non ses compagnons transformés en pourceaux. C'est pour réaliser cette gageure qu'on a créé ce que j'appellerai l'esthétique de l'admiration. Il s'agit donc d'un système littéraire qui nous autorise à nous adonner à la jouissance des fantasmes fictionnels, sans créer trop d'angoisse ni, surtout, de remords.

Pour y parvenir, l'esthétique de l'admiration se sert principalement de structures mentales préœdipales, formées à un stade évolutif ignorant la culpabilité. La force motrice, dynamique et conflictuelle, de la vie mentale préœdipale est le besoin de métamorphose: je voudrais être, je suis quelqu'un d'autre, car je ne suis «en réalité» qu'un enfant trouvé. En d'autres termes, l'âme aspire à s'identifier avec l'idéal, à retrouver sans douleur le statut perdu. Le retour aux origines ne coûte rien: je ne réclame que mon dû.

En revanche, l'esthétique de la conciliation appartient au stade postœdipale, dont le fantasme fondateur n'est pas l'identification, mais la substitution: je m'apprête à reconquérir ma juste place, sachant bien qu'il faut y mettre le prix, car je suis le bâtard qui n'accède à la réalité qu'au prix du sang, du sacrifice consenti. Les traits constitutifs des deux systèmes esthétiques pourraient être les suivants:


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Ce tableau suit d'assez près la réflexion de Marthe Robert (Roman des origines et origines du roman, 1972). A la base du «roman familial» de Freud, elle établit deux types romanesques fondamentaux, types situés de chaque côté de la naissance du complexe d'Œdipe. Le héros canonique du type préœdipal est l'enfant trouvé qui rêve à des figures idéales pouvant se substituer aux parents de la «réalité». La fascination que ces figures idéales exercent sur l'enfant est basée sur un sentiment d'admiration et fonctionne comme un mécanisme d'identification. Le type postcedipal met en scène le bâtard, qui substitue à l'admiration amorphe, mais globale, indifférenciée, le couple affectif classique: amour - amitié, couple qui confère à ce type de conflit son caractère dramatique, éventuellement tragique. A l'amour-fusion succède la volonté de possession:


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Nul n'a sans doute mieux démonté les ressorts secrets de cette psychologie narrative que Michel Tournier dans l'essai intitulé le Troisième A (in Des clefs et des serrures, 1983). Le maître de français y exalte l'amitié, affection contrôlée, méritée, aux dépens de l'amour, passion aveugle, jusqu'au moment où un élève l'interrompt pour lui demander de situer le «troisième A», l'admiration, par rapport aux deux autres. Or, le romancier-professeur s'aperçoit alors que ce sentiment est en fait antérieur aux deux autres: c'est la passion de l'enfance et le moteur de la littérature juvénile:

Ladmiration est comme une nébuleuse originelle d'où sortent plus tard, par vieillissement et refroidissement, et l'amour et l'amitié. Passion juvénile, primaire, immature, elle peut être lumineuse, enrichissante, salvatrice, mais aussi corruptrice, meurtrière, dévastatrice, (p. 67)


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Amateur philosophe, Michel Tournier sait sans doute fort bien que son analyse ne fait que rejoindre celle de l'inventeur de la psychologie scientifique, René Descartes. Dans les Passions de l'âme (1649, 2e2e partie, article LUI ss), celui-ci fait de l'admiration, prise dans son sens latin d'étonnement (qu'utilise aussi Tournier), la passion originelle, d'où découlent toutes les autres, plus spécifiques. Or, Descartes met en garde contre cette passion primaire, foncièrement anti-intellectuelle. Elle nous sert parce qu'elle éveille notre curiosité (art. LXXV), mais elle est nuisible à cause de son incapacité à distinguer l'objet indifférent de l'objet qu'il vaut la peine d'étudier:

C'est pourquoy encore qu'il soit bon d'estre né avec quelque inclination à cette passion, pour ce que cela nous dispose à l'acquisition des sciences; nous devons toutefois tascher par après de nous en délivrer le plus qu'il est possible, (art. LXXXVI)

A la suite de Descartes, je pense que la fiction-séduction, basée sur cette nébuleuse de pulsions ataviques que l'on peut résumer sous le terme d'admiration, représente la figure originelle des fantasmes littéraires. Sous la pression de la philosophie dualiste de l'occident, celle-ci a cependant dû céder le pas à une esthétique de conciliation où le séducteur démoniaque, le modèle passionnément aimé, est supplanté par la voix neutre du pédagogue, de l'ami tendrement estimé.

Tout en étant îe meilleur analyste de la peur de la fiction qui accompagne cette évolution, comme nous le verrons, Simon O. Lesser fournit lui-même un excellent exemple de la distorsion intellectuelle produite par cette occultation progressive du désir fantasmatique. Il attribue (p. 125) trois fonctions au genre narratif:

- déclencher la jouissance

- éviter ou alléger un sentiment de culpabilité et d'angoisse

- faciliter la connaissance, la perception éclairée du monde

Or, il «oublie» totalement de mentionner un besoin autrement fondamental, mais qui ne se comprend que dans le cadre de l'esthétique refoulée de l'admiration: le désir de séduction. Mieux averti, Michel Tournier termine précisément son essai sur cette note troublante:

«Etonne-moi!» disait à Cocteau Serge de Diaghilev. Par cette injonction, il le
suppliait d'être si novateur, créateur, génial, qu'il restât toujours à ses yeux
en état de transfiguration, et donc adorable, admirable ...(p. 67)

Le besoin de séduction n'est pas un alliage des deux premières fonctions
de Lesser, mais il est vrai qu'il est vécu de la même façon, comme une extase
horrible...

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Un autre exemple de la suprématie de l'esthétique de la conciliation est le mythe absurde de l'autonomie de l'œuvre d'art. Comme il éloigne définitivement l'œuvre de ma réalité psychique, le mythe réduit l'angoisse, d'autant plus qu'il permet à la critique académique de se concentrer sur l'étude de la «forme», source selon elle de la valeur esthétique. L'œuvre peut dire n'importe quoi, c.-à-d. défier librement mes pulsions, à condition de rester «belle».

Rien n'illustre mieux l'opposition entre notre double besoin d'être séduit en nous abandonnant aux fantasmes, et de contrôler nos désirs en les enfermant dans les règles de l'art, que notre consommation actuelle d'histoires fictionnelles. Jamais on n'en a autant consommé, et jamais, sans doute, on n'a autant eu le sentiment que cette consommation est de mauvais aloi. Aujourd'hui tout est fictionnalisé, témoin le flot d'«actualités» qui nous inondent depuis les médias, mettant à profit toutes les ficelles de l'esthétique de l'admiration.

La réaction de rejet que provoque la littérature sentimentale et sensationnelle auprès des représentants de l'esthétique officielle, basée sur le contrôle des passions, réapparaît un peu partout encore de nos jours. C'est ainsi que le magazine F. Magazine, qui se voulait à la pointe du redressement culturel et social de la condition féminine, fulminait en mars 1981, sous la plume d'A. Cohen, contre la littérature féminine traditionnelle (les romans à l'eau de rose édités par Harlequin et concoctés par Barbara Cartland et consorts), prétendument aliénante et abêtissante:

Sans aucun doute, cette résurrection de la littérature sentimentale ou plutôt cette émergence n'a rien de rassurant (...). Elle élève un véritable mur entre ses lectrices et la culture. Lecture faible pour des gens faibles et fatigués, elle développe la paresse, elle entretient le rachitisme mental; elle cultive l'appauvrissement de la pensée, elle simplifie, elle réduit, elle limite (...). Disonsle franchement, les racines du fascisme ordinaire poussent dans cet endroit.

Voilà bien la «fear of fantasy» primaire qui relègue dans les ténèbres
extérieures les œuvres préœdipales basées sur une esthétique de l'admiration.

Le malaise provoqué par la littérature sentimentale s'étend souvent au genre narratif tout entier, preuve que le vrai mobile du critique émancipé n'est pas le jugement de valeur, mais la peur des fantasmes dans leur crudité primitive. C'est ainsi que Pascal se vante, dans les Lettres provinciales, de n'avoir jamais perdu son temps à lire un seul roman, et on connaît les foudres que les moralistes espagnols lançaient contre les romans de chevalerie, immensémentpopulaires au XVIe siècle. Dans De officio mariti (1529) Juan Luis Vives dit de ces livres qu'ils sont écrits pour des gens ignorants et lâches (cf. Sv. Moller Kristensen) et qu'ils enflamment les passions immondes. Retraçantla

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traçantlavie de sainte Thérèse, Francisco de Ribeira (1590) convient que la sainte a lu des livres de chevalerie, mais ajoute que ce genre «es una de sus (du diable) invenciones, con que ha echado a perder muchas almas recogidas y honestas.» Plus honnête, le grand réformateur de la langue Juan de Valdès (Diálogo de la lengua, env. 1535) confesse le plaisir qu'il a tiré de nombreux romans de chevalerie, mais reconnaît l'avoir fait avec une certaine mauvaise conscience!

Rappelons aussi la modération de saint Thomas d'Aquin, qui, à l'encontre d'innombrables moralistes de son temps, n'anathématise pas la littérature de divertissement. Le plaisir, «delectatio», d'une comédie peut se défendre, dit-il, parce que même l'esprit le plus élevé a besoin de détente, «remissio», à la façon d'un arc qui perd sa force à rester toujours tendu (v. l'ouvrage fondamental de Joachim Suchomski, p. 88).

On comprend dès lors que le courant dominateur de l'institution littéraire de l'occident n'a cessé d'imposer une esthétique garde-fou contre la subversion de la littérature «populaire», c.-à-d. non contrôlée. A ma connaissance, nul n'a mieux décrit cette peur de la fiction qui fonde, dès Aristote, l'esthétique de la conciliation que Simon O. Lesser, malgré la rigidité d'une certaine orthodoxie freudienne. Selon Lesser, la peur de la fiction qui imprègne notre civilisation est due à trois raisons.

1° We tend to disparage thc activity (of rcading fiction), first of
ail, simply bccause it is so cffortless. (p. 4)

Dans notre civilisation, l'effort valorise, alors que ce qui s'obtient sans effort, s'en trouve dévalorisé. A cet égard, la propriété déterminante de la fiction est qu'elle est perçue passivement et «passivity is inconsciously equated with feminity and thus musí be ficrccly resisted.» Nous savons tous que nos systèmes éducatifs valorisent bien davantage l'étude - de préférence ardue - de manuels et d'ouvrages de non-fiction, plutôt que les ouvrages «légers», qui ne sont guère «sérieux».

Ce culte de l'effort est un élément constitutif de notre civilisation et est un avatar de notre philosophie dualiste. Nous concevons la formation de l'individu comme un processus de ségrégation. Pour acquérir le statut d'adulte, c.-à-d. d'homme entier, il faut «sortir de l'enfance», briser le carcan de l'innocence, donner congé aux parents, au prix d'un immense effort, qui est une seconde naissance. Si l'amour est chez nous le thème omniprésent de la littérature, c'est que ce sentiment traduit à merveille la nostalgie que ressent l'adulte de la communion volontairement perdue. Pour avoir le droit de tomber amoureux, nous enseignent les romans, il faut d'abord avoir vécu la solitude irréparable de l'âme.

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Voilà qui explique que l'esthétique de la conciliation oscille constamment entre les deux pôles de divertissement et d'enseignement: l'effort est récompensé par le plaisir ou, inversement, le plaisir est racheté par l'effort. Selon la doctrine classique, la bonne œuvre est celle qui plaît en instruisant (« castigare ridendo mores», avec une formule du temps). Homme du juste milieu, La Fontaine (Fables VI1) exprime bien ce compromis «raisonnable», formulé d'ailleurs aussi par Horace («omne tulit punctum qui miscuit utile dulci lectorem delectando pariterque moncndo» Ars poetica 343 ss):

En ces sortes de feinte, il faut instruire et plaire,

Et conter pour conter me semble peu d'affaire.

2° La lecture d'ouvrages de fiction est sans valeur, voire dangereuse, «because it represents a form of indulgence in fantasy and on some deep level any yelding to fantasy is likely to be feared.» (p. 6)

A la base de cette peur, Lesser identifie deux facteurs. D'abord les fantasmes se présentent à nous comme l'expression de nos aspirations secrètes qui font peur par leur caractère secret même, mais aussi parce que, normalement refoulées, leur contemplation entraîne automatiquement des idées de punition et de juste retour de la «réalité». En deuxième lieu, nous craignons de perdre notre capacité, chèrement acquise, de distinguer entre le rêve et la réalité. En un sens, cette angoisse est le thème de toute fiction et je crois que s'il y a tant de gens qui n'ouvrent effectivement jamais un roman, la raison en est tout simplement qu'ils situent intuitivement les fictions romanesques du côté de la non-réalité; pour rien au monde, ils ne souffriraient de voir problématiser la borne qui les retient du bon côté, de ce côté-ci de la réalité. S'il faut absolument céder aux fictions, qu'elles soient au moins «réalistes», c.-àd. utiles. Lesser a sans doute raison de voir dans la peur de la fiction la cause de la prédominance des esthétiques réalistes: «The desire to conciliate a sensed fear of fantasy (...) is one of the perennial motives for realism.»

Enfin la peur de la littérature romanesque tient au résultat fatal de la
jouissance consentie, voire recherchée du lecteur:

3° La mauvaise conscience, «a vague feeling of shame about the
nature of the satisfactions we sometimes secure from fiction»,
(p. 7)

Quand on se livre aux joies de la lecture, on s'isole et se cache; on peut lire le journal à l'usine, pas un roman. La lecture de fictions appartient à l'obscurité,ou aux vacances, aux périodes de convalescence, à la jeunesse irresponsable(Valdès, comme d'ailleurs Ignace de Loyola, prend bien soin de soulignerqu'il était jeune quand il dévorait les romans de chevalerie). Lire un roman n'est pas un travail - puisque c'est un plaisir - et la fiction ne se

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consomme pas assis à un bureau, mais dans des positions autrement confortables,axées vers le plaisir. Pour rien au monde nous ne changerions cette ambiance trouble qui entoure la lecture de romans - pas question de renoncerà notre plaisir - mais elle nous laisse sur un sentiment de remords: j'aurais mieux fait de choisir quelque chose de sérieux.

L'angoisse dont nous parlons ici est beaucoup plus profonde que celle qui trouble souvent notre réception de textes fictifs et qui naît des traumatismes réels de l'histoire personnelle du lecteur. Fondamentalement, la fiction se lit pour deux raisons: elle satisfait des besoins spécifiques (p. ex. une pulsion erotique), et elle réduit l'angoisse (p. ex. de la mort). Cependant aucun de ces deux besoins ne doit prendre entièrement le pas sur l'autre ni se faire sentir avec une force trop insistante. Sinon, ils bloquent simplement la réception même du fantasme fictionnel. Si le besoin erotique de mon «histoire personnelle» s'impose violemment, je dépose le livre: il m'apparaît «ennuyeux». Si la peur de la mort me saisit réellement, je ne peux lire avec plaisir un livre qui en parle: il devient «insupportable».

Ces réactions de rejet sont peut-être conditonnées aussi par la prédominance de l'esthétique de la conciliation. Dans les situations dominées par mon «histoire personnelle», la fonction de contrôle intrinsèque à la littérature se dérègle, et, dernier recours, on bloque totalement l'accès aux fantasmes littéraires. L'idée est que si on se laisse alors aller, on risque sa santé mentale, témoin le marquis de Sade en prison. Il faut attendre le retour du calme psychique avant de se livrer de nouveau aux pulsions fictionnelles.

Si nous vivons la séduction exercée par l'œuvre basée sur l'esthétique de l'admiration comme dangereuse («aliénante» ou «oppressive»), la raison en est sans doute qu'une telle œuvre suspend ou affaiblit la fonction de contrôle psychique: si je me laisse aller, où vais-je m'arrêter? En particulier, cette œuvre nous rapproche dangereusement de l'expérience mentale réelle, puisque l'admiration m'entraîne à vivre par procuration des états psychiques que je fais miens, c.-à-d. qui risquent de durer, une fois le livre refermé. Nous savons effectivement que si nous nous permettons d'admirer «trop» le héros, la fascination glisse insensiblement vers l'imitation ou, pire encore, vers l'émulation réelle avec le héros fictif. Autrement dit, je me perds, je deviens véritablement un autre, et ce glissement crée inévitablement une angoisse poignante.

En fait, la fiction ne nous fait pas «oublier» le monde, en nous emmenant loin de la réalité. Au contraire, le problème est que la fiction nous envoûte si totalement que nous ne pensons plus qu'à une seule chose: réaliser les exploitsde notre héros. La fiction nous commande de la vivre, aussi nous fait-elle entrer dans le monde. C'est parce que la fiction nous saisit corps et âme que le «syndrome de Don Quichotte» reste, comme on l'a souvent dit, le

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problème fondamental du genre narratif, tout enfantin qu'il nous paraît,
aussitôt qu'on se ressaisit.

Le reproche qu'on adresse à la littérature fondée sur l'admiration de saper la fonction de contrôle est mieux venu que le reperoche qui vise son pouvoir d'évasion. Certes, nous avons déjà constaté qu'une condition générale de la réception de la fiction est un certain relâchement de cette fonction; à l'état de détente physique et de sécurité doit correspondre une suspension de l'agression et des mécanismes d'auto-défense. Mais il reste que l'esthétique de l'admiration nous porte à refouler entièrement la fonction de contrôle d'autant plus qu'elle est phylogénétiquement liée à un stade préœdipal.

Une méthode assurée pour réaliser ce refoulement est la longueur de l'œuvre. L'esthétique de l'admiration n'est pas à l'aise dans les formes narratives courtes parce que l'anesthésie de la fonction de contrôle demande un certain temps, du moins pour les lecteurs ayant un niveau culturel élevé. La nouvelle est régie par le «principe d'économie», exigeant de s'en tenir à l'essentiel, principe étroitement lié en outre à la règle esthétique d'équilibre et d'harmonie, c.-à-d., en dernière instance, de rationalité. Etat préœdipal, l'admiration prend la forme d'une «nébuleuse» (Tournier), forme primitive et chaotique qui convient mal aux genres brefs. De plus, l'objectif de l'esthétique de l'admiration n'est ni la connaissance de soi ni la domination des pulsions (le principe d'économie), mais l'épanouissement du moi et un sentiment de plénitude (le principe d'épanouissement).

A cela s'ajoute que la séduction n'opère que sur fond de déséquilibre: le lecteur doit se sentir prêt à changer, à devenir quelqu'un d'autre. En d'autres termes, le but d'un tel ouvrage est de soustraire le lecteur au principe d'économie pour lui faire sentir l'exubérance gratuite de l'existence. De là vient l'importance démesurée du hasard dans le déroulement de ce genre d'intrigue; ce n'est pas la nécessité réaliste qui commande, car tout reste possible, selon la chance. Pour toutes ces raisons, on comprend que les œuvres narratives fondées sur l'esthétique de l'admiration tendent vers une composition relâchée et luxuriante, permettant toujours un prolongement imprévu. Voilà la forme typique, p. ex., des romans de chevalerie.

Une autre méthode, peut-être inattendue, pour réduire le contrôle, est le médium linguistique. Un aspect essentiel de la séduction opérée par l'œuvre de fiction est en effet son emploi bizarre de la langue. La fiction se sert d'un langage exhibant des traits pré-rationnels caractérisés. Tout d'abord elle s'exprime en mythes, c.-à-d. en fantasmes socialement réglés. Ceux-ci sont évidemment étroitement reliés au langage des rêves d'un individu déterminé (son «primary-process thinking», S. Lesser, p. 146). Il s'ensuit que les signes de la fiction sont fort faciles à comprendre, mais échappent à la conceptualisation rationnelle. Le langage de la séduction parachève son œuvre, mais nous n'arrivons pas à nous en rendre compte.

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On a souvent remarqué que beaucoup de romanciers grands fabulateurs pratiquent un style affreux. L'exemple type est Balzac. Or, ce style, qui n'en semble pas un, est en réalité une technique de camouflage destinée à chasser l'angoisse du lecteur. Les fantasmes de celui qui écrit si mal ne risquent pas de me blesser, car j'aurais pu les rédiger moi-même.

Pour sa part, toute l'esthétique de la conciliation est axée sur le contrôle de l'imagination, Elle élimine la peur de la fiction et donne bonne conscience au lecteur. A l'opposé, il est impensable que l'esthétique de l'admiration fasse l'économie de l'angoisse parce que les œuvres qui en relèvent doivent impérativement séduire. Or, dans sa phase initiale tout au moins, la séduction implique la peur. C'est d'ailleurs aussi le cas de la séduction amoureuse qui ne se réalise que si les partenaires éprouvent au début une peur presque panique - couplée à une attraction tout aussi vive - l'un en face de l'autre. La raison profonde de ce phénomène tient à la nature du contrat de séduction. Une fois qu'on y a souscrit, on n'est plus maître de son destin; on sait fort bien que l'œuvre risque d'opérer en nous des mutations déplaisantes, que la conscience refuse, parce que la fonction de contrôle est suspendue.

Curieusement, nous connaissons un malaise analogue à celui dû au contrat de séduction fictionnelle quand nous devons réagir au désir d'identification généré par notre admiration pour une personne réelle. Les deux notions d'admiration et d'identification sont étroitement liées et un ouvrage basé sur l'esthétique de l'admiration manipule fatalement aussi les processus mentaux d'identification. Cependant on constate que, dans le monde réel, nous hésitons souvent à entrer en amitié avec une personne chaudement admirée, parce qu'une telle identification, toute partielle qu'elle est, impliquerait trop d'effort et de contrainte (cf. Lesser, p. 209). En littérature, on peut éviter l'angoisse née de l'identification avec l'ami admiré si on représente un héros qui est si admirable, si idéalisé que le lecteur sait la distance qui le sépare de lui insurmontable. Nous ressentons alors une espèce d'admiration pure pour le héros, presque sans désir d'identification. Voilà comment naît le genre hagiographique, qui élimine précisément le contrat faustien de séduction.

Soulignons que les mécanismes d'identification dépassent largement le cadre de l'esthétique de l'admiration. Ils peuvent aussi jouer dans les romans fondés sur l'esthétique de la conciliation. La différence essentielle est que ceux-ci ne manquent pas de souligner le caractère menaçant de l'identification avec le héros. Dans la «fiction sérieuse» (cf. Lesser, p. 183), elle est génératrice d'angoisse, parce que le héros postœdipal, complexe et conflictuel, reste toujours porteur de destruction, quelque admirable que soit par ailleurs son caractère. Témoin le héros tragique qui se détruit lui-même.

Un trait commun aux deux esthétiques est qu'il s'agit de toute façon de
processus dirigés d'identification en ce sens que le pouvoir de séduction est
investi dans un personnage. Il existe d'autres types de fiction dont l'effet

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séducteur certain ne dérive pas des processus d'identification, mais d'un ensemble de règles fixant une espèce de rites. C'est la fiction-jeu que l'on pratique p. ex. dans le roman libertin du XVIIIe siècle (cf. l'analyse de R. Vailland dans son ouvrage sur Choderlos de Laclos, 1953). Dans ce type narratif, le lecteur participe au jeu, comme les enfants répétant par jeu les rites familiaux. Il présuppose à la fois la distance: le lecteur n'est pas un libertin ni la petite fille la mère, on peut à tout moment dire pouce, je ne joue plus. Et, d'autre part, il implique une participation totale dans tous les rôles du jeu, en sorte que l'identification ne se fait plus avec un héros admiré. Nous sommes séduits non par un personnage, mais par le jeu en tant que tel, tout le temps que cela dure, mais non au-delà.

Ce type narratif se distingue par là, de façon particulièrement nette, des ouvrages basés sur l'esthétique de l'admiration, puisque ceux-ci ignorent l'identification qui consiste à s'absorber dans une situation d'ensemble. Nous avons noté qu'à la différence des fictions-jeux, ils préfèrent la composition lâche axée sur une figure de proue qui relie les trames diverses de l'intrigue. Les situations changent sans cesse, mais le protagoniste reste, car c'est lui que nous admirons et qui nous séduit.

On a tendance à regarder la fin heureuse qui caractérise tant de productions de P'esthétique de l'admiration comme un dénouement moins valable, moins «sérieux» que la fin tragique. Il est certain qu'on associe instinctivement la fin heureuse à la littérature que nous avons l'habitude de qualifier de «légère», mais comme formes esthétiques l'une est aussi sérieuse que l'autre. Leur distribution sur les deux esthétiques tient simplement au fait qu'elles opèrent avec deux types différents d'identification. Comme le note Lesser au cours de son analyse de la notion de catharsis (p. 249), il faut absolument que, dans les œuvres de la conciliation, l'identification avec le héros cesse vers la fin de l'histoire, car si la distanciation n'a pas lieu, nous ne pouvons nous défendre contre l'angoisse que génère nécessairement l'identification dans ce type d'ouvrages: nous sommes saisis de peur en vivant la fin tragique du héros. L'effet de la distanciation finale est de faire du dénouement une chute qui relâche la tension affective. En revanche, les œuvres de l'admiration suppriment l'angoisse puisque nous participons avec joie au triomphe du héros. L'identification se maintient jusqu'au bout, car la fin heureuse nous permet de rester des lecteurs enthousiastes.

Il va sans dire qu'il ne s'agit ici que de tendances générales. La pratique littéraire connaît toutes sortes de dénouements mixtes. Comme exemple on peut penser aux romans qui se terminent en acheminant doucement le protagonistevers sa mort inéluctable. Cette forme caractérise particulièrement l'autobiographie fictive dont le ressort artistique prédominant est précisémentl'identification progressive avec le héros (v. p. ex. Fr. Chandernagor, L'Allée du Roi, 1981). Dans ce type de roman, le mouvement descendant du

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dénouement, qui correspond à l'apaisement de la vieillesse qui s'achève, reproduit la chute de la tragédie, mais, néanmoins, nous ne nous y distançons pas du héros. La participation reste entière, car le héros n'est plus «dangereux».

Si tant d'autobiographies fictives s'adressent à un destinataire tout jeune (M. Yourcenar, Mémoires d'Hadrien, 1954, L'Allée du Roi, M. de Grèce, La nuit du sérail, 1982), c'est précisément parce qu'il faut maintenir l'identification jusqu'à la dernière ligne. Le narrateur affronte la mort, et nous sommes donc obligés de prendre congé de la figure aimée. C'est alors que le jeune destinataire reprend le flambeau de l'admiration: ce sera notre nouveau héros (cf. A. Gide, Les nourritures terrestres, 1897).

Ce type de fiction permet d'ailleurs de définir une autre différence entre les deux esthétiques. Il est évident que la figure d'identification apparaît toujours dans la fiction comme un personnage objectivé, extériorisé. La description du héros ne saurait donc échapper au processus normal de la perception, processus qui implique nécessairement le divorce de son objet (cf. Lesser, p. 152). Il s'ensuit que l'identification ne peut avoir lieu que si ce processus générateur de distanciation se réduit. Dans l'esthétique de l'admiration le processus de réduction prend la forme d'une substitution mentale: je sais que le héros est un autre, mais je me transporte en esprit dans son âme, mouvement qui abolit le sentiment de distance. Dans l'esthétique de la conciliation, c'est mon regard évaluateur qui accompagne le héros, avec lequel je compatis, mais dont je ne partage pas l'existence. Voilà la différence, p. ex., entre d'Artagnan et Emma Bovary.

Signalons au passage que le type d'identification avec lequel travaille l'esthétique de l'admiration lui pose un difficile problème technique - ou moral, si l'on veut. Puisque la fonction de contrôle est refoulée, le lecteur est porté à s'identifier non seulement avec le héros admirable, p. ex. le redresseur de torts, mais aussi avec la victime, qui risque d'être un grand criminel moralement réprouvable. Voilà pourquoi il faut prévoir des mécanismes esthétiques spécifiques de contrôle qui empêchent des identifications secondaires «indésirables» (du moins si l'on veut éviter que l'œuvre soit taxée d'«immorale»). Le procédé le plus important est probablement la manipulation du point de vue, et la solution de facilité est de mécaniser le point de vue du héros en recourant au récit à la première personne. Ce point de vue est effectivement une des formes de base de l'esthétique de l'admiration.

Mentionnons pour terminer que la révolte contre l'esthétique de la conciliationn'emprunte pas nécessairement la voie de l'admiration, témoin la littérature de l'horreur qui brise le carcan de l'esthétique de la conciliation en exagérant démesurément (risiblement, peut-être) les événements producteursd'angoisse (cf. p. ex. le roman noir, «gothique», les films comme Jaws). L'évolution produite est si violente que le lecteur se voit privé de toute

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latitude critique: l'émotion se présente comme un fait brut qui abolit la distanciation. Il s'agit bien d'une fiction-séduction, mais sans l'ombre d'admiration;elle utilise ce qu'on pourrait appeler l'esthétique de l'étonnement (cf. Descartes). L'angoisse que ressent le lecteur face à la violence des événementsfictifs ne relève pas d'un mouvement de substitution, de transport actif ou consenti, mais d'un choc émotif. Voilà pourquoi on parle souvent à proposde ce type narratif de viol affectif. Cependant il serait plus juste de parler d'une espèce de masturbation fictionnelle des pulsions, car la littérature de l'horreur demande la participation du lecteur, qui se place hors de tout contrôle.

Le culte des événements horribles connaît aussi une forme intermédiaire entre angoisse et admiration: les horreurs fantastiques de la littérature pop, p. ex. James Bond versus Goldfinger. Les événements sont horribles, certes, mais comme ils se passent dans un autre monde, celui de la fantaisie pure, la cruauté n'engendre pas l'angoisse: il ne s'agit pas d'un choc mental, mais d'un jeu qui met en scène un surhomme étonnant. Cette littérature relève nettement de l'esthétique de la conciliation, servant à maintenir l'édifice social et à harmoniser les conflits mentaux. Le type même de cette littérature est le mythe de «Superman». Il va sans dire que la transition de superman à Fantômas est graduelle, tout comme celle qui mène de l'étonnement à l'admiration.

Le but des réflexions qu'on vient de lire n'a pas été de mettre en doute l'énorme importance historique et la puissance civilisatrice de l'esthétique de la conciliation. Nous ne saurions nous passer de la fiction qui réconcilie les contraires, permettant aux pulsions antagonistes de coexister grâce à une réduction de leur agressivité. L'esthétique de l'admiration amène seulement un état d'esprit harmonieux en supprimant un des contraires, c.-à-d. en faisant oublier au lecteur jusqu'à l'existence de pulsions capables de miner son enthousiasme. Voilà pourquoi cette esthétique débouche facilement sur la propagande lorsqu'elle essaie de répondre à nos problèmes existentiels.

L'esthétique de la conciliation rend l'existence plus compréhensible, la littérature se doit, dit J.-P. Sartre, un de ses représentants caractéristiques, de «donner un sens à la vie» (1964), mais la transparence s'obtient au prix de l'unité et de la continuité (la rupture œdipale). L'esthétique de l'admiration unifie, rétablit les liens avec mon passé occulté; seulement j'y perds la transparence.Ecrivant au soir de sa vie, l'autobiographe n'en sait au fond pas davantage qu'au moment de naître: la vie reste une «nébuleuse» dans laquellenous circulons. Dans le meilleur des cas, l'esthétique de la conciliation aboutit à un sentiment esthétique spécifique qui est une expérience intense de totalité et d'harmonie et dont les ingrédients sont «contentment, peace, harmony, serenity, synthesis, equipoise, equilibrium», ensemble d'où sont absents les sentiments de «desire and longing, tension, anxiety and guilt»

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(Lesscr, p. 288), bref à la «réconciliation des pulsions» (I. A. Richards,
1924). Le résultat final de l'esthétique de l'admiration est tout autre: extase,
tension, nostalgie ...

Morten Nojgaard

Université d'Odense

Résumé

Lesthétique de l'admiration s'oppose à l'esthétique de la conciliation, qui est celle qui domine l'art occidental depuis le rationalisme aristotélicien. A côté de cet art social dont !a fïnauîé est ¡'adaptation et ¡'intégration de l'individu à partir des facultés cognitives et de l'analyse critique, existent des œuvres, toujours marginalisées, censurées, condamnées, qui, basées sur la passion et l'identification avec le modèle admiré, font appel à la jouissance «egoiste». Les deux esthétiques semblent liées à deux couches psychiques, séparées par l'apparition de la sexualité orientée. Le statut occulté qui est le signe de l'œuvre réglée par l'esthétique de l'admiration est lié à la peur que l'homme occidental éprouve face au fantasme et aux fictions qui le mettent en liberté non surveillée. On séduit les enfants («livres pour la jeunesse»), on éclaire les adultes...

Bibliographie

Chandernagor, Françoise: L'Allée du Roi, Paris, 1981.

Grèce, Michel de: La nuit du sérail. Paris, 1982

Sauerberg, Lars Ole: Literature in Figures. Orbis Litterarum 38, 1983, p. 93-107.

Suchomski, Joachim: 'Delectatio' imd 'Utilitas'. Ein lieitrag zitm Verstandnis mittelalterlicher
komischer Literatur. 1975.

Tournier, Michel: Des clefs et des serrures. Paris, 1983.