Revue Romane, Bind 25 (1990) 1Denis Lalande: Jean H le Meingre, dit Boucicaut (1366-1421). Etude d'une biographie héroïque. Genève, Droz, Publications romanes et françaises 184,1988. 227 p.Jonna Kjær
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La biographie héroïque qui fait l'objet de l'étude de Denis Lalande est celle du célèbre maréchal de France, telle qu'elle est présentée dans Le Livre des fais du bon messire Jehan le Maingre, dit Boucicaut, mareschal de France et gouverneur de Jennes, rédigé en 1409 par un admirateur anonyme. Pour apprécier la valeur historique de cette biographie, DL a consulté toutes les chroniques contemporaines et les documents d'archives, de même que les inédits. Son propos est de rassembler un appareil critique qui puisse faciliter la lecture du Livre des fais et permettre d'en corriger le récit panégyrique. En produisant toute la documentation historique souhaitable, l'ouvrage de DL comble bien des lacunes. De plus, le lecteur trouvera dans la conclusion une synthèse donnant un portrait du maréchal («brillant soldat, mais piètre politique»), synthèse où sont mises au net les appréciations divergentes des chroniqueurs contemporains à son égard. De même, DL résume dans son introduction les controverses qui ont opposé les historiens modernes dans ce domaine. En somme, DL n'esquive ni les contradictions que révèlent ses sources ni leurs omissions, il les exhibe en les discutant et en les jugeant. Le plan de l'analyse est d'ordre chronologique; à tout instant est examiné le Livre des fais et l'utilisation de ce livre en sera incontestablement enrichie. En outre, la lecture de l'étude de DL en elle-même est fascinante: en suivant l'histoire individuelle du maréchal, personnage si haut placé dans la vie militaire et politique, nous entrons dans la grande histoire d'une époque extrêmement mouvementée que nous voyons ainsi de l'intérieur. Grâce à DL on a l'impression d'en comprendre les structures et de mieux saisir Yengrenage des activités importantes des contemporains et de leurs mobiles. Par le truchement du maréchal, le guide de cette histoire, nous prenons part à la Guerre de Cent Ans, au règne du roi fou, Charles VI, et à la tutelle de ses oncles au détriment de son frère, Louis d'Orléans, jusqu'à la guerre de rivalité entre les Armagnacs et les Bourguignons, la Guerre des princes. Les intrigues et la convoitise du pouvoir déterminent aussi le Grand schisme d'Occident, c'est ce que nous comprenons quand nous voyons comment le maréchal se laisse manipuler par le pape d'Avignon, Benoît XIII, pendant qu'il est gouverneur de Gênes et cultive son «rêve grandiose de protectorat français sur toute l'ltalie du nord» qui le fait s'immiscer dans les Guerres d'ltalie, auxquelles il ne comprend rien, en même temps qu'il cherche à conquérir l'Orient pour faire reculer Mslam. - Le récit du chroniqueur s'arrête à l'année 1409, tandis que DL continue la biographie jusquà la mort du maréchal, qui, fait prisonnier àAzincourt en 1415, meurt en captivité six ans plus tard en Angleterre sans avoir revu la France qu'il a si énergiquement servie. Ainsi, l'étude de DL brosse une large fresque historique qui fait voir les mentalités agissantes dans la vie politique. Est présenté aussi l'engagement du maréchal dans la vie culturelle de l'époque: en 1388-89, au cours d'un de ses voyages en Orient, il participe à la composition des Cent Ballades, et en 1400 il fonde l'ordre de l'Escu vert a la dame blanche dont les membres s'engagent à secourir les femmes restées seules à cause des guerres du temps. Christine de Pisan, la contemporaine du maréchal, était très favorable à cette entreprise des nobles chevaliers! Enfin, le maréchal figure parmi
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les membres de la Court amoureuse de Charles VI, fondée en 1401 et toujours aussi A l'heure actuelle, nous assistons à un foisonnement de biographies de personnages historiques. Létude biographique de Denis Lalande est scientifique et vivante, et elle nous apporte une vue d'ensemble non seulement sur un destin individuel, mais aussi sur les lignes de force d'une époque qui peut paraître chaotique. Je recommande vivement la lecture de cette étude qui donne envie de lire aussi le Livre des fais édité par le même auteur, chez Droz, en 1985. Université de Copenhague |