Revue Romane, Bind 25 (1990) 1Mélanges d'études médiévales offerts à Helge Nordahl à l'occasion de son soixantième anniversaire. Edités par Kirsten Broch Flemestad, Tove Jacobsen et Terje Selmer. Oslo, Solum Fortag, 1988.198 p.Palle Spore
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Helge Nordahl est un nom bien connu dans les milieux internationaux de la romanistique.Qui
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ses merveilleuses traductions norvégiennes de plusieurs œuvres importantes de la riche littérature du moyen âge français, entre autres La Chanson de Roland et Erec et Enide, où le titulaire de la chaire de philologie romane à l'Université d'Oslo joint des dons extraordinaires de styliste à ses qualités de philologue, qualités qui se manifestentsurtout dans ses articles, dont le titre reflète parfois une autre qualité de M. Nordahl, assez rare parmi les philologues, celle de l'humour; il suffit de citer le titre d'un de ses articles, «La pire riens qui soit c'est maie femme» (1972), faisant pendant à un titre antérieur sur le même thème grammatical en français moderne, «le mode le plus fascinant qui soit» (1970). Mais M. Nordahl n'est pas exclusivement un savant de la langue. La littérature du Quoi donc de plus naturel que de choisir le moyen âge comme thème général de ces études? Au total, quinze romanistes Scandinaves, dont neuf Norvégiens, ont contribué, dans ce domaine, à rendre hommage à leur collègue et maître. Malheureusement, certains problèmes d'ordre pratique ont empêché que les Mélanges aient pu paraître à la date prévue, si bien que c'est avec près de deux ans de retard que nous recevons ce beau petit livre. Parmi les quinze articles, six sont consacrés à la langue, six à la littérature et deux à la traduction. Le quinzième article, celui de Kjersti Flottum, sort un peu des chemins battus en ce sens qu'il est à caractère historique: «Lentourage masculin de Jeanne d'Arc» (p. 43-48) fait pendant aux nombreuses études sur les femmes qui ont influencé les hommes célèbres, mais ici, les rôles sont intervertis. Earticle, malheureusement déparé par plusieurs fautes, même dans les datations, apporte peu de neuf sauf la mention intéressante du rôle d'Arthur de Richemont. Trois des six articles consacrés à la langue, traitent de la syntaxe de l'ancien français. - Odile Halmoy, spécialiste du «gérondif», étudie «Les formes verbales en -ANT dans un roman du XIIIe siècle: Le Tristan en prose (tome I)» (p. 64-79), et elle montre avec une clarté exemplaire que, déjà à cette époque, on distinguait les trois possibilités qu'on connaît de nos jours: 1) W-ant invariable (participe présent avec -ont flexif), 2) id. précédé de en («gérondif»), 3) V-ant variable (adjectif avec -ant suffixe). Or, la fréquence dans leur réalisation est bien différente, et certaines tournures sont même propres à l'ancien français, par ex. (3) attribut. D'autre part, (2) est rare en ancien français, alors que (1) y est bien plus fréquent qu'aujourd'hui. En conclusion, Mme Halmoy se fait le porte-parole d'une théorie, selon laquelle la distinction entre les trois réalisations serait d'ordre purement syntactique en ancien français. Il est grandement souhaitable que Mme Halmoy approfondisse ce point de vue à partir d'un corpus plus grand. - Michael Herslund traite avec un peu moins de clarté de «La construction causative en ancien français» (p. 80-93), c'est-à-dire la réalisation médiévale des constructions 1) faire¡laissier + inf., 2) verbe de perception, d'obligation,etc. + inf. A partir de l'hypothèse d'une «union propositionnelle» entre le verbe régissant et l'inf. (un point de vue que je ne partage pas) et d'une distinction très perspicace entre trois structures, dites neutralisée, ergative et objective, il fait la descriptionminutieuse des ressemblances et des différences entre l'ancien français et le français moderne. - Enfin, Lene Schosler procède à «Lidentification du sujet en moyen français» (p. 159-169), et plus exactement au XVe siècle, où l'emploi du sujet n'était pas encore devenu obligatoire. C'est avec beaucoup de conviction qu'elle montred'une part que c'est surtout dans les propositions principales que le sujet, exprimé
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dans ce qui précède, est omis, alors qu'on met généralement le pronom dans les subordonnées, d'autre part que cette omission est surtout fréquente dans la narration (mais rare dans le discours direct) et à la troisième personne, où les risques de confusion dans l'identification sont pourtant plus grandes. Les trois autres articles consacrés à la langue sont aussi différents que l'on puisse imaginer. - Òsten Sòdergàrd édite sous le titre «Recettes pour les femmes» (p. 187-196) petit texte anglo-normand de 182 vers, très amusant, qui décrit les moyens dont dispose une femme pour se rendre belle. Une page est consacrée à la présentation traditionnelle du texte (datation, rimes, traits dialectaux, etc.), exposé qui me semble être insuffisant. C'est ainsi que l'éditeur se limite à constater que «Notre texte est écrit en vers octosyllabiques...» sans mentionner les nombreuses irrégularités (une syllabe de trop ou de moins et même quatre de trop au v. 155) et les principes particuliers qui déterminent l'élision. Les corrections sont rares, mais celle du v. 87 me semble être fausse: pour Mugue et gibfre..., M. SOdergârd préfère lire Muguet et g., alors qu'il est bien plus probable que le texte doive se lire Muguet, gilofre et bon encens, où l'on comprend aisément d'où provient l'erreur du scribe. - Leena Lôfstedt étudie avec beaucoup d'érudition certains mots-clefs dans les Leis Willelme (p. 113-128), du XIIe siècle, dont la traduction latine nous aide à mieux comprendre le contenu. - Enfin, Harald Guïlichsen montre, dans «La sémiotique de St Augustin dans le dialogue «De Magistro»» (p. 49-63), à quel point on peut considérer le grand philosophe comme le précurseur des linguistes du XXe siècle et des philosophes modernes tels que Wittgenstein. Cette étude extrêmement savante mériterait un auditoire linguistique beaucoup plus large, d'autant plus que peu de gens auraient l'idée d'aller chercher dans un mélange d'études médiévales une analyse de saint Augustin, mort en 430, c'est-à-dire 46 ans avant le début du moyen âge. Les études littéraires sont, elles aussi, marquées par une très grande diversité et surtout par leur dispersion géographique. - EAngleterre est nettement présente dans l'article de Jan M. Dietrichson, ««La mule sans frein», romance médiévale, comparée à Sir Gawain and The Green Knight» (p. 31-42), où l'auteur entreprend une discussionfort bien menée pour voir si le poème anglais (XIVe siècle) apu être inspiré par le texte français du siècle précédent, et il conclut à partir d'une analyse minutieuse des deux textes, que si la présentation des thèmes est très proche dans les deux, les différences sont, tout compte fait, plus importantes que les ressemblances. - L'Angleterreest plutôt en filigrane dans «Amour, courtoisie et merveilleux dans quelques lais bretons du XIIe siècle» (p. 17-30), où Olaugßerdal étudie les trois thèmes principaux de la littérature courtoise à partir des lais Lanval, Graelant et Guingamor, qu'il résumelonguement pour conclure qu'il y a un monde entre ces lais anonymes et ceux de Marie de France, tant dans la thématique que dans le style. - Toujours à cheval sur la Manche, Berit Jacobsen présente «Le merveilleux Merlin» (p. 94-102) sous la forme d'une comparaison entre Geoffroy de Monmouth, Wace et Robert de Boron, et elle établit ainsi la biographie de l'Enchanteur, où elle souligne son rôle dans la conception du roi Arthur, évidemment sans cacher les différences qu'il y a entre les trois versions. - Kâre Langvik-Johannessen reste sur le continent dans «Le jeu courtoisen Flandre» (p. 103-112), où il fait pourtant moins la présentation d'un genre littéraire géographiquement limité promise par le titre, que l'étude d'un de ces jeux, Esmoreit, qu'il place dans un contexte tant européen (Sophocle, Lessing et surtout Novalis) que structural. - Le Midi de la France est à l'honneur dans l'article de Harry
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Persson, qui applique les analyses psychologiques de Roland Barthes pour étudier «Le sentiment interdit dans la fin'amor» (p. 142-149), à savoir la place de la jalousie dans la poésie lyrique provençale de Bernard de Ventadour. - Enfin, avec Michel Olsen, nous passons en Italie dans «Les silences de Griselda» (p. 129-141). Il y donne une nouvelle interprétation de l'énigmatique dernière nouvelle du Décaméron, qu'il compare à la version latine, bien plus claire, que donne Pétrarque du même thème. Un petit trait curieux: presque toutes les citations italiennes de Boccace sont traduites en français, tandis que celles, latines, de Pétrarque ne le sont jamais. Le contraire eût été plus logique! Dans le domaine de la traduction, Arthur O. Sandved reprend, dans un article très suggestif, «A propos de la traduction de la poésie anglo-saxonne en norvégien» (p. 150-158), l'éternel problème de la traduction d'une œuvre poétique, et il plaide pour la «traduction dynamique», qui cherche à rendre l'esprit du texte original plutôt que sa forme, afin de provoquer chez le lecteur la même réaction que celle que sont censés avoir eue les lecteurs ou auditeurs du texte original. - Povl Skàrup constate, à partir d'une étude approfondie de quelques textes d'ancien français traduits en vieux norrois, que c'est seulement dans le sens botanique des termes que «Feuilles et fleurs dans les sagas traduites de l'ancien français» (p. 170-186) sont rendus respectivement par lauf et blom, alors que, généralement, flor, désignant des ornements, est traduit par lauf. Bref, ces Mélanges font un vrai tour d'horizon du moyen âge français et quittent Université d'Odense |