Revue Romane, Bind 25 (1990) 1Réponse à Ebbe Spang-Hanssen:Michael Herslund
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La critique de ESH se concentre sur trois points précis: la possibilité d'avoir plus d'un En ce qui concerne le premier point, ESH met en doute le bien-fondé de l'hypothèsefondamentale selon laquelle le schéma valentiel d'un verbe donné peut comporter,au maximun, un objet indirect, en plus du sujet et de l'objet. Cette restriction découle du statut très spécial de l'objet indirect dans la théorie présentée: si la présenced'un sujet et d'un objet saturent, pour ainsi dire, les valences d'un verbe, la
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seule façon d'ajouter encore un complément valentiel, un actant, est d'ajouter un complément qui entretient un rapport à la fois avec le verbe et avec un de ses compléments nominaux, l'objet quand il s'agit d'un verbe transitif, le sujet dans le cas d'un verbe intransitif. C'est ce rapport que j'ai qualifié de prédication secondaire. Or, s'il y avait plus d'un objet indirect, il serait difficile de voir en quoi consisterait une telle prédication secondaire. La théorie syntaxique de base, qui a été exposée non seulement dans le travail dont il est question ici, mais aussi dans Herslund et Sorensen 1982, 1985, 1987 et dans Herslund 1988, prédit donc la possibilité d'un seul objet indirect. D'autres compléments, auxquels on serait tenté d'accorder le statut d'objets indirects, sont par conséquent à regarder comme des circonstants, c'est-à-dire comme des compléments qui ne dépendent pas strictement du verbe, mais de la phrase entière, ou comme des compléments adverbiaux, c'est-à-dire non comme des argumentsdu verbe, mais comme des modifieurs de celui-ci. Il est vrai que la décision est souvent difficile, surtout parce qu'on manque de tests syntaxiques précis et opérationnels. Mais quand on se tourne vers les données empiriques, les verbes français, la prédiction de l'hypothèse générale est vérifiée. Tous les exemples de verbes comportant plus d'un objet indirect cités dans la littérature, parmi lesquels aussi ceux que cite ESH, et ces exemples se ramènent en effet à trois ou quatre, s'expliquent aisément: parler à/avec qn. de qc. est discuté dans Herslund et Sorensen 1982, p. 74 s., servir de qc. à qn. dans Herslund et Sorensen 1985, p. 51 s., et envoyer une lettre de Paris à Copenhague dans Sorensen 1983 et Herslund et Sorensen 1987, p. 7 ss. En ce qui concerne l'exemple réserver qc. à qn. pour une occasion particulière, il est difficile de voir comment on pourrait attribuer le statut d'objet indirect au syntagme pour une occasion particulière, surtout vu le statut assez précis qu'a l'objet indirect dans l'approche dont nous discutons ici (cf. la discussion de l'alternance à/pour avec les datifs libres dans la thèse p. 270 ss.). En ce qui concerne les exemples cités par Blinkenberg 1960, p. 264-266, il s'agit ou bien des mêmes qu'on vient de voir, ou bien de deux cas bien délimités. Lun est la construction manquer de parole à qn., dont le syntagme en de n'est probablement pas un objet indirect, mais un adverbial (cf. Herslund et Sorensen 1987, p. 42 ss. et la discussion de servir de qc. à qn. dans Herslund et Sorensen 1985, p. 51 s.). L'autre cas est constitué par des constructions à verbe opérateur faire ou rendre: faire part de qc. à qn., rendre compte de qc. à qn. Or, l'analyse de ces structures ne fait aucune difficulté: le verbe opérateur (faire) est suivi d'un objet (part de qc.) et d'un objet indirect (à qn.), cf. ma thèse p. 167 s. Le deuxième point critique concerne la base sémantique locative de certains verbes intransitifs. Il est vrai que ma classification aboutit à une classe de verbes intransitifs assez hétérogène (p. 205 ss.). Le point de vue de ESH est apparemment qu'une base sémantique locative ou bien est évidente, comme c'est le cas dans la majorité écrasante des cas, ou bien n'est pas. Il m'a pourtant semblé plus fructueux d'essayer de ramener, autant que faire se peut, tous les cas à une base sémantique commune, locative à des degrés métaphoriques variés, mais locative. Je ne trouve pas impossible de concevoir la base sémantique de verbes tels que plaire, nuire, etc., comme étant de nature locative. Est-ce qu'il est totalement exclu de concevoir le complément datif de plaire comme dénotant un «récepteur de plaisir», donc comme un «lieu qui éprouve du plaisir», donc «qui déploie une certaine activité», ce qui cadre parfaitement avec le signalement général du datif?
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ESH met finalement ces verbes intransitifs en rapport avec les adjectifs, dont je ne traite pas du tout, pour conclure à l'existence d'un type essentiel de datifs non locatifs. A part supérieur, ESH prend soin de ne citer que des adjectifs comme agréable, cher, hostile, etc. Mais il aurait pu citer d'autres adjectifs dont le sémantisme locatif ne semble pas faire de doute comme adjacent, associable, comparable, contraire, inférieur, parallèle, perpendiculaire, postérieur, proche, sous-jacent, voisin (pour une étude des adjectifs français, je renvoie au mémoire de Jauernik 1985). Le troisième point critique concerne la notion de 'sujet secondaire'. Selon ma façon de voir les choses, ce qui distingue le datif des autres manifestations de la fonction d'objet indirect c'est le fait que le datif a la fonction de sujet dans la prédication secondaire qui définit justement la fonction d'objet indirect (voir ci-dessus). De là découle tout un ensemble de propriétés communes au complément datif et au «vrai» sujet. Selon la théorie syntaxique esquissée plus haut, toute construction comportant un objet indirect comporte une prédication secondaire. Si dans le schéma trivalent avec un complément datif c'est celui-ci qui a la fonction de sujet (secondaire), cette fonction est détenue, dans le schéma avec un complément locatif, par l'objet direct. Or, remarque ESH, un tel objet ne ressemble pas du tout au sujet. Mais si, justement. L'objet direct du schéma trivalent partage des propriétés de sujet aussi fondamentales que celle de contrôler le sujet vide d'un gérondif ou d'un syntagme infinitif adverbial ou objet (cf. p. 231 et p. 233), ou celle de commander la dérive de quantificateurs (p. 237). Je ne trouve donc pas qu'on devra abandonner la notion de 'sujet' comme principe d'explication général. ESH conclut son intervention en se demandant si on ne doit pas, après tout, préférer la bonne vieille théorie du datif comme un tiers actant. Dans la mesure où on peut dire qu'une telle théorie existe, on est bien embarrassé pour dire quel est son contenu. On peut évidemment se contenter de faire un relevé des verbes qui régissent le datif, sans essayer d'expliquer quoi que ce soit, sans procéder à aucune généralisation, car selon cette vue (qui est celle de Tesnière), 'tiers actant' est synonyme de 'complément datif. Le plus surprenant est pourtant qu'on ne voit pas très bien comment une telle théorie peut rendre compte des verbes intransitifs plaire, nuire, etc., qui constituent par ailleurs le noyau de la critique de ESH. Ecole des Hautes Etudes Commerciales de Copenhague |