Revue Romane, Bind 25 (1990) 1

Brian Woledge: Commentaire sur Yvain (Le Chevalier au Lion) de Chrétien de Troyes. 2 tomes. Publications romanes et françaises, CLXX et CLXXXVI. Droz, Genève, 1986 et 1988.203 et 179 pages.

Povl Skårup

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Le premier tome de cet ouvrage contient d'abord une importante introduction (49 pages), dans laquelle M. Woledge étudie «la tradition manuscrite, les éditions, la langue de Chrétien telle que nous l'observons dans Yvain, et la langue de Guiot, copiste du manuscrit le plus célèbre» (c'est le ms. édité par Roques dans les CFMA). Le même tome contient également le commentaire de la première moitié du roman, alors que le reste se trouve dans le tome 11.

Les commentaires portent sur les leçons des manuscrits et des éditions et leur interprétation linguistique et littéraire, mais il y a également des notes importantes sur les personnages du roman. Inutile de dire que M. Woledge a tout fait avec beaucoup de soin et avec l'excellente connaissance de la vieille langue et de Chrétien de Troyes qu'on lui connaît. Désormais, son commentaire est indispensable à toute lecture sérieuse d'Yvain.

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Les remarques qu'on pourrait faire seraient des additions et des questions plutôt
que des critiques.

M. Woledge ne cite le FEW qu'une fois, en parlant de hoquerel 6751. Il aurait pu s'en servir davantage, surtout pour ses nombreuses notes lexicales, mais aussi à propos du phonétisme de certains mots, comme chevoistre (2502, Intr. § 33,i cf. FEW II 253a) ou chevox ('cheveux', 1465, Intr.§ 33,ix, cf. FEW II 251a).

Intr. § 33,vii: «1 dental rime quatre fois avec 1 palatal». Il s'agit de oïl, cil ou il rimant
avec péril ou fil 'fils'. Mais quels textes évitent ces rimes? La graphie 1 de oli, cil, il
représente-t-elle un /!/ dental plutôt qu'un /X/ palatal?

Intr. § 33,xi. Après avoir constaté que «s et z sont normalement distincts chez Chrétien», M. Woledge cite «quelques rimes exceptionnelles». Il cite quatre rimes où Guiot écrit -z, mais où l'un des mots qui riment aurait normalement -s: anz:païsanz 173-4, pansez.sez ('tu sais') 6565-6 (Guiot y a omis le -z de pansez), nuiz:enuiz 4831-2, voiz ('tu vois'): envoiz (prés. subj. 2) 2773-4. Mais lesquels de ces mots riment normalement en -s plutôt qu'en -z dans des textes qui maintiennent la distinction entre -s et -z? Dans Cligès 505-6, enuis rime avec je puis, mais n'est-ce pas cette rime-là qui est aberrante? Ensuite, l'auteur cite deux rimes où Guiot écrit -s: avis:dis ('dix') 479-80 et mes (mais):pes (pais 'paix') 515-6. On trouve diz et paiz à la rime dans d'autres textes de Chrétien (trez:pez Erec 805-6, dis:garnis Pere. 1997-8) et chez d'autres auteurs, mais dis et pais ne sont pas exceptionnels (les rimes aprés.pes Erec, éd. Foerster, 1717-8, et pais:mais Perceval, éd. Hilka, 6733-4, ne figurent pas dans le ms. de Guiot, mais elles sont normales). M. Woledge cite enfin «deux autres exemples de s/z» dans la petite édition de Foerster: essarz:espaarz 279-80 et fes:niés 4417-8; mais espaarz est un hapax dans le ms. V, et niais semble bien rimer en -s de même que fais (<fascem). Par contre, on aurait pu citer aquiaus:viaus (prés. ind. 2 des verbes acoillir, voloir) 5133-4, puisque /- Á. -/ + /-s/ devient normalement /-lts/.

Dans l'intr., il n'y a rien sur -er et -ier à l'inf. et -ez et -iez à la 5e5e pers. Aux w. 1157-8, le ms. de Guiot lit dessiner 'déchirer': detranchier, les autres lisent descirer : detirer. Le commentaire suppose que detirer a toujours -er, alors qu'on a descirer ou descirier. Mais les textes qui ont descirier n'ont-ils pas également detirier? -Auv. 5909, siet et atantpor droiturier (:ploier), est-il sûr que droiturier est un infinitif plutôt qu'un nom d'action du type destorbier, encombrier, recovrier (substantifs différents des infinitifs destorber, encombrer, recovrer)! -Au v. 1671, ocïez rime avec chasiïez. M. Woledge résume une note de Foerster, selon laquelle on avait o-ci-ez, mais chas-ti-iez. Je pense que ocirre est un des verbes qui ont au prés. subj. un thème palatal différent de celui du prés, ind., et qu'il a donc o-ci-ez au prés, ind., mais o-ci-iez au prés, subj., comme ici (la même chose vaut d'ailleurs pour rire).

Intr. § 39: la déclinaison des masculins en -e. M. Woledge dit avec raison que les inanimés ont toujous un -s au sing. nom.: hiaumes, mais que dans certains animés V-s est instable: on trouve au sing. nom. peres et pere. Mais cette classe-ci comprend-elle d'autres mots que pere, frère et peut-être maistrel Selon le commentaire du v. 3958, oste sing. serait indifféremment sujet ou régime: est-ce vrai?

Intr. § 49,i et commentaire des vers 579-80, dont la rime est fos 'fou (m.sg.nom.)': vos 'je voulus'. Ici, M. Woledge distingue mal entre la rime du poète et la graphie du copiste. C'est celle-ci qui est régionale (au lieu de fols.vols ou de fous .vous), alors que les deux mots riment partout, ou du moins partout où ce parfait sigmatique existe.

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Eauteur n'a pas trouvé ce synonyme de voil dans les manuels de Pope et de Fouché,
mais voir Pope § 1011 et Fouché p. 285.

Intr. § 72 sur le pluriel un(e)s et commentaire du vers 3435: «Lors le semont et si l'escrie ausi com un brachet feïst», où les mss HGM lisent uns brachez. A la suite de Foerster, M. Woledge y voit un pluriel, parce que le contexte exige un accusatif. On peut y voir également un lapsus fait par un ou plusieurs copistes distraits, pour qui c'était un sg.nom.

Intr. § 78,iv et commentaires des vers 2217 et 5162: et je... M. Woledge traduit et par 'Eh bien!' ou 'Donc'. Je pense plutôt que la conjonction sert ici à marquer une emphase, et je traduirais, en exagérant quelque peu: 'moi, pour ma part, je...'. Ici, le sujet occupe la zone préverbale. On voit souvent le même emploi de et devant un sujet qui précède la zone préverbale occupée par autre chose et dont la valeur est également emphatique, voir le numéro spécial 6 de la présente revue, p. 429 ss (cet ouvrage aurait pu être consulté sur l'ordre des mots).

Dans le v. 5386, «mes tost deïst, tel i eüst, / que...», tel serait à la fois le régime de
eilst et le sujet de deïst. Cependant, le sujet de deïst n'est pas tel mais tel i eüst. Voir le
même ouvrage, p. 344.

Dans les w. 6300-1, l'éd. Roques lit ceci: «qu'il n'a el monde si estrange / que je autretant n'an deïsse». Au début du second vers, les mss se partagent entre que et cui. Cui est régime indirect. Selon M. Woledge, que aurait la même fonction ici. J'y vois plutôt que consécutif correspondant avec le si du vers précédent.

M. Woledge commente et corrige une grande partie des fautes faites soit par Guiot soit par Roques. Ajouter que dans les w. 3135 et 3674-7, où la leçon de Guiot (et de l'éd. Roques) est isolée et fautive, il faut lire, avec les autres mss (et Foerster): «an li atome» 3135, «Si respondí com esfreee (...) que je...» 367455. Ajouter également qu'il faut lire 5 7 au lieu de si dans les w. 44 et 2732, et // au lieu de // dans le v. 4273.

Eédition Roques contient de très nombreuses fautes de ponctuation, qui impliquent autant d'erreurs d'interprétation. M. Woledge en corrige une grande partie. Pour le v. 296, je ne peux pas le suivre: ce qui a deus espanz de lé, c'est le front du bouvier plutôt que ses oreilles, comme le confirment d'ailleurs Hartmann von Aue et Ivens saga. Ajouter qu'il faut supprimer les virgules dans les w. 422, 1540, 3485, 4672,5386, 5500. Fermer les guillemets à la fin du v. 2280. Mettre deux points à la fin du v. 4100, virgule à la fin du v. 4101, virgule au lieu de point-virgule à la fin du v. 4102. Mettre deux points à la fin du v. 4280 et un point d'interrogation à la fin du v. 4282. Dans le v. 5739, mettre un point d'interrogation après Desdaing ou après sire: c'est un exemple de la correctio à ajouter à ceux que M. Woledge cite en commentant le v. 1209. - Espoir, au sens de 'sans doute, peut-être', est toujours placé hors de la proposition proprement dite, y compris dans une intercalation entre les parties de la proposition suspendue. Le mot est suivi de que dans les w. 1339 et 6030: dans 1339, que signifie 'car'; dans 6030, que correspond à Ensi (virgule au lieu de deux points à la fin de 6029). Roques avait raison de mettre une virgule après espoir dans le v. 1006 et tort de ne pas en mettre dans les w. 410,3746,6030 et 6251.

Université d'Aarhus