Revue Romane, Bind 25 (1990) 1Marie-Claire Vallois: Fictions féminines. Mme de Staël et les voix de la Sibylle. Stanford University 1987.197 p.Sissel Lie
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La femme écrivain est souvent critiquée pour sa tendance à préférer l'écriture autobiographique, comme si le fait de transposer sa vie en fiction n'était pas suffisament créateur. A ce sujet le livre de Marie-Claire Vallois, Fictions féminines. Mme de Staël et les voix de la Sibylle, est particulièrement intéressant. La thèse soutenue par Marie- Claire Vallois est que si l'écriture autobiographique semble impossible pour Mme de Staël, elle sert quand-même de point de départ à la fiction. Le titre du livre indique que la problématique choisie est liée aux caractéristiques «féminines» de l'œuvre de Mme de Staël, l'écriture autobiographique, possible ou pas possible, semble en effet caractériser la fiction des femmes écrivains. Dans la première partie de son étude Marie-Claire Vallois décrit la genèse de l'écriture romanesque staëlienne à partir de fragments autobiographiques, esquisses de romans, nouvelles et pièces de théâtre. Elle discute aussi les écrits théoriques de Mme de Staël dans le cadre de cette problématique (p. ex. Lettres sur les ouvrages et le caractère del J. Rousseau, 1788, De la littérature, 1800, et De l'Allemagne, 1813). Elle analyse ensuite, dans la deuxième partie, le roman Delphine (pubi, en 1820), et plus longuement, dans la troisième partie, Corinne ou l'ltalie, le chef-d'œuvre de sa fiction (texte définitif en 1817) avant de conclure dans «Les voix de la Sibylle» par une démonstration à travers l'œuvre de Mme de Staël d'un mode «féminin» de raconter. Mme de Staël veut se lamenter sur la situation de la femme et surtout de la femme de génie qu'elle était la première à décrire dans la littérature française. Ce besoin se confond avec le besoin de plaider sa propre cause en tant que femme écrivain, en prise avec le rôle contraignant de la femme et le désir impérieux de se réaliser en tant qu'individu. La loi du Père et l'interdit de son propre père ne permettant pas à Mme de Staël de parler librement, elle crée des héroïnes qui racontent rarement leurs histoires, mais qui sont surtout racontées par les autres, par l'Autre. Comme ses héroïnes, Delphine et Corinne, Mme de Staël, femme écrivain, ne peut pas parler d'une façon autobiographique, et le texte mime ainsi le besoin et la quasi-impossibilité qu'avait la femme de prendre la parole pour se définir à l'époque de Mme de Staël. Le secret de la femme est le secret de celle qui organise l'univers fictionnel, jamais dévoilé, mais tout le temps sous-entendu. La recherche à travers l'œuvre de Mme de Staël des voix qui racontent et au nom de qui elles le font, semble être l'exemple d'une analyse où la perspective du chercheurcorrespond aux questions que le texte impose. Narratologie (Gérard Genette, Figures, I, 11, 111, Paris 1966, 69, 72) et psychanalyse (Jacques Lacan, Ecrits, Paris
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1966) à l'appui, Marie-Claire Vallois poursuit avec finesse et perspicacité le narrateur omniscient à travers l'œuvre, et démontre en renvoyant aux textes de Derrida (JacquesDerrida, De la grammatologie, Paris 1967 et l'Ecriture et la différence, Paris 1967) et Kristeva (Julia Kristeva, Pofylogue, Paris, 1977) que ce narrateur se construit à travers une série de masques, un jeu d'identités. La quête de l'écriture autobiographiquedans laquelle Marie-Claire Vallois se lance est riche en péripéties et en découvertespour le lecteur. Une étude minutieuse révèle un système complexe de narrateursdans les textes, qui parlent tous pour la femme qui ne peut pas parler, «mais qui «montre» et appelle de la voix» (p. 187). Quand Mme de Staël crée Corinne dans Corinne ou l'ltalie comme le double de son «pays maternel», et donc le double de sa mère, Marie-Claire Vallois affirme que «le narcissisme primaire qui faisant fi des oppositions entre la personne et le pays, le sujet et l'objet, le soi et l'autre, s'inscrit, par le détour de l'écriture, comme le rapport archaïque à la mère» (p. 186). Corinne fuit l'Angleterre et le Nom du Père, fuite qui mène en Italie, à la Mère, et trouve un «alibi à l'appel, à la vocalise, au cri» (p. 187). A quel point, Mme de Staël se place-t-elle, elle-même, et sa femme de génie, Corinne, à la lisière ténue entre l'ordre imaginaire et l'ordre symbolique, entre le chant et le mot, entre Mère et Père, créant ainsi une «écriture féminine»? (Pour la définition du concept cf. par exemple Hélène Cixous, Entre l'écriture, Paris 1986.) Il semble bien possible qu'on puisse voir, dans les textes de Mme de Staël, la marque du «féminin», c'est-à-dire du fait que l'auteur est une femme, vivant une vie de femme qui s'inscrit immanquablement dans la fiction. Mais les romans de Mme de Staël comptent sans doute aussi parmi les rares exemples d'une écriture féminine avant la littérature moderne, si l'on définit, comme Hélène Cixous, cette écriture comme un chant et un cri, débordante, riche et jamais fixée, possible pour femme et homme, avec un narrateur qui sans cesse se renouvelle et change, dans un texte sans murs, sans cadres. Ce n'est qu'à la dernière page de son travail que Marie-Claire Vallois renvoie à la poétique d'Hélène Cixous et à l'emploi, chez celle-ci, du concept d'écriture féminine, «où plutôt que de jouir de maîtrise et de fétichisme, il s'agirait de jouir du vol et de la Voix» (p. 188). Il aurait été intéressant de poursuivre cette pensée en compagnie de Marie-Claire Vallois, d'autant plus qu'il ressort bien du travail de celle-ci qu'il n'y a pas d'écriture, même pour une femme, en dehors de l'ordre symbolique, pas de créativité sans le chant de l'ordre imaginaire. Université de Trondheim |