Revue Romane, Bind 25 (1990) 1

Réponse à Cari Vikner:

Michael Herslund

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La critique de CV se résume en trois points: mon usage de paraphrases ou de
représentations sémantiques, le statut de la notion de 'sujet', et l'établissement de
certaines classes de verbes.

Le premier point concerne l'usage que je fais de paraphrases sémantiques comportantdes éléments tels que ETRE et AVOIR. Si je postule pour toute structure comportant un objet indirect l'existence d'une prédication secondaire, je suis bien obligé d'expliciter, ou de paraphraser, cette prédication à l'aide d'un prédicat. D'autre part, je renonce explicitement (voir p. ex. p. 101) à construire des représentations sémantiques dans le sens que de telles représentations «représentent» ou même «sont», le sens d'une phrase. Pour moi, le sens d'une phrase donnée est l'ensemble des relations de paraphrase, d'implication, de contradiction, etc., qu'elle entretient avec d'autres phrases de la langue. Le sens est ainsi, probablement, un ensemble

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infini, ou du moins, non définissable. Une «représentation sémantique» n'a pas d'autreraison d'être que celle de souligner certains aspects de telles relations. Il ne s'agit par conséquent pas pour moi de construire un langage formel, mais de souligner certains aspects importants pour mon propos. Ces aspects, je les souligne à l'aide de paraphrases sémantiques comportant des éléments tels que ETRE, AVOIR et CAUSER.Et c'est la première interprétation qu'en propose CV qui est la bonne: ce sont des noms donnés à des ensembles d'éléments qui existent par ailleurs, sous forme de mots, en français. Si, en effet, on conçoit le sens d'une phrase comme l'ensemble des relations qu'elle entretient avec d'autres phrases, on peut avoir besoin d'isoler et d'expliciter certains traits, tout comme on peut, et à mon avis tout à fait légitimement, représenter l'élément de sens commun à rose et à tulipe par l'élément FLEUR, sans pour autant souscrire à une théorie componentielle du sens: FLEUR est ce qui est commun à rose et à tulipe, mais pas nécessairement ni un sème, ni un trait distinctif, ni un atome de sens. De la même façon, ETRE et AVOIR sont des espèces d'hypéronymes,et c'est pour éviter tout soupçon d'analyse componentielle, ou de représentationsémantique vue comme une transcription livrant le sens, que j'ai parlé de paraphrasessémantiques'. on peut critiquer cet usage, dans la mesure où il me force à opérer avec deux sortes de paraphrases (cf. p. 225): des paraphrases1, «explicitations de squelettes sémantiques», et des paraphrases en langage naturel. Mais les paraphrasessémantiques ne constituent pas un langage formel. Et en ce qui concerne les possibilités de falsifier les analyses, je dois me contenter de dire qu'il s'agit des possibilitésde construire des paraphrases2 en langage naturel en accord avec des paraphrasessémantiques. Autrement dit, l'hypothèse d'une certaine paraphrase autorisela construction de certaines paraphrases tout en en excluant d'autres. Si je postule par exemple qu'une partie du sens d'un verbe tel que adjoindre {Cette théorie, il faut lui adjoindre des clauses supplémentaires) comporte le prédicat AVOIR, cela veut dire que parmi les implications qu'appelle une phrase comportant ce cerbe doit figurer une phrase contenant un verbe hyponyme de AVOIR, p. ex. comporter (Cette théorie devrait comporter des clauses supplémentaires). Les éléments ETRE et AVOIR sont par conséquent des éléments isolés qui donnent accès à des réseaux de paraphrases2 en langage naturel; ce ne sont pas des éléments d'un langage formel.

Cette discussion mène naturellement au deuxième point de critique: le statut du sujet. Je ne vois pas d'inconvénient à ce que 'sujet' soit aussi une notion sémantique. Dans beaucoup de descriptions grammaticales, on a recours à la notion de 'sujet logique', cf. p. ex. Pedersen et alii 1980, p. 28 ss., dont CV est coauteur. Est-ce que le sujet logique n'est pas un sujet sémantique? Comme je ne crois pas à l'existence d'une représentation sémantique, sauf dans le sens esquissé ci-dessus, je ne vois pas comment on peut se passer de notions telles que 'sujet' et 'objet' dans les paraphrases sémantiques. Mais cela ne veut pas dire que les notions de 'cas' ou de 'rôles' sémantiquessoient superflues ou inintéressantes. Je leur accorde seulement une place très modeste dans mon travail. Ce qui m'amène directement aux trois questions précises de CV (p. 131); et je précise que, à la page 311, je ne dis pas qu'on a besoin de trois structures différentes pour décrire proprement une phrase, mais «qu'on a besoin de trois sortes de structures au moins pour décrire proprement une phrase» (p. 311; emphase ajoutée). Il faut, bien entendu, d'autres structures, comme une structure de rôles ou de cas, une structure thématique, une structure informationnelle, et probablementd'autres

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blementd'autresencore. Ce qui répond à la première question. On a besoin de sujets dans la description sémantique parce que le datif et le locatif ont, selon ma description,le même rôle sémantique; la différence entre eux découle de l'interaction entre le rôle sémantique de 'lieu' et la fonction de sujet: un datif est essentiellement un locatif sujet, ou, autrement dit, une structure dative est une structure locative renversée.En ce qui concerne la troisième question, l'existence de beaucoup de verbes qui choisissent entre datif et locatif rend nécessaire une structure (et je ne parlerai pas de 'niveau', mais plutôt de système au sens de Halliday) predicative où ce choix est exprimé, parce que le choix n'est pas donné avec le choix de verbe, ce qui est le cas, en revanche, des verbes avec lesquels le datif par exemple a été lexicalisé.

Le troisième point de critique concerne la façon dont sont établies les différentes classes de verbes. Elles le sont en fonction des combinaisons syntaxiques observées. Il est vrai que je n'ai pas été très explicite sur ce chapitre. Si je déclare telle combinaison exclue, cela veut dire que je ne l'ai pas trouvée dans mes matériaux. Ce n'est qu'exceptionnellement que j'ai consulté des informateurs. En revanche, tous les verbes qui me semblaient présenter une combinatorique lacunaire ont été vérifiés dans les grands dictionnaires de langue (Grand Robert, Trésor, etc.). Si je trouve demain un exemple d'une combinaison jugée impossible, je serai alors obligé de modifier ma classification. C'est là une condition générale, mais au fond positive et fructueuse. Il est autrement problématique de savoir comment il faut procéder avec deux informateurs qui se contredisent. Voilà pourquoi j'ai choisi de travailler avant tout sur des exemples authentiques, avec tous les aléas qu'une telle méthode comporte: bien sûr que j'ai pu me tromper dans tel ou tel cas précis. Mais je crois la classification globale essentiellement correcte.

Ecole des Hautes Etudes Commerciales de Copenhague

Bibliographie

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