Revue Romane, Bind 25 (1990) 1

Le terme 'ce que' régissant une complétive en ancien français*

par

Magali Rouquier

0.

On peut relever dans les textes des XIIe et XIIIe siècles, une gamme de ce
que «conjonction» plus importante qu'en français moderne. Ce que est attesté
dans des emplois sujets et compléments non-prépositionnels:

Sujet:

(1) Ce que s'amie se conforte et la dame qui li aporte la novele hastivemant, l'a fet molt lié soudenemant. (Erec, 6283)

(2) Ce que je le lyon feri,
ce senefie l'atemprance
par quoi j'entrai en la doutance
de vous courroucier, dont bon gré
sai de Courtoisie et Loiauté. (Cleom, 14594)

(3) Ne li tome mie a déduit
Ço que par la sale veillierent
Et ço que pas ne se couchierent. (Troie, 1479)

(4) A Percheval molt abeli Ce qu'il vit une hache pendre A un croc, s'est alez le prendre Puis est del chastel avalez. (Gerbert, Perc, 699)

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Compléments non-prépositionnels:

(5) Et je li dirai la tierce, plus diverse que les .IL, quar saiche bien ce que li jor
qu'il morra, il se brisera le col et pendra et neira. (Merlin pr., ed. Micha,
160,46)

(6) Voirs, quant vos vos sentistes grosse, que vos feistes querré au provoire la
pais de vos et de vostre seingnor por covrir ce que vos estoiez grosse; (Merlin,
pr., éd. Micha, 14,85)

(7) «Et, si m'aïst Dex, fet ele, ce que gè li donnai avant le fruit a mengier ne
fesoie ge se par grant detonerete non.» (MArt, 62,84)

La Ce Qu-Phr peut se réaliser sous une forme conjointe comme ci-dessus (le
ce n'est pas séparé du que par le verbe recteur) ou bien sous une forme
disjointe (le ce est séparé du que par le verbe recteur):

Sujet:

(B)Et ce nos fet anragier d'ire
que maintes foiz morir veomes
chevaliers juenes et prodomes (Yvain, 5323)

Compléments non-prépositionnels:

(9) Et quant ce virent les puceles
que lor petite dame vient,
joie fere lor an covient (Perc, 5214)

En français moderne, ce que dans cet emploi s'est restreint aux énoncés
prépositionnels. La complétive du français moderne ne se réalise plus que
par le biais de que:

Qu'il pleuve, ça m'ennuie.
Ça m'ennuie qu'il pleuve.

Les séquences suivantes ne sont plus attestées en français contemporain:

*Ce qu'il pleut m'ennuie.
*J'aime ce qu'il pleut.

Il s'agira ici d'une description de ces Ce Que-Phr de l'ancien français.

Side 49

1. Méthode d'analyse

1.0

Pour l'analyse de ces éléments, je me servirai du modèle positionnel développé
par P. Skârup (1975).

Skârup distingue trois zones de la proposition en ancien français qui se
succèdent ainsi:


DIVL1232

On distingue en ancien français deux paradigmes de pronoms: les clitiques et
les non-clitiques:


DIVL1240

et les vocaliques en, i.

Le paradigme A représente le paradigme des non-clitiques, le paradigme B et les vocaliques, les clitiques. Les clitiques sont des affixes du verbe et se trouvent dans la zone verbale de la proposition, les non-clitiques ne sont pas des affixes du verbe et se trouvent dans la zone préverbale.


DIVL1240

1.1 Les limites entre les zones

- Entre la zone préverbale et la zone verbale:

Skârup établit la limite entre ces zones avec les critères suivants:

Le ne de négation est placé dans la zone verbale, il ne peut être
séparé du verbe par une incise:

(10) De ce, fet ele, «'ai ge cure (Thèbes, 7401, Skârup, p. 33)

Les clitiques antéposés au verbe ne sont pas séparés du verbe par
des non-clitiques:

(11) prient lui que le cors leur rende,
ou se ce non qu'il le leur vende; (Thèbes, 6766)

on ne pourrait avoir:

(11') *qu'il le eus vende

- Entre la zone verbale et la zone postverbale:

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Les clitiques de l'ancien français peuvent être postposés au verbe recteur.
Dans ce cas, ils ne peuvent être séparés du verbe par des non-clitiques:

(12) Ha! sire rois, se je ai dite
Une response nice et foie,
volez m'an vos mètre a parole. (Yvain, 6392)

Les adverbes de la négation: pas, mie, point, et les adverbes or, donc, suivent
le sujet pronominal postposé:

(13) Cornent! ce dit Sador, ai ge donc de vos guarde? (Tristan, pr., 145,12,
Skârup, p. 50)

Le sujet lexical n'est pas à la même place que le sujet pronominal, il suit les
adverbes cités, et se trouve dans la zone postverbale:

(14) De ceste novele n'est pas Tristanz molt liez. (Tristan, pr., 368, 18, Skârup, p.
58)

1.2 Jeu de balancier des pronoms

On remarque en ancien français un jeu de balancier des pronoms:

(15) Ceste costume ai je toz jors tenue et la tendrai tant corne je porrai (Queste,
5,7)

(16) Erec la voit, si s'en mervoille,
et prie li qu'ele li die
por coi si formant plore et crie, (Erec, 4309, Skârup, p. 374)

(17) Ce vueill ge dire as povre bachelers (Nimes, 649)

(18) se il est deshetiez, // me poise que il n'est ceanz (MArt, 67,10)

Ce jeu de balancier amène Skârup (69) à définir deux modèles de la zone
verbale:

[1]


DIVL1296

[2]


DIVL1300

Le premier modèle s'emploie quand la zone préverbale de la proposition est occupée par un élément, le deuxième ne s'emploie que quand la zone préverbale est vide. Cela dit, ce deuxième modèle représente un maximum syntagmatique, il ne peut être réalisé tel que dans les propositions énonciatives et dans les subordonnées.

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1.3 La zone préverbale et la place de fondement

Dans les énonciatives et les interrogatives, la zone préverbale est monoplace.
Skârup appelle cette place la place de fondement. Dans les subordonnées, on
a un modèle biplace, constitué par la place K et la place de fondement.

Un des critères de cette place de fondement est la postposition du pronom sujet. Dans les propositions «inquit», interrogatives et volitives, le sujet - même pronominal - peut suivre le verbe sans que celui-ci soit prédédé d'un élément. Dans les énonciatives et les subordonnées, les sujets pronominaux ne suivent le verbe que lorsque celui-ci est précédé d'un élément: cet élément a un effet «double détente»: il amène l'antéposition des clitiques compléments dans la zone verbale et la postposition du sujet pronominal dans la zone verbale.

C'est ainsi que pour l'énoncé (17), la postposition du sujet pronominal est due à ce que l'élément ce occupe la place de fondement de la zone préverbale. Cette zone étant monoplace, le pronom sujet se balance derrière le verbe. Pour l'énoncé (15), la place de fondement de la deuxième proposition est occupée par et, le pronom régime est antéposé au verbe.

1.4 Le pronom sujet

Skârup, dans son analyse, est amené à faire une nette distinction entre les sujets lexicaux et les sujets pronominaux. Dans les propositions énonciatives et subordonnées, le sujet pronominal n'est postposé au verbe que si ce verbe est précédé d'un élément. Dans ce cas, le sujet se trouve dans la zone verbale et a le statut d'un clitique. Les sujets lexicaux postposés au verbe se trouvent dans la zone postverbale.

1.5 L'extraposition

Les éléments qui précèdent un verbe suivi d'un clitique régime se trouvent
hors de la proposition, en extraposition. Pour l'énoncé (16) le et est en
extraposition, le critère en est la postposition du clitique //.

Les éléments qui précèdent une construction verbale dont la place de fondement est occupée, se trouvent également en extraposition. Pour l'énoncé (18), la séquence se il est deshetiez est extraposée: l'élément // occupe la place de fondement.

2. Ce que. Deux «versants» de la syntaxe

Le terme ce que intervient dans deux versants de la syntaxe, celui des relatifs
et celui des prépositions.

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2.1 Le relatif

Ce versant pose un problème dans la reconnaissance du ce que «conjonction». On a deux séquences homonymes pour lesquelles il faut trouver des critères de distinction. Wunderli (1979) propose une série de critères en forme de distribution complémentaire:

1) Pour un ce que «relatif», on peut avoir une équivalence avec
chose, ce qui n'est pas le cas pour un ce que «conjonction».

2) On peut mettre un déterminant de type tout devant un ce que
«relatif» mais pas devant un ce que «conjonction».

3) on peut proposer une ponctuation avec deux points pour ce que
«conjonction» mais pas pour ce que «relatif». Ex. (je rajoute le deux
points):

(19) Et ce: que li uns l'autre voit,
Ne plus n'an puet dire ne feire,
Lor tome moût a grant contraire (Clig, 580)

Par contre, on ne pourrait avoir:

(19') *Et ce: que li uns voit.

Je ne chercherai pas à rendre compte des deux premiers critères de Wunderli,
mais plutôt du troisième. Avant de le faire, on peut proposer un autre
critère de distinction:

4) Si la valence complément du verbe régi est occupée, on a un ce que de type «conjonction». Dans l'exemple cité, le verbe veoir a pour valence complément Vautre, l'élément que, par conséquent, ne peut occuper cette place complément. Par contre, si on transforme (19) en (19'), on a affaire à un ce que «relatif» où l'élément que occupe la place du complément. Ce critère ne porte que sur la fonction de l'élément que dans la subordonnée, mais n'apporte aucune précision quant à la nature du lien qui existe entre ce et que.

2.1.1 Le troisième critère de Wunderli

Bien que les raisons pour lesquelles Wunderli propose ce critère ne soient
pas explicites, on peut tenter de les élucider.

Le critère de Wunderli, contrairement au quatrième critère proposé, porte sur le rapport qui existe entre le ce et le que et implique que ce rapport n'est pas le même dans le ce que «relatif» et le ce que «conjonction». Je rappellerai par ailleurs - et ceci n'est pas étranger au critère de Wunderli - que, dans les énoncés prépositionnels ou non, dans lesquels ce est impliqué, l'analyse traditionnelle est d'y voir un pronom tonique qui annonce la Qu-Phr

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qui suit. L'argument essentiel qui sous-tend cette analyse est la possibilité
pour ce d'être séparé du que par le verbe recteur, et d'autre part, d'être un
pronom valence autonome; ceci est fréquent pour ce complément:

(20)Et Perceval ala cele part et la prist et l'aracha de l'arbre corne iriez, et
oncques la damoisele ne palla. Et quant la damoisele vit ce, si li cria mult
ireement: (Didot Pere, 1139)

Cette analyse est sans doute l'une de celles qui sous-tendent le critère de Wunderli. Elle est pourtant à double tranchant: il est vrai que dans les cas où ce est séparé du que par son verbe, ce peut annoncer la Qu-Phr qui suit, en revanche, dans les cas où ce est valence autonome, il renvoie, dans la majorité des cas, à ce qui précède et non à ce qui suit.

Ce que «conjonction» ne subsiste en français moderne que dans certains énoncés prépositionnels. Il est difficile, sinon impossible pour ces énoncés de proposer une ponctuation entre le ce et le que: *je tiens à ce: que tu partes. Ce qui pourrait nous faire mettre cette ponctuation en ancien français, c'est l'assimilation morphologique d'un ce à un ça pronom: je tiens à ça: que tu partes', et par conséquent la possibilité pour un pronom d'annoncer ce qui suit (ou à l'occasion de reprendre ce qui précède).

L'analyse d'un ce comme pronom annonçant la Qu-Phr implique plus ou moins une notion «d'ajout» ou de terme non-obligatoire. Autrement dit, elle implique que dans tous les cas, on a une alternance ce/0. Ceci n'est pas exact pour les prépositions du français moderne qui prennent un ce, et n'est pas exact non plus pour certaines des prépositions de l'ancien français. La possibilité d'alternance prép ce que/prép 0 que pour certaines des prépositions de l'ancien français pourrait être un argument pour cette analyse. Mais on peut remarquer que diachroniquement, l'alternance a disparu pour ce groupe. Par ailleurs, dans le cas des Ce Qu-Phr, l'alternance ce/0 n'est pas systématique non plus: dans le cas des Ce Qu-Phr postposées, elle est régulière et fréquente, dans le cas des Ce Qu-Phr antéposées, cette alternance ne semble être productive qu'à partir du XIIIe siècle; au XIIe siècle, il n'y a qu'une façon de passer la Qu-Phr. par le biais de ce.

Cette alternance ce/0, et la faculté pour ce d'être séparé de son élément Qu - signe que ce n'est qu'un ajout -, nous ramène à la séquence homonyme «relatif». Il est tout à fait courant en ancien français d'avoir pour une séquence «relative» la réalisation 0 de ce:

(21) Or oëz par maistrie
Que li chars signefie (Best, 315-6)

Par ailleurs, l'élément ce/cil peut être séparé de son élément Qu- par le verbe
recteur, ou bien par une intercalation:

Side 54

(22)intercalation:

Mais cil, dame, qui te sert Et a toi honorer tent Eamor ton fil en désert Et paradis en atent. (GCoinci, Mir ND, 1,42-5)

(23) verbe recteur:

Grant talent eut et grant désir, Quant yvres fu, d'aler gésir. Mais cil le seut bien espïer Qui tox nos bee a conchïer; (GCoinci, Mir ND, 16,17-20)

(24) Et co truvum escrit
Que Bestiaires dit (Best, 2415-6)

Ceci implique que la notion d'ajout ou de terme non-obligatoire comme le
signe que le ce annonce la Qu-Phr est à nuancer.

2.2 Les prépositions

Elles constituent le deuxième versant dans lequel ce que intervient.

2.2.1 En français moderne

En français moderne, ce que dans son emploi «conjonction» s'est restreint aux énoncés prépositionnels. On peut faire une partition dans le groupe des prépositions en français moderne. On a des prépositions qui régissent des complétives:

l)à, avant, de, depuis, dès, en, hors, outre, par, pour, sans, selon, sur (liste prise
dans Togeby IV, § 1524). On peut rajouter à cette liste: malgré, pendant, sauf,
moyennant, durant, suivant.

et les prépositions qui ne les régissent pas:

avec, contre, dans, derrière, entre, sous, vers (liste prise dans Togeby IV, §
1524).

2) A l'intérieur du groupe des prépositions qui régissent des complétives, on peut établir une seconde répartition: celles qui se construisent uniquement avec le ce, et pour lesquelles il n'y a pas d'alternance ce/0: à ce que, de ce que, en ce que, jusqu 'à ce que, par ce que, sur ce que.

Pour ce groupe de prépositions, on ne peut avoir l'alternanceprép 0 que:

*Je m'attends à que il soit parti.
Me m'étonne de que il soit parti.

Side 55

En revanche, pour: à ce que, de ce que, on peut avoir l'alternance prép ce
que 10 que:

Je m'attends que vous viendrez demain.

L'autre versant de cette répartition est le groupe des prépositions qui ne
prennent pas de ce: après, avant, dès, depuis, hors, outre, sans, selon, malgré,
pendant, sauf, durant, moyennant, suivant.

3) La dernière répartition est diachronique, elle concerne les prépositions
quineine régissent plus la complétive mais qui ont pu la régir en ancien français.
Ceci est vrai pour les prépositions suivantes: avec, devant.

En ce qui concerne la présence de ce, le français moderne rajoute une
impossibilité de plus: on ne peut construire le ce directement, sans la préposition:

*Ce qu'il pleut m'ennuie. - *Je sais ce qu'il pleut.

alors qu'en ancien français, ces énoncés sont attestés.

2.2.2 En ancien français

En ancien français, la situation est grosso modo la suivante: dans le groupe
des prépositions qui régissent la complétive, on peut avoir l'alternance prép
ce que/prép 0 que. Ceci est vrai pour les éléments de la liste suivante:

après ce que/après que; avant ce que lavant que; por ce quel por que; par ce quel par que; dès ce quel dès que; très ce quel très que; pendant ce quel pendant que; selon ce quel selon que; sans ce quel sans que; puis ce quel puis que.

Dans ces cas-là, le choix n'est pas le même qu'en français moderne, où les
prépositions qui prennent le ce ne peuvent avoir de forme courte sans ce.

Le deuxième groupe est celui des prépositions qui «prennent» une
complétive et qui n'admettent pas l'alternance prép ce quel prép 0 que. Ceci
est vrai pour les éléments de la liste suivante:

à ce que; de ce que; en ce que; endroit ce que; o ce que; parmi ce que; sur ce
que.

Dans ce cas-là, le choix est le même qu'en français moderne.

On a un troisième groupe: celui des prépositions qui régissent une
complétive mais qui ne prennent jamais de ce.

avers que; envers que; entre que; jusque que.

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3. Les Ce Que-Phr construites sans la préposition. Les différents schémas rencontrés

3.1 Les Ce Que-Phr sujets conjointes

On trouve deux schémas syntaxiques pour les Ce Qu-Phr sujets conjointes:
elles peuvent être antéposées ou postposées au verbe recteur.

schéma:


DIVL1469

(25) E ceo que li leuns
Tremblet quant le veiins
Signified itant -
Saiez hi entendant -
Que Deus pur nus tremblât
Forment se humiliât
Quant od sa deïted,
Volt prendre humanitéd (Comput, 1665)

Le texte du Bestiaire du même auteur propose:

(26) Li trembler del leun Demustre par raison Que Deus s'umiliat Quant pur nus encharnat. (Best, 353)

(27) Ce que je vi mon sane me fait espoenter; (Berte, 536)

Les verbes recteurs signifier, faire espoenter, construisent respectivement les
Ce Qu-Phr ceo que H leüns tremblet, et ce queje vi mon sane.

schéma:


DIVL1483

La Ce Qu-Phr peut être postposée à un certain nombre de verbes:

(28) La rosé auques s'eslargissoit par amont, si m'abellissoit ce qu'el n'iere pas si overte que la graine fust descovierte; (RRose, 3344)

(29) «Biax niés, fet il, pas ne m'agrée
Ce que partir volez de moi» (Clig, 4187)

3.2 Les Ce Qu-Phr sujets disjointes

La Ce-Qu-Phr peut se réaliser sous une forme disjointe où le ce n'est pas lié
au que:

schéma:


DIVL1500
Side 57

(30) Mes ce l'en a fait esloignier
qu'il a dit qu'el n'est pas pucele. (GDole, 3975)

(31) Et ce la grieve molt et blesce
qu'ele n'ose de sa destrece
demostrer sanblant en apert. (Clig, 2090)

Pour (30), le ce est antéposé au verbe recteur fere esloignier, la Qu-Phr est séparée du ce par le verbe recteur et constitue l'autre partie du sujet; on a ici une forme discontinue du sujet. On peut proposer la même analyse pour (31).

3.3 Les Ce Que-Phr compléments conjointes

Pour les Ce Qu-Phr compléments, on trouve les deux schémas: conjoint et
disjoint. La construction conjointe n'est pas très fréquente, elle est attestée
avec un petit nombre de verbes.

schéma:


DIVL1517

(32) Et quant li preudom vit ce que il ot perdu son fil, si s'en desespera et
meserra moût de sa créance (RBor, 77)

Le verbe recteur veoir construit la Ce Qu-Phr complément ce que il ot perdu...

schéma:


DIVL1525

(7) «Et si m'aïst Dex, fet ele, ce que je li donnai avant le fruit a mengier ne
fesoie ge se par grant debonereté non;» (MArt, 62,84)

3.4 Les Ce Que-Phr compléments disjointes

schéma


DIVL1536

(9) Et quant ce virent les puceles
que lor petite dame vient,
joie fere lor an covient, (Perc, 5214)

(33) Ce sachent bien tuit li baron
que ge n'i ai de mot failli.» (Perc, 4738)

Dans ces énoncés, le ce est séparé du que par les verbes recteurs veoir, savoir.
Le que est, dans la majorité des cas, en début de vers.

Side 58

3.4 Tableau récapitulatif


DIVL1548

Les Ce Qu-Phr conjointes:


DIVL1548

Les Ce Qu-Phr conjointes:

4. Les Ce Qu-Phr antéposées: ce que régi + V recteur

Herman (1963, p. 243) signale qu'en ancien français, «dans les plus anciens textes on voit apparaître le groupe ce que, bien plus souvent cc.que. Les conditions dans lesquelles cette tournure apparaît sont pour l'essentiel toujours identiques...» Plus loin, il nous dit que «l'emploi de ce en tête de phrase est plus facile que le déplacement de la subordonnée tout entière» et justifie ainsi la fréquence d'emploi de la séquence ce Vrecteur que Vrégi par rapport à la séquence ce que Vrégi Vrecteur, ou Vrecteur ce que Vrégi. En d'autres termes, on aurait dans des énoncés comme:

(34) ce que il se desguisa en semblance de nouvel chevalier m'en toli la droite
connoissance. (MArt, 30,38)

un déplacement de la Qu-Phr, ou une intercalation de la Qu-Phr entre le ce et
le verbe recteur:

ce [que il se desguisa en semblance de...] m'en t01i...

la réalisation «normale» étant:

ce m'en toli la droite connoissance que il se desguisa en semblance de...

Cette analyse peut être corroborée par les faits suivants: la liste des verbes recteurs des Ce Qu-Phr conjointes et disjointes est sensiblement la même: on a des verbes recteurs de type «évaluatifs». Ainsi, pour une occurrence qui emploie grever comme verbe recteur, on peut avoir le schéma «disjoint» ce V recteur que Vrégi:

(31) Et ce la grieve molt et blesce
Qu'ele n'ose de sa destrece
Demostrer sanblant en apert. (Clig, 2090)

Side 59

ou bien le schéma ce que V régi V recteur:

(35) ce que sainte église fu decëue en fere contre le premier mariage, ne dut
grever a nului, (Beauman 1,18,18, T-L 2, (81,26)

Cette double possibilité serait un argument pour l'analyse d'Herman: pour le premier énoncé, on aurait une réalisation «normale» de la Ce Qu-Phr, pour le deuxième, une réalisation par intercalation de la Qu-Phr entre le ce et le verbe recteur.

4.1 Que recouvre le terme déplacement, intercalation?

Sous les termes «déplacement» ou «intercalation», on peut attribuer différents modes ou degrés de relation des éléments ce et Qu-Phr avec le verbe recteur (le schéma où ce que est postposé au verbe ne se laisse pas décrire de la même manière).

Les hypothèses de Skârup peuvent aider à fournir des éléments d'interprétation syntaxique pour les Ce Qu-Phr, sur les différents modes de relations au verbe, et sur la place qu'elles occupent. La zone préverbale des énonciatives est monoplace, on n'a que la place de fondement qui ne peut être saturée. Cette zone peut être interrompue après la place de fondement, avant la zone verbale. Pour des énoncés tels que:

(36) «Bêle, ce que je me consiurre
De vos m'a fait maleurtés.» (Esc, 5188)

(36) Car ce que ne voit l'ourse l'a molt rasseiiree. (Berte, 1162)

Si l'on retient l'hypothèse d'une intercalation, on est obligé d'examiner la
relation qu'entretiennent le ce et la Qu-Phr avec le verbe recteur. On peut
proposer les deux analyses:

4.2 Une Qu-Phr en place de fondement

(ce) [que je me consiurre de vos] m'a fait maleürtés

Le ce est en extraposition et la Qu-Phr sujet occupe la place de fondement de
la zone verbale. On peut avoir sur un modèle analogue les séquences suivantes:

(37) Sire, dist Mirabeus, ce que est que vos dites (Aiol, 10299)

(38)«Dex! dist li rois, ce que puet estre» (Ber, 2001)

où le pronom ce est extraposé. Il aurait donc le même statut quant au degré
de relation avec le verbe que le ce et la Qu-Phr. Ce aurait donc les mêmes
caractéristiques que le pronom sujet en général.

Side 60

4.3 Une Qu-Phr intercalée

[ce (que je me consiurre de vos) m'a fait maleiirtés]

Le ce occuperait la place de fondement du verbe recteur m'a fait maleiirtés et
la Qu-Phr est intercalée. On aurait donc le début d'une enunciative constituée
par la place de fondement ce et interrompue par une Qu-Phr intercalée.

Cette interprétation syntaxique serait plus cohérente avec les Ce Qu-Phr
disjointes où le ce est toujours en place de fondement:

Par nuit s'an vont grant aleiire,
et ce lor fet grant soatume
que la nuit luisoit cler la lune. (Erec, 4900)

La zone verbale est constituée par lor fet, la zone préverbale par ce. Dans ces
énoncés disjoints le ce n'est jamais en extraposition.

4.4 Une Ce Qu-Phr

Une autre analyse consisterait à prendre la Ce Qu-Phr «en bloc». Autrement
dit, proposer le découpage suivant:

[ce que je me consiurre de vos] [m'a fait maleiirtésl

Dans ce cas-là, la Ce Qu-Phr est en place de fondement, le symptôme en est
qu'on n'a jamais de postposition du clitique complément ou d'antéposition
du pronom sujet.

*ce que il se desguisa en semblance dc.toli m'en
*ce que je li donnai le fruit ge ne fesoie...

Et c'est l'ensemble de la séquence Ce Qu-Phr qui est en place de fondement.
La Ce Qu-Phr peut être extraposée; dans ces cas-là, on a une reprise:

(2) Ce que je le lyon feri,
ce senefie l'atemprance
par quoi j'entrai en la doutance
de vous courroucier, dont bon gré
sai de Courtoisie et Loiauté. (Cleom 14594-98)

(39) Ce que si atempreement
Recevoit son soustenement
La beste, et tantost s'en aloit,
Que de riens ne li en chaloit,
Ce senefie l'atemprance
De cele de qui l'acointance

Side 61

Te met d'amer en volenté,
Tant vois de bien en li planté; (NMargival, Panthère, 541-8)

(40) Ce que l'alaine qui issoit De la panthère garissoit Les bestes, c'est la garisons De celé a qui tu es prisons Sans estre en buies ne en fers: Tout ainsi guerist les enfers; (NMargival, Panthère, 509-14)

Et c'est l'ensemble de la séquence Ce-Qu-Phr qui est extraposé. Cela dit,
cette analyse ne porte pas sur la nature du lien qui existe entre ce et que, mais
plutôt sur la nature du lien qui existe entre une complétive et son verbe.

4.5 Paradigme de Que. Argument de la Quant-Phr

Toujours dans l'hypothèse où le schéma ce que V régi V recteur procède d'un
schéma ce V recteur que Vrégi, on peut avoir dans le même paradigme que la
Qu-Phr une Quant-Phr.

(41) ce moût li desabeli que il einsi l'avoit perdue (Perc, 7118, Lecoy)
quant il l'avoit einsi perdue (Perc, 7369, Roach)

(les deux éditeurs suivent des manuscrits différents).

S'il est possible de proposer une séquence acceptable du type:

(41') ce que il l'avoit perdue li desabeli

où on aurait une Qu-Phr intercalée entre le ce et le verbe recteur, on ne
rencontre jamais, ponctuation ou pas:

(41") *ce quant il l'avoit einsi perdue li desabeli

Cette impossibilité est assez curieuse: si l'on considère que le ce annonce la Qu-Phr, on peut se demander pourquoi il n'annoncerait pas une Quant-Phr dans les mêmes conditions, et pourquoi cette Quant-Phr ne peut être intercalée entre le ce et le verbe recteur. D'autant plus que la Quant-Phr peut être intercalée entre un élément qui occupe la place de fondement et la zone verbale:

(42) Eendemain, quant li jorz fu clers, se leva Perceval et oï messe (Queste, 72,
22)

4.6 Ce Que-Phret 0 Qu-Phr. L'alternance ce / Ø

On peut distinguer deux cas:"les Ce Qu-Phr antéposées et les Ce Qu-Phr
postposées au verbe recteur. Dans le cas des Ce Qu-Phr postposées, cette
alternance est courante:

Side 62

(4) ce que: A Percheval molt abeli
Ce qu'il vit une hache pendre
A un croc, (Gerbert, Perc, 699)

(43) que: Quant Clarmondine l'entendi, moût durement li abeli que si estoit obeissans Cleomadés a ses commans. (Cleom, 5035-8)

Dans le cas des Ce Qu-Phr antéposées, cette alternance est plus rare, Ritchie (p. 113) signale: «Sauf de très rares exceptions, la subordonnée introduite par que suit la proposition principale. Parfois, dans les poèmes postérieurs à 1150, une proposition complétive précède un verbe exprimant un mouvement de l'âme, et plus tard, dans les Livres des Rois et le Dialogue de Grégoire, ce cas s'étend aux verbes déclaratifs; mais les exemples ne se rencontrent que de loin en loin». Ritchie cite des exemples du XIIe siècle:

(44) Que Tristran ert ben s'aparçut (Trist. Th., 1824)

(45) qu'esloigniez seit, mult Ii est tart (MFce, Guig, 143)

Lau (1970, p. 188) cite des complétives antéposées sans le ce dans des textes
du XIIIe s., notamment dans le texte de Mahieu le Vilain, Les Météores
d'Aristote:

(46) E que il ne soient pas chaudes en leur forme, tout le soient il en vertu, segnefie ce que nul embrasement, comme des estoilles courans et des draglons ardans et de tiex embrasemens, ne sont fais u ciel, ains est fait cha aval en l'air et u feu (MahVil 21)

A cet énoncé, qui a pour verbe recteur segnefier, on peut faire correspondre
l'énoncé suivant:

(47) Et çou que il se combatirent si longuement segnefie çpu que tu as si longuement
tenu lor iretage (RBor, 132)

D'autres exemples de Mahieu le Vilain:

(48) Et que les buées sèches et chaudes fâchent l'amertume de la mer, peut on
bien savoir par les pluies qui chieent quant le vent d'aval vente et les pluies
qui commencent a cheoir a l'entre de vaim (MahVil, 88)

(49) Et dit: que la mer vient de fontaines qui entor li sont, peut l'en bien veoir
que c'est faux. (MahVil, 73)

On peut noter que ces énoncés prennent le subjonctif contrairement aux Ce
Qu-Phr, pour lesquelles seul l'indicatif est attesté; il ne semble pas que l'on
puisse avoir:

Side 63

(46')*que il ne soient pas chaudes segnefie...

Ceci tendrait à montrer que l'on n'a pas des énoncés tout à fait équivalents.

5. Les Ce Que-Phr postposées: Vrecteur ce que Vrégi

(50) Bien afferoit a sa hautece
ce qu'il ert sages et cortois. (GDole, 52)
(51) mes moût li greva voir, ce cuit,
ce qu'il aloit seuls au plessié. (GDole, 910)

Dans ces énoncés, on ne peut pas fournir une interprétation de la Ce Qu-Phr
par intercalation. Pour ces énoncés, on peut noter la variante 0 Qu-Phr:

(52) De Paître part moût le grevout
Que tute gent li destinout
Que li dui frère armes aveient, (Brut, Arn, 6695, T-L, 643,3)

Ces exemples «attestent» que le ce n'est pas obligatoire et que dans ces énoncés il ne serait qu'un surplus, ou bien, ce qui revient au même, un élément qui sert à annoncer la Qu-Phr. Mais on n'a pas des énoncés forcément équivalents: la réalisation en Qu-Phr peut faire «basculer» le mode de la complétive vers le subjonctif, ce qui n'est jamais le cas pour les Ce Qu-Phr.

On peut proposer ici aussi deux types d'analyse différents:

5.1 Analyse par dispositif de rection

On considère qu'on a un mot K de type que et un ce pronom: à ce moment-là, il faut gérer dans l'analyse les dispositifs de rections antéposés au verbe recteur qui vont postposer le pronom ce. Dans l'hypothèse où on a un ce en place de fondement et une Qu-Phr apposée, on peut noter que le ce sujet peut avoir deux emplacements:

- antéposé au verbe:

(31) Et ce la grieve molt et blesce
Qu'ele n'ose de sa destrece
Demostrer sanblant en apert (Clig, 2090)

- postposé au verbe:

(51) mes moût li greva voir, ce cuit,
ce qu'il aloit seuls au plessié (GDole, 910)

Le ce antéposé est toujours en place de fondement. Si cette place de fondement
est occupée par un élément de type moût, bien, et, le ce est postposé au
verbe. C'est ainsi que l'on peut analyser ces Ce Qu-Phr postposées au verbe:

Side 64

(53) formant me grieve
ce que tant vos sai conbatant,
qu'après joie duel en atant. (Clig, 3937)

(54) Moût par li plot ce qu'ele vit
le samblant et la bone chiere
que li fait la fille et la vielle. (Esc, 5026)

La place de fondement est occupée par formant, moût. Le ce sujet est postposé
au verbe. On aurait donc un ce pronom qui serait dans la zone postverbale
du verbe recteur.

5.2 Analyse par groupe de formulations

J'essaierai ici de voir dans quelle mesure on peut proposer une équivalence
entre ce et //.

Avec les hypothèses de Skârup et celles de l'approche pronominale, on peut proposer des groupes de formulations pour l'ancien français. Le test par groupe de formulations est difficile pour grever , je prendrai le verbe peser, dont les occurrences sont fréquentes.

5.2.1 Groupe de formulations avec peser

Dans une formulation, ce est sur le même plan que il:

ce me poise
il me poise

ce et il occupent tous deux la place de fondement de la zone préverbale. Si on permute l'élément me qui se trouve dans la zone verbale, la séquence ce me poise peut se reformuler en ce poise moi. Dans ce cas-là, on a un changement de zones dans la place du pronom, de sorte que me est dans la zone verbale, moi dans la zone postverbale.

Contrairement à ce me poise, dans la séquence ce poise moi, ce n'est pas
sur le même plan que //: la formulation *ilpoise moi n'est pas attestée. On n'a
pas d'attestations des formulations suivantes: *ce moi poise, *il moi poise.

En revanche, avec un élément pronominal 0, on a une formulation «couvrante»:
0 moi poiseI moût ome poise.

La séquence 0 me poise ne peut être réalisée telle quelle: il faut qu'un élément occupe la place de fondement: [moût, or, si,] me poise. Cela dit, si ce et ces éléments occupent la même place, on ne peut leur attribuer la même catégorie, c'est pourquoi je parle d'un élément pronominal 0.

On peut noter aussi la formulation me poise il. Le problème du croisement entre groupe de formulations et jeu de balancier des pronoms se pose en ancien français, contrairement au français moderne, où ce jeu de balancier n'existe pas.

Side 65

On peut donc se demander si me poise fait partie du même groupe de
formulations que il me poise:

il me poise
me poise il

(la séquence *poise me il est impossible en ancien français dans les énonciatives,
cf. Skârup).

Dans cette première hypothèse, la postposition du sujet // est due à ce que
la place de fondement est occupée, ce qui amène la postposition du sujet
pronominal. Voici l'exemple complet:

(55) «De ce que prié vos an ai
me poisè" il, car ge i ai
ma parole mal anploiee.» (Perc, 4230)

Dans cet énoncé, la séquence de ce que... occupe la place de fondement et
amène la postposition du il.

Pour la formulation il me poise:

Se il est deshetiez, il me poise que il n'est ceanz; (MArt, 67,10)

c'est le il qui occupe la place de fondement, la séquence [se il est...] est en extraposition. Cela dit, on peut noter que pour peser, la formulation *me poise ce est impossible. Par conséquent, le ce n'est pas sur le même plan que il dans la formulation me poise il. On ne peut avoir:

(55') *de ce que prié vos an ai me poise ce

// dans me poise il n'a pas le même statut que ce.

Récapitulatif des formules:


DIVL1810

On ne peut donc proposer de substitution systématique entre // et ce.

On peut émettre l'hypothèse que l'impossibilité d'avoir un ce sujet autonome
postposé au verbe vaut pour les autres verbes qui régissent la Ce
Qu-Phr. Les items suivants ne sont pas attestés dans mon corpus:


DIVL1810
Side 66

*mout me tome ce
*bien afferoit ce
*mout me desabeli ce
*et me grieve ce

Dans la perspective d'un pronom ce et d'une Qu-Phr «annoncée», cette impossibilité est intéressante et n'est pas cohérente avec mon corpus des Ce Qu-Phr postposées au verbe, et encore moins cohérente avec l'énoncé suivant:

(56) se li pesa molt et desplot
ce que il n'i avoit esté. (Charr, 313)

Ces impossibilités invalident du même coup l'hypothèse d'un ce pronom qui
annoncerait la Qu-Phr.

5.3 Le terme cil

Pour le terme cil que l'on peut rapprocher du ce sujet, Skârup distingue deux cas: le cas où cil étant antécédent d'une relative, le groupe cil qui peut être postposé au verbe sans que la place de fondement soit occupée, et, ce faisant, se trouve dans la zone postverbale:

(67) Font soi cil a qui il parole (Renart XII, 463, Martin, Skârup: p. 59)

et le cas où cil ne faisant pas partie d'un groupe - contrairement à ce sujet -,
il n'est postposé au verbe que si la place de fondement est occupée:

(58) et cil estoit cil des frères que il mieuz amoit, et de grant renomee, et estoit
apelez Naburzadan (Trist. pr., 5,13, Skârup: p. 247)

5.4 La négation

La zone verbale est constituée par le verbe, et les clitiques qui lui sont afférents. Les limites de la zone verbale sont constituées par les places de la négation ne...pas. Dans les énoncés où ce que est postposé au verbe recteur, on peut émettre l'hypothèse que l'adverbe de la négation ne peut se placer entre le ce et la Qu-Phr.

*ne m'agrée ce pas que partir volez de moi

on aurait plutôt:

ne m'agrée pas ce que...

Ceci impliquerait que la Ce Qu-Phr se trouve dans la zone postverbale.

Side 67

5.5 Le vers

L'examen de la place de ce dans le vers peut fournir un critère intéressant sur la place qu'il occupe et sur la nature du lien existant avec la Qu-Phr qui suit. Si on considère que le ce est pronom, on peut s'étonner que le pronom ge - qu'on pourrait avoir dans le même paradigme - puisse être postposé au verbe et séparé par la rupture de vers bien qu'il appartienne à la zone verbale:

(59) II m'occiroit? Einz occiroie
je lui molt tost, et conquerroie (Charr, 3680, Skârup, p. 49)

(60)Biau sire Dex, ausi en puisse
ge cest jor venir au deseure (GDole, 5052, Skârup, p. 49)

alors que le ce qui, dans ce cas-là, aurait été dans la zone postverbale n'est
jamais séparé par la rupture de vers:

*pas ne m'agrée ce
que partir volez de moi

5.6 Ce que postposé et ses variantes

On peut dégager pour les Ce Qu-Phr postposées le paradigme classique de la
complétive:

(61) ce que: A Cleomadés moût plaisoit
ce que sa mère tant prisoit
Clarmondine...(Cleom, 15239-41)

(62) que: A Cleomadés moût plaisoit
que Clarmondine en gré prendoit
de ce que tant l'avoit requise (Cleom, 14303-5)

(63) de + Inf: Et saciez que moût li pleust
D'acorcier l'an s'ele peust, (Mer 1252, T-L 2, 1224,2)

(64) de ce que: Moût li fu bel et moût li plot
De ce qu'il sont en lait tripot, (Trist,Béroul,3B6l,T-L7,1046,45)

Haase (§ 108, p. 275), donne des exemples de de ce que là où on aurait en ancien français couramment ce que, et en français moderne que ou un de + Inf; il fait la remarque suivante: «de ce que se construit après un verbe transitif suivi d'une détermination attributive et amène la proposition complétive:

(65) On trouvoit étrange de ce qu'il supportoit la vie (Pascal, Pensées, I 71)

Side 68

(66) Cette île où l'on compte pour un présage funeste de ce que nous manquons
de victimes pour cette fête... (Rac, Plan d'lph. en Taur, t. IV)

(67) Faut-il regarder comme un bonheur de ce qu'on demande cette grâce à
Octave plutôt qu'à Antoine (Fén, Lettre à Dacier IV)»

6. Diachronie des Ce Qu-Phr

D'après mon corpus, on peut établir la chronologie suivante


DIVL1887

On peut noter que cette chronologie, tant pour les énoncés prépositionnels que non-prépositionnels, laisse apparaître des disparités dans «l'apparition» et la «disparition» de ce. Pour les Ce Qu-Phr construites sans la préposition, il y a en fait deux dates «butoirs» pour la «disparition» de l'alternance ce que/0 que: les XIVe et XVe s. d'une part, et le XVIIe s. de l'autre.


DIVL1887

7. Conclusion

Cette série de contraintes sur la place de ce oblige à reconsidérer l'argument de Wunderli. La possibilité de ponctuation induit à dire ceci: du point de vue sémantique, on a une Qu-Phr à valeur explicative, du point de vue syntaxique, on a un pronom ce placé dans la zone postverbale de l'énoncé recteur pour le schéma V recteur ce que Vrégi. Ce qui ne correspond pas à l'analyse développée plus haut, où la zone postverbale serait constituée par la Ce Qu-Phr dans son ensemble.

Side 69

L'analyse syntaxique développée ici permet de montrer que, pour les deux types de schémas syntaxiques, disjoints et conjoints, on ne peut proposer le même type d'analyse. Dans le cas d'une séquence conjointe, on aurait plutôt un mot K de type ce que auquel il conviendrait d'accorder le plein statut de «conjonction».

En ce qui concerne la diachronie, on peut souligner deux faits:

1) La disparition de ce que non-prépositionnel - qui se ramène en fait à une disparition de l'alternance ce/0 - peut être envisagée comme un cas particulier de la disparition de cette alternance dans les prépositions de l'ancien français. On peut noter la disparité des dates chronologiques pour cette «disparition».

2) Si pour des raisons pratiques, le classement s'est fait en partie autour des notions de sujets et compléments, ce classement n'est pas forcément pertinent dans une perspective diachronique. Par contre, le classement en terme d'antéposition ou de postposition semble plus pertinent.

La seule différence qui existe entre une Ce Qu-Phr sujet postposée et une Ce Qu-Phr complément postposée, c'est qu'on peut avoir pour les compléments un ce autonome postposé à son verbe, ce qui n'est pas le cas pour un ce sujet.

Sinon, en diachronie, les énoncés ce que sujets ou compléments postposés ne semblent plus être attestés aux alentours des XIVe et XVV, et les énoncés sujets ou compléments antéposés «disparaissent» vers le XVll^s. Il est d'ailleurs remarquable que Haase ne cite aucun exemple d'énoncé postposé. Par contre, au paragraphe 108 déjà cité, il nous donne des exemples d'énoncés prépositionnels, là où on aurait en français une complétive sans ce, ou de + Inf, et en ancien français une complétive sans ce ou avec ce:

On trouvoit étrange de ce qu'il supportoit la vie. (Pasc, Pensées, I, 71)
ce que i1...
que il
de le supporter

Ceci pourrait être un argument pour la disparition «précoce» des énoncés
postposés.

La disparité des dates constatées peut être mise en relation avec une forte productivité des énoncés antéposés comparée à celle des énoncés postposés. Et cela, dès le début des attestations. A titre d'exemple, Philippe de Thaon, grand usager de la Ce Qu-Phr, ne propose que le versant antéposé de cette Ce Qu-Phr. D'autre part, il semble que la Ce Qu-Phr antéposée se soit spécialiséedans les textes (cf. P. de Thaon) et les énoncés de type explicatif ou didactique. La fréquence du verbe senefier peut en être le signe. Cette spécialisationdans des énoncés explicatifs ne se retrouve pas dans les énoncés

Side 70

postposés. Toujours dans cette hypothèse où les Ce Qu-Phr antéposées se spécialisent dans l'explicatif, on peut noter qu'elles n'ont pas toujours eu la même forme. Au XIIe et au Xll^s. elles se développent surtout sous la forme de complétives «classiques», en place de fondement ou en extraposition, à partir du XIIIes., elles prennent une forme apparentée à celle des pseudo-clivées:

(40) Ce que l'alaine qui issoit
de la panthère garissoit
les bestes, c'est la garisons
de celé a qui tu es prisons
sans estre en buies ne en fers:
tout ainsi guerist les enfers. (NMargival, Panthère, 509-14, XIIIe s.)

(68) Ce que la coue est contremont, Par les seinz de trestot le mont, C'est li gorpils qui vos prendra Parmi le col, quant il vendra. (Renart 11, 239, éd. Martin, ms A: XIIIe s.)

(69) Ce que trouver ne puis mire
Qui y sache mètre conseil
C'est ce dont je plus me merveil (Mir ND Pers, 4, 127: XIVe s.)

La plupart des exemples cités par Haase (§ 136 D) ont aussi cette forme:

(70) Ce que nous défendons de redemander, c'est pour faire la leçon a ceux qui
exigent avec trop de rigueur. (Main 11, 242)

(71) Aussi ne faut-il pas penser que ce que Mercure est peint en leur compaignie,
ce soit pour signifier... (Malh 11, 8)

(72) ce que cette corne étant rompue, quatre autres sont venues en la place, c'est
que quatre rois de cette nation lui succédèrent (Pascal, Pensées 1,217)

Magali Rouquier

Paris



Notes

* Je remercie M. Povl Skârup pour ses nombreux conseils ainsi que l'lnstitut d'Etudes Romanes de l'Université d'Aarhus quimaim'a accueillie pendant six mois.

1. On ne peut faire ce genre d'exercice en ancien français sans un corpus important; c'est pourquoi j'ai pris le verbe peser, dont les occurrences sont fréquentes: elles ont été relevées dans le concordancier complet des œuvres de Chrétien de Troyes, et dans celui de la MortArtu. Etant donné le grand nombre d'occurrences manipulées, je n'ai pas noté le texte ni le numéro de vers, le lecteur pourra vérifier sur les concordanciers.

Side 72

Résumé

II s'agit d'une description syntaxique du terme ce que régissant une complétive en ancien français dans des énoncés tels que :ce queje vi mon sane méfait espoenter. Les différents schémas dans lesquels ce que intervient sont mentionnés: antéposition au verbe recteur, postposition au verbe recteur. La méthode d'analyse adoptée est celle de l'analyse en zones développée par M. Povl Skârup. On a essayé de montrer que les termes ce et que ne pouvaient être séparés.

Il semble que, diachroniquement, le schéma où ce que est antéposé soit plus
productif que le schéma où ce que est postposé.

Bibliographie

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Dictionnaires

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Ollier, M-L.: Lexique et concordance de Chrétien de Troyes, d'après la copie Guiot,
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Stasse, M.: Jehan Renart, Le lai de l'ombre, d'après I'éd. J. Orr, Publications de
l'lnstitut de lexicologie française de l'Université de Liège. 1979.

Pour les références aux textes cités, le lecteur peut se reporter à la bibliographie de
Rouquier 1988. La plupart des références abrégées seront facilement identifiables.
Il s'agit d'éditions de textes courantes.