Revue Romane, Bind 24 (1989) 1

Olof Eriksson: La suppléance verbale en français moderne. Romanica Gothoburgensia XXV, Acta Universitatis Gothoburgensis, Göteborg, 1985.191 p.

Lene Schøsler

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Dans cette étude, Olof Eriksson (OE) se propose de décrire un emploi particulier du verbe faire, désigné communément par les termes «proverbe» ou «verbum vicarium». Si OE préfère la désignation «suppléance verbale», terme emprunté à Moignet, cela est dû au fait qu'elle suggère moins directement que les autres termes un rapport simple de verbe à verbe. En effet, ce qui caractérise cet emploi défaire, c'est sa possibilité de représenter non seulement le verbe mais aussi d'autres membres de la phrase, cf. l'exemple suivant, cité à la page 73: Je martelais sa poitrine à coups de poing comme le font les petites filles irritées. L'étude est limitée aux propositions comparatives du français moderne; néanmoins, quand l'auteur le juge utile, il inclut des analyses portant sur les trois siècles précédents.

OE se base sur un corpus d'une cinquantaine d'auteurs du XXe siècle pour
établir la fréquence relative et les conditions d'emploi de la suppléance verbale et

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des deux constructions concurrentielles: la répétition du verbe et l'omission du verbe (chapitres II à V). Il étudie ensuite (chapitres VI et VII) quelques traits particuliers de la suppléance verbale dans le but de déterminer leur étendue et les causes de leur apparition: il s'agit du choix entre faire et le faire et du choix entre la construction directe et la construction indirecte, introduite par de, pour, avec ou à. Eexpansion de le faire et de la construction indirecte ne commence qu'au XIXe siècle.

L'étude d'OE se signale par le fait qu'elle aborde un sujet jusqu'ici presque négligé: il existe quelques études dont OE montre les insuffisances. Elle se recommande par la richesse des exemples rassemblés et par les nombreuses observations pertinentes. Elle a avant tout le mérite de vouloir écarter les analyses antérieures, beaucoup trop intuitives et de les remplacer par un relevé de facteurs précis, de nature syntaxique ou sémantique, qui sont au nombre de huit: la représentation du verbe de la comparative, la position de la comparative, la voix du verbe principal, le sens du verbe principal, la nature du sujet de la comparative, le sens de la comparative, la présence d'un circonstanciel se rapportant au verbe de la comparative et présence d'un objet se rapportant au verbe de la comparative (p. 81). Les deux premiers facteurs sont particulièrement importants; ils expliquent, selon OE, mieux que les autres, le choix défaire au lieu de la répétition ou de l'omission du verbe: «C'est précisément dans «cette puissance de représentation» que réside le propre de la suppléance: plus la comparaison à établir est complexe, plus il devient difficile de faire figurer dans la subordonnée les membres déjà énoncés dans la principale, et plus le besoin d'une représentation par suppléance se fait sentir» (p. 175). En second lieu s'impose la flexibilité de la construction faire, comparativement aux deux constructions concurrentielles: la suppléance fait que «la mobilité de la comparative augmente de facon remarquable; non seulement on la trouve placée avant ou après la principale, mais aussi insérée en divers endroits dans celle-ci. En d'autres termes, la suppléance se fait en avant, en arrière ou dans les deux sens à la fois» (p. 176).

On aura compris qu'il s'agit d'une étude consciencieuse, qui nous fait comprendre les mécanismes qui sont déterminants pour le choix entre les constructions en question. Les remarques critiques qui vont suivre et qui concernent notamment les méthodes d'analyse, n'enlèvent rien à l'utilité de l'ouvrage.

1. Eanalyse présentée est de nature statistique, basée sur un corpus de 4.653 occurrences. Les dénombrements sont en général pertinents, néanmoins, dans un cas particulier, celui de l'implication (verbe sous-entendu) OE néglige la précision statistique et s'en tient - au mieux - à des observations vagues sur la fréquence (par ex. p. 25). Ceci est particulièrement regrettable pour l'étude - par ailleurs excellente - des trois constructions concurrentielles: répétition, suppléance et, justement, implication (chapitre V).

2. Comme dit plus haut, le mérite incontestable de l'étude est de vouloir substituer des critères précis de nature syntaxique ou sémantique aux indications floues des analyses antérieures. C'est donc avec regret qu'on voit appraraître de temps en temps (par ex. p. 82, p. 135), au lieu d'un critère précis, un renvoi vague aux différences d'ordre stylistique: la stylistique ne doit pas être un expédient dans des conditions difficiles!

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3. Si la notion de style est vague, il en est de même de la sémantique: les notions de base sont trop floues, en particulier l'idée de représentation, mot-clef de l'analyse proposée. Il s'ensuit que le lecteur arrive parfois à douter de la justesse de l'analyse de base: tel exemple, est-ce qu'il représente le seul verbe ou la construction entière? (voir notamment le chapitre IV). Comme la puissance de représentation: le fait de pouvoir représenter la construction entière étant conçu comme le facteur essentiel, déterminant le choix de la suppléance, il est donc indispensable que cette analyse soit inébranlable.

Je sais bien qu'il n'y a rien de plus énervant pour un chercheur que de se voir reprocher ce qu'il aurait dû écrire mais qu'il n'a pas écrit. Néanmoins, je dois avouer qu'il m'aurait semblé naturel d'attendre, dans un travail consacré à un seul aspect du verbe faire, au moins quelques remarques sur le verbe faire en général ainsi que sur le rapport entre les autres emplois du verbe et la suppléance verbale.

Université d'Odense