Revue Romane, Bind 23 (1988) 2

L'aspiration du / 3 / à Hull (Québec) Approche sociolinguistique*

par

Anita Berit Hansen

Introduction

En français canadien, le /^/ , représenté par 'j' ou par 'g' + 'e', Y, 'y', dans l'orthographe, est parfois aspiré. Une étude dialectologique de ce phénomène, en l'occurrence à partir de Y Atlas Linguistique de l'Est du Canada (ALEC), (Dulong et Bergeron, 1980), révèle que la variation entre la forme standard et les différentes formes aspirées est répandue un peu partout dans le Canada de l'Est. Cependant, cette variation n'est pas libre. Une approche sociolinguistique quantitative, appliquée aux données provenant du corpus Français parlé à Ottawa-Hull (Poplack, 1985), projet du professeur Shana Poplack, bénéficiant d'une subvention du CRSHC, démontre que l'aspiration du /^/ est déterminée à la fois par des facteurs sociaux et linguistiques.

1. Etude préliminaire dialectologique

Notre étude dialectologique a donné la preuve de ce que l'aspiration du /^/ n'est pas un phénomène purement dialectal, restreint à certaines régions du Canada de l'Est. Les mots qui ont servi de base à cette première étude représentaient le phonème en trois positions différentes et appartenaient en même temps à trois catégories grammaticales différentes, ce qui nous a permis de nous instruire d'une façon préalable sur les contraintes linguistiques éventuelles de l'aspiration.

La figure 1 montre les résultats rassemblés pour tous les mots de l'étude. On
peut en tirer les conclusions suivantes:

1) II n'y a pas de point d'enquête où tous les mots en question ont été aspirés
par les informateurs (absence de o );

2) II y a peu de points sans aspiration du tout (•);

3) La variation entre les formes aspirées et non-aspirées est très répandue (©).



* Travail effectué à l'Université d'Ottawa, Département de Linguistique, chez le professeur Shana Poplack, 1986.

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Figun

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II n'y a donc pas d'isoglosses à tirer entre des aires dialectales où l'aspiration se
fait ou ne se fait pas. Il faut conclure alors que la manifestation du phonème /^/
est susceptible d'être contrainte par des facteurs sociaux.

En ce qui concerne le côté linguistique de l'étude, il s'est avéré que les mots avec I^l en position médiane ont provoqué une prononciation aspirée dans des domaines beaucoup plus larges et plus dispersés que les autres groupes de mots et que la position finale semble être la moins favorable à l'aspiration. La catégorie grammaticale n'a pas fait preuve d'une égale importance. Certes, l'aspiration des verbes semble plus répandue que celle des substantifs, mais puisque les substantifs inclus représentent plus souvent un /?/ en position finale que les verbes, on ne peut pas exclure que c'est au facteur de position qu'il faut attribuer ce résultat.

En ajoutant un élément de phonologie, on a pu constater, en revanche, que
pour les pronoms — les/> — il n'y a aspiration nulle part s'ils sont suivis d'une
consonne sourde.

Notre étude dialectologique ayant ainsi suggéré l'existence de contraintes à
la fois sociales et linguistiques de l'aspiration, nous avons regardé le phonème /^/
comme un objet parfait pour une étude sociolinguistique.

2. Recherches antérieures

Le conditionnement social et linguistique de l'aspiration du /^/ a été discuté antérieurement dans divers articles. Cependant, la plupart des auteurs n'ont pas fait une approche véritablement sociolinguistique et quantitative. Il s'agit plutôt de linguistes qui ont découvert, par hasard, en examinant des contraintes purement linguistiques ou autres, des facteurs sociaux liés au phénomène.

Nous avons néanmoins basé le choix des critères sociaux et linguistiques à inclure
dans notre étude sur leurs observations.

Les facteurs sociaux (expression qui sera utilisée dans le présent travail pour
tout facteur extra-linguistique) mentionnés par eux comme déterminants pour
l'aspiration sont les suivants:

- le facteur géographique à l'intérieur d'un complexe urbain (un quartier aspire plus qu'un
autre), (Vincent/Sankoff, 1975)

- le facteur socio-économique (Vincent / Sankoff)

- le facteur d'éducation (Tassé, 1981)

- le facteur d'âge (Charbonneau, 1957; Martineau, 1984)

- le facteur de sexe (Vincent / Sankoff; Martineau)

- le style (Charbonneau; Martineau)

Les facteurs linguistiques que ces linguistes supposent contraindre l'aspiration du
I^l sont:

la position (Charbonneau; Tassé, 1978; Martineau)

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- le contexte phonologique précédent et suivant (Tassé, 1978)

- la présence d'une frontière morphologique (Tassé, 1978)

- l'accentuation (Charbonneau)

Prenant son point de départ dans le corpus d'interviews Français parlé à Ottawa- Huli, et à l'aide de la méthode sociolinguistique quantitative, cette étude vise donc à déterminer si le phonème /^/ est contraint, à Hull, par des facteurs sociaux et linguistiques identiques à ceux indiqués dans les études citées ci-dessus et dans notre étude dialectologique.

3. Méthodologie

3.1 Définition des critères sociaux et choix d'informateurs

Des 120 informateurs du corpus, huit ont été choisis pour la présente étude. Ils
ont été sélectionnés pour satisfaire à tous les critères sociaux à la fois.

Pour pouvoir révéler l'influence éventuelle des facteurs sociaux sur le taux
d'aspiration des informateurs, des regroupements en deux ou trois catégories ont
été faits à l'intérieur de chaque facteur.

Géographie

L'étude de S. Poplack porte sur cinq quartiers différents dont trois à Ottawa et deux à Hull, villes jumelles situées de chaque côté de la rivière St Laurent qui constitue la frontière Ontario-Québec. A Ottawa, le français est donc parlé en situation minoritaire, et puisque l'objectif de cette étude n'était pas une analyse de l'aspiration du /^/ dans un milieu d'insécurité linguistique, les huit informateurs choisis viennent uniquement des quartiers de Hull, où le français est parlé en situation majoritaire.

Notre étude oppose donc quatre informateurs du quartier Vieux-Hull (VH) à quatre informateurs du Mont-Bleu (MB). S'il y a un effet géographique indépendant, les gens d'un même quartier auront des taux d'aspiration semblables, indépendamment des classes auxquelles ils appartiennent.

Classe socio-économique

Trois informateurs sont issus de la classe socio-économique inférieure (CI), deux
de la classe moyenne (CM) et trois de la classe supérieure (CS).

Éducation

Des huit informateurs, trois ont une éducation primaire (P), deux une éducation
secondaire (S) et trois une éducation postsecondaire (PS).

Age et sexe

Nous avons choisi deux catégories d'âge, une à chaque bout de l'échelle, et veillé
à ce que les sexes soient également représentés dans chaque groupe: quatre informateurs(deux

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mateurs(deuxfemmes (F) et deux hommes (M)) ont de 15 à 24 ans (groupe I),
quatre (deux F et deux M) ont 55 ans et plus (groupe II).

Style

Pour déterminer si l'aspiration était contrainte par le style, il fallait opposer le
style formel au style informel. Cette partie de l'analyse s'est cependant heurtée à
un problème de méthodologie.

Le style formel de l'informateur n° 1 a été cherché dans la toute première partie de l'interview, où l'informateur devait faire attention à son parler devant l'intervieweur. Parallèlement, le style informel a été cherché à la fin de l'interview où le locuteur devait être plus détendu et faire moins attention à son parler.

Cette méthode ne révélant pas de différenciation entre les taux d'aspiration dans les styles formel et informel, les feuilles de codage de l'informateur n° 1 ont été exclues de l'étude stylistique, et les critères de différenciation ont été changés, basés désormais sur les thèmes des conversations.

Pour les sept informateurs qui restent, le style formel a donc été cherché dans la partie des interviews où l'intervieweur leur demande ce qu'ils pensent de leur propre manière de parler, provoquant ainsi une discussion sur la langue,et le style informel où les locuteurs parlent du bon vieux temps, des jeux d'enfance, de leur mariage ou des choses qui font appel à leur indignation morale.

En combinant les facteurs sociaux mentionnés ci-dessus avec le facteur de
style, on pourra déterminer si un groupe particulier d'informateurs change plus
qu'un autre son taux d'aspiration en allant d'un style informel à un style formel.

3.2 Définition des critères linguistiques

Les facteurs linguistiques qui ont été inclus dans la présente étude parce que jugés
importants par notre étude dialectologique et par les études antérieures susmentionnées
demandent à être précisés.

Position

Nous distinguerons entre trois positions possibles du /^/ dans un mot, à savoir
les positions initiale, médiane et finale.

Contextes phonologiques et frontière morphologique

Les symboles suivants seront utilisés pour la description des contextes linguistiques:

V : Voyelle

C : Consonne

V- - Vj : Voyelles identiques

Vj - V: : Voyelles différentes

V : Voyelle nasale

je V:/e suivi d'un verbe à voyelle

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jeC: je suivi d'un verbe à consonne

Cv : Consonne voisée

Cs : Consonne sourde

# : Frontière morphologique autre qu'après je

II a été observé vingt-trois contextes qui se distinguent sur le plan phonologique
ou morphologique. Un exemple concret de chaque contexte est indiqué ci-dessous:


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*) Sans contexte précédent/suivant à cause d'une intervention de la part de l'intervieweur.

La catégorie grammaticale

Le phonème /^/ est apparu dans cinq catégories grammaticales différentes, à
savoir les substantifs, les verbes, les pronoms, les adjectifs et les adverbes.

L'accentuation, facteur contraignant l'aspiration selon Charbonneau (1957),
s'est montrée sans influence dans la présente étude et n'entrera donc pas comme
facteur dans la présentation de nos résultats.

3.3 No tation phonétique

Le continuum de variantes existant entre la prononciation standard du phonème,

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[3 l, et la forme très aspirée, [hr |, reflète la postériorisation et la perte graduelles de la prononciation chuintante. La notation phonétique choisie pour rendre compte des différentes manifestations du phonème distingue entre les variantes suivantes:

13l

[j ] comme en iode

|h°| absence de prononciation du phonème

|h| aspiration

[hr ] aspiration forte avec bruit guttural

|/1 variante sourde

Les variantes [h°|, [h| et |hr] seront considérées comme formes aspirées.

3.4 Procédé

Pour chaque informateur nous avons écouté cent occurrences du phonème /^/, dont cinquante d'un style formel et cinquante d'un style informel, et nous en avons noté la prononciation. Après, un taux d'aspiration a été calculé. A l'aide de ces taux, des groupes d'individus, formés par les différents critères sociaux, ont pu être comparés.

Pour la partie linguistique du travail, nous avons également calculé un taux d'aspiration pour chaque contexte, ce qui nous a permis de voir la tendance à l'aspiration pour les différents regroupements phonologiques ou morphologiques des contextes.

4. Résultats sociolinguistiques

La figure 2 montre la distribution des variantes et les taux d'aspiration pour chaque informateur. Contenant en même temps les informations extra-linguistiques de chaque informateur, ce schéma peut servir de base et de référence pour l'analyse suivante. On peut noter que les taux d'aspiration varient beaucoup: 2% à 51%.


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Figure 2. Distribution de variantes et taux d'aspiration par personne et au total

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4.1 Le facteur géographique

Les informateurs du Vieux-Hull aspirent deux fois plus que ceux du Mont-Bleu, les premiers ayant un taux moyen d'aspiration de 19% (75/400) et les derniers un taux de 9% (37/400). Ce résultat pourrait cependant recouper un autre effet, celui de la classe socio-économique à laquelle nous reviendrons, car au VH, trois quarts des informateurs appartiennent à la classe inférieure et au MB, trois quarts à la classe supérieure. Est-ce qu'on peut déterminer quand même s'il y a un effet géographique indépendant? Au VH, le seul informateur qui ne soit pas de la classe inférieure, n° 3, a un taux d'aspiration très bas; il ne suit pas la tendance de son quartier. Au MB, le seul qui appartienne à une classe autre que CS, n° 7, (CM), aspire 10% de ses /^/, c.-à.-d. très près des 9% pour son quartier. Mais puisqu'il s'est avéré que les classes moyennes et supérieures ont des taux d'aspiration très semblables, il faut plutôt attribuer les 10% de n° 7 à l'effet de classe qu'à celui de quartier.

Autrement dit, nous n'avons pas pu révéler l'existence d'un facteur géographique indépendant comme ont pu le faire Vincent et Sankoff à Montréal (1975). Les quartiers choisis sont trop homogènes du point de vue socio-économique, probablement trop près l'un de l'autre du point de vue géographique aussi, et le nombre d'informateurs est trop restreint.

4.2 Le facteur de classe socio-économique

Parmi les groupes socio-économiques examinés, la classe inférieure (CI) est de loin celle qui aspire le plus, à savoir 24% (72/300) de ses /^/. Entre les classes moyenne et supérieure il n'y a pas une grosse différence — leurs taux sont à 7% (13/200) et 9% (27/300) respectivement. Il semble que la véritable distinction à faire entre les classes socio-économiques en ce qui concerne l'aspiration soit plutôt celle qui existe entre la classe inférieure et les classes supérieures, c'est donc une division bipolaire plutôt que graduée.

Le facteur de classe ne semble pas recouper d'autre effet que le facteur géographique
déjà mentionné, car les trois personnes de la classe inférieure n'ont ni
le même âge, ni le même sexe, ni la même éducation.

Cette découverte confirme celle de Vincent/Sankoff pour Montréal. Eux aussi
ont constaté que l'aspiration se fait plus dans la classe socio- économique faible
qu'ailleurs dans la hiérarchie sociale.

4.3 Le facteur d'éducation et d'âge

Pour ce qui est des facteurs d'éducation et d'âge, il a été diffìcile de les séparer
l'un de l'autre et, surtout, de les isoler du facteur de sexe, facteur très fort qui
vient brouiller les pistes.

En gros, il semble que ce soient les informateurs ayant le niveau d'instruction

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le plus bas (P) qui aspirent le plus, à savoir 20 % (60/300), tandis que les personnesayant
une éducation S ou PS se retrouvent à peu près avec le même taux
d'aspiration -9% (18/200) et 11% (34/300).

Les informateurs ayant une éducation P appartenant tous à la même catégorie d'âge - celle des informateurs âgés (II) - et les autres appartenant tous au groupe I sauf un, il devient problématique d'en tirer des conclusions. Si l'on regarde, en outre, la composition du groupe formé par ceux qui ont une éducation primaire, il s'avère que le taux élevé obtenu est surtout dû à la présence de l'informateur masculin n° 4 dans le groupe —un homme qui aspire 51% de ses ¡^ /, les taux des deux femmes (n° 2 et n° 6) ne pesant que très peu dans le résultat.

Nous n'avons donc pas pu vérifier l'hypothèse de Tassé (1981) selon laquelle la scolarité des individus joue un rôle pour l'aspiration. Martineau, qui a fait une étude sociolinguistique du même phonème à Ottawa-Hull, avec 24 informateurs, n'a d'ailleurs pas pu non plus déterminer s'il y a un lien entre le degré de scolarité des individus et leurs taux d'aspiration (Martineau, 1984).

Pour le facteur d'âge, les tendances sont un peu plus nettes. Les quatre informateurs du groupe II aspirent en moyenne 20% (81/400) de leurs /^/, soit plus de deux fois plus que les informateurs jeunes: 8% (31/400). Or, comme on l'a vu, les taux pour les femmes âgées sont très bas. Il faut conclure à propos du facteur d'âge que c'est plutôt le fait d'avoir plus de 55 ans combiné avec celui d'être du sexe masculin qui favorise l'aspiration.

Charbonneau appelle l'aspiration du /-z, / un usage désuet dans quelques milieux. Il est vrai que, comme groupe, les informateurs du groupe II aspirent plus que les jeunes, mais parmi les quatre informateurs qui aspirent le plus dans notre étude, deux sont jeunes (n° 1 et n° 7). On ne peut donc pas conclure que l'aspiration soit un phénomène en voie de disparition.

4.4 Le facteur de sexe

Comme l'a suggéré l'analyse des deux facteurs précédents, c'est le sexe de l'informateur qui contraint le plus la manifestation du phonème /^/. Les hommes aspirent trois fois plus que les femmes, à savoir 21% (85/400) vs. 7% (27/400). Cet effet ne recoupe pas d'autres effets, car les quatre femmes sont de quartiers différents, de classes sociales différentes, d'éducation et d'âge différents. A force justement d'être femmes elles ont un taux d'aspiration remarquablement bas. Chose inverse chez les hommes — à force d'être hommes, ils aspirent beaucoup.

Sur ce point, nos résultats confirment ceux de Vincent/ Sankoff pour Montréal. En ce qui concerne la corrélation de sexe et de classe socio-économique, nous avons trouvé aussi que les plus grands aspirateurs sont les hommes de classe socio - économique faible (n° 4 dans notre étude).

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Contrairement aux résultats obtenus à Montréal, il n'est cependant pas vrai pour les quartiers étudiés à Hull que les femmes de toutes couches n'aspirent que rarement ou jamais (exemple personne n° 1:16%). Il n'est pas vrai pour Hull non plus que les hommes de classe supérieure à l'ouvrière n'aspirent jamais, car parmi les trois hommes qui ont des taux d'aspiration supérieurs à 10%, deux sont issus des classes supérieures à l'ouvrière. En revanche, nous avons pu confirmer l'idée de France Martineau d'une courbe d'aspiration augmentant avec l'âge pour les hommes et diminuant avec l'âge pour les femmes. Malheureusement nos données ne sont pas assez nombreuses pour permettre d'interpréter cela comme un indice d'évolution du /^/ aspiré parmi les jeunes femmes, mais c'est un point qui serait intéressant à développer.

4.5 Le facteur de style

L'aspiration étant liée surtout à la classe socio-économique faible et aux hom
mes, le phonème /^/ est susceptible d'être un marqueur sociolinguistique.

Pour se permettre de le caractériser comme tel, il faut cependant pouvoir démontrer que les informateurs aspirent beaucoup moins fréquemment leurs /-$ / quand ils font attention à leur façon de parler (c.-à.-d. dans un style formel) que quand ils parlent sans y penser, dans un style informel.

Si les résultats n'infirment pas cette hypothèse, ils ne sont pas pour autant assez convaincants: en gros, il n'y a pas un très grand décalage entre les taux d'aspiration observés dans les styles informel et formel des informateurs: 15% (54/ 350) vs. 12% (42/350) (voir la figure 3), soit une réduction très légère et pas assez significative pour mériter le titre de véritable "changement stylistique". Martineau est arrivée au même résultat surprenant à la base du même critère stylistique.


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Figure 3. Taux d'aspiration dans les styles informel et formel par personne et au total.

II y a tendance à la baisse du taux d'aspiration dans le style formel, mais pourquoicette
baisse est-elle tellement discrète pour une variable supposée être stigmatisée?Il
peut y avoir plusieurs réponses. Nous n'avons peut-être pas réussi à

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trouver les passages vraiment très informels et formels à partir du critère de sujetsde conversations. Un sujet dit informel ne provoque pas nécessairement un langage informel. De même, le sujet de la langue, supposé provoquer chez les informateursune très grande attention à leur façon de parler, a souvent été traité d'une manière très informelle. Si l'on avait demandé aux informateurs de prononcerdes mots isolés, ils auraient peut-être fait beaucoup plus d'attention et moins d'aspiration, comme l'affirme Charbonneau: "la chaîne parlée" favorise beaucoup plus l'apparition du phénomène que "le mot isolé" (1957).

Une étude stylistique plus efficace demanderait une écoute des bandes plus attentive, basée sur d'autres critères, comme p. ex. pour le style informel, les indices dans la voix (accroissement d'intensité et de vitesse, rire), et dans le choix lexical (mots d'un style familier, jurons).

Si la manifestation du /^/ ne semble pratiquement pas être contrainte par le
style au niveau total des informateurs, un résultat intéressant apparaît cependant
si l'on voit le changement stylistique par facteur social (voir la figure 4).

Selon les indications — si incertaines soient-elles à la base des 700 occurrences du phonème — les informateurs du Vieux-Hull et ceux de la classe socio-économique faible (groupes qui se recoupent partiellement) ont un taux d'aspiration remarquablement plus bas dans leur style formel que dans leur style informel, tandis que les informateurs des groupes opposés — celui du Mont-Bleu et celui des classes socio-économiques supérieures à l'ouvrière (qui se recoupent aussi partiellement ) — ne font pas de différenciation stylistique du tout.


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Figure 4. Changement stylistique par facteur social, du style informel au style formel *) chaque chiffre représente le nombre de variantes aspirées sur 350 occurrences du phonème / 3 /

Si l'on interprète ce fait comme un indice de ce que, inconsciemment, les groupes faibles de la société évitent le /-^/ aspiré dans leur style formel pour cacher un rapport d'appartenance, l'idée que le /^/ aspiré est une variante stigmatisée est donc renforcée. Un véritable marqueur sociolinguistique impliquerait cependant un changement stylistique vers une proportion moindre dans le style formel pour tout le monde, les différents groupes socio-économiques partant de points de départ différents mais suivant la même direction. Un tel comportement n'est pas facile à cerner pour le ¡i¡ dans la présente étude.

En revanche, pour les facteurs extra-linguistiques qui restent — l'éducation,

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l'âge et le sexe — il n'est pas possible de conclure s'il y a une relation spécifique
entre eux et le changement stylistique, tous les groupes ayant apparemment une
tendance à la baisse du taux d'aspiration dans le style formel.

4.5 Conclusion sociolinguistique

Jusqu'ici, notre analyse semble indiquer l'existence d'au moins quatre facteurs
extra-linguistiques qui contraignent l'aspiration du /^/ à Hull, à savoir la classe
socio-économique, le sexe et l'âge de l'informateur, et le style.

Ainsi, l'aspiration est susceptible de se produire le plus chez les informateurs de la classe socio-économique faible et chez les hommes plutôt âgés, l'éducation jouant un rôle moins bien défini. La tendance à la baisse du taux d'aspiration dans le style formel, par rapport au style informel, indique un degré de stigmatisation qui n'est cependant pas assez fort pour nous permettre de conclure que le phonème /^/ est un marqueur sociolinguistique.

5. Résultats linguistiques

La figure 5 montre les taux d'aspiration pour chacun des 23 contextes linguistiques
différents dans lesquels apparaissent les /^/ dans notre étude. Les calculs
suivants se réfèrent à ces taux.

En présentant nos résultats linguistiques nous ferons des références fréquentes à l'étude de Tassé (1978). Il a fait une analyse quantitative du parler de cinq informateurs de Montréal, choisis parce qu'ils aspirent beaucoup, ce qui explique ses pourcentages élevés par rapport aux résultats obtenus dans la présente étude.


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Figure 5. Taux d'aspiration par contexte linguistique.

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5.1 L'influence de la position

La position du /^/ dans le mot semble être un facteur linguistique très important. Comme l'a suggéré notre étude dialectologique et en accord avec les résultats de Charbonneau, Tassé (1978) et Martineau, la position médiane est de loin celle qui favorise l'aspiration le plus. 35% (47/134) des manifestations du /^/ dans cette position sont aspirées.

Les positions initiale et finale ont un taux d'aspiration d'environ 10%. La position finale a été caractérisée comme très peu favorable à l'aspiration, non seulement par notre étude dialectologique mais aussi par les autres linguistes cites cidessus. Le taux relativement élevé obtenu dans la présente étude pourrait s'expliquer par le nombre restreint d'occurrences de /^/ dans cette position — 28 dont 3 aspirées. Il n'y a pas la même distorsion possible pour les /^/ initiaux, vu le nombre très élevé d'occurrences du phonème dans cette position — 638 dont 62 aspirées.

5.2 L'influence du contexte phonologique

Si l'on groupe, d'un côté, tous les contextes où /^/ est précédé d'une voyelle et, de l'autre, tous les contextes où /-?,/ est précédé d'une consonne, sans égard à l'élément phonologique suivant, il s'avère qu'une voyelle précédente est un petit peu plus favorable à l'aspiration qu'une consonne précédente — soit 14% (93/ 659) vs. 11% (11/103). Sans contexte précédent, le locuteur ayant commencé une phrase après une interruption de la part de l'intervieweur, l'aspiration est encore plus favorisée — 21% (8/38), mais puisque les données sont très éparses dans cette catégorie, ce n'est pas un résultat que nous avons jugé important d'examiner de façon plus détaillée.

Pour le contexte phonologique suivant, la différence entre V et C est beaucoup
plus nette. Si une voyelle suit /z/, 19% (84/442) des occurrences du ¡zj sont

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aspirées; si une consonne suit, seulement 8% (28/356) des occurrences sont aspirées.

En comparant les deux résultats décrits ci-dessus, on peut conclure:

1) L'effet du contexte phonologique suivant semble plus important que l'effet
du contexte phonologique précédent.

2) Dans les deux cas, contexte précédent comme suivant, une voyelle semble favoriser
l'aspiration plus qu'une consonne.

L'effet favorisant du contexte vocalique est mis en relief par le fait que le taux d'aspiration dans un environnement intervocalique est de 19% (70/367), tandis que le taux obtenu dans les contextes où /^ / est seulement précédé ou suivi d'une voyelle est considérablement inférieur, soit 10% (37/367).

Parallèlement, l'effet inhibitif pour l'aspiration d'un environnement consonantique est traduit par le fait qu'un environnement interconsonantique nous ramène à un taux très, très faible d'aspiration, soit 4% (2/48), tandis qu'un contexte où le I^l se trouve seulement précédé ou suivi d'une consonne donne un taux d'aspiration de 10% (35/363).

Le facteur de contexte phonologique précédant et suivant /^/ n'a pas été examiné de la même façon par Tassé, qui s'est concentré sur V# - V opposé à C# - V et V - #V opposé à V - #C, mais la conclusion qu'un environnement consonantique défavorise l'aspiration est commune aux deux études.

L'influence du contexte médian et intervocalique a été examiné de plus près parce que chacun des deux facteurs semble jouer un grand rôle pour l'aspiration. Globalement, les /^/ sont aspirés dans 35% (40/114) des occurrences de ce contexte. Si l'on regarde la nature des voyelles qui entourent le /^ /, il s'avère qu'entre voyelles identiques, le taux d'aspiration atteint 49% (18/37), c.-à-d. que presque un énoncé sur deux est aspiré dans ce contexte. Voyelle nasale plus voyelle libre ou deux voyelles différentes donnent à peu près le même résultat, à savoir environ 30%. Tassé dresse les contextes médian et intervocalique dans le même ordre:


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5.3 L'influence de la frontière morphologique

En étudiant l'influence de la position du /-^ / dans le mot, nous avons vu qu'un /^ / immédiatement précédé ou suivi d'une frontière morphologique - c.-à-d. un j^j initial ou final, était aspiré moins souvent qu'un /^/ sans contact avec une frontière morphologique (un /^/ médian).

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Si l'on isole les contextes intervocaliques, l'effet inhibitif pour l'aspiration de la frontière morphologique est encore plus frappant. Un contexte intervocalique et médian (35%) est beaucoup plus favorable qu'un contexte intervocalique quelconque (19%) et qu'un contexte intervocalique non-médian (12% - 30/253).

La frontière morphologique semble donc défavoriser l'aspiration si l'on compare
les contextes médians aux contextes non-médians. Mais pour les /t,/ initiaux,
la frontière morphologique joue le rôle inverse.

Sans frontière morphologique (p. ex. jamais), le /^/ initial est aspiré dans 6% des cas (10/157). Avec frontière morphologique (p. ex. j'aimais), le taux d'aspiration monte à 11% (52/481). Cette différence ressort avec plus de netteté encore si l'on isole les /^/ initiaux intervocaliques. Sans frontière morphologique, 7% (9/131) des énoncés sont aspirés, avec la frontière, le taux d'aspiration se retrouve à 18% (21/118)! Autrement dit, le pronom je précédé d'une voyelle et suivi d'un verbe à voyelle favorise plus l'aspiration que le même contexte phonologique sans frontière morphologique.

L'étude de Tassé confirme l'importance de la présence d'une frontière morphologique
pour un ¡^ I initial, mais puisqu'il ne précise pas le contexte précédent,
la différenciation constatée n'est pas aussi frappante:


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5.4 Quel je favorise l'aspiration le plus ?

En comparant tous les contextes avec frontière morphologique, nous n'avons pas
été étonnée de trouver que je suivi d'une voyelle est un contexte plus favorable
pour l'aspiration que je suivi d'une consonne, soit 18% (27/151) vs. 8% (25/330).

Le taux bas pour/^ + consonne mérite cependant d'être disséqué, car !a distinction entre consonne sourde et consonne voisée n'est pas sans signification:je suivi d'une consonne voisée donne 13% (23/172) (donc un taux près de/c suivi d'une voyelle), tandis que je suivi d'une consonne sourde ne donne que 1% (2/ 158). Je + consonne sourde est donc un des contextes les moins favorables qui soit, comme l'a suggéré aussi notre étude dialectologique. Une analyse supplémentaire de ce contexte montre que pour/c suivi d'une consonne sourde, il n'est pas question d'aspiration ou non, mais de [3] - 28% (45/158) - ou de [/] - 70% ( 111/158), le phénomène d'assimilation l'emportant sur la tendance à l'aspiration.

Pas seulement en relation avec je mais partout où f^/ est suivi d'une consonne
sourde, les pourcentages d'aspiration sont, en effet, très bas.

Pour ce qui est de je suivi d'une voyelle ou d'une consonne voisée, Tassé a
trouvé la tendance inverse:

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tandis que pour je suivi d'une consonne sourde, il est arrivé à un résultat semblable
à celui cité ci-dessus, soit 85% de [/] et presque pas d'aspiration.

5.5 L'influence de la catégorie grammaticale

Ce qui apparaît quand on voit l'aspiration par catégorie grammaticale c'est un taux d'aspiration très élevé pour les /? / dans les adverbes - 30% (33/111) et un taux remarquablement plus bas pour les autres catégories: substantifs 14% (18/ 131), verbes 13% (7/55), pronoms 11% (52/481), et adjectifs 9% (2/22). En guise de première explication, on pourrait avancer que le /^/ se trouve souvent dans une position favorable — médiane, intervocalique — dans les adverbes: toujours, aujourd'hui, déjà.

Mais on pourrait être tenté de suggérer, comme Charbonneau, une autre hypothèse, selon laquelle le f^f serait surtout aspiré dans des mots fréquemment utilisés dans le langage courant. Il dit: "Les mots courants de la vie quotidienne entendus au foyer ou au collège favorisent beaucoup plus l'apparition du phénomène étudié que les mots peu usités" (1957). Dans ce cas, l'aspiration n'est pas liée à des catégories grammaticales particulières en tant que telles, mais tout simplement à des mots souvent employés.

Cela expliquerait le taux d'aspiration élevé pour les adverbes, car il y a beaucoup d'adverbes contenant un /^/ qui sont des adverbes fréquemment employés. Dans notre étude plus de cent occurrences du /^/ sur huit cents en tout sont issues d'adverbes, notamment de toujours (36), jamais (25), juste (17), aujourd'hui (14), déjà (8). En revanche, le groupe d'adjectifs n'est représenté que 22 fois sur huit cents, ce qui reflète le fait que les adjectifs contenant un /^ / ne sont pas très productifs dans le langage parlé (exemples de notre étude: jeune (S), dangereux (4), régional (2), légère (2), âgé (1), législative (1), générale (1)).

Le taux moindre d'aspiration pour les /^/ dans les adjectifs pourrait alors s'expliquer par le fait que les adjectifs représentés dans notre étude sont tout simplement des mots moins fréquemment employés que p. ex. les adverbes qui y sont représentés.

Le groupe des pronoms — qui couvre les je — semble contredire cette hypothèse, les je étant décidément très souvent employés mais n'ayant été aspirés que dans 11% des cas. Si l'on exclut les je suivis d'une consonne sourde pour lesquels le facteur d'assimilation contraint la prononciation comme on l'a vu, on arrivera cependant à un taux d'aspiration pour les je de 15% (50/323), à savoir un taux qui place les pronoms au second rang, après les adverbes.

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Avant de conclure qu'il y a véritablement une relation entre la fréquence d'aspiration
du /3/et la fréquence du mot dans lequel le /aJ apparaît, il faut cependant
consulter des statistiques sur la fréquence des mots en franco-canadien.

5.6 Élimination des distorsions et conclusion linguistique

Nous avons vu que la position médiane intervocalique, le je, ainsi que le groupe
d'adverbes sont des contextes linguistiques très favorables à l'aspiration du /^/.

Avant de hiérarchiser d'une façon définitive ces observations, nous avons vérifié si les tendances indiquées par nos calculs — qui sont basés sur les taux d'aspiration accumulés de tous les informateurs — sont aussi générales qu'elles le paraissent. En fait, une analyse du comportement linguistique individuel des informateurs nous a permis de découvrir une distorsion grave due à un seul informateur, et de constater une relation imprévue entre le niveau du taux d'aspiration et les contextes linguistiques favorables à l'aspiration.

Le contexte qui a provoqué globalement une prononciation aspirée dans près de 50% des occurrences, à savoir la position médiane intervocalique entre voyelles identiques, a, en vérité, donné lieu à 16 aspirations sur 18 chez le même informateur - celui qui a le taux d'aspiration le plus élevé de tous — n° 4. Cet informateur est responsable, aussi, de plus de la moitié des aspirations dans les adverbes!

C'est cette découverte qui nous a incitée à diviser les informateurs en deux groupes, un dit d'"aspirateurs", qui aspirent 10% ou plus des occurrences du ¡^/, et un autre de "non-aspirateurs", qui ont des taux d'aspiration inférieurs à 10%, afin de savoir si les contextes les plus favorables à l'aspiration sont les mêmes pour les deux groupes.

Les résultats sont frappants: la catégorie grammaticale globalement la plus favorable, celle des adverbes, est aspirée uniquement par les "aspirateurs". Dans les 58 occurrences d'adverbes chez les "non-aspirateurs", on ne trouve pas une seule aspiration!

C'est presque la même chose pour la position médiane intervocalique qui est aspirée dans 35% (40/114) des occurrences au niveau total: les "aspirateurs" sont presque seuls à aspirer dans ce contexte; ils sont responsables de 39 des 40 aspirations.

Mais où aspirent alors les "non-aspirateurs"? Dans leur je. De leurs 14 aspirations totales sur les 400 occurrences du phonème /^/, 10 sont issues de je, un contexte qui est favorable pour les aspirateurs aussi, mais à un degré moindre que leurs autres contextes favoris.

A la base de ces observations, nous pouvons constater que la hiérarchie des
contextes favorables à l'aspiration pour les "aspirateurs" ne se reflète pas dans le
parler des "non-aspirateurs". Au contraire, et comme le montre la figure 6, on

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Figure 6. Hiérarchie des contextes favorables pour "aspirateurs" et "non-aspirateurs".

peut dresser la hiérarchie inverse pour ce dernier groupe.

Cette différence de comportement linguistique semble difficile à expliquer. Apparemment le phénomène de variation entre [3] et les formes aspirées s'attaque à des contextes linguistiques différents selon le degré que la tendance à l'aspiration a atteint dans le parler d'un individu.

Vu les différences individuelles importantes, il ne faut pas, à notre avis, à la base d'un nombre de données relativement restreint comme le nôtre, dresser une hiérarchie générale des contextes linguistiques favorables à l'aspiration, en partant des calculs accumulés pour tous les informateurs. Certes, les indications ainsi obtenues sont utiles, mais on obtient un résultat plus satisfaisant, si l'on place en haut de l'échelle le contexte qui est le plus favorable ou qui arrive en deuxième position pour le plus grand nombre d'informateurs.

Pour chacun des 23 contextes phonologiques et morphologiques différents pris en compte, il s'avère que c'est le /^/ initial, précédé et suivi d'une voyelle et avec frontière morphologique, donc V# jeV, qui vient au premier ou au second rang pour le plus grand nombre d'informateurs, en ce qui concerne la tendance à l'aspiration. Viennent après le contexe V# jeCw et les deux contextes médians intervocaliques Vi - V; et Vi - Vj. Le reste des contextes ne sont premiers ou deuxièmes favoris que pour un informateur chacun et ne peuvent en conséquence être classés comme des contextes généralement très favorables à l'aspiration.

En dressant la même sorte de hiérarchie pour les différentes catégories grammaticales, on voit que l'ordre suggéré au début pour la tête de liste est renversé. Après les pronoms {je), viennent les adverbes. Ce sont donc les je et non pas les adverbes qui sont la catégorie la plus favorable pour le plus grand nombre d'informateurs. Les adjectifs se retrouvent en bas de l'échelle. Substantifs et verbes se disputent la place du milieu avec un léger avantage pour les premiers.

Ce résultat ne fait que confirmer l'hypothèse de ia fréquence comme facteui
favorisant, le pronom je étant un mot contenant le phonème /^/ qui est beaucoupplus
souvent employé dans la langue parlée que p. ex. les verbes ou les adjectifscontenant

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jectifscontenantun /^ /.

En guise de conclusion sur la partie linguistique de l'analyse, il faut souligner la preuve que le je — que l'on préfère le décrire comme pronom ou comme /^/ initial avec frontière morphologique — est le contexte le plus favorable pour l'aspiration pour le plus grand nombre d'informateurs, en particulier pour ceux qui n'aspirent pas beaucoup.

La distorsion due à l'informateur fortement aspirateur (n° 4) qui utilise beaucoup d'adverbes avec /^/ en position médiane intervocalique mise à l'écart, il n'en reste pas moins que les positions médianes ou intervocaliques de même que les adverbes au niveau général des informateurs (mais surtout parmi ceux qui aspirent beaucoup) sont parmi les contextes qui provoquent le plus fréquemment une prononciation aspirée. A la base de la présente étude, rien ne semble d'ailleurs contredire l'hypothèse selon laquelle la fréquence d'aspiration pourrait être liée à la fréquence d'emploi du mot dans lequel apparaît le \^\.

6. Conclusion

Si l'on essaie de tirer des conclusions trop générales à partir d'une analyse de 800 occurrences d'un phonème chez 8 informateurs en tout, les sources d'erreurs sont abondantes. Quelles que soient les limites de cette étude, il nous semble néanmoins évident que l'aspiration du /^/ à Hull n'est pas libre.

La méthode sociolinguistique quantitative nous a permis de démontrer que le phénomène, bien que pas très productif, fait preuve de régularités surprenantes. L'aspiration du /^/ est non seulement contrainte par des facteurs linguistiques communs pour un grand nombre d'autres variables phonologiques, mais aussi par des facteurs sociaux identiques aux facteurs qui contraignent des variables sociolinguistiques déjà connues, comme le /r/ non-prévocalique à New York (Labov) et le /ing/ à Norwich (Trudgiii).

Anita Berit Hansen

Copenhague

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Résumé

Presque partout dans le Canada de l'Est, le phonème /z/ est parfois aspiré. Une étude sociolinguistique quantitative à partir de 800 occurrences du phonème (8 informateurs) provenant des données Français parlé à Ottawa-Hull (Poplack, 1985), montre que la variation entre la prononciation standard [z] et les différentes formes aspirées n'est pas libre. Parmi les facteurs sociaux contraignant la manifestation du phonème il y a la classe socio-économique, le sexe et l'âge de l'informateur: Ce sont surtout les informateurs de la classe socio-économique faible, et les hommes âgés qui aspirent leurs /z/. Il y a tendance à la baisse du taux d'aspiration dans un style plutôt formel, ce qui pourrait indiquer que le /z/ aspiré est une variante stigmatisée. La manifestation du phonème est également contrainte par des facteurs linguistiques. L'aspiration est plus susceptible de se produire dans des contextes où /z/ est initial, précédé d'une voyelle, et suivi d'une frontière morphologique et d'une voyelle ou d'une consonne voisée. Elle se trouve favorisée aussi dans des positions médianes et intervocaliques. Enfin, le facteur de fréquence semble jouer un rôle, en ce sens que dans les mots fréquemment utilisés les /z/ sont aspirés plus souvent que dans ceux qui le sont moins.

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