Revue Romane, Bind 23 (1988) 2

Bjørn Larsson: La réception des Mandarins. Le roman de Simone de Beauvoir face à la critique littéraire en France. Etudes Romanes de Lund 41. Lund University Press, 1988. 216p.

John Pedersen

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Les études portant sur la réception de telle ou telle œuvre ne font pas défaut. Il en va de même pour les réflexions sur l'acte de lire. L'originalité du travail de BL réside dans sa tentative pour faire d'une analyse du dossier de presse concernant Les Mandarins, une étude qui ouvre sur de réels "problèmes de lecture". L'avantage de cette stratégie est évident: au lieu de se contenter de théories sur le LECTEUR en tant qu'instance textuelle, ou bien considéré comme phénomène abstrait censé recouvrir un nombre indéfini de lectures imaginées, BL, face à ses matériaux, peut aller à la recherche de conflits réels entre les lectures explicitées d'un grand nombre de critiques littéraires.

Et c'est justement à cela que s'attaque BL. A tel point que le sous-titre de son livre mériterait une inversion des termes: "La critique littéraire en France face au roman de Simone de Beauvoir" ! Car il n'entre guère dans le projet de BL de réfléchir sur le texte même de Beauvoir. Son but est ailleurs, c'est-à-dire dans la juxtaposition d'un grand nombre d'articles critiques et de comptes rendus. Tout en admettant que le choix de BL est légitime, on ale droit de regretter qu'il n'ait pas poussé sa réflexion sur les "problèmes de lecture" jusqu'à entreprendre sa propre analyse littéraire. En se limitant aux matériaux du dossier de presse, BL renonce peut-être un peu trop vite à une définition entièrement satisfaisante de ses problèmes de lecture.

De fait, quels sont ces problèmes? Il s'agit notamment de questions concernant le genre
romanesque. Par exemple: Les Mandarins sont-ils un 'roman à thèse'? S'agit-il d'un document'?
à étudier un'roman à clés'? Ou bien un roman féminin, voire féministe?

Voilà des questions dont les réponses dépendent à la fois du dispositif textuel et de l'attitude et des connaissances de chaque lecteur. Mais ce sont aussi des questions, des "problèmes de lecture", incontestablement marqués par les circonstances particulières qui ont accompagné la parution et l'accueil de ce roman, dont l'auteur était, déjà en 1954, un monstre

Les problèmes de lecture, alors? BL analyse avec beaucoup de soin ses matériaux montrant les accords et les (nombreux) désaccords entre les critiques. L'auteur ne cache pas que, mis à part les cas évidents de mauvaise foi, le vrai problème, derrière bon nombre de querelles, c'est le problème de la fiction et de son statut dans l'univers non-fíctionnel. Existe-t-il des vérités non vérifiables? Qu'ont à faire, par exemple, des concepts tels que ressemblance et sincérité dans l'œuvre romanesque? Se voudrait-il sincère, le romancier pourrait, sans le savoir, se cacher (ou cacher aux autres) des éléments décisifs de telle ou telle "vérité".

Justement, à propos des Mandarins, on s'est souvent interrogé sur le statut des personnages. Henri Perron serait-il un portrait (plus ou moins malveillant) de Camus? Anne pourrait-elle être autre chose que l'autoportrait de son auteur? On a tendance à rejeter ce genre de questions comme étant peu sérieuses. Ce qui paraît en tout cas bien fondé, c'est de se demander quels sont les procédés du texte qui pourraient faire d'un personnage donné ou bien un adversaire attaqué ou bien le porte-parole du narrateur? Peut-on nier un certain parallélisme entre Henri et Anne dans le roman? La focalisation en tout cas. semble diriger le lecteur dans ce sens.

Voilà des questions qu'on aurait aimé voir discuter par BL. On pourrait se demander,
également, si un personnage romanesque nommé "Jean Paul Sartre" serait 'plus ou moins

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Sartre' que le Dubreuilh des Mandarins, pour ne rien dire du Jean Sol Partre de Vian.

En tout cas, le nom impose au lecteur des contraintes et des pistes que l'on ne saurait négliger dans ce contexte: le lecteur se mettra-t-il à la recherche de ressemblances ou de différences par rapport à un éventuel modèle du personnage? D'ailleurs, à propos de 'romans à modèles', peut-être serait-il utile d'opérer avec des personnages à réfèrent fixe ou à réfèrent complexe. Les Mandarins semblent fournir des exemples de cette dernière catégorie.

Pour s'en tenir, peut-être, trop strictement aux comptes rendus examinés, le travail de BL, présenté comme thèse de doctorat à l'Université de Lund, n'en a pas moins beaucoup de qualités. Entre autres celle d'insister sur l'intérêt, pour les études littéraires, d'une réflexion sur ce "genre spécifique de lecture réelle" qu'est pour l'auteur la critique journalistique.

Copenhague