Revue Romane, Bind 23 (1988) 2

Avigail Azoulay-Vicente: Les tours comportant l'expression de + adjectif.Librairie Droz, Genève-Paris, 1985. 257p.

Finn Sørensen

Side 287

Les constructions du type illustré dans (l)-

(1) II n'y a qu'une place de libre.

(2) J'ai vu quelque chose d'intéressant.

(3) Qui connaissez-vous de célèbre?

ont toujours posé des problèmes pour les grammairiens du français. Traditionnellement il y a au moins trois analyses. La séquence de + adjectif pourrait être une sorte de génitif où lede est à rapprocher du de de la maison de ma mère. La séquence de + adjectif pourrait aussi constituer une unité prédicationnelle à rapprocher de la phrase relative Je le vois qui arrive. Enfin, on pourrait dire que la séquence de + adjectif n'est qu'un adjectif joint à un NP par la préposition c?e.

Dans sa thèse soutenue à l'université de Paris VIII, Avigail Azoulay-Vicente (AAV) reprend le problème de savoir comment il faut analyser la séquence de + adjectif des constructions (l)- Sa solution, qui s'inscrit dans la théorie standard étendue, est - il faut le dire - beaucoup plus complexe que les solutions traditionnelles, mais elle permet à la fois d'en garder ce qu'il y avait de juste d'un point de vue intuitif et de les dépasser.

L'étude d'AAV est répartie en quatre chapitres. Dans les chapitres I et 11, AAV présente
toute une série d'arguments en faveur de la représentation suivante:


DIVL5947

(4)

Syntaxiquement la séquence de + adjectif est donc considérée comme un simple syntagme
prépositionnel et non pas comme une phrase "raccourcie" où de serait ou bien un élément

Side 288

dominé par le nœud COMP (ou CP) ou bien un élément ayant la même valeur sémantique
que le verbe être dans les phrases du type cette place est libre.

Pour ce qui est de la distribution de la séquence de + adjectif, AAV propose de l'engendrer
ou bien sous le nœud S ou bien sous le nœud N", ce qui donne les structures suivantes
pour les phrases (l)-

(5)


DIVL5957

DIVL5959

(6)


DIVL5963

(7)

(5)-(6) n'ont pas subi de changements transformationnels, tandis que le qui de (7) a été déplacé
à gauche de la position [jvjp el d'objet direct par la règle "déplacer a".

Dans les chapitres II et 111, AAV aborde le problème de savoir comment il faut représenter (l)- au niveau de la forme logique. En voici en substance les points essentiels. L'élément qui est en relation avec de + adjectif est converti en variable. Au lieu de une place, quelque chose et j^p e on aura une variable x qui fait partie d'une expression propositionnelle du type p(x) Le même élément syntaxique déclenche en plus l'introduction d'un quantifieur 0 qui lie le x de p(x). On aura donc Qx: p(x). Enfin AAV propose que la séquence de + adjectif introduit le domaine dénotationnel de la variable x, ce qu'elle désigne par l'expression "x e Da" où Da est le domaine d'individus dénoté par l'adjectif de la séquence de + adjectif. Ainsi la fonction de de consiste seulement à introduire le domaine Da de l'adjectif A. La forme logique des constructions (l)- et de leurs structures correspondantes se résument donc selon le schéma suivant:

(8)


DIVL5973

où Q, Da et p varient selon le quantifieur, l'adjectif et le type de proposition choisis.

Ce qui me semble intéressant dans ces représentations c'est que la notation par variable permet à AAV de dire à la fois que de + adjectif n'est rien qu'un syntagme prépositionnel ordinaire, que ce syntagme ne peut apparaître dans une structure sauf si cette structure contient déjà un quantifieur et que celui-ci introduit deux prédications, celle introduite par le verbe et ses arguments et celle portée par l'expression x e Da- Une bonne partie des intuitions parfois assez vagues et même contradictoires des grammairiens traditionnels et structuralistes trouvent ainsi d'une façon naturelle et sans contradiction interne leur place dans cette analyse d'inspiration générativiste.

Que l'analyse d'AAV ait un contenu explicatif est incontestable, ce qui ne veut pas dire
qu'il n'y ait pas de problèmes du tout.

Par exemple, il me semble peu satisfaisant d'utiliser la notation ensembliste "x e Da" à l'intérieur d'une formule logique. Cette notation laisse entendre que n'importe quelle expression ayant un ensemble d'individus pour dénotation peut être gouvernée par la préposition de. Or il est bien connu - et AAV le répète encore une fois - qu'il ne peut s'agir que d'adjectifs et non de substantifs par exemple. Je pense qu'il vaut la peine de regarder de près la relation entre l'adjectif de la séquence de + adjectif et le NP auquel l'adjectif est relié, surtout dans le but de comprendre pourquoi de n'accepte que des adjectifs d'un goupe restreint, un fait qui reste inexpliqué même après l'étude d'AAV.

A titre de conclusion je voudrais faire la remarque suivante. AAV rapproche entre elles les structures (5) et (7) parce qu'elles mettent en cause le même type de référence indéterminée. Si on se tourne vers le danois on découvre les faits suivants. Les pronoms indéfinis du type quelque chose admettent l'adjonction directe d'un adjectif, cf. (9) qui est la traduction directe de (6):

Side 289

(9) Jeg har set noget intéressant
je ai vu qch. intéressant

Étant donné l'hypothèse d'AAV on s'attendrait donc à trouver à peu près lámeme différence
dans le cas de (7). Mais le danois ne connaît pas ce type de construction. 11 est nécessaire de
recourir à une construction comportant une phrase relative:

(10) a. Hvem kender du der er beromt?
Qui connais-tu qui soit célèbre ?

( 10) b. * Hvem kender du beromt?
Qui connais-tu célèbre?

Les propriétés sémantiques proposées par AAV pour expliquer l'apparition de la séquence de + adjectif en français ne s'appliqueront donc pas sans problèmes au danois. Quoi qu'il en soit AAV nous a présenté une hypothèse intéressante sur cette drôle de séquence qu'est de + adjectif en français.

Copenhague