Revue Romane, Bind 23 (1988) 2

John Kristian Sanaker: Le discours mal apprivoisé. Essai sur le dialogue de Marivaux. Solum/Didier Erudition, 1987. 133p.

John Pedersen

Le titre de cet essai sur quelques-unes des comédies les plus représentatives du théâtre de Marivaux introduit le concept clé du travail. John Kr. Sanaker s'est en effet donné pour tâche d'étudier ce que l'on pourrait appeler aussi le langage-crise des personnages frappés par la surprise de l'amour. Le but de l'auteur est de montrer à quel point le discours mal maîtrisé reflète une transformation fondamentale au niveau psychologique, ce qui lui permet de respecter la tradition qui veut que le marivaudage relève des sentiments autant que du style.

Dans un chapitre initial, l'auteur se propose de présenter "quelques notions dramaturgiques"; l'essentiel du chapitre me semble cependant résider dans la mise en évidence de la situation menacée des personnages surpris par l'amour: c'est en partie malgré eux, en partie à leur insu qu'ils cherchent (en vain) à se défendre. Plutôt qu'une réflexion dramaturgique, le chapitre nous offre ainsi un excellent point de départ pour la longue étude du "discours mal apprivoisé" (chap. 3).

Ce chapitre constitue sans aucun doute la partie la plus intéressante du travail de Sanaker. Le fil conducteur en est l'idée que l'originalité du théâtre de Marivaux consiste "dans la force productrice de son langage", donc que le discours des personnages, dans certaines circonstances, sert non seulement à désigner des phénomènes psychologiques, mais à les former.

Au cours de ce chapitre, on relève de nombreux exemples d'analyses très fines et de formules bien tournées pour étayer la thèse de l'auteur. La volubilité de certains personnages est mise en relief, mais bien plus importante est la démonstration convaincante selon laquelle "le personnage marivaudien, confus et hésitant, respecte la loi de 'l'autre d'abord', loi qui fait créer autour de lui un vide langagier" (48). L'auteur a sans doute raison en voyant ici une des raisons du grand intérêt dont jouit de nos jours le théâtre de Marivaux.

Le discours mal apprivoisé traduit-il une vision particulière de l'homme ? L'auteur se contente d'un bref chapitre ("Le statut des personnages" p. 81-96) pour essayer de répondre à cette vaste question, sans doute parce que, pour lui, la partie principale de l'étude reste l'analyse discursive. Pour les mêmes raisons, les réflexions thématiques que comporte ce quatrième chapitre risquent de paraître un peu plus hâtives quoique souvent très suggestives.

Dans la conclusion, l'auteur formule ainsi un de ses résultats: "... si Marivaux mérite une place parmi les grands esprits du siècle, ce n'est pas par ses idées sur la relativité de l'homme ou par sa création d'un dialogue théâtral d'une grande originalité, mais par la convergence de ces deux facteurs" (98). Le beau livre de Sanaker nous permet certainement de mieux apprécier cette vérité.

Copenhague