Revue Romane, Bind 24 (1989) 1

Les temps passés de être*

par

Dulcie M. Engel

1. Introduction

1.1 La dichotomie passé simple/passé composé

En français moderne, deux formes verbales, exprimant plus ou moins la même réalité temporelle, se font concurrence . Il s'agit du passé simple (PS) et du passé composé (PC), qui expriment tous les deux le passé ponctuel. De plus, le PC fonctionne comme parfait présent, et plus rarement le PS exprime le passé antérieur. Ces fonctions sont représentées respectivement par les symboles RPOV, PP-V et RPV2:

(1) PC=RPOV: Hier il estallé à Brest.

(2) PS=RPOV: Le lendemain, il partit pour Brest.

(3) PC=PP-V: J'ai toujours aimé la ville de Brest.

(4) PS=RP-V: En 1814 il est parti pour Brest. L'année précédente son frère prit la même
route.

De plus, les deux temps peuvent s'employer en contraste dans le même
texte:

(5) PS=RPOV; PC=PP-V: Cinq cents témoignages recueillis de la bouche de ceux qui vécurent
Dunkerquc.lui ont permis de reconstituer...les douze jours du miracle de
Dunkerque. (Le Miracle de Dunkerque, France-Dimanche, 2.1.84 - 8.1.84, p. 16)

(6) PS = RP-V; PC = RPOV: Quelques mois plus tard, je reçus l'autorisation d'en entretenir
le premier ministre...auquel j'ai ensuite rendu compte du déroulement des opérations...
(Guillaumat: J'ai pris mes responsabilités, Le Matin, 5.1.84, p. 4)

On constate que le PS continue à survivre dans la langue écrite , malgré sa
disparition quasitotale de la langue parlée . Cette persistance du PS dans les
textes écrits (souvent dans les mêmes textes que le PC) justifie la notion de

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concurrence entre le PS et le PC. De plus, le PS ne se limite pas au style littéraireou
académique: on le trouve souvent dans la langue journalistique, dans
tous les domaines .

1.2 Le corpus

L'examen de 23 journaux et magazines publiés dans une même période (les quotidiens du 5.1.84, les hebdomadaires de la semaine du 5.1.84) a montré que 15.69% du total des articles mélangent le PS et le PC dans le texte; 63.3% des articles n'emploient que le PC; 1.75% des articles n'emploient que le PS; 19.27% n'emploient ni le PS ni le PC.

L'analyse détaillée de 68 articles utilisant le PS et le PC (19.48% des 349 articles de cette catégorie), complétée par des tests de substitution tirés de quelques-uns de ces articles, soumis à des sujets francophones, a indiqué que certains facteurs influencent le choix du PS ou du PC dans certains contextes. Parmi les facteurs les plus importants on trouve: l'axe d'orientation (voir 1.1, note 2); le texte (histoire/discours); la personne grammaticale; la co-occurrence de temps; l'emploi des expressions temporelles; la rubrique.

Le PS a la valeur temporelle RPOV ou RP-V et se trouve normalement dans les textes d'histoire (récit); à la troisième personne; en conjonction avec l'imparfait, le plus-que-parfait, le passé antérieur; avec des adverbes exprimant un temps éloigné, une action accomplie ou une étape dans l'action; et dans les articles de sport ou d'art.

Le PC exprime la valeur temporelle RPOV ou PP-V et se trouve normalement dans les textes de discours (commentaire); à la première ou à la deuxième personne; en conjonction avec le présent et le futur; avec les adverbes exprimant un temps récent ou une action inachevée; et dans les articles d'information ou de renseignements.

Il ne faut pas cependant oublier qu'il s'agit là seulement de tendances: on
trouve aussi le PC à la troisième personne, le PC dans les récits, et le PS dans
les commentaires.

Venons-en maintenant à l'idée centrale de cet article: comment un verbe particulier, être, paraît avoir un rôle important, surtout à la troisième personne du singulier fut/a été, et dans une plus faible mesure, à la troisième personne du pluriel furent/ont été et à la première personne du singulier fus/ai été (les formes de la première personne du pluriel et de la deuxième personne ont une très faible occurrence dans notre corpus, pour tous les verbes).

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2. Fut/a été

2.1 Fréquence

Dans les 68 articles mélangeant le PS et le PC, être apparaît comme le verbe
le plus fréquent:


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II est à noter aussi que l'usage de être est presque deux fois plus courant que l'usage de son rival le plus proche, faire; et que l'occurrence du PS dépasse celle du PC seulement dans le cas du verbe être: ce qui indique l'importance de être dans ces articles, surtout au PS.

Cette fréquence se reflète dans les résultats des tests. Dans le choix des temps pour les infinitifs des verbes irréguliers, on voit que les résultats pour être diffèrent des autres verbes de façon importante: pour les verbes irréguliers qui sont au PS dans le texte original, la plupart des sujets choisissent le PS dans 65% des cas: pour le verbe être ils choisissent le PS dans 69.23% des cas; pour les autres verbes, le PS dans seulement 57.14% des cas. Pour les verbes irréguliers qui sont au PC dans le texte original, nous avons des résultats très différents: en général on choisit le PC dans 54.84% des cas; avec être on ne choisit le PC que dans 28.57% des cas; pour les autres verbes, le PC dans 62.5% des cas.

On peut conclure que fut s'emploie dans des contextes très spécifiques
que les sujets reconnaissent facilement, tandis que a été apparaît plus fréquemment,
et peut souvent être remplacé par d'autres temps du verbe être.

2.2 Les contextes spéciaux de futía été

2.2.1 Caractéristiques phonologiques

Nous nous référons ici aux caractéristiques respectives de la troisième personne du singulier et du pluriel, et de la première personne du singulier, qui, avec le PS et le PC, font contraste par leur longueur syllabique ou leur qualité phonologique (effets de cacophonie, possibilité d'allitération ou d'assonance dans la phrase).

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L'examen de caractéristiques phonologiques paraît peut-être hors de propos dans une étude de la langue écrite, mais les écrivains professionnels tiennent bien compte du 'son' de leurs phrases. Ceci s'applique surtout pour les œuvres littéraires (comme la poésie), mais chaque texte écrit peut être lu à haute voix. De plus, même pendant la lecture silencieuse, nous tenons compte des effets phonologiques. Tournons-nous maintenant vers les résultats de la recherche:

Longueur syllabique. Ici, la longueur syllabique est définie par la longueur relative des deux formes temporelles (PS et PC) pour la personne, le nombre et la voix (active/passive) employés dans l'espace particulier. Par exemple, à la troisième personne du singulier actif, fut est plus court que a été: le choix du PS implique celui d'une forme plus courte (catégorie 1); le choix du PC celui d'une forme plus longue (catégorie 3). La catégorie 2 concerne les cas où les formes du PS et du PC sont de la même longueur syllabique: il n'y a pas d'exemples avec être, où les formes du PS ont plus de deux syllabes, et les formes du PC moins de trois syllabes. Un exemple de cette catégorie serait la troisième personne au singulier actif du verbe naître: naquit/est né (PS et PC ont deux syllabes).

Pour le verbe être donc, on a toujours le choix entre le PS court et le PC
long; et cette différence de longueur peut jouer un rôle dans les textes, où le
PS court (fut) contraste avec un PC plus long (d'un autre verbe):

(7) Freud a dédié l'un de ses livres à Mussolini, en qui il voyait un «sauveur de la culture», Staline fut sans doute le plus grand admirateur du sculpteur nazi Arno Breker, etc.. (La Bénito Culture, Michel le Bris, Le Nouvel Observateur, 30.12.83 - 5.1.84, p. 12)

(8) Kicanovic n'a pas eu son rôle habituel et ne fut pas un danger constant pour la défense
azuréenne. (Johnson Dominateur, Jean-Pierre Dusseaulx, L'Equipe, 5.1.84, p. 5)

Les résultats de la recherche sur tous les verbes montrent que la longueur syllabique relative est un facteur à signification statistique élevée, avec une préférence pour le PS où cette forme est plus courte que celle du PC; et une préférence pour le PC où elle est soit aussi courte, soit plus courte que celle du PS. Les exemples (7) et (8) montrent l'efficacité d'un usage contrastif de la forme courte du PS fut, qui dans les deux textes apparaît dans la même phrase qu'une forme plus longue du PC (bien que ceci ne doive pas forcément être la seule raison du mélange de temps). Dans les résultats des tests cependant, la plupart des sujets ont choisi la forme la plus courte (pour tous les verbes) dans 58.82% des cas seulement. Ceci nous mène à suggérer que les effets de contraste, comme on le voit dans (7) et (8), ressortissent plus au style des auteurs qu'à un emploi automatique chez la plupart des francophones

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Qualité phonologique. Les effets comme l'assonance, l'allitération et la prévention de la cacophonie sont difficiles à analyser de façon quantitative, ou au moyen des tests. Cependant on en trouve plusieurs exemples dans les articles de journaux, surtout avec les formes du verbe être:

(9) Assonance (o/ou/u): leurs performances boursières furent plutôt modestes. (A travers
les groupes: services, Le Nouveau Journal, 5.1.84, p. 9)

(10) Assonance (o/u): la solution moteur fut choisie. (Porsche Carrera, Michel Meilleray,
L'/irgu5,5.1.84,p.9)

(11) Assonance (é/é; u/u): A peine la fillette fut-elle en âge de concevoir qu'elle a été engrossée
et que l'enfant fut vendu à son tour. (Sicile: bébés à vendre pour 75,000F,
F.C.,Le Matin, 5.1.84, p. 17)

(12) Allitération (f): ...furent les fondateurs d'un fast-food. (Un temps de l'arabisance,
René-Pierre Boullu, Libfration, 5.1.84, p. 23)

(13) Prévention de la cacophonie (l'interruption d'une séquence de mots à voyelle initiale):
...quand l'objectif fut enfin atteint... (Avec André Rey l'ex-tricolore, Gilles Morinière,
Le Télégramme de Brest et de l'Ouest, 5.1.84, p. 16)

D'intérêt particulier est la paire de formes passives dans l'exemple (11), où l'auteur emploie le PC a été avec un participe en -é, et le PS fut avec un participe en -u, bien que, du point de vue chronologique, l'événement au PC précède celui au PS. C'est un choix stylistique intentionnel. Les exemples comme (11) et (12) semblent justifier l'idée que le choix des temps dépend de raisons phonologiques. Dans la plupart des exemples, on évite la forme a été et on choisit la forme plus euphonique,/wi.

2.2.2 Contextes stylistiques

Comme pour la qualité phonologique, il est difficile de catégoriser les éléments
stylistiques de façon analytique, mais on peut isoler deux domaines importants:
l'ordre des mots, et le registre (ton).

L'ordre des mots. Comme on Ta déjà mentionné , l'inversion du sujet et la possibilité de l'insertion de mots entre l'auxiliaire et le participe passé sont deux aspects de l'ordre des mots où l'usage du PS et du PC peut varier. Il y a des cas où cet usage est obligatoire (par exemple, l'inversion dans les questions, l'insertion du sujet entre l'auxiliaire et le participe dans les incises), et ces cas ne peuvent pas être considérés comme des exemples d'usage stylistique. Cependant il y a des usages facultatifs (l'inversion d'emphase, l'insertion d'adverbes), où les effets différents du PS et du PC peuvent être exploités par l'écrivain: là où l'on veut une inversion, la forme simplexe du PS sera souvent préférée; si on veut mettre l'emphase sur un adverbe, la forme complexe du PC sera peut-être préférée, avec la possibilité d'insérer cet adverbe au milieu de la phrase verbale plutôt qu'avant ou qu'après le verbe:

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(14) Plus mondaine fut la présentation de la nouvelle Ligier... (Ça roule pour le Loto,
France-Soir, 5.1.84, p. 11)

(15) ...on ne risque pas d'aller très loin - de répéter tout au plus le détestable travail de Lukàcs sur le romantisme allemand, dans ce chef-d'œuvre que fut 'La Destruction de la raison'. (La Bénito Culture, Michel le Bris, Le Nouvel Observateur, 30.12.83 - 5.1.84, p. 12)

(16) ...le solde de 110 000 francs n'a jamais été versé à son compte. ...Son fils David luimême a finalement été l'instrument tousles aménagements...ont effectivement été décidés, conçus et payés par Romy... (Romy Schneider. Son testament, Paris Match, 29.10.82, p. 28-37)11

Dans l'exemple (14) le changement au PS met de l'emphase sur le contraste fait par le changement dans l'ordre des mots au complément - verbe - sujet. On a un effet semblable dans (15), où la forme fut évite aussi la cacophonie, et rend possible l'assonance de u. L'insertion dans (16) se trouve dans un article qui mélange fréquemment le PS et le PC: l'emploi de être au PC dans ces formes passives fait ressortir les éléments adverbiaux se trouvant au milieu de la phrase verbale.

Les résultats des tests pour l'inversion et l'insertion (tous les verbes) indiquent l'emploi fréquent des formes simplexes dans les contextes d'inversion, et l'application de l'insertion avec les formes complexes où le matériel à insérer consiste en des adverbiaux courts d'un mot. Les exemples ci-dessus avec être soulignent ces résultats.

Registre (ton). Il s'agit ici des effets stylistiques particuliers au PS et au PC: l'emploi du PS pour l'ironie, l'humour, le ton affecté, la formalité, le style littéraire, l'objectivité; l'emploi du PC pour le ton familier, la subjectivité. Avec être, l'usage contrastif de fut est à noter en particulier:

(17) Cassandre il fut, Cassandre il resta. ...Quand meurt la IVe République, c'était lui ou
De Gaulle. Ce ne pouvait être lui et De Gaulle. Ce fut le Général. (Un homme
d'honneur, de morale et de rigueur, Jean Bothorel, Paris Match, 29.10.82, p. 4243)11

Ici, ia brièveté de la première forme du PS contribue à la nature épigrammatique de la caractérisation. Au deuxième paragraphe, on voit un motif de variations du verbe être, et le PS met l'emphase sur la finalité du résultat. De plus, toutes les formes du PS dans le texte empruntent un ton sérieux et académique. On peut noter également l'emploi stylistique de être dans d'autres exemples: l'alternance du PS et du PC dans (8); la contribution du PS au style littéraire de (13) et de (15).

En général dans les tests, les sujets ne semblent pas tenir compte des effets stylistiques, sauf dans les cas où ces effets dépendent des formes fut furent. sont des formes marquées, dont la valeur peut être reconnue par les francophones sans trop de difficulté.

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2.2.3 Contextes syntaxiques

Des contextes syntaxiques pour l'usage contrasta0 de fut/a été sont probablement plus rares que les facteurs phonologiques ou les contrastes stylistiques. Dans cette catégorie on note les usages obligatoires d'inversion et d'insertion (voir 2.2.2), et l'emploi du verbe être dans des phrases et des constructions particulières: la construction ce + être, la construction passive, l'emploi du PC avec l'auxiliaire être.

12 Ce + être .A l'écrit, des exemples de ce avec une forme composée de être se font très rares, dans tous les temps. Monville-Burston et Waugh (1985, p. 151) semblent douter de la préférence pour ce + PS plutôt que ce + PC à cause de raisons stylistiques ou phonologiques, et elles prétendent que les contextes particuliers pour ce + PS (au moins dans leur corpus) sont des cas de mise en relief, qui souvent nécessitent l'emploi du PS. Cependant, la combinaison de ce + forme simplexe semble être applicable pour tous les temps, ce qui indiquerait une certaine contrainte syntaxique, et quineine serait pas uniquement une question de contexte comme suggèrent Monville-Burston et Waugh (op. cit.). Considérons les exemples suivants:

(18) Hélas, ce fut une bougie à la main que M. Mauroy prudemment apparut pour nous annoncer que le rapport secret, cessant de l'être, serait soumis à nos avides curiosités. (La Montagne «Renifleuse» accouche d'une souris rosé, Jean Cau, Paris Match, 13.1.84, p. 42^3.)

(19) La fête, pour Paul, ce n'était pas seulement une nuit à l'Esquinadc.ce n'était pas la
jolie Suédoise..c'était aussi le coq au vin..., c'étaient les balades en chris-craft...,
c'étaient les parties de pêche... Une nuit, ce fut l'abordage du yacht d'un milliardaire
mexicain. (Mort d'une vieille vague, Roger Vadim, Paris Match 13.1.84 p. 72-75.)

L'exemple (18) n'est pas un cas de mise en relief, seulement la continuation
du style très littéraire d'un article employant beaucoup de formes au PS.

L'emploi de fut contribue à l'assonance de la phrase (u/ou), et l'alternative
a été serait très difficile à mettre à sa place.

L'exemple (19) emploie la formule c'étai(en)t pour énumérer les activités, contrastant avec l'introduction de la narration d'un événement spécifique: ce fut. On pourrait parler ici de mise en relief, et la quasi-impossibilité de remplacer ce fut par a été suggérerait un emploi obligatoire du PS ici pour exprimer le contraste avec c'étai(en)t.

On voit une formule semblable (ce + imparfait, ce + PS) dans l'exemple
(17). Là, on exprime la finalité avec la dernière phrase: Ce fut le Général.

La construction passive. Nous avons déjà parlé des effets phonologiques
d'un emploi contrastif dans la construction passive avec PC (être) + -é et PS
(être) + -u dans l'exemple (11) ci-dessus.

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Zezula (1969, p. 341-342) trouve une fréquence plus haute de PS passif que de PC passif dans son corpus, et il suggère que la structure morphologique du PS peut expliquer ses résultats: l'emploi du PC passif pour narrer une suite d'événements crée une prose très lourde. Dans notre corpus cependant il n'y avait pas de différence importante dans la distribution du PS et du PC au passif.

Dans les tests, il y avait 7 exemples de la construction passive. Pour les deux exemples au PS, la plupart des sujets ont choisi eux aussi le PS; mais ils ont choisi le PC seulement dans deux des cinq cas. Dans les deux exemples au PS ((13) ci-dessus et (20)), l'auxiliaire est séparé du participe par un adverbe en en-: évite-t-on le PC pour empêcher la cacophonie...

(20) il fut ensuite dirigé sur le centre hospitalier... (A Pleumeur-Gautier un automobiliste
perd le contrôle de son véhicule: son passager mortellement blessé, La Bretagne à
Paris. 6.1.84, p. 5.)

L'emploi du PS ou du PC dans la construction passive semble être influencé
(ici au moins) par des considérations phonologiques et/ou stylistiques.

PC + auxiliaire être. Bien qu'on ne traite pas ici du contraste fut la été, ce
point souligne l'importance du verbe être et le choix entre le PS et le PC d'un
autre point de vue.

Dans les résultats des tests, on a noté que la plupart des sujets ont choisi le PC pour les verbes à auxiliaire être dans 73.33% des cas, tandis qu'ils ont choisi le PS pour la même catégorie de verbes dans seulement 66.67% des cas.

Les verbes à auxiliaire être sont souvent les verbes de mouvement, et ceci peut être lié à la classe sémantique. Dans notre enquête nous avons trouvé peu de différences entre PS et PC pour la classe sémantique des verbes, mais ce point doit être examiné sur un corpus plus élargi.

Considérons cet exemple avec l'usage contrastif du PC et du PS:

(22) Four cet équipage choc, tout s'est joué sous le signe de la providence. Ils sont allés frapper il y a quelques semaines à la porte de notre directeur...qui, partageant leur goût de l'aventure, accepta de les «sponsoriser» pour défendre nos couleurs. (Notre voiture a pris le départ de «Paris - Dakar», P.V., Ici Paris, 4.1.84 -10.1.84, p. 13.)

Ici les deux formes du PC sont des verbes à auxiliaire être, et le PS est un
verbe à auxiliaire avoir. Nous notons aussi que le choix du PS évite la cacophonie
de la forme au PC a accepté.

3. Conclusion

La langue journalistique est capable d'exploiter toutes les ressources de la langue courante. Les mélanges du PS et du PC dans les journaux montrent la vitalité continuelle du premier, surtout dans son rôle contrastif par rapport au dernier. Une des meilleures illustrations de cette situation est à trouver

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dans les formes du verbe être. De plus, sa haute fréquence au PS est la garantieque
la dichotomie PS/PC va continuer à survivre, et même à jouer un rôle
important dans la langue écrite pendant longtemps.

Dulcie M. Engel

Reading (U.K.) / Tel Aviv



Notes

*Je voudrais remercier Monique Elfassy (Université de Tel Aviv) et les correcteurs linguistiques de la Revue Romane, pour leurs commentaires sur la version française de cet article.

1. PS/PC n'est pas la seule dichotomie: le passé antérieur et le plusque-parfait ont la même valeur temporelle, mais le contraste est limité à cause des restrictions d'occurrence du passé antérieur.

2. Bull 1963 propose ces symboles dans la construction de son système de temps hypothétique: PP = point présent, RP = point rétrospectif (des points sur l'axe d'orientation); V = vecteur; + = en avant, o = neutre (la direction de l'observation). Pour une application au français, voir Klum 1961.

3. Voir Cellard 1979; Cohen 1956; Engel 1985; lejima 1951; Mauger 1962; Sauvageot 1955.

4. Voir Camproux 1967; Clédat 1929; Dauzat 1937,1953; Schogt 1964; Van Vliet 1983.

5. Voir Galet 1977, p. 577-633; Herzog 1981; Monville-Burston et Waugh 1985; Savié 1979; Zezula

6. Cette recherche a été faite entre 1983 et 1987, et est présentée dans la thèse de doctorat de l'auteur Engel 1987. Voir aussi Engel (travaux en cours).

7. Les tests comprennent des articles courts des journaux de notre corpus, dans lesquels les verbes originairement au PS et au PC ont été remplacés par leur infinitif. La tâche des sujets francophones a été de remplacer ces infinitifs par une forme temporelle du verbe. C'est une sorte de close test, semblable à celui fait par Weinrich 1966 pour des textes allemands.

8. Dans l'analyse des résultats des tests, «la plupart des sujets» signifie qu'au moins 60% des sujets ont choisi la même forme que le texte original.

9. Voir Engel 1986.

10. Fleischmann 1983 parle des noms formels simplexe/complexe, qui contrastent avec les noms fonctionnels prétérit/parfait.

11. Les exemples (16) et (17) viennent d'un autre corpus plus restreint (articles de journaux d'octobre 1982), employé dans une étude préliminaire.

12. Pour une discussion générale sur ce + être, voir Burston et Monville-Burston 1981.

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Résumé

L'analyse des articles de journal utilisant le passé simple (PS) et le passé composé (PC) dans le
même texte a indiqué l'importance du verbe être dans ces contextes.

L'emploi du PS ou du PC du verbe être semble être influencé par des caractéristiques phonologiques (la longueur syllabique, la qualité phonologique), des contextes stylistiques (l'ordre des mots, le registre), et des contextes syntaxiques (la construction ce + être, la construction passive, l'auxiliaire être dans les formes composées).

En particulier, la forme fut a une fréquence assez élevée, bien qu'en général le PS soit moins
répandu que le PC.

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