Revue Romane, Bind 24 (1989) 1

Sur la syntaxe et la sémantique des relatives indépendantes et des interrogatives indirectes partielles

par

Claude Muller

Les interrogatives indirectes partielles forment une catégorie mal définie de subordonnées, apparentées d'une part aux complétives, d'autre part aux relatives, notamment aux relatives indépendantes. Souvent, la justification de leur classement tient à la notion sémantique d'interrogation, bien inadéquate lorsqu'on examine le sens des verbes introducteurs.

Les interrogatives indirectes partielles (désormais IIP) n'ont pas exactement la même distribution que les interrogatives indirectes totales (en si) (cidessous, 3.4). Cela justifie qu'on les examine à part. Nous souhaitons montrer, dans ce qui suit, que la syntaxe des lIP diffère de celle des relatives, et notamment des relatives indépendantes, ce qui nécessite au préalable un examen de la syntaxe de ces dernières.

Notre argumentation repose sur l'hypothèse que la syntaxe de surface est une projection de niveaux d'analyse ordonnés: le niveau syntagmatique, linéaire, précède immédiatement la surface et s'en distingue par des permutations ou des effacements (du type des ellipses facultatives dans les comparatives, cf. Muller, 1983); ce niveau résulte de la projection d'une structure non linéaire, ordonnant des opérateurs et des actants: par les choix lexicaux et les contraintes qui en découlent, il s'agit d'une structure syntaxique, dont la traduction sémantique (en termes de prédicats et d'arguments) est cependant assez proche pour qu'on puisse en faire le lieu de certains choix sémantiques (par exemple pour l'interprétation du scope des opérateurs). On reconnaîtra dans cette approche une grammaire du type de celles de Harris (1976) ou, pour le français, de Gross (1981).

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Mais la structure d'opérateurs brièvement décrite ci-dessus est proche de la «Forme Logique» de Chomsky - si ce n'est qu'on en fera le point de départ d'une analyse de la formation de l'énoncé, plutôt qu'une structure d'interprétation

Nous le verrons: certaines propriétés de surface distinguant les lIP des relatives n'ont d'explication qu'au niveau de la structure d'opérateurs - et c'est à partir de cette structure qu'il convient de présenter les éléments différenciateurs, étroitement liés à l'interprétation des verbes introducteurs, qui expliqueront les étrangetés syntaxiques des lIP .

1. Propriétés distinctives des lIP

1.1

Le terme introducteur est souvent identique à celui des relatives (cf. Bonnard, 1961). Il existe pourtant des termes utilisés dans les lIP (comme dans les questions) mais pas dans les relatives indépendantes: quel, comment, combien, pourquoi, quoi. Que l'on compare:

Fais comme ('comment) tu veux.
Devine comment ('comme) je suis entré.

et:

Fais ('quelle chose + ce que) tu veux.
Devine (quelle chose + ce que) j'ai fait(e).
Ecris ('combien + la quantité) de pages (que) tu veux.
Devine (combien + la quantité) de pages (qu')il a écrites.

On doit y ajouter pourquoi. Ce terme (locution pronominale à valeur circonstancielle)
n'a plus qu'un emploi non interrogati dans l'expression c'est
pourquoi:

II se fait tard, c'est pourquoi je me vois obligé de prendre congé.

Le pronom quoi est interrogatif dans ses emplois sans préposition (avec
infinitif, seul cas où c'est possible avec quoi complément direct):

Dis-moi quoi vendre.
Je sais quoi vendre.
•Je possède quoi vendre.
•Je te propose quoi vendre.

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1.2

On a souvent remarqué (par exemple Korzen, 1973, p. 137) que les constructions à lIP favorisent les subordonnées sans antécédent - alors que les relatives indépendantes sont plutôt des variantes marquées de relatives à antécédent.

Ce critère n'est pas absolu (on y reviendra). On constate généralement
une baisse d'acceptabilité avec un antécédent lexical:

Je sais à quoi tu fais allusion.
? Je sais les choses à quoi tu fais allusion.
Je me demande de quoi il s'occupe.
•Je me demande les choses dont il s'occupe.

La seule exception étant ce facultatif dans les constructions à tête prépositionnelle;
on peut comparer les phrases suivantes aux phrases ci-dessus:

Je sais ce à quoi tu fais allusion.
Je me demande ce dont il s'occupe.

(ce entraîne la variante dont à la place de de quoi). Dans les constructions directes,
ce est obligatoire; de ce fait, la phrase:

Je sais ce que tu as apporté.

contient apparemment la même subordonnée que:

Je mange ce que tu as apporté.

et la question se pose de savoir s'il s'agit, dans le premier cas, d'une lIP (position de Korzen, 1973, à la suite de Sandfeld) distincte de la relative indépendante introduite pai je mange, ou s'il s'agit de relatives dans les deux cas (position d'Eriksson, 1982).

Les mêmes restrictions existent, bien entendu, sur le domaine «humain» -
avec la différence suivante: aucun démonstratif n'est cette fois admis:

Je sais qui est arrivé.
?* Je sais celui qui est arrivé.
?* Je me demande celui qui est arrivé.

Mais certains verbes acceptent des noms dont I'HP est un complément:

Je sais le nom de qui est arrivé.
? Je me demande le nom de qui est arrivé.

Side 16

1.3

II existe des cas d'ambiguïté, laissant supposer une différence de structure
sous-jacente. Ainsi, la phrase suivante (de Danjou-Flaux et Dessaux, 1976, p.
187):

Je lui ai demandé ce qu'elle tenait.

a deux significations: soit l'interprétation lIP, paraphrasable par quelle chose elle tenait, soit l'interprétation de relative indépendante la chose qu'elle tenait, chacune de ces interprétations exigeant une suite particulière, respectivement une explication et le don d'un objet. Nous reviendrons ci-dessous sur l'explication à donner à cette ambiguïté.

1.4

On peut voir dans la possibilité d'une paraphrase par une clivée un test distinguant
les lIP des relatives (cf. Korzen, 1973):

Je me demande (ce qui + qu'est-ce qui) est arrivé à Paul.
Je mange (ce qui + 'qu'est-ce qui) est sur la table.

On peut construire un test qui combine le verbe être et le terme introducteur quel, caractéristique des lIP (exclamatives incluses) et impossible dans les relatives du français moderne; si la paraphrase en quel est existe (au prix de quelques modifications, en particulier de l'introduction d'un nom classifieur devant la relative), on peut admettre l'existence d'une interprétation d'HP - sans que cela prouve formellement, bien entendu, qu'il y ait alors une structure syntaxique différente de celle des relatives:

Je sais qui vient d'entrer.
= Je sais quelle est la personne qui vient d'entrer.
Je remercie qui vient d'entrer.
•Je remercie quelle est la personne qui vient d'entrer.

Ce test met en évidence les éventuelles ambiguïtés. Ainsi la phrase suivante
a deux interprétations, dont une seule subsiste avec quel est'.

Regarde qui vient d'entrer.
Regarde quelle est la personne qui vient d'entrer.

Dans le sens non interrogatif, il s'agit d'observer une personne, non de déterminer
son identité. Nous verrons donc dans cette paraphrase un moyen efficace
de distinguer de façon opératoire les lIP des relatives.

Side 17

1.5

II existe, enfin, des propriétés syntaxiques tout à fait surprenantes, qui distinguent
les lIP (du moins celles qui commencent par un pronom interrogatif)
des relatives indépendantes:

1.5.1

Bien qu'apparemment identiques aux relatives indépendantes, les lIP ne se
pronominalisent jamais autrement que par un le neutre:

(1) Panni ces personnes, je rencontrerai laquelle je veux rencontrer.
(2) Parmi ces personnes, je sais laquelle tu as rencontrée.

Ainsi, la relative indépendante (1) permet la suite (3), où le pronom s'accorde
à laquelle:

(3) ...et je la rencontrerai tout de suite.

alors que la suite (4) de I'HP ne permet que le:

(4) ...et je le (*la) sais avec certitude.

1.5.2

Une autre différence significative se constate dans la construction du complément verbal: les relatives indépendantes sont soumises à une contrainte de catégorisation qui impose, pour les constructions à préposition, une compatibilité avec le verbe principal. En particulier, il est exclu qu'une relative à tête prépositionnelle soit construite en complément d'un verbe quelconque à objet direct. Cette contrainte n'existe pas pour les IIP:

•J'ai rencontré à qui tu as parlé hier.
Je sais à qui tu as parlé hier.

1.6

Enfin, on signale souvent des restrictions fonctionnelles. La position de prédilection
des lIP est celle de complément direct. On peut cependant y trouver
des compléments indirects:

Je me souviens maintenant de qui j'ai vu hier soir.

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? Je me souviens maintenant de quelle est la personne que j'ai vue hier soir.
On discute de qui participera à la rencontre.
? On discute de quelle sera la personne qui participera à la rencontre.

Peut-être y a-t-il des lIP sujets, mais le test en quel est est peu probant:

Qui tu fréquentes m'importe peu.
(?? Quelles sont les personnes que tu fréquentes m'importe peu.)
Comment il y est parvenu m'est indifférent.

La possibilité de paraphrases en quel subsiste partiellement:

Quelles personnes tu fréquentes m'importe peu.
?? De quelle manière il y est parvenu m'est indifférent

On conclura de cette première partie:

- qu'il existe bien une originalité syntaxique des lIP (Korzen, 1973,
donne d'autres propriétés), par rapport aux relatives indépendantes
notamment.

- qu'on dispose pour les identifier de moyens syntaxiques (disparité syntaxique entre la principale et la construction du pronom), lexicaux (notamment l'emploi de quel) et de paraphrases (possibilité de la clivée, de quel est dans le même contexte et avec le même sens).

2. La syntaxe des relatives indépendantes

2.1

Maintenant qu'on dispose de critères permettant de les distinguer des lIP,
nous allons pouvoir étudier plus précisément les relatives indépendantes.

On partira de l'analyse très largement admise des relatives à antécédent (Kayne, 1975, Touratier, 1980) qui en fait une expansion phrastique d'un SN, cette expansion comportant une position de complémenteur servant de lieu d'occurrence à un pronom coréférent à l'antécédent, pronom lui-même lié à une position vide dans la phrase:


DIVL588

On admettra également que la conjonction que liée à l'opérateur Temps
(fini) portant sur le verbe de l'enchâssée puisse se substituer au pronom dans
certains cas, comme l'a proposé entre autres Kayne (1975).

Les relatives indépendantes ne présentent pas de SN antécédent, ce qui
ne les empêche pas d'occuper diverses fonctions nominales dans la phrase:

Side 19

Qui vivra verra.
Je choisirai qui vous me désignerez.
Parle à qui je parle.
? Intéresse-toi à quoi il s'intéresse.

2.2

A l'exception de qui, les autres constructions faisant intervenir un pronom non circonstanciel sont plutôt contraintes: quoi n'apparaît - et encore - qu'après une préposition; lequel n'est guère usité hors des cas où il est employé anaphoriquement: ?Prenez lequel vous voulez. De ces chapeaux, prenez lequel vous voulez. Comme déterminant, il est archaïque: ??Embrassez laquelle personne vous voudrez. Avec un sens «non humain», on doit employer une construction à antécédent, même si celui-ci est réduit à ce: Ce qui sera sera. Il fait ce qu'il veut (*quoi il veut). Les pronoms circonstanciels diffèrent parfois de ceux des relatives à antécédent; ainsi, quand est remplacé par où lorsqu'il y a antécédent: II agit où il veut, quand il veut, comme il veut. à comparer à: II agit à l'endroit où il veut, au moment où il veut, de la manière qu'il veut... Les formes non circonstancielles (donc essentiellement qui) subissent des contraintes syntaxiques: il n'y a pas d'alternance fonctionnelle entre qui et que: Je choisirai qui entrera le premier. Je choisirai qui tu désigneras. La libido au féminin prend forme de pulsions d'attraction passives et ardentes (...), ce qui ne signifie pas l'inactivité, mais faire en sorte de séduire qui on aime. {Journal des Psychologues, 58, juin 88, p. 9) II est facile de montrer que qui sujet est toujours «humain»: •Qui est arrivé est regrettable. (vs.: Ce qui est arrivé est regrettable.)

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à comparer avec qui «humain» dans:

Qui est arrivé le premier a droit à une récompense.

On en déduit donc, après d'autres, que les relatives indépendantes n'utilisent
pas le mécanisme d'alternance entre pronom et conjonction : le pronom
est toujours présent.

2.3

L'autre particularité majeure est la nécessité d'une symétrie absolue entre la
construction de la phrase matrice et celle de la relative lorsqu'il y a préposition:

Je m'occupe de qui tu parlais hier soir.
* Je m'occupe de qui tu faisais allusion.
Je parlerai à qui tu as fait allusion tout à l'heure.
* Je parlerai à qui tu te souviens.

Les seules constructions mixtes possibles sont celles où il y a préposition
dans la phrase matrice, et construction directe dans la relative:

Je parle à qui veut bien m'entendre.
T'es-tu occupé de qui est venu hier soir?

Avec la fonction c.0.d., c'est plus difficile: Sandfeld, (1977, 85,91), donne
des exemples:

Aime donc sans chercher la vérité de qui tu aimes.
Parler de qui on quitte à qui vient est une faiblesse.

Il semble qu'on puisse dire:

Adresse-toi à qui tu vois là-bas, il te renseignera.

A l'inverse, les constructions directes dans la phrase matrice, et prépositionnelles
en subordonnée, sont nettement inacceptables en français moderne

*Paul aime de qui on a parlé tout à l'heure.
'Embrassez à qui Paul a parlé.

Naturellement, les constructions à pronom «non humain», faisant intervenir
ce, ne présentent aucune restriction: ce sont des relatives à antécédent,
qui comportent le cas échéant les deux prépositions requises:

Je choisirai ce à quoi tu t'intéresses.
Je me souviens de ce à quoi tu faisais allusion.

Side 21

2.4

Des analyses syntaxiques différentes se présentent: l'analyse traditionnelle parle de relatives sans antécédent: le pronom est donc complémenteur. Bresnan et Grimshaw (1978) proposent pour l'anglais de placer le pronom dans la position de l'antécédent, ce pronom étant suivi d'un complémenteur vide. Touratier (1980) montre, sur des langues à cas, que les deux analyses sont pertinentes, selon les langues; les données ne permettent pas toujours de trancher: certains exemples en grec ancien montrent que le relatif peut s'accorder en cas avec la préposition du verbe principal plutôt que selon le cas dicté par le verbe de la relative (Touratier, 137-138), mais l'inverse se constate également. Sa discussion le conduit cependant à douter de la valeur d'argument du cas du pronom: il cite des exemples où l'antécédent lui-même, dans de vraies relatives, est au cas du pronom, dicté par le verbe enchâssé. Il en conclut (p. 238) que l'accord en cas doit parfois être jugé comme étant sans valeur fonctionnelle.

Pour le français, Hirschbühler (1980) donne des arguments qui permettent
d'exclure la solution du pronom en position d'antécédent. Parmi ceux-ci,
l'inexistence en français d'un complémenteur vide après un antécédent:

•J'ai rencontré l'homme tu connais.

et de fait la possibilité d'avoir un pronom interrogatif comme antécédent,
suivi d'un complémenteur ou d'un pronom. Par exemple, le dialogue suivant:

- J'ai vu X... (inaudible) que tu as déjà rencontré.
- Tu as yuqui que j'ai déjà rencontré?

Cette réponse est différente de:

Tu as vu qui j'ai déjà rencontré.

qui ne peut avoir de sens interrogatii, et ne laisse pas la possibilité d'une
pause entre qui et la suite de la phrase.

Il semble donc que qui hors du complémenteur soit interrogatif, et que les
deux constructions ci-dessus soient sans rapport l'une avec l'autre.

Cependant, lorsqu'il y a préposition, le problème d'analyse n'est pas pour autant réglé. On peut poser comme hypothèse que le pronom relatif n'est pas antécédent, pour aligner la dérivation sur celle des relatives non prépositionnelles. Mais la question se pose de savoir si la préposition doit être rattachée au verbe de la phrase-matrice ou au verbe de l'enchâssée, dans les phrases où les deux verbes contiennent une préposition:

(1) Parle à qui je parle.

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La phrase (1) ci-dessus peut être analysée de deux façons: soit (2):


DIVL667

soit (3):


DIVL671

En (2), la préposition est celle du verbe principal; en (3), la préposition est
celle de l'enchâssée. Dans les deux cas, un mécanisme de supplétion doit
rendre possible l'absence d'une des prépositions .

Il y a cependant une construction qui impose le choix d'une solution unique:
il s'agit de celle où le verbe principal est prépositionnel, alors que le
verbe subordonné a une construction directe du pronom:

(4) Parle à qui vient d'entrer.

Dans ce cas, la préposition doit dépendre de parle, le pronom sujet étant
dans le complémenteur:


DIVL681

La possibilité de (4) suggérerait à première vue qu'on doive trancher en faveur de la solution (2) plutôt que (3). Pourtant, l'effacement d'une préposition (dans les phrases comme (1)) n'est pas entièrement satisfaisant. Hirschbiihler (1980) montre que cette analyse complique l'analyse de l'occurrence de quoi dans ces constructions: à côté de:

(5) Je me suis assis sur quoi tu t'es assis.

on observe Pinacceptabilité de:

(6) *Je me suis assis sur quoi tu as acheté.

(exemples de Hirschbühler, p. 120). Contrairement à qui, quoi ne perment
pas la construction prépositionnelle en principale et directe en subordonnée.
On peut comparer (6) à (7):

(7) Parle-moi de qui tu as rencontré.

L'explication de Pinacceptabilité de (6) peut tenir à la nécessité d'avoir une préposition dans le complémenteur pour que l'occurrence de quoi soit possible. Cela rend plus difficile l'application de la solution (2) pour (5). La différence entre (5) et (6) serait alors simplement qu'en (5), la préposition du complémenteur a été effacée, alors qu'il n'y en ajamáis eu en (6). On peut évidemment sauver la solution (2) en faisant intervenir cette différence de dérivation dans la contrainte, mais il faut bien admettre que la solution (3) est alors plus simple: avec (3), (5) comporte la préposition dans le complémenteur, alors qu'en (6), la préposition est extérieure.

Side 23

2.5

Nous allons par conséquent examiner une solution du type de (3), très
proche de celle de Hirschbühler (1980)6. Nous verrons ensuite que cette solution
permet d'expliquer une autre contrainte sur les relatifs.

La relative standard est une expansion d'un constituant nominal:


DIVL706

On peut admettre que P' (la phrase précédée de la position de complémenteur) doive se plier aux règles de sous-catégorisation des SN: or, cette configuration rend possibles soit des SP, soit des adjectifs, mais jamais des SN; le schéma ci-dessous:


DIVL710

est exclu .

Supposons encore que P' soit de la catégorie du ou des termes qui figurent dans le complémenteur: cela revient simplement à supposer que P' soit une projection de sa tête. Ces deux hypothèses conduiront à interdire que le complémenteur d'une relative à antécédent soit un SN . Cela n'a rien d'extraordinaire si on admet que qui ou que ne sont pas des pronoms (SN) mais des variantes de la conjonction dans les relatives à construction directe, au contraire de lequel:

L'homme qui est arrivé...
* L'homme lequel est arrivé.

On remarquera aussi l'impossibilité en français de constructions comme:

* L'homme la femme de qui tu connais...

alors que les constructions à préposition contiennent des SN déplacés dans
le complémenteur:

L'homme à la femme de qui j'ai donné un livre...

La conjonction dans le complémenteur comme les éléments non nominaux
(où, par exemple) ne présentent pas de telles restrictions dans la
construction des relatives.

On va donc poser le principe suivant:

- Le constituant P' équivaut du point de vue syntagmatique à la catégorie
du syntagme placé dans la première position du complémenteur
(celle des mots interrogatifs-relatifs, devant la conjonction).

Side 24

Par conséquent, si la position d'accueil du complémenteur est vide, P'
n'est pas interprété en termes de catégorie nominale ou prépositionnelle.

Ce principe permet d'expliquer immédiatement l'interdiction des
constructions à pronom SN dans le cas des relatives avec antécédent. On va
voir qu'il éclaire la structure des relatives indépendantes.

Dans le cas où la construction est non prépositionnelle, le P' peut être catégorisé SN puisqu'il n'y a pas d'antécédent; il doit l'être par ailleurs pour que soit respectée la contrainte de catégorisation du complément du verbe: d'où:

Suis qui je te désignerai.

et non

•Suis queje te désignerai.

soit, en négligeant dans la notation ce qui ne nous intéresse pas ici:


DIVL746

Les constructions à préposition dans la phrase matrice ne posent aucun
problème particulier:

Parle à qui entre.


DIVL752

Lorsqu'il y a une préposition dans l'enchâssée, on aura par conséquent un
nœudPVSP:

Parle à qui je parle.


DIVL758

Du même coup s'expliquera l'impossibilité de relatives indépendantes à
construction prépositionnelle dépendant de la seule subordonnée:

'Embrassez à qui Paul a parlé.

En effet, le P' sera alors l'équivalent d'un SP, par projection de la catégorie
en tête du complémenteur, ce qui est incompatible avec la catégorisation du
complément exigée par le verbe principal.

Enfin, lorsqu'il y a antécédent nominal, le pronom sera exclu pour éviter
d'avoir un P' équivalant à un SN:

*Suis l'homme qui je te désignerai.

Si que n'est pas un pronom (ni non plus le qui sujet non restreint), on a par
contre sans problèmes:

Side 25

DIVL776

3. Les propriétés des IIP: Hypothèses et discussion

3.1

Rappelons ici brièvement les propriétés distinctives des lIP vues en 1: la pronominalisation de I'HP complément direct se fait toujours par le moyen du neutre le\ le terme introducteur est parfois spécifique (notamment quel attribut); une préposition dans le complémenteur est compatible avec un verbe transitif direct; il existe enfin des cas d'ambiguïté entre les lIP et les relatives indépendantes:

Parmi ces propriétés, la troisième pose problème quant à la solution adoptée
ci-dessus pour les relatives indépendantes:

Je sais à qui tu as parlé hier.
*Je connais à qui tu as parlé hier.

Conformément à notre analyse, la relative indépendante introduite par à est incompatible avec la catégorisation du complément de connaître. Il reste donc à expliquer la possibilité d'un tel complément avec savoir et les autres verbes à lIP. On comprend en outre que cette propriété est liée à la pronominalisation du complément en le neutre, indépendamment de la nature de la tête de I'HP.

3.2

Une analyse fréquente des lIP en fait, comme les interrogatives indirectes en si, une variété de complétives. Cette solution permet évidemment de distinguer I'HP de la relative indépendante si on voit en cette dernière une adjonction phrastique à un antécédent nominal vide. Cette solution a été reprise par H. Huot (1981) et récemment par A. Delaveau (1987): I'HP dominée par P' (ou S'dans la notation de Huot et Delaveau) se distingue de la relative indépendante dominée par SN (ou N", idem).

Cette solution est évidemment incompatible avec notre analyse des relativesindépendantes:
nous en faisons des P' qui prennent la catégorie de leur
tête pronominale. Puisqu'il y a des pronoms interrogatifs dans les IIP, on ne

Side 26

voit pas pourquoi cette projection de la catégorie du terme wh- du complémenteurdans
P' serait bloquée.

La solution complétive a d'autres inconvénients, quelle que soit l'analyse des relatives indépendantes. Ainsi, elle n'explique en rien pourquoi il y a un pronom wh- dans le complémenteur, donc dans une position non canonique. Cette position peut s'expliquer, pour les relatives, par la nécessité de créer un lien de coréférence entre un terme de la principale et un terme de la subordonnée. Dans le cas des relatives indépendantes, il y a aussi mise en facteur commun d'un terme wh- qui joue un rôle d'actant dans deux propositions. Rien de tel dans l'analyse complétive des interrogatives indirectes: on en est réduit à l'artifice piteux du trait ±Q, dont la valeur explicative est bien proche de zéro .

Il est vrai que les questions partielles directes ne présentent pas d'antécédent. Il est même possible d'y trouver en leur position actantielle normale les mots wh-, ce qui constitue évidemment un argument pour la solution complétive: si la question partielle directe est une phrase, la question indirecte partielle sera une phrase enchâssée, sur le modèle des complétives.

Cet argument n'est cependant pas décisif. Contrairement aux apparences, il y a tout lieu de penser que la source des questions partielles directes comporte un terme wh- dans le complémenteur, et non dans sa position actantielle. Si on admet que la structure d'opérateurs reflète les rapports de portée entre les opérateurs, il est facile de voir que le mot wh- doit avoir une portée dominante par rapport au verbe et à ce qui environne celui-ci. Ainsi, dans la phrase:

Vous n'êtes pas venu quand?

l'adverbe quand doit avoir une portée dominante par rapport à la négation:

C'est quand que vous n'êtes pas venu?

et ne peut jamais signifier:

* Ce n'est pas quand que vous êtes venu?

On peut montrer de même que dans:

Vous n'avez pas parlé à qui?

Pactant à qui n'appartient pas au même niveau de prédication que le verbe
auquel il est rattaché, la signification d'une telle question étant invariablement:

C'est à qui que vous n'avez pas parlé?

Side 27

avec une négation nécessairement enchâssée. Ainsi, la présence de Pinterrogatif dans la phrase elle-même semble plutôt interprétable comme une restructuration où l'opérateur vient occuper la position d'une variable: à partir de:

C'est quand: x (ce n'est pas (que vous êtes venu en x))

l'opérateur quand vient occuper la position enchâssée x. Sur la base d'une telle analyse, il est beaucoup moins évident qu'on puisse parler à coup sûr de phrase indépendante pour l'interrogation partielle: il semble plausible qu'on ait affaire à une structure de subordonnée, dont la non-autonomie signifierait qu'il ne s'agit pas d'une assertion, jouant ainsi un rôle dans son interprétation en terme de performativité - de même que la présence de que et du subjonctif interdit l'interprétation assertive dans des énoncés comme:

Qu'il vienne!
Moi, que je fasse cela!

3.3

II n'y a guère d'hypothèse concurrente élaborée qui s'oppose valablement à l'hypothèse complétive. A ma connaissance, il n'y a que des suggestions qui proposent de faire des questions partielles des compléments nominaux. Ainsi, Damourette et Pichón proposent de distinguer parmi les termes nominaux (y compris les subordonnées) deux catégories de compléments, distinguées dans leur vocabulaire par les termes d'appétition: «Pappétition integrative» construit comme complément un terme doté de l'intégralité de son sens et de sa référence (ce sera par exemple le cas pour les complétives), alors que «Pappétition percontative» (utilisé pour construire les questions indirectes partielles) n'utilise qu'une partie du sens et de la référence: ce qui est nécessaire à identifier.

Cette analyse informelle est citée par Bonnard (1961) pour distinguer les
relatives indépendantes des lIP. Il oppose ainsi les qui des phrases suivantes:

Devine qui t'aime.
Epouse qui t'aime.

Avec épouse, qui réfère à une personne, alors qu'avec devine, qui réfère à l'identité de la personne. Bonnard en déduit que la question partielle équivaut à un groupe nominal dont le premier terme serait lié à l'identification. Il met ainsi en rapport:

Quand êtes-vous né?

Side 28

et la question nominale:

L'année de votre naissance?

Le même type d'analyse est suggéré par Berrendonner (1981) qui pose
comme équivalentes les phrases suivantes:

Je demande qui est ce type.
Je demande l'identité de ce type.

Ces suggestions restent cependant fort vagues. Examinées de plus près, elles font surgir des difficultés. Ainsi, il n'est pas possible d'utiliser des noms classifîeurs comme le lieu, le moment, car ils ne sont pas totalement exempts de l'ambiguïté signalée ci-dessus: par exemple, le lieu de naissance peut avoir un sens concret dans un contexte approprié:

Napoléon lui demanda le lieu de sa naissance comme condition d'un armistice.

diffère de I'HP dans:

Napoléon lui demanda où il était né comme condition d'un armistice.

(le sens concret serait celui de la relative indépendante homonyme). De
même, dire à quelqu'un (par exemple un psychiatre à son client):

Tâchez d'oublier le moment de votre naissance!

ce n'est pas la même chose que de dire:

Tâchez d'oublier quand vous êtes né!

(phrase peut-être ambiguë d'ailleurs, si on peut y lire aussi une relative indépendante,
en plus de I'HP).

Le mot l'identité conviendrait mieux, mais il s'applique mal à autre chose
qu'à des individus. Surtout, le nom et l'identité conviennent dans certains des
contextes où I'HP est impossible:

Donnez-moi le nom de votre père.
'Donnez-moi qui est votre père.
Le ganster a emprunté l'identité de l'homme dont il avait trouvé le portefeuille.
*Le gangster a emprunté de quel homme il avait trouvé le portefeuille.

(cette dernière phrase, quoiqu'inacceptable, serait de plus interprétée avec
un sens tout différent):

Je connais (votre identité + *qui vous êtes).

En revanche, ces termes sont moins inacceptables que des noms concrets
avec les verbes à IIP:

Side 29

Je sais le nom de cet arbre.
*Je me demande l'identité de ce garçon.

sont à comparer avec

?• Je sais la personne qui est venue hier soir.
*Je me demande la chose que vous tenez.

D'autres noms, curieusement, sont acceptables à condition que leur sens
soit compatible avec une interprétation presque quantitative, l'évaluation
d'un degré - ce qui est encore une forme d'identification: qu'on compare:

??Je lui ai demandé la place de cette statue.
Je lui ai demandé la place que ce livre occupe dans son œuvre.

Il s'agit toujours de phrases paraphrasables par quel N:

On sait l'importance que ce thème a pour lui. On sait quelle importance ce thème a pour lui. On sait l'intérêt qu'il porte à ce problème. On sait quel intérêt il porte à ce problème.

3.4

On pourrait penser que l'examen des verbes prenant comme complément une lIP permettra de trancher. Les verbes commandant une interrogative indirecte ont été examinés entre autres par Wimmer (1983), mais il s'agit de ceux qui sont complétés par une question totale. Selon Wimmer, à côté des verbes de «connaissance», tous les verbes qui peuvent signifier «le savoir au sujet de la valeur de vérité de leur complément» peuvent régir une question indirecte en si. L'article de J. Kelemen (1977) insiste d'une part sur les différences qui existent entre le français et une langue comme le hongrois, à partir d'une même base sémantique de la question indirecte, d'autre part sur les différences entre I'HP et l'interrogation indirecte totale. Certaines des différences observées pourraient être justifiées par des contraintes syntaxiques probablement indépendantes de notre problème: par exemple, on peut dire (Kelemen, p. 148):

Je m'informe de quelle personne il s'agit.

mais pas, à ce qu'il semble:

?*Je m'informe si Jean est venu.

dont la relative inacceptabilité semble due à l'absence de construction prépositionnelle
avec si; de même:

Side 30

?A la demande de quand il partirait, il haussait les épaules.

n'a pas de correspondant avec si.

Keleman signale aussi qu'il est plus difficile d'employer la question en si
avec des verbes analogiques de verbes de connaissance comme voir, raconter,
avouer, écrire. Il donne l'exemple suivant:

•Je voyais si c'était fini.

qu'on peut comparer par exemple avec:

Je voyais de quelle façon il s'y prenait.

Il y a des oppositions plus tranchées. Ainsi, ni admirer, ni apprécier ne permettent
une question en si; pourtant on peut dire:

J'admire de quelle façon tu lui as rivé son clou.
J'admire quelles sont les personnes que tu invites à ces soirées.
J'ai apprécié avec quelle délicatesse tu as annoncé la nouvelle à Léa.

alors qu'on ne dira jamais :

* J'admire si tu invites Paul à tes soirées.

Avec dépeindre, je ne vois guère de possibilité d'une interrogative en si, et
pas plus avec évoquer ; ils sont tout à fait naturels avec une IIP:

Paul nous a dépeint quels seraient les avantages de la solution qu'il propose.
Luc a évoqué comment il comptait résoudre le problème.

Idem avec notifier.

Il nous a été notifié quelles étaient les décisions prises à notre encontre.
?*II nous a notifié si nous avions à partir.

On trouve aussi des lIP avec voilà, qui exclut totalement si:

Voilà quelles ont été les propositions de la direction.

Dans presque tous les cas signalés jusqu'ici, les verbes compatibles avec
PIIP sont susceptibles d'avoir pour complément une complétive en que:

II nous a notifié que nous avions à partir.

Cette correspondance se retrouve pour les complétives sujets et les IIP:

Qui tu invites m'importe peu.
Que tu invites Pierre ou Paul m'importe peu.
*Si tu invites Pierre ou Paul m'importe peu.

Side 31

II semble donc qu'on pourrait sauver la solution complétive en posant que PIIP se construit soit avec des verbes à complétive en si, soit avec des verbes à complétive en que . Cependant, un rapide retour en arrière (sur évoquer par exemple) montre qu'il y a des difficultés à trouver toujours une complétive

?*Luc a évoqué qu'il comptait résoudre le problème de la manière suivante.

Avec dépeindre:

?*Luc nous a dépeint que les avantages de cette solution seraient grands.

On trouve d'autres verbes dans ce cas, sans complétive possible à ce qu'il
semble ,et susceptibles d'être complétés par une IIP:

Marie a dessiné sur un coin de la nappe quelle forme aurait son futur living.

De même, on peut dire:

Nommez quels sont les enfants qui ont été vaccinés.
?Numérotez quelles pages vous souhaitez voir reproduire.
?Pointez quels sont les ouvriers qui manquent.

Bien que choisir permette une interrogative en si, son utilisation dans la
phrase suivante relève plutôt d'une interprétation nominale du complément:

Choisis quels sont les bijoux que tu préfères dans ce lot.

(choisis-les plutôt que choisis-le).

Au total, la construction à lIP déborde largement du domaine des complétives en sit et même (un peu) du domaine des complétives en que. A l'inverse, il n'y a guère de cas, à ce qu'il semble, où un verbe se construirait avec si sans permettre d'HP. Peut-être est-ce le cas d'hésiter.

J'hésite si je dois avertir la famille ou non.
*J'hésite qui je dois avertir.

mais il pourrait s'agir d'un problème de complémentation:

J'hésite sur ce que je dois faire.

cet emploi de hésiter nécessitant une préposition (sur) qui bloque l'acceptabilité
des IIP:

'J'hésite sur qui je dois avertir.

Nous avons essayé de tester l'extension des lIP hors du domaine de la
construction en si: elle est relativement limitée, puisqu'on ne l'a jamais avec
les verbes à complétives sur le modèle de croire:

Side 32

*Je crois quelle personne est venue.
•Je suppose à quelle personne vous avez parlé.

mais, avec ce dernier verbe:

Laissez-moi supposer à quelle personne vous avez parlé.

A côté de supposer, le verbe sémantiquement proche imaginer ne présente
pas de restrictions:

J'imagine à quelle personne vous avez parlé.

Un verbe tel que comprendre, qui ne suppose aucune question, admet aussi
I'HP:

Je comprends quelle a été ta surprise.

Du côté des verbes sans complétive, la possibilité signalée ci-dessus d'une
lIP reste l'exception:

*Lave quels sont les enfants qui sont sales.
'Attrapez quels sont les meneurs de la manifestation.

Il faut que le verbe soit précisément lié à l'identification (nommer, pointer,
numéroter, comme on l'a vu):

Marquez quels sont ceux qui manquent.
Désignez quels sont les meneurs.

et que l'objet ne soit pas l'élément nominal concret:

Marquez quelles personnes se sont absentées sans raison.

conviendra si marquer est employé comme écrire, noter, mais pas dans la
phrase à objet concret:

'Marquez quelles personnes se sont absentées sans raison d'une croix rouge sur le
dos.

Par cela, ces extensions hors du domaine des complétives se rattachent probablement
à un verbe comme dire, à quoi est substitué un verbe «concret» de
désignation.

Au total, les extensions hors du domaine de la construction en si sont limitées. Elles semblent exiger que le verbe à complétive ait une double construction complétive et nominale du complément. Quant aux verbes à complément nominal, ils doivent être interprétés comme des extensions de verbes à complétive en si rendues possibles par la nature nominale du complémen t15.

Side 33

La notion d'identification est nettement plus pertinente que la notion d'interrogation habituellement utilisée. C'est bien d'identification qu'il s'agit déjà dans le cas des compléments en si P, le choix étant alors entre deux valeurs de vérité. C'est évident aussi dans la Uste des verbes à compléments nominaux où PIIP est possible. Lorsqu'on a affaire à des verbes où I'HP alterne avec une complétive en que, il y a en général un rapport plus ou moins direct avec l'identification (c'est le cas avec imaginer, écrire, le presentata0 voilà). Ce n'est cependant pas le cas avec des verbes comme apprécier, admirer, aimer, comprendre qui sont plutôt des commentaires où le processus d'identification est présupposé plutôt que posé.

Notons cependant que ces verbes sont à la fois des verbes à objet abstrait
(cela, complétives) et à objet concret, et que de plus ils peuvent avoir pour
objet des propriétés d'un nom:

J'apprécie quels sont tes invités.
J'apprécie que tes invités soient tels ou tels.
J'apprécie (l'humour + la beauté + les qualités) de tes invités.

4. Une hypothèse de dérivation des IIP attributives

4.1

Nous allons d'abord examiner les dérivations des interrogatives sans équivalent relatif. Toute expression interrogative wh- est paraphrasable par une expression en quel (par exemple: comment - « de quelle manière) ou en quel est {quelle est la manière). On peut voir en quel l'opérateur par excellence de l'identification, et dans les phrases en quel est les structures syntagmatiques les plus proches de la structure d'opérateur la plus «lisible» sémantiquement des lIP.

Ainsi, avant de parler de:

Je sais qui tu as vu.

ou même de:

Je sais quelle personne tu as vue.

nous examinerons les phrases du type:

Je sais quelle est la personne que tu as vue.

Side 34

Ces phrases (qui sont, rappelons-le, des paraphrases possibles de toute IIP)
dissocient nettement la prédication posée: N est quel de la présupposition (tu
as vu quelqu'un).

Le sens de cette prédication est, comme on l'a vu, de questionner sur l'identité du nom présupposé. On peut voir en quel une variable sur le domaine pragmatiquement déterminé des réponses identificatoires: l'équivalent whd'une prédication indéfinie tel ou tel, qui reste la valeur de quel dans les concessives:

Quelles que soient ses qualités, il ne m'inspire pas confiance.
= Que ses qualités soient telles ou telles,... il ne m'inspire pas confiance.

Ainsi, le choix de quel en structure d'opérateurs peut-il alterner avec celui
d'une disjonction sans mot wh-, qui aboutirait en surface à une question totale:

Je sais si la personne que tu as vue est (une) telle ou (une) telle.

Il faut bien noter qu'en français moderne, quel n'exprime pas seulement un argument indéterminé (tel ou tel) mais aussi, même lié à un nom, une prédication posée (et non présupposée) quel est N. Sinon, quel serait plausible dans les relatives indépendantes où le pronom est indéterminé. C'était d'ailleurs le cas encore en français classique:

Allez, allez, vous pourrez avoir avec eux quel mal il vous plaira. (Molière, L'Avare)

Ici, la relation entre quel et mal exclut une prédication non présupposée
(*quel est le mal qu'il vous plaira d'avoir). Quel ne subsiste, en français moderne,
qu'avec cette possibilité:

Quelle personne est venue?
= Quelle est la personne qui est venue.

donc avec une structure d'opérateurs où quel est attribut du nom qui le suit. Ce qui nous amène à considérer que la question partielle ci-dessus, en quel, est en réalité une phrase complexe en structure d'opérateurs: le groupe nominal quelle personne est la réduction de la structure attributive paraphrasant la phrase simple ci-dessus.

On peut dès lors envisager d'étendre cette analyse aux autres interrogatives
partielles. Ainsi:

Qui est venu?

n'a rien à voir avec une relative qui serait (lapersonne) qui est venue. A partir
de:

Quelle est la personne qui est venue?

Side 35

on pourra imaginer une structure syntagmatique réduite, où quel est remplacé
par le pronom «humain» qui:

Qui est la personne qui est venue?

donnant l'interrogative simple.

4.2

La présence d'un terme comme quel dans le complémenteur, sans attribut
possible, a des conséquences syntaxiques et sémantiques.

Du point de vue de la syntaxe, quel doit satisfaire aux contraintes de souscatégorisation des verbes de la principale et de la subordonnée. Dans cette dernière, quel est évidemment un attribut, la principale requiert un complément direct neutre: cela ne pose aucun problème d'incompatibilité syntaxique, la catégorie nominale et la fonction d'attribut étant compatibles.

Du point de vue des relations de coréférence, cela conduit à voir en quel (comme pour tout terme wh- dans le complémenteur d'une subordonnée) le terme-pivot des relations entre phrases, argument à la fois du verbe principal et du verbe de la subordonnée. Cet argument est évidemment la variable liée à la détermination du sujet de être, dans la subordonnée: identité, propriété, degré, etc. Cela exclut tout antécédent nominal déterminé dans la principale. Le seul antécédent possible serait un élément nominal suffisamment abstrait, représentant sous forme pronominale, comme dans la subordonnée, un élément de connaissance indéterminé d'un syntagme nominal. De fait, il en existe un, utilisé dans ces contextes, mais différencié par l'interprétation de quel: ce, qui admet une relative attributive introduite comme il se doit par que (puisque ce est nominal, et selon les règles vues en 2):

Je sais ce qu'est la personne qui est venue.

où ce (suivi de que) sera utilisé pour qualifier plutôt que pour identifier.

Nous supposerons donc que la relation syntaxique ainsi établie fonctionne
sur le modèle des relatives, avec un élément nominal coréférent dans les
deux propositions.

Alternativement, il faudrait supposer pour les lIP une structure de complétive, avec un complémenteur contenant obligatoirement un terme wh-, sans justification de choix d'un tel terme ni de sa position (et nous ne pensons pas qu'une explication par le «topic» soit suffisante ici). Au lieu que, dans l'analyse proposée, nous ne supposons aucune différence dans le mécanisme de la subordination en tant que tel. Il faudrait, de toutes façons, expliquer la possibilité d'HP attributives en ce que, où l'on a tout lieu de voir en ce un antécédent .

Side 36

Résumons ici sous forme d'hypothèses la dérivation des lIP attributives:

1. Les verbes à lIP sont des verbes ayant une position actantielle qui
peut être occupée par un élément nominal indéterminé, susceptible
de signifer l'identité d'un autre terme.

2. La subordonnée est une proposition du type: SN est X, où l'attribut X devra être un terme wh- pour permettre la subordination relative (soit: quel, ou quoi, ou qui, selon la nature du SN sujet, et le type de détermination enjeu).

3. La dérivation syntagmatique produit une lIP sur le modèle des relatives, avec maintien du terme wh- {qui ou quel, quoi étant exclu ici) et sans l'antécédent ce (selon les règles vues en 2) alternativement - et selon la nuance de sens à produire - avec ce et effacement du terme wh- au profit de la conjonction que. On produira ainsi:

Dis-moi quelle est la chose qui est inscrite sur cette boîte.
Dis-moi ce qu'est la chose qui est inscrite sur cette boîte.
Je sais qui est la personne qui vient d'entrer.
Je sais ce qu'est la personne qui vient d'entrer.

4.3

La pronominalisation en le neutre de I'HP attributive peut surprendre, puisque
quel s'accorde avec le sujet:

Sais-tu quelle est la personne qui a sonné?
- Je le sais, vs *Je la sais.

On peut admettre que l'accord entre le pronom et le nom soit possible même dans le cas des relatives indépendantes. Il faudrait, de plus, supposer que cet accord se transmette de l'attribut au pronom, ce qui ne se fait pas en français:

Marie est une belle fille et le sera encore dans dix ans.

On peut ainsi estimer que l'absence d'accord du pronom ne signifie pas nécessairement qu'on ait affaire à une complétive: la neutralité du le pourrait être due, dans nos constructions, à la même raison qui élimine les antécédents, à l'exception du ce, neutre également.

Autre objection possible: quel n'est pas toujours possible dans les
constructions attributives. Ainsi, on ne peut dire:

'Tu deviendras quel était ton père.

Side 37

Cependant, ce que reste possible:

Tu deviendras ce qu'était ton père.

peut-être parce que l'attribut vise plus à qualifier qu'à identifier dans un tel contexte. Il se peut aussi que quel ne puisse être également attribut dans le principal (à comparer avec tel qu'était ton père). Au demeurant, d'autres limitations sont constatées avec quel: réservé à l'identification, comme on l'a vu, il ne peut être employé avec un autre verbe qu'être (en subordonnée):

*Je ne sais quelle deviendra ta princesse après cette métamorphose.

à comparer avec des emplois anciens:

Quelle je devins, le voyant mort, jugez-le, belles bergères. (H. d'Urfé, L'Astrée)

5. La dérivation des lIP non attributives

5.1

Le problème syntaxique posé par les lIP non attributives demeure entier - à
savoir, l'indifférence du verbe principal à la nature syntaxique du terme whdans
la subordonnée:

Je me demande à quoi Paul pense, pour qui il travaille, où il va.

Cependant, les hypothèses faites en 4 nous permettent de relier ces phrases
aux lIP attributives qui les paraphrasent:


DIVL1161

Ces paraphrases sont exclues, comme on Ta vu, pour les relatives indépendantes. De plus, on a fait l'hypothèse qu'elles étaient très proches de la structure d'opérateurs des lIP. Or, elles donnent aux compléments des verbes introducteurs une uniformité fonctionnelle. Nous supposerons donc que les propriétés syntaxiques particulières des lIP tiennent à la structure d'opérateurs illustrée par les phrases en quel est.

Side 38

5.2

A partir de cette hypothèse, on peut supposer plusieurs mises en œuvre différentes. La plus simple consisterait à poser que P', dans la structure de surface deslIP, est imperméable à la projection de la catégorie syntaxique du terme wh- dans le complémenteur: ce serait ainsi une façon pour la langue de signaler la structure sous-jacente disparue quel est dans la réduction qui aurait fait de ce complément complexe une phrase simple aux allures de relative.

On passerait ainsi de:


DIVL1174

à:


DIVL1178

en supprimant le constituant P' intermédiaire.

5.3

Nous avons cependant de bonnes raisons de supposer autre chose. En effet, cette analyse reproduirait, à l'intérieur de la subordonnée, une relative - devenue relative sans antécédent (avec les contraintes que cela implique sur l'alternance pronom wh -/conjonction). Cette relative n'aurait aucune raison de présenter des propriétés différentes de celles des relatives indépendantes, à l'exception peut-être du lien syntaxique avec la principale. Or, il existe deux propriétés qui ne reçoivent pas d'explication:

On a vu, après Korzen, que les lIP sont paraphrasables par des clivées:

Je sais à qui est-ce que Paul a parlé.

Ces clivées montrent une dissociation du terme wh- et de la phrase qui normalement
le complète. Une telle dissociation est impossible avec les relatives
indépendantes:

J'ai parlé à qui ('est-ce que) Paul a parlé.

Une autre propriété semble apparentée à celle-ci: seules les lIP autorisent
l'ellipse de la partie phrastique qui suit le complémenteur: soit, à partir de
l'exemple de Bonnard (1961):

Epouse qui t'aime.
Devine qui t'aime.

Side 39

on peut dire:

Quelqu'un t'aime; devine qui?
vs 'Quelqu'un t'aime; épouse qui.

Dans les deux cas, le terme wh- manifeste une autonomie qui n'existe pas dans les relatives. Donc, au lieu de supposer que la structure syntagmatique de la phrase est une réduction de la structure en quel est par suppression du niveau phrastique supérieur, peut-être pouvons-nous penser que c'est le terme wh- du niveau inférieur qui est placé, dans la position de syntagme attributif occupée par quel:


DIVL1207

DIVL1209

Le terme wh- ne serait donc pas dans le même constituant P' que le reste de
la phrase - d'où son autonomie. La structure obtenue ainsi est proche des clivées:
l'enchâssée peut se lire comme une pseudo-clivée:

*(Que) Paul a parlé est à qui?

compte tenu de la position de syntagme attributif occupée par le terme
wh- .La clivée n'en diffère que par la présence d'un pronom sujet ce et la
mise en extraposition concomitante de la phrase sujet:

C'est à qui que Paul a parlé?

ceci permettant le maintien du verbe être, avec ou sans inversion:

Je sais à qui c'est que Paul a parlé.
Je sais à qui est-ce que Paul a parié.

Ce rapprochement renforce notre hypothèse; Korzen (1973) a souligné, comme bien d'autres, la similitude entre les clivées et les lIP. Dans ce dernier cas, l'attribut - et le terme-pivot de la subordination - est le terme à identifier, remplacé par un pronom. Car la clivée sert à identifier un des actants d'une phrase. Cette relation peut soit avoir la forme, sans extraposition, SN est x, analogue aux lIP en quel, soit avoir une forme structurée autrement, où la réponse mise en foyer a les caractéristiques syntaxiques de l'actant - encore comme les lIP. Soit, pour la relation:

La personne à qui Paul a parlé est Max.

on a les formes suivantes:

Cest à Max que Paul a parlé.
C'est Max à qui Paul a parlé.20

Side 40

Dans la clivée (sous sa forme usuelle), l'attribut de c'est comporte le nom
avec sa préposition, alors que le complémenteur ne contient pas de pronom.

On ne va pas discuter ici de la dérivation des clivées. On admettra pour les interrogations partielles, et sur le même modèle, une restructuration de la relation attributive, dans la subordonnée, qui réalise un transfert de fonction dans l'attribut:


DIVL1235

DIVL1237

Dans une lIP, la structure attributive suivante:


DIVL1241

produirait ainsi une structure (non clivée) inacceptable telle quelle:


DIVL1245

aboutissant par réduction (du verbe est et de la conjonction) à I'HP non attributive:


DIVL1249

Cette restructuration pourrait ainsi placer dans le complémenteur, et sous l'étiquette de Syntagme Attributif, n'importe quel terme wh-, sans rôle fonctionnel par rapport au verbe principal. Il ne s'agit pas d'un artifice formel: malgré sa forme de syntagme prépositionnel, et du fait de cette analogie de dérivation avec les clivées, le terme ci-dessus: à quelle chose, ou à quoi, ne serait plus vraiment le complément indirect de pense \ mais l'attribut d'un verbe être sous-jacent qui explique ses propriétés syntaxiques , mais aussi sa signification par rapport à la prédication, qui consiste à identifier ou qualifier un argument par rapport à une proposition présupposée.

Dans cette hypothèse, le second nœud P' ne présente plus ni conjonction, ni terme wh-. Subsiste-t-il d'ailleurs? Il se peut qu'au niveau syntagmatique, on puisse argumenter pour une opération de «tree-pruning». Cependant, ce second nœud P' pourrait expliquer le maintien de que dans les lIP dans un registre populaire, sans supposer ici un complémenteur doublement rempli (cf. Kayne, 1975)2*:

II se demande à quoi que tu penses.
Tu as dit où que tu vas à ta mère?

5.4

Side 41

Bien évidemment, cette analyse permet de donner une forme précise aux intuitions de Damourette et Pichón, reprises par Bonnard: Partant du verbe principal n'est pas le nom (personne, chose) susceptible d'être posé comme antécédent au relatif, mais un pronom attribut représentant une variable soit sur les identités, soit sur les qualités des individus, non les individus euxmêmes.

Certains verbes ont les deux constructions. C'est le cas dì ignorer, son complément
est soit l'individu soit son identité:


DIVL1266

Ignorer quelqu'un, c'est se comporter comme s'il n'était pas là: cela vaut aussi,
bien entendu, pour la relative indépendante. Si c'est une lIP, il s'agit de ne
pas connaître une identité: quelle est la personne qui vient d'entrer.

Cela dit, les phénomènes d'ellipse peuvent fort bien éliminer cette structure si particulière de I'HP, au profit d'une vraie relative, qui peut garder cependant le sens de I'HP. C'est ce qui explique l'acceptabilité de certaines relatives à antécédent, où ce dernier s'interprète avec une valeur de quantificateur:

J'ignorais l'importance que cet objet avait pour vous.

Ce que le locuteur ignore, c'est le degré ou la qualité d'importance, donc encore
l'identité; le sens est bien sûr celui de:

J'ignorais quelle était l'importance que cet objet avait pour vous.

5.5

II reste à parler des lIP ayant pour antécédent le mystérieux ce neutre qui est l'objet de la discussion d'Eriksson (1982). On a déjà expliqué l'absence de tout autre antécédent par la nature même de la prédication, portant sur l'identité, quel que soit l'objet à identifier. Ainsi, où il va dans:

Je sais où il va.

ne peut être introduit par là, son antécédent naturel:

'Je sais là où il va.

A côté de cela, on constate la présence de ce, obligatoire dans certains
contextes:

Je sais ce qui est arrivé.

Side 42

c'est-à-dire, lorsque le terme wh- est un pronom construit sans préposition,
avec le sens «non humain», de type quoi', sinon, c'est le pronom «humain» qui
qui apparaît:

Je sais qui est arrivé.

Comme Eriksson, on admettra que ce est bien l'antécédent, et qu'on n'a pas
affaire à une sorte de pronom ce que, ce qui: il faut en effet distinguer l'occurrence
obligatoire de ce, de la structure syntaxique.

Dans les constructions directes, ce (suivi des formes sujet et complément
qui et que) alterne avec quoi lorsqu'il y a ellipse du verbe:

II est arrivé quelque chose, mais je ne sais pas quoi.

ou verbe à l'infinitif:

Je me demande quoi faire.

(quoi peut parfois prendre la forme que, à distinguer de la conjonction):

II ne sait que faire.

Avec une préposition, ce est facultatif:

Je sais (ce + E) à quoi tu t'intéresses.

mais exclu devant de (alors, on obtient ce dont, avec peut-être un dont incorporant
la conjonction - cf. Kupferman, 1985):

J'ignore (de quoi + ce dont) il est question.
* J'ignore (ce de quoi + dont) il est question.

Ici aussi, ce est exclu avec une lIP à l'infinitif:

Je sais (*ce + E) à quoi m'occuper.
Luc cherche ce contre quoi il pourrait lutter.
Luc cherche (*ce + E) contre quoi lutter.

Ainsi, ce est lié comme la conjonction que à l'occurrence d'un temps fini. Il
n'est pas surprenant qu'il disparaisse avec le verbe:

II s'intéresse à quelque chose, mais j'ignore (*ce + E) à quoi.

Plus étonnante est son exclusion des phrases elliptiques:

...mais j'ignore à quoi c'est.
vs ...* mais j'ignore ce à quoi c'est.

sauf dans les constructions directes:

Side 43

II est arrivé quelque chose, mais j'ignore (quoi + ce que c'est).

La syntaxe de ce dépasse les limites de cet article: les faits suggèrent que l'antécédent ce dépend fortement de la phrase qui suit, et notamment de la présence ou non d'un temps fini, comme la conjonction. Quoi qu'il en soit, ce n'apparaît en surface qu'en liaison avec un pronom «non humain» présent ou sous-jacent dans la subordonnée. Sa syntaxe, jusque dans le détail de l'alternance pronom/conjonction décrite en 2, est celle des relatives.

Ceci pourrait faire penser à une restructuration différente de celle décrite
ci-dessus: ce serait la tête de la relative enchâssée:


DIVL1341

DIVL1343

II n'en reste pas moins que, sémantiquement, ce doit cumuler les références d'une part à la tête de la relative (un pronom neutre), d'autre part à la tête de la subordonnée attributive sous-jacente, dans laquelle est enchâssée la relative. Cela permettrait de comprendre l'ambiguïté d'une surbordonnée comme: ce que tu tiens, selon le verbe principal:


DIVL1347

Avec dire, la subordonnée doit se comprendre ainsi: ce qu'est ce que tu tiens.

On peut donc répondre à Eriksson (1982) que ces constructions, qui sont effectivement des relatives, renvoient cependant à une structure d'opérateurs plus complexe; que l'antécédent ce n'est maintenu ici que par l'ambiguïté de référence qu'il entretient avec un antécédent possible d'une attributive.

Soit, pour:

Je sais ce à quoi tu penses.

une structure comme:


DIVL1359

En somme, ce peut avoir le contenu notionnel du quel attributif, et d'autre
part s'interpréter comme l'antécédent direct du pronom «non humain» enchâssé,
ce qui aboutit dans la forme réduite à une double indexation:


DIVL1363

Ainsi, le renvoi est-il possible au pronom neutre: je le sais, à quoi tu
penses, et d'autre part au quoi enchâssé: ce à quoi tu penses, comme dans les
relatives. Une telle possibilité est évidemment limitée aux constructions à

Side 44

pronom «non humain», pour lesquelles une relative coïncidence sémantique
est possible entre les deux sens référés.

Notons pour terminer qu'une double coïndexation de ce type ne serait pas
une nouveauté absolue: nous avons observé et décrit un phénomène de ce
type dans les comparatives d'inégalité (cf. Muller, 1983).

Claude Muller

Université de Bordeaux 111



Notes

1. Je tiens à remercier Suzanne Allaire pour ses remarques sur une première version de ce travail, qui a fait l'objet d'un exposé au colloque franco-allemand Rennes-2/Université d'Erlangen-Nürnberg organisé par elle en 1988.

2. Décrit notamment par Kayne (1975). L'exclusion de dont pourrait tenir à ce que dont associerait de àia conjonction, plutôt qu'à un pronom: (Kupferman 1985) Parle-moi (de qui + *dont) tu parlais à Pierre tout à l'heure.

3. Les exemples de Sandfeld (p. 89), à l'infinitif d'ailleurs, ne sont pas probants; à part le premier Ce n'est pas tous les jours qu'on rencontre à qui causer. ils sont figés (avoir de qui tenir) ou plutôt IIP: trouver à qui parler.

4. Plus précisément, au sens d'une question partielle. Naturellement cette phrase peut être à la rigueur une question totale, avec ou sans inversion du clitique sujet: Tu as vu qui j'ai déjà rencontré? As-tu vu qui j'ai déjà rencontré?

5. Cf. Hirschbiihler (1980) mentionnant une analyse antérieure où, lorsque l'antécédent est vide, la seconde préposition est effacée, aboutissant par conséquent à (2); avec notre exemple: Parle [sp à (§N e)] à qui je parle -•> Parle (§p e) à qui je parle.

6. Hirschbûhler (1980) et Hirschbiihler et Rivero (1981) proposent simplement de rendre accessible pour le verbe principal l'information syntaxique contenue dans le complémenteur, cette information syntaxique devant satisfaire aux exigences de sous-catégorisation du verbe principal.

7. Il existe des structures d'apposition, et dans le cas qui nous intéresse, l'alternance: le fait que P et que P. Cette dernière structure n'est peut-être un SN que par l'ellipse de sa «tête». Mais il est possible d'admettre dans ce cas aussi une structure d'apposition: Le fait est que P Or, ce qui distingue les «vraies» relatives des complétives à tête nominale, c'est précisément que l'antécédent doive, dans le cas des relatives, être coréférent à un élément interne à la proposition, ce qui exclut une relation de coréférence du type de celle des appositions: on doit distinguer (Le fait), (que Pierre soit venu.) (Le fait)! (que tu signales [e].) '

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7. Il existe des structures d'apposition, et dans le cas qui nous intéresse, l'alternance: le fait que P et que P. Cette dernière structure n'est peut-être un SN que par l'ellipse de sa «tête». Mais il est possible d'admettre dans ce cas aussi une structure d'apposition: Le fait est que P Or, ce qui distingue les «vraies» relatives des complétives à tête nominale, c'est précisément que l'antécédent doive, dans le cas des relatives, être coréférent à un élément interne à la proposition, ce qui exclut une relation de coréférence du type de celle des appositions: on doit distinguer (Le fait), (que Pierre soit venu.) (Le fait)! (que tu signales [e].) '

8. Autre précision: ceci ne vaut que pour les relatives restrictives. Les appositives semblent permettre un schéma d'apposition, précisément, avec une reprise de l'antécédent par un pronom apposé. On a alors: Pierre, qui attendait dans le couloir, etc. Pierre, lequel (Pierre + E) attendait dans le couloir, etc. avec une alternance possible entre le complémenteur (qui sujet) et un «vrai» SN. Nous n'examinerons pas ce problème ici.

9. Dans l'analyse de Kupferman (1985) les lIP sont rapprochées des interrogatives totales et des relatives indépendantes: toutes ont un trait (+wh) dans le complémenteur, ce qui les distingue des complétives en que (-wh). Cependant, Kupferman n'explique pas pourquoi la tête des relatives indépendantes doit satisfaire à la sous-catégorisation du verbe principal, au contraire des lIP.

10. Avec naissance, la date serait moins susceptible d'avoir un sens concret. Il ne peut cependant être utilisé aussi librement que le moment dans les IIP: II a retrouvé dans sa mémoire (quand + à quel moment + à quelle date) Luc est sorti.

11. La possibilité d'une complétive interrogative indirecte en si est affectée d'un trait négatif pour ces verbes dans la table 12 de M. Gross (1975).

12. Four dépeindre, le trait est négatif, mais positif pour évoquer dans les tables de Gross (1975).

13. Le français invite à opposer subordonnées en si et subordonnées en que. Ce n'est pas toujours le cas: Hirschbiihler et Rivero (1981) montrent qu'en catalan, l'équivalent de que et l'équivalent de si (respectivement, que et si) ne s'opposent pas: que est facultatif avec si (à sa droite) ou avec un terme wh dans la même position. Alors, si s'oppose à un terme wh, non à que: Et pregunto (que) de que es tracta. Je te demande de quoi il est question. Et pregunto (que) si saps la lliço. Je te demande si tu sais la leçon. (op. cit., pp. 593-94)

14. Dessiner ne figure pas dans les tables de Gross (1975).

15. On peut encore imaginer que les mêmes formes dissimulent des structures sous-jacentes différentes, mais il n'y a que la pronominalisation de I'HP (qui semble parfois impossible avec le neutre) qui aille dans ce sens.

16. On peut trouver ce, ou même un antécédent (du type de le fait) devant les complétives, mais il est en relation d'apposition, ce qui est tout différent (cf. note 7).

17. L'exclusion de tout antécédent avec quel pourrait s'expliquer par son appartenance à la catégorie SN. Il semble que quel - étroitement lié à est - soit une forme réduite d'un SN, sur le modèle: Quel N est le N que P -*• Quel est le N que P puis: sur le modèle de que par rapport à quoi: en effet, quel déterminant ne présente aucune contrainte: 'Cet homme est quel? Cet homme est quel homme? donnerait: Quel homme est cet homme? Quel est cet homme? si le second N est maintenu. De même, on a: *Tu as vu que? vs Tu as vu quoi? Qu'as-tu vu? avec une réduction de quoi en que dans le complémenteur.

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17. L'exclusion de tout antécédent avec quel pourrait s'expliquer par son appartenance à la catégorie SN. Il semble que quel - étroitement lié à est - soit une forme réduite d'un SN, sur le modèle: Quel N est le N que P -*• Quel est le N que P puis: sur le modèle de que par rapport à quoi: en effet, quel déterminant ne présente aucune contrainte: 'Cet homme est quel? Cet homme est quel homme? donnerait: Quel homme est cet homme? Quel est cet homme? si le second N est maintenu. De même, on a: *Tu as vu que? vs Tu as vu quoi? Qu'as-tu vu? avec une réduction de quoi en que dans le complémenteur.

18. Le transfert d'un terme wh- d'un complémenteur à un autre supérieur est abondamment utilisé en grammaire generative: cf. Chomsky (1977) p. 85. Les pseudo-clivées ne sont pas acceptables en français.

19. Il est probable qu'il y ait deux est-ce que, selon le maintien ou non d'une interprétation référentielle dans ce. Cf. Obenauer (1981).

20. Sont attestées, les trois formes suivantes: C'est vous à qui je parle. C'est à vous à qui je parle. C'est à vous que je parle. et ce n'est qu'après le 17e siècle que la troisième est devenue la plus usuelle.

21. Pas plus que à Max par rapport àpense dans: C'est à Max que je pense.

22. De façon moins nette que dans les lIP, il est possible de reprendre par un le neutre des attributs de structure interne très diverse: Luc est contre quiconque soutient cette thèse, et il /'est depuis longtemps. Ça sera comme je vous disais, et ça le sera pour longtemps. ?Cette bague sera à qui tu la donneras, et le sera pour toujours.

23. Toutes ces opérations ne peuvent concerner qu'un terme wh-. Dans une phrase comme: Dis-moi qui a fait quoi. il faudrait supposer que quoi est soit engendré dans sa position de surface, soit placé dans sa position actantielle dès lors que l'autre terme wh- se trouve dans le complémenteur. On ne cherchera pas à décrire ces phrases.

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Résumé

Cet article propose une analyse qui soit apte à décrire aussi bien les relatives indépendantes que les interrogatives indirectes partielles. Alors que les relatives indépendantes peuvent être analysées comme des phrases étiquetées selon la catégorie du terme wh- dans le complémenteur, les lIP sont des structures attributives, réduites ou non, dont la tête est fonctionnellement

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un attribut. Cette différence permet de rendre compte des propriétés particulières de chacune des deux constructions, sur la base d'une formation identique par relativation. Ce type de subordination différencie les lIP des complétives, ainsi que des interrogatives indirectes totales dont il est montré qu'elles n'ont pas la même distribution. Les contraintes sémantiques de sélection sur le verbe principal semblent d'ailleurs indiquer que les lIP relèvent non de l'interrogation, mais de la caractérisation d'une identité.

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