Revue Romane, Bind 24 (1989) 1

Glyn S. Burgess: The «Lais» of Marie de France. Text and Contact. Manchester University Press, 1987. xii + 245 p.

Jonna Kjær

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Depuis quelques années Glyn S. Burgess se consacre aux lais de Marie de France. En 1977, il a publié une bibliographie des études critiques sur les Lais {Marie de France: An Analytical Bibliography•, Research Bibliographies and Checklists, no. 21, London, 1977 - avec un supplément en 1986) et plus récemment a paru sa traduction des Lais en anglais, en collaboration avec Keith Busby (The Lais of Marie de France, Penguin Classics, 1986).

The «Lais» of Marie de France. Text and Context réunit dans un seul volume cinq articles de GSB parus auparavant dans différents ouvrages collectifs ou revues («Two Cases oí mesure in the Lais of Marie de France», 1977; «The Problem of Internai Chronology in the Lais of Marie de France», 1981; «A Note on Marie de France's Chevrefoil», 1982; «Chivalry and Prowess in the Lais of Marie de France», 1983; «Social Status in the Lais of Marie de France», 1985). Deux études nouvelles ont été ajoutées, à savoir un chapitre sur Chaitivel, et un chapitre sur «The Vocabulary of Love».

Dans la conclusion du livre, GSB présente une sorte de déclaration de programme que je trouve utile de citer tout de suite: «There can be no better guide than vocabulary to an author's préoccupations, or to the social reality of a period in which a literary work was created» (p. 179). En effet, GSB nous offre de multiples examens minutieux du vocabulaire de Marie de France dans plusieurs domaines, et c'est là son plus grand mérite.

Le premier chapitre du livre, «The Problem of Internai Chronology» (p. 1-34), contient une démonstration de la chronologie interne du corpus des Lais qui me semble plus que problématique, car on distingue mal ici ce qui est preuve de ce qui est supposition, bref, il manque une explication sur la méthode et les critères utilisés.

C'est dans les notes, apparemment, qu'on peut chercher avec succès quelques renseignements explicites, voici lesquels: «My conclusions are based on geographical, thematic and literary considérations» (note 81, p. 199), et: «My tentative view relies on matters such as style and content» (note 82, p. 200). Mais on cherche en vain une théorie esthétique qui puisse servir de fondement aux nombreux jugements catégoriques en faveur de l'ordre de composition des Lais proposé par GSB et qui sont du genre: «..Equitan has ail the signs of an early work: poor structure, stylistic obscurities, an uninspired treatment of a somewhat tedious thème, an unsatisfactory ending» (p. 12), ou: «a rather tedious plot (...), poor motivation (...), and a generally mediocre level of composition» (Chaitivel, p. 15), ou encore: «The quality of the writing seems slightly higher in Le Fresne than in Bisclaveret...» (p. 16). Je termine par un dernier exemple: «From the point of view of the general quality of composition Laüstic has a poetic intensity lacking in the early stages of the Deus Amanz...»(ibià.).

Il ressort implicitement que GSB est convaincu (c'est probablement pour cela
qu'il n'éprouve pas le besoin de le dire) que l'œuvre entière d'un auteur donné

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subit toujours une évolution allant de la maladresse au raffinement, comme si cette œuvre suivait, sans déviations ni retours, une ligne qui va d'un point x jusqu'àun point y, sans que son auteur ne revienne jamais en arrière pour retrouver des manières de voir ou un certain style (on apprend par exemple qu'il y a dans Le Fresne, les Deus Amanz et Laûstic «an élément of profundity which prepares thè way for thè more elaborate treatment of aliénation and frustration in group B», p. 17). En ce qui concerne les prétendues maladresses et autres faiblesses dans l'œuvrede Marie de France, je reste sceptique. Et qu'est-ce que le public médiéval a bien pu en penser?

L'ordre de composition des Lais que propose GSB est à considérer comme un développement de l'étude de R.N. Illingworth, «La Chronologie des »Lais« de Marie de France» {Romania 87, 1966, p. 433-75). GSB en retient le partage des Lais en deux groupes, A et B (chaque groupe comprenant six lais exactement!); le premier groupe serait composé sur le Continent, l'autre en Angleterre. A l'intérieur des deux groupes, GSB opère quelques changements et établit l'ordre de composition suivant: A: Equitan, Chaitivel, Bisciaveret, Le Fresne, Deus Amanz, Laûstic; et B: LanvaL Yonec, Guigemar, Milun, Chevrefoil, Eliduc.

Dans son deuxième chapitre, «Two Cases of mesure (Equitan, v. 18-19; Deus Amanz, v. 178-179)» (p. 35-49), GSB discute le terme de mesure dans Equitan et les Deus Amanz, et il propose que, dans les deux cas, le terme signifie sagesse ou raison plutôt que modération. Dans le lai des Deus Amanz, par exemple, le jeune homme refuse de boire le philtre, non pas par démesure, mais parce qu'il a mal compris la situation: «Ignoring risks and danger is a prerogative ofyouth» (p. 49).

Le troisième chapitre, «El nés pot mie tuz amer... (Chaitivel, v. 17-28)» (p. 50-64), des vers 17-28 de Chaitivel et en propose une traduction. Au cours de son analyse, GSB évoque plusieurs éditions et traductions du texte (parmi ces dernières surtout celle de Robert Hanning et Joan Ferrante: The Lais of Marie de France, New York/Toronto/Vancouver, 1987 et Durham, N.C., 1982) et conclut que Marie de France veut défendre la dame dans le lai: «Marie wishes to explain and défend her behaviour, to forestali, in fact, the sort of criticism to which trie lady has been subjected by twentieth-century critics» (p. 62). GSB aurait pu mentionner que Philippe Ménard n'est pas du nombre de ces critiques, cf. son Les Lais de Marie de France (PUF, 1979), p. 67: «L'héroine ne semble point une belle dame sans merci (...) on ne saurait dire que la dame soit antipathique.»

Le quatrième chapitre, «Ceo fu la summe de l'escrit..., (Chevrefoil, v. 61)» (p. 65-70), résume bien des questions débattues par les chercheurs à propos du lai de Chevrefoil, celui qui, parmi les lais de Marie de France, a provoqué les commentairesles plus variés (p. ix). Voici quelques solutions proposées par GSB: Tristan a seulement écrit son propre nom sur le bâton; avant la rencontre avec Iseut, il lui a envoyé un message (le contenu en étant celui des vers 63-76; GSB met un point après le vers 61: «Ceo fu la summe de l'escrit», et il lit le que du début du vers suivantcomme car («because»)); l'envoi d'un message écrit semble confirmé par le vers 109 («E pur ceo k'il aveit escrit»), enfin, au cours du rendez-vous, Iseut a dit à Tristan de composer le lai, et le mot «paroles» (v. 111) renvoie aux vers 67-78. Ainsi, GSB se distancie sur ce point de Spitzer, de Frappier et de Jonin, qui pensentque Tristan compose le lai afin de commémorer les paroles d'lseut prononcéesdans le bois. Enfin, le discours direct des vers 77-78 doit être attribué à Marie

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de France elle-même qui exprime ici son engagement dans l'histoire de ses personnages.

Les trois derniers chapitres du livre, (V:) «Chivalry and Prowess» (p. 71-100), (VI:) «Women in Love» (p. 101-33), et (VII:) «The Vocabulary of Love» (p. 134-78), des analyses de vocabulaires relatifs aux champs sémantiques indiqués. Ces analyses sont très utiles parce qu'extrêmement riches en détails, et parce que le matériel est disposé de façon très systématique. Il arrive dans ce livre que les titres des chapitres ne soient pas assez informatifs, ce qui est évident pour le chapitre «Women in Love» qui concerne le statut social des femmes (et de leurs maris, si elles sont mariées) et qui ne fait donc pas double emploi avec le chapitre suivant sur le vocabulaire de l'amour.

C'est certainement dans les recherches sur le vocabulaire que GSB est le plus convaincant, et cela à cause de la multitude des exemples qu'il cite et de son «esprit de système» (rappelons aussi son ouvrage Contribution à l'étude du vocabulaire pré-courtois, Genève, Droz, 1970).

Le présent volume se termine par une Conclusion (p. 179-88), que je recommande de lire en même temps que le début, Introduction (p. vii-xii) et le chapitre I; après les Notes (p. 189-219), il y a une bonne bibliographie (p. 221-33) et un index (p. 235-45).

Université de Copenhague