Revue Romane, Bind 22 (1987) 1

Alexandre Micha (éd.): ''Lancelot". Roman en prose du XIIIe siècle, t. MX. Textes littéraires français, Droz, Paris-Genève, 1978-1983.

Jonna Kcær

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Avec ces beaux petits volumes au nombre de neuf, Alexandre Micha, professeur honoraire à la Sorbonne, et les éditions Droz ont rendu un immense service à tous les chercheurs médiévistes. Non seulement le Lancelot en prose, qui est sans doute le plus important roman de chevalerie de notre moyen âge français, peut-il maintenant faire partie de la bibliothèque personnelle de chaque médiéviste - ce qui n'est pas possible pour l'édition de Sommer (H. O. Sommer. The Vulgate Version ofthe Arthurian Romances, 1 vol., Washington, 1909-16; Lancelot occupe les vol. 111-V) -, mais il est aussi offert au public spécialisé dans une édition critique excellente, autant pour la présentation que pour le contenu.

Pendant plusieurs années, Micha a déjà présenté à intervalles réguliers les résultats de ses recherches sur la tradition manuscrite du Lancelot, recherches très exigeantes, étant donné qu'il s'agit d'un roman d'une longueur qui excède le volume triple de l'ensemble de la Queste del Saint Graal et de la Mort le Roi Artu et qui est transmis dans une centaine de manuscrits ou fragments. Dans son édition, Micha nous explique comment et pourquoi il est impossible d'établir un stemma solide et immuable d'un bout à l'autre. Pour ceux qui désirent plus ample information, il renvoie à ses études préalables publiées dans la Romania (Rom. t. 81 (1960), 145-87; t. 84 (1963), 28-60; t. 85 (1964), 293-318 et 478-99; t. 86 (1965), 330-59; t. 87(1966), 194-233).

Dans l'édition même, Micha justifie ses choix de manuscrits de base et de contrôle. Malgré

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la complexité de la tradition manuscrite, il est cependant possible de distinguer deux versions principales, la version longue et la version courte, et certains groupements spéciaux. L'édition de Micha nous donne et la version longue et la version courte de la manière suivante: le troisième volume contient la version courte qui correspond à la version longue éditée dans les deux premiers volumes; d'autres volumes présentent en appendices des versions courtes et des rédactions spéciales.

Au fur et à mesure que les volumes de l'édition de Micha ont paru, Félix Lecoy en a fait des comptes rendus, surtout d'ordre linguistique, dans la Romania (t. I: Rom. 99 (1978), 264-68; t. II: ibid., 412-16; t. 111 et IV: Rom. 101 (1980), 544-53; t. V et VI: Rom. 102 (1981), 103-37; t. VII et VIII: Rom. 103 (1982), 376-84; t. IX: Rom. 104 (1983), 558-59). Dans ces comptes rendus, Lecoy corrige certaines leçons données par Micha (pour le t. IX, il commente quelques mots du glossaire). Nous renvoyons sans discussion aux remarques magistrales de Félix Lecoy. En plus des corrections, Lecoy établit les concordances entre le texte de Sommer et celui de Micha, et pour l'épisode de la Charrette, il donne les concordances avec l'édition de cet épisode par Gweneth Hutchings (Paris, 1938). Lecoy semble souhaiter que Micha ait donné lui-même cette comparaison des textes édités, "comparaison toujours intéressante et parfois fructueuse", selon Lecoy qui offre donc ce supplément au travail de Micha. Pour compléter, nous pouvons ajouter que dans un compte rendu élogieux établi par Emmanuèle Baumgartner (dans Rom. 104 (1983), 127-32) sur l'édition d'Elspeth Kennedy, "Láncelot do Lac". The non-cyclic Old French Prose Romance, I-II (Oxford, 1980), l'on trouvera une collation de cette édition et de celle de Micha. Le texte d'E. Kennedy est celui de la version courte d'après le ms. 768 dont Micha édite un épisode dans son vol. 111.

Au lieu de reprocher à Micha de n'avoir pas établi les correspondances avec d'autres éditions,
nous le louerons au contraire d'avoir tout fait, vraiment tout, pour aider ses lecteurs
au niveau du contenu de son propre texte édité.

Relevons d'abord la présentation matérielle qui démontre déjà l'effort de Micha pour
rendre claire et agréable la lecture de son Lancelot.

Pour la division en chapitres, l'édition garde la répartition pratiquée dans les manuscrits: "Or dist li contes que...", et Micha fait en outre des sous-divisions de ces chapitres en courts paragraphes. En plus, la ponctuation est effectuée de façon très heureuse. Les notes qui donnent les leçons rejetées du ms. de base et les variantes des mss. de contrôle sont complètes, celles qui commentent le contenu sont rares mais pertinentes. En outre, nous apprécions beaucoup les "tables des matières" de chaque volume, qui sont plus qu'une répétition des titres courants (très bien choisis, d'ailleurs), car ces tables des matières offrent le plus souvent des analyses détaillées du contenu, ce qui est extrêmement utile pour le lecteur qui doit se repérer après une interruption de lecture.

Nous avons pu lire d'un trait les quelques 3000 pages du Lancelot. Par conséquent, nous avons pu dominer, pour ainsi dire, la masse complexe des aventures du texte, mais telle n'est sans doute pas la situation habituelle du lecteur de Lancelot. Et la technique de Yentrelacement complique davantage l'orientation. Il serait peut-être souhaitable que, dans un roman de ce genre, l'éditeur renvoie, au moment où une action interrompue est reprise, à l'endroit où l'interruption a eu lieu.

Comme l'on sait, les volumes des Textes littéraires français sont toujours esthétiquement
très satisfaisants, ce qui vaut aussi pour le Lancelot, mais ici, le plaisir du lecteur est encore
stimulé par les reproductions de belles miniatures présentées dans chaque volume.

Parlant de la présentation matérielle il faut dire que la numérotation des volumes est

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malheureuse. Pour lire le Lancelot dans l'ordre chronologique il faut lire les volumes dans l'ordre suivant: VII, VIII, I, 11, 111 (version courte correspondant aux vol. MI), IV, V, VI, et IX (Index, glossaire, etc. à utiliser parallèlement à la lecture, évidemment). Toujours en pensantà ses lecteurs, Micha a choisi de commencer son édition par la partie centrale du roman au lieu de commencer par le début. La raison en est que la tradition manuscrite se complique pour la partie centrale de la version longue, que Micha édite d'abord, tandis que Sommer avait choisi la version courte pour cette partie (version que Micha édite, comme nous l'avons signalé, dans son troisième volume). Micha s'explique ainsi: "En l'absence d'une édition critiquedu Lancelot, nous avons préféré livrer d'abord aux chercheurs et aux historiens de la littérature les textes dont ils avaient le plus besoin: il y avait un ordre d'urgence, plus impérieuxque l'ordre logique. Trois volumes seront consacrés à cette partie centrale du Lancelot'" (numérotés I à III). Le choix de Micha est donc bien fondé, mais pourquoi n'a-t-on pas fait à l'avance un plan d'ensemble de l'édition afin de donner, dès le départ (puisqu'on part de là), aux volumes contenant la partie centrale et la fin de l'histoire les numéros chronologiquementcorrects? Quand Micha revient en arrière pour éditer le début de l'histoire, le volume qui contient ce début reçoit le numéro VII.

Ce procédé entraîne un autre problème de numérotation car, ayant commencé pardonner aux chapitres de la partie centrale et de la fin les numéros I, 11, 111, etc., Micha donne aux chapitres du début de l'histoire les numéros la, Ha, Illa, etc., ce qui risque certainement de créer une confusion se manifestant peut-être de manière fâcheuse dans les citations futures du texte édité. Nous n'osons guère proposer de normaliser la numérotation des volumes et des chapitres quand l'édition sera réimprimée - ce qu'elle sera sûrement bientôt, puisque nul médiéviste ne pourra ne pas se procurer tout de suite le Lancelot de Micha -, car une telle normalisation redoublerait probablement le risque de confusion.

Revenons aux qualités de l'édition au niveau du contenu. Tous les chercheurs médiévistes tireront profit du volume IX qui clôt cette édition du Lancelot. Ici, Micha nous donne un véritable cadeau surprise, utile non seulement aux travaux sur le Lancelot, mais à n'importe quel travail sur la littérature de l'époque qui veut prendre en considération le contexte culturel, comme il est possible de le faire, par l'intermédiaire du Lancelot et de son univers psychologique et social. L'inestimable cadeau que nous offre Micha consiste en son Index des thèmes, des motifs et des situations qui. sur 50 pages, se subdivise en: A. Personnes, êtres animés; B. Lieux; C. Objets, fabriqués ou naturels; D. Aventures, événements, usages, procédures; E. Sentiments, règles de conduite; F. Techniques du récit. Autant de dictionnaires thématiques socio-culturels, sous forme de renvois au texte du Lancelot, bien sûr.

Comme nous l'avons déjà suggéré, ce vaste roman est parmi les plus importants qui traitent de la chevalerie, et cela sous plusieurs rapports, et il est si riche en matières qu'il mérite bien que l'on s'y réfère aussi pour parler d'autres textes médiévaux. Micha lui-même l'a déjà dit indirectement dans la citation donnée plus haut: cette édition s'adresse "aux chercheurs et aux historiens de la littérature." Serait-il permis de formuler un souhait après le don généreux qu'est l'index en question? Nous aurions aimé aussi un index des couleurs, étant donné que la symbolique des couleurs semble si profondément élaborée dans ce roman que celui-ci pourrait servir de référence à d'autres interprétations symboliques des couleurs aussi.

Comme il est normal, l'apparat critique de ce dernier volume consiste aussi en un index des noms propres mais inclut en plus des anonymes (chevaliers, dames et demoiselles, ermites, nains, etc.) et un glossaire qui satisfera le public habitué à la lecture des textes médiévaux français, donc les spécialistes. Le volume contient aussi quelques notes complémentaires, des

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errata et émendations et une bibliographie des études relatives aux éditions et à la tradition
manuscrite du Lanceloî.

D'après ce qui précède l'on ne s'étonnera quère d'apprendre que nous recommandons
avec insistance cette édition à tous ceux qui aiment le moyen âge et les belles éditions de ses
beaux textes littéraires.

Copenhague