Revue Romane, Bind 22 (1987) 1

Karen Landschultz: Hvordan lœrer jeg fransk udtale? Schønberg, Copenhague, 1984. VIII + 298 p.

Jørn Westengaard-Holm

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Le livre est écrit en danois pour servir de manuel dans l'enseignement de phonétique française dans les universités et dans les écoles des hautes études commerciales. Comme le présent compte rendu est sans doute fort imprégné de nos propres expériences, nous tenons à préciser que nous avons utilisé le livre dans un cours de deux heures hebdomadaires pendant quatorze semaines, et dans un autre d'une heure hebdomadaire pendant la même durée — alors qu'il est en fait destiné à un cours comprenant deux heures hebdomadaires pendant vingt-huit semaines.

Dès la préface, Karen Landschultz (KL) souligne le but pratique et pédagogique de son manuel en se proposant de le faire suivre d'enregistrements magnétiques du français parlé. En effet, l'aspect phonologique n'est introduit que dans un des chapitres finals, et, pour une présentation plus exhaustive de cet aspect, KL renvoie au manuel de Michael Herslund (Fransk Fonologi, Tapir Forlag, Trondheim 1983, compte rendu dans Revue Romane 19,2, 1984).

Le livre comprend douze chapitres, outre une introduction qui présente brièvement les
divers angles sous lesquels se laisse étudier la phonétique et qui limite le sujet aux angles
"fonctionnel" et "articulatoire".

Le chapitre I invite l'étudiant à s'aventurer dans la transcription phonétique pour décider
d'abord du nombre de sons nécessaires et réfléchir ensuite sur les relations entre son et écriture.

Le chapitre II présente de façon sommaire l'articulation des sons français isolés et inclut une comparaison provisoire avec le "son correspondant" danois. Ces deux chapitres ne servent en fait qu'à établir chez les étudants une base commune, permettant, dans les trois chapitres suivants, de partir du discours pour s'approcher du phonème en passant par le mot.

Le chapitre 111 étudie les mécanismes qu'il faut appliquer au niveau du discours: 1. la

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coupe syllabique, y compris l'enchaînement, 2. la limitation du groupe rythmique, 3. l'intonation,4.
la durée des voyelles, 5. le placement de l'accent, 6. la liaison, 7. le "e caduc".

Le chapitre IV traite des règles qui s'appliquent au niveau du mot, à savoir: 1. la prononciation
des voyelles fermées (syllabiques ou non), 2. la prononciation des quatre "paires à
timbre": E, 0,0, A.

Le chapitre V reprend en détail l'articulation des sons après une présentation générale de l'appareil phonateur; ceci est suivi de règles pour l'assimilation de sonorité, et la dernière partie du chapitre est consacrée à la phonologie: d'abord les phonèmes, ensuite, de façon encore plus restreinte, les traits phonologiques.

Le chapitre VI s'occupe des règles orthoépiques (règles de la prononciation en fonction
de l'écriture) suivies de deux annexes, dont l'une traite les emprunts faits à l'anglais, l'autre
les règles particulières aux noms propres.

Les derniers chapitres donnent des textes à transcrire phonétiquement, avec, en vis-à-vis, les solutions proposées; puis, les solutions des exercices des chap. I, 111, IV, V, suivies d'un bref résumé du manuel, d'une bibliographie, d'un aperçu des signes phonétiques utilisés pour transcrire le français et le danois, et, en dernier lieu, d'un index des termes.

La norme choisie est celle du français standard, dont le manuel adopte une variante assez moderne, appropriée aux besoins pédagogiques. Cette variante nous donne, dans le système vocalique, une réduction où [ a ] est remplacé par ( a ] et [ œ ] par [ g ], et où l'opposition entre [ 0 | et [ œ 1 a disparu, - et, dans le système consonantique, la possibilité d'articuler [ nj ] au lieu de [ r> ].

Si le choix de la norme est assez traditionnel, cela ne vaut pas pour la composition du livre, qui sort "incomplet" de l'imprimerie: c'est à l'étudiant de remplir bon nombre de schémas (type: "à partir d'un son donné, écrivez les graphies correspondantes et pour chaque graphie un exemple" et "quelles sont les règles orthoépiques utilisées pour décider de la prononciation d'un certain graphème trouvé dans un certain mot?") et de donner des exemples (supplémentaires) pour illustrer les règles de la durée des voyelles, celles de la liaison en fonction des relations syntaxiques, et celles de la prononciation des voyelles fermées, de telle manière qu'on évite la répétition de règles assez complexes, quitte à aider l'étudiant à formuler ces règles lui-même.

Il y a là une démystification pédagogique qu'on retrouve dans le langage utilisé, qui est relativement décontracté ("le "e caduc" est largué"), et dans le changement de terminologie qu'on trouve dans les noms des deux 'h', traditionnellement appelés "muet" et "aspiré", ici appelés "h voyelle" et "h consonne". Il est vrai que les termes traditionnels sont impropres en français moderne, où ni l'un ni l'autre ne se prononcent (où, donc, le h non muet est muet !), mais les deux nouvelles désignations ne sont pas tout à fait adéquates non plus: en français moderne, le "h voyelle" est un simple ornement graphique, le "h consonne" correspond aux consonnes (dans les règles de l'enchaînement et celles de la liaison), à une consonne "plus-que-consonantique" (dans les règles de la manifestation du "e caduc" (exemples de la hiérarchie: "j'ai vu l'autre / l'homme -j'ai vu l(e) garçon -j'ai vu le héros")) et à zéro (du point de vue phonétique, car quelle que soit la nature du 'h', celui-ci ne correspond à aucune

Par comparaison au manuel de phonétique française traditionnellement utilisé dans les universités de Copenhague et d'Udense (Jensen, Ole Kongsdal, Karen Landschultz et Oluf Thorsen: Fransk Fernetik, Institut d'études romanes, Université de Copenhague), ce livre s'occupe assez peu de la phonologie, et là où le premier y voit un instrument indispensable

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et se refuse le droit de commencer à transcrire avant d'avoir appliqué explictement l'épreuve de commutation, le second n'y voit qu'une perfection finale des connaissances en phonétique,et pour dresser l'inventaire des sons français, il se contente d'une "épreuve de commutationimplicite", c'est-à-dire "la question de savoir comment noter les sons différents". Encore un exemple de cette démystification qui facilitera largement l'apprentissage, mais qui causera certains problèmes par la suite, c'est-à-dire au moment où il faudra faire la distinction entre le son prononcé et sa représentation abstraite. Concernant les règles de dénasalisation vocalique, due à la liaison faite avec une consonne nasale (exemple: 'bon - bon ami'), KL est forcée de constater que "[ 5 j-> [ o ]" (p. 82). Or, cette règle ne s'applique strictement à rien, car il n'y a pas de [ 5 ] correspondant à [ o ]. - De même, en ce qui concernela chute du "e caduc": "Le E caduc est largué après voyelle prononcée (: [ V ¿]), avant voyelle (: [^V ]) et avant une pause ([ #|])" (p. 86). Or, il n'est pas tout à fait logique d'introduiredans la transcription un "son" non-prononcé.

Et quand, finalement, l'épreuve de commutation est appliquée, elle est partiellement dévalorisée, car (outre le fait que les diphtongues déjà traitées à part et appelées "insolubles" ([ wa, w£, u¡ ] : 'fro/d, gioin, fru/t') sont omises) la commutation entre les voyelles hautes et les semi-voyelles n'est pas acceptée, explication: si on remplace une voyelle haute par une semi-voyelle, on réduit le nombre de syllabes. Cet argument, pourtant, ne nous semble pas tout à fait logique, car si c'est le trait "syllabicité" qui nous permet de faire la distinction entre [ i, y, ulet[j, u,w ], nous n'avons pas le droit d'attribuer cette "syllabicité" au mot par la suite (qui rejetterait jamais les paires minimales 'jonc, Jean' à cause de la double position des lèvres du dernier mot et 'sous, zou' à cause de la sonorité non-totale du premier mot? ). Il s'agit plutôt des règles de distribution, et de toute façon le refus de cette commutation ne s'explique pas par la définition de l'épreuve de commutation que nous donne KL (p. 174): "Les paires de mots qui sont comparés doivent être identiques, à part l'élément phonique qu'on désire examiner".

Comme nous venons de le montrer, il y a certes des objections à faire; reste pourtant à savoir si un manuel qui se veut pratique à un tel degré n'est pas le mieux jugé par son succès auprès de ses "vrais lecteurs", les étudiants, et par l'évaluation des connaissances qu'il leur a permis d'acquérir. De ce point de vue, le manuel de KL est un vrai succès; son approche pratique a sensiblement réduit le nombre des étudiants faibles et en même temps - ce qui n'est pas moins important - loin de freiner les étudiants forts, il semble également élever le niveau de leurs études, car ce qui a toujours été la grande difficulté dans l'enseignement de la phonétique française, la phonologie, ne constitue plus une base nécessaire mais couronne plutôt les connaissances pratiques, et le manuel permet à l'étudiant lui-même de décider quand (et si, finalement) il veut vraiment aborder ce domaine théorique. Nous sommes donc dans l'agréable situation de pouvoir recommander chaudement ce manuel pour l'enseignement de la phonétique française au niveau supérieur.

Copenhague