Revue Romane, Bind 22 (1987) 1

Le Rêve et la Vie. Aurélia, Sylvie, Les Chimères de Gérard de Nerval. Actes du colloque du 19 janvier 1986. SEDES/CDU, Paris, 1986. 285 p.

Hans Peter Lund

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La publication des actes du Colloque Nerval organisé par la Société des Etudes romantiques (Nerval était au programme de l'agrégation 1986) témoigne de l'intérêt toujours vivant pour l'écrivain que certains appellent le seul véritable romantique français. La première section des communications est représentative de l'ensemble du volume: cet intérêt porte sur les sources (Béatrice Didier sur "Nerval et Senancour ou la nostalgie du XVIIIe siècle"; cf. plus loin Daniel Couty sur la présence de la Vita Nova de Dante dans Aurélia), les thèmes (Anthony Zielonka sur la mélancolie et la joie chez Nerval), la présence des mythes et traditions antiques (Henri Bonnet sur la civilisation grecque et romaine chez Nerval), et enfin la question du genre (Jacques Bony dans une excellente communication sur les frontières de l'autobiographie dans Sylvie et Aurélia). Autrement dit, ces études nervaliennes sont concentrées sur la constitution du texte littéraire, elles n'ont presque plus recours aux modèles ésotériques ou psychanalytiques (abstraction faite d'une communication sur le double dans Aurélia par Chiwaki Shinoda), sauf dans les cas où ces derniers peuvent être mis en rapport direct avec le système de signification propre au travail textuel de Nerval (Françoise Gaillard dans "Aurélia, ou la question du nom", résumé d'une étude plus détaillée sur ce texte).

Le rapport entre ordre et désordre est un problème auquel se heurte tout nervalien - et tout lecteur des grands textes du poète. C'est tout particulièrement le problème d'Aurélia. Kurt SchSrei considère ce texte comme une "vaine tentative de rendre raison d'une série d'expériences qui, par leur nature même, échappent à la raison" (p. 258); pour Bruno Tritsmans,il s'agit d'un effort de réintégration d'une "expérience individuelle dans une collectivité"(p. 228). Discussion fascinante, où s'opposent le chaos et l'harmonie, et au centre de

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laquelle se trouve la tentative nervalienne pour créer une forme artistique "absolue" qui
intègre le réel et le rêve. Deux communications de Jacques Huré et de Michel Jarrety complètentcette

Pour beaucoup, Aurélia compte parmi les Filles du feu, comme le suggère la phrase significative de la dédicace "A Alexandre Dumas": "Quelque jour j'écrirai l'histoire de cette "descente aux enfers" (...)"; Martine Reid, dans sa communication sur cette "Préface à un livre dangereux", y voit aussi, à juste titre, la préface d'Aurélia (p. 154). Mais il n'y a que Jacques Bony pour s'attaquer aux rapports essentiels entre Aurélia et Sylvie. Les autres communications sont des analyses de détail, précises et souvent très suggestives (Anne-Marie Jaton sur les couleurs dans Sylvie, Monique Streiff-Moretti sur l'ironie, Gabrielle Malandain sur le "Dernier feuillet", J. D. Hubert sur la question de l'identité et du théâtre). Vito Carofiglio contribue avec une analyse d'Octavie, "drame...exemplaire" à plus d'un titre; en effet, la conclusion de Carofiglio vaut aussi bien pour Sylvie et Aurélia que pour Octavie: "Ce qui aurait dû devenir le haut lieu d'une expresión d'amour réciproque à travers la scène théâtrale, est le lieu de la confession et de la révélation d'une vérité: le guide-prêtre-dieu-amant court après un fantôme. (...) l'image de la femme lointaine et celle de la déesse-sœur l'emportent" (p. 94).

Enfin, en ce qui concerne Les Chimères, retenons la communication de Norma Rinsler, une nouvelle interprétation du "Christ aux Oliviers" qui tient intelligemment compte à la fois de la structure interne du poème et de sa place dans le recueil de Nerval. Serge Meininger réfléchit sur "l'hermétisme" des Chimères qui, selon lui, tiendrait surtout à l'absence d'un mythe "qui pourrait synthétiser les éléments disparates de l'héritage culturel et personnel". C'est certainement à la place de ce mythe synthétisant qu'on trouve les "ambiguïtés" analysées finement par Martine Bercot.

Le volume présent ne s'adresse pas aux lecteurs pour qui l'œuvre de Nerval est un terrain encore inexploré. Mais pour ceux qui connaissent bien Nerval, il est une invitation à reconsidérer quelques problèmes importants, en particulier le problème du genre, le rapport entre la théorie psychanalytique et le symbolisme des noms chez Nerval, et enfin cette ambiguïté ou irrésolution au niveau du contenu qui est peut-être le fond même'de la quête nervalienne.

Copenhague