Revue Romane, Bind 22 (1987) 1

Hans Peter Lund: François-René de Chateaubriand, Mémoires d'outre-tombe. "Etudes littéraires", Presses universitaires de France, Paris, 1986. 125 p.

Maija Lehtonen

Side 153

La collection "Etudes littéraires" présente les grandes œuvres de la littérature française dans de petits volumes rédigés d'après un schéma commun; elle s'adresse notamment aux étudiants et au public cultivé. Hans Peter Lund (HPL), auteur du volume consacré aux Mémoires d'outre-tombe, possède les qualités nécessaires pour mener à bien pareille synthèse: son livre se distingue par une érudition solide, par la faculté d'aller droit à l'essentiel, par un style clair et élégant.

Dans un ouvrage de ce genre, l'apport personnel de l'auteur consiste surtout dans la manière de présenter les choses, dans l'accent mis sur tel ou tel aspect du texte en question. La présentation des MOT par HPL est basée sur l'idée du dualisme fondamental de Chateaubriand, reconnu par Chateaubriand lui-même: il est à la fois "l'homme des songes" (l'écrivain) et "l'homme des faits" ou des "réalités" (l'homme politique). Ce dualisme se manifeste dans la vie, dans la personnalité et dans l'idéologie de Chateaubriand; il se retrouve sur le plan formel (présence des documents dans les MOT, à côté des parties littéraires). Pleine de contradictions et de ruptures, ballottée par les tempêtes d'un siècle révolutionnaire, son existence prend un caractère "fragmentaire" qui se reflète dans les MOT. Le but de l'auteur des MOT est de dépasser ces contradictions pour arriver à l'unité.

HPL pose souvent la question de la "vérité" de Chateaubriand. Il ne s'agit évidemment

Side 154

pas de simples rapports entre le texte et les faits biographiques, mais d'une vérité interne,
qui, selon HPL, se trouve dans une synthèse du monde historique et de la pensée (p. 63).
C'est la dualité même de Chateaubriand qui est le fondement de sa vérité.

Le chapitre "Le contexte" présente le cadre de référence littéraire et idéologique dans lequel s'inscrivent les MOT. Le dualisme de Chateaubriand est rattaché au Romantisme et à son problème essentiel, la relation entre le Moi et l'Histoire. Un problème parallèle est celui de la foi, de Dieu ou de son absence. Pour HPL, la sincérité de la foi de Chateaubriand ne fait pas de doute; il met l'accent sur le rôle de la Providence dans l'Histoire tel que le concevait Chateaubriand (cf. p. 78). La question de la foi sera reprise à la p. 93, où HPL affirme que "la foi donne au dernier tiers de la vie de l'auteur son vrai contenu", ce qu'il trouve confirmé par la Vie de Raneé. L'affirmation me paraît un peu exagérée." Raneé est un texte qui aboutit plutôt à une vision ironique et pessimiste de la vie, dévalorisant l'univers de la religion tout autant que les folies du monde.

La biographie de Chateaubriand est résumée rapidement; c'est dans un chapitre ultérieur, "La place dans l'œuvre", qu'on trouve des réflexions pertinentes sur l'évolution psychologique de l'écrivain. Le chapitre intitulé "Le pré-texte" résume la genèse des MOT et ses "sources" et traite de la question du genre. On pourrait peut-être souligner davantage l'importance de l'intertextualité dans les MOT. Quant au genre, HPL trouve dans l'œuvre un mélange de genres différents, mais la forme est "unificatrice selon une dialectique qui fait du genre autobiographique un genre qui se cherche" (p. 40).

Le chapitre le plus important est consacré au "texte" même. C'est une analyse serrée et intelligente des thèmes essentiels: effets de la distance temporelle ("Ecrire des mémoires"), temps et mort, l'espace, le Moi, le monde de l'Histoire. Chateaubriand a été souvent comparé à Proust, mais HPL a raison de dire que dans les MOT, le temps perdu n'est pas "retrouvé", recréé: Chateaubriand ne fait que fixer les effets du passé sur lui (p. 44). Le passé évoqué dans les MOT reste "un temple de la mort". L'analyse du temps et de l'espace dans les MOT est fondée sur une confrontation entre le plan horizontal (déroulement linéaire des événements) et le plan vertical (superpositions de plusieurs couches temporelles, souvent évoquées par le retour aux mêmes lieux). L'auteur des MOT cherche à dépasser sa dualité et le morcellement de l'existence par "l'ordre de la mort", qui crée une unité, et par "l'ordre d'outretombe", qui établit la vérité définitive, personnelle et collective (historique).

A propos de la structure de l'œuvre, HPL constate: "Approchant de sa fin, nous voyons Chateaubriand rattacher de plus en plus ses souvenirs à des choses vues ici et maintenant" (p. 48). Ceci concerne la IVe partie, rédigée surtout en 1832-1833 (avant les 11e et lIIe parties), sous la forme d'un journal. Il faudrait noter aussi le changement d'optique dû à ce changement de forme: la IVe partie contient des scènes et des dialogues beaucoup plus détaillés que les autres parties des MOT, et c'est pourquoi elle semble avancer à un rythme ralenti.

HPL voit la vie de l'auteur des MOT se dérouler d'après le schème répété "éclatementdépart-retour". Sans doute les voyages de Chateaubriand sont-ils souvent des "fuites", mais sont-ils tous, comme l'affirme HPL, "marqués du signe de la négativité"? N'est-ce pas le voyage en Amérique qui a éveillé la puissance créatrice de Chateaubriand?

On a beaucoup discuté la fonction de la figure de Napoléon dans les MOT. Selon l'interprétationde HPL, Napoléon représente "l'évolution même qui sera celle de Chateaubriand: gloire et déclin ..." (p. 71). Il ne s'agirait donc pas d'une figure parallèle à celle de l'écrivain, mais d'une courbe de vie parallèle à la sienne. Ce chapitre contient en outre un exposé succinct,très

Side 155

cinct,trèsclair sur les idées politiques de Chateaubriand et sur la théorie de l'Histoire qui se
dégage des MOT.

On pourrait souhaiter que HPL ait consacré une analyse particulière à la forme et au
style des MOT, en montrant, par exemple, comment une "poétique de la disjonction" (cf.
l'étude de Charles A. Porter) correspond à la thématique si bien examinée dans ce volume.

La réception des MOT est traitée dans un chapitre où l'accent est mis, d'une part, sur le XIXe siècle et d'autre part sur la recherche des années 1960 et 1970. Ce n'est, en effet, que depuis une vingtaine d'années qu'une véritable réévaluation des MOT a eu lieu et que les études se sont multipliées. Ce résumé est complété par une "Bibliographie critique" très utile (je me demande pourquoi est omis l'ouvrage d'A. Vial, La dialectique de Chateaubriand: "Transformation" et "Changement" dans les Mémoires d'outre-tombe. CDU/SEDES, Paris, 1978).

Le volume s'achève sur deux explications de texte qui éclairent une fois de plus les deux
aspects contraires de Chateaubriand, l'écrivain romantique et l'homme politique.

Le livre de HPL est bien documenté et l'exposé s'appuie sur de nombreuses citations.
C'est une excellente mise au point qui remplit bien son but didactique, mais qui intéressera
aussi les spécialistes de Chateaubriand.

Helsinki