Revue Romane, Bind 22 (1987) 1

La statue mythologique Diane chez Nerval et Heine

par

Hans Peter Lund

Dans Les Illuminés, on peut lire cette confidence de Nicolas que le lecteur familier
de Nerval mettra volontiers au compte du poète lui-même:

"Il y a un an, reprit Nicolas, j'avais encore une fois cédé au charme...
- Et pour qui? dit Sara levant vivement la tête.
- Pour une image que je me créais en moi-même, pour une chimère, fugitive comme
un rêve, et que je ne songeais même pas à réaliser, pour une de ces impossibilités que j'ai
poursuivies toute ma vie, et que je ne sais quel destin a rendu quelquefois possibles!
- Mais quelle était cette image? Quel était ce rêve?
- C'était toi. (...) je t'aimais comme on aime ces étranges visions que l'on voit passer
dans les songes, si bien qu'on se réveille épris d'une belle passion, faible souvenir des
impressions de la jeunesse... dont on rit un instant après! (...) Les images du jour sont
pour moi comme les visions de la nuit! Malheur à qui pénètre dans mon rêve éternel sans
être une image impalpable! (...) nous ne voyons partout que des modèles à décrire, des
passions à rendre, et tous ceux qui se mêlent à notre vie sont victimes de notre égoîsme,
comme nous le sommes de notre imagination! (Nerval 1984, p. 1020)

Artémis ou Diane est une de ces chimères, figure cruciale personnifiant les hantises du poète, mais en même temps un symbole de cet art par lequel le poète cherche à fondre toutes les figures réelles et imaginaires en une seule figure mythologique. Ce symbole est présent dans le titre d'un des sonnets des Chimères comme dans plusieurs des textes en prose de Nerval. C'est ainsi que nous entendons, dans les quatorze vers d?Artémis, des échos d'autres textes de Nerval, et même un chercheur comme Jacques Geninasca, dont les brillantes analyses sémantiques des Chimères (1971, 1973) cherchent à structurer tous les éléments contenus dans le texte clos, admet, en parlant d'Artémis, qu'il demeure "un poème sans modèle, où l'auteur est parvenu à embrasser, en l'espace réduit de quatorze vers, des contenus que l'on rencontre dispersés dans des discours passablement plus longs et de nature fort diverse" (1973, p. 151). Bref, ce texte n'est pas un texte "clos" qu'il suffit de lire "en soi"; à vrai dire, jusqu'à ce jour, aucun commentateur n'a pu l'élucider complètement, et l'article présent n'a aucune prétention en ce sens.

Allant plus loin que Geninasca, nous soutiendrons que, sous l'effet de ces contenusdispersés,
Artémis s'émiette, tombe en morceaux et reste comme le fragmentd'un

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mentd'unensemble plus vaste. Il met le lecteur devant une question d'herméneutiquegrave: quel texte lisons-nous, quand nous lisons Artemisi et quel texte faut-il lire pour prétendre lire Artémis? Le texte publié en 1854 n'est pas, à ce qu'il semble, entièrement compréhensible. Et personne ne saurait affirmer que ce texte représente l'état définitif du sonnet. Nerval ayant l'habitude de corriger d'un manuscrit à l'autre, il faut se demander, en effet, quel est le titre du sonnet, "Artémis" comme dans le texte imprimé dans le volume des Filles du feu, ou "Ballet des Heures" comme dans le manuscrit Lombard, peu antérieur à l'état imprimé du poème. Sur ce point déjà, le texte est ouvert.

On possède trois états du texte: le ms Lombard, le ms Éluard et l'imprimé des Filles du feu (abr. Ff). Le ms Lombard, qui contient aussi El Desdichado, est, comme celui d'Éluard, de date incertaine; le texte d'El Desdichado diffère de celui imprimé dans le Mousquetaire du 10 décembre 1853 et ne peut donc avoir été destiné à la publication. D'autre part, les notes ajoutées par Nerval sur le ms Éluard excluent également l'idée que celui-ci était écrit en vue d'un édition, d'autant plus que le texte imprimé d'Artémis datant du mois de janvier 1854 diffère considérablement de son état dans ce manuscrit. Le Père Guillaume conclut donc qu'"aucun des mss. ne possède son état imprimé, et (cela va de soi) réciproquement; d'où impossibilité de contrôler les exigences réelles de l'auteur envers son texte" (1966, p. 40). Sans doute, le texte imprimé est le dernier en date, mais on ignore s'il a été revu par Nerval, et le manuscrit sur lequel a été établie cette publication a été perdu. Guillaume conclut également que le ms Éluard, étant plus proche du texte des Ff, est postérieur au ms Lombard, mais la postérité n'étant tout au plus que d'un mois (le ms Lombard datant d'après le 10 décembre 1853, selon Guillaume), il faut admettre, selon nous, une quasi-contemporanéité des trois états du texte, d'autant plus que les variantes se croisent (tantôt Lombard = Ff, tantôt Éluard = Ff, tantôt L + E vs Ff...). Dans l'impossibilité où l'on est de jamais connaître la dernière volonté de Nerval sur le texte iïArtémis, il semble légitime de lire parallèlement les trois états du sonnet, en partant, bien sûr, de son dernier état, celui des Ff. — Le voici:

ARTÉMIS.

La Treizième revient... C'est encor la première;
Et c'est toujours la seule, — ou c'est le seul moment:
Car es-tu reine, ôtoi! la première ou dernière?
Es-tu roi, toi le seul ou le dernier amant? ...

Aimez qui vous aima du berceau dans la bière;
Celle que j'aimai seul m'aime encor tendrement:
C'est la mort — ou la morte... O délice! ô tourment!

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La rose qu'elle tient, c'est la Rose tremiere.

Sainte napolitaine aux mains pleines de feux,
Rose au cœur violet, fleur de sainte Gudule:
As-tu trouvé ta croix dans le désert des cieux?

Roses blanches, tombez! vous insultez nos dieux:
Tombez fantômes blancs de votre ciel qui brûle:
— La sainte de l'abîme est plus sainte à mes yeux!

Non seulement les états pratiquement simultanés du sonnet, mais également les "contenus" dont parle Geninasca rendent plausibles plusieurs lectures ou interprétations. Tout est indécis de ce côté aussi. Sommes-nous devant un témoignage autobiographique ou un texte mythographique? Lisons-nous un hommage de martyrologie ou un ensemble de vers ésotériques? Dans la mesure où l'on rencontre indubitablement des éléments d'un contenu analogue dans d'autres textes de Nerval, on peut faire entrer le sonnet dans un ensemble sémantique plus vaste que nos quatorze vers. Inversement, d'autres textes peuvent être rapportés à Artémis, faisant de celui-ci une espèce de synthèse (cf. Moulin 1949, p. 51), ou plutôt une transformation parmi d'autres d'une même interprétation nervalienne de la vie. Les exégètes de Nerval ont l'habitude de chercher partout les clefs de cette interprétation. Par exemple, Alison Fairlie (1961, p. 91) nous renvoie au sonnet V du poème Le Christ aux Oliviers: "the terror of chaos gives way to ordered pattern as the repeated sacrifice — oublié, perdu, meurtri — is followed by the rebirth — remontait, ranime". C'est évidemment le schème fondamental chez Nerval, comme cela ressort aussi, dernièrement, d'un article de Bruno Tritsmans (1986). Nous effleurerons ce schème plusieurs fois dans notre élucidation, tout comme nous aurons l'occasion de renvoyer au même sonnet V et au poème qui l'inclut. Cependant, l'interprétation nervalienne de la vie trouve une autre clef dans la confidence de Nicolas citée ci-dessus, où le rêve est précisément une "chimère", une étrange vision pourtant fondée sur des personnes réelles. Cette vision, ou cette image, ne ranime-t-e\ie pas ces personnes dans les cas où elles seraient disparues? Lu à la lumière d'autres textes et contextes, Artémis pourrait être ainsi le nœud de la recherche d'un autre ordre, où se rencontrent des éléments autobiographiques, mythologiques et hagiographiques — comme dans tant de textes de Nerval.

Le tombeau d'Artémis

II est possible d'entrer dans le texte par une porte ouverte par Nerval lui-même —
et qui nous permettra d'en sortir aussitôt pour élargir la lecture. "Vous ne comprenezpas?"

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prenezpas?"écrit-il malicieusement, et peut-être ironiquement comme le suggère Stierle (1967, p. 117), sur le ms Lombard; et il continue: "Lisez ceci: D. M. - LUCIUS. AGATHO. PRISCIUS". Le texte auquel il se réfère se trouve dans Le Comte de Saint-Germain, ébauche de nouvelle datant probablement du mois de novembre 1853 (Nerval 1966, p. 557); il en parle dans deux lettres du 30 novembre.Il s'agit d'une inscription faite par Lucius sur le monument funèbre de sa femme Aelia qui, elle, "n'est ni au ciel, ni dans l'eau, ni dans la terre; mais est partout", étant morte. Le mari ne peut donc lui ériger "ni un monument, ni une pyramide, ni un tombeau"; ce qu'il a posé (la pierre et son inscription) est "tout ensemble à soi-même et cadavre et tombeau". Ainsi, le texte ou ce qu'on peut écrire sur la morte est tout ce qui en reste, la forme ou la pierre sur laquelle le texte est gravé est son seul tombeau. Un "tombeau" au sens mallarméen donc, poème rédigé en souvenir d'un(e) mort(e), un "beau monument qui l'enferme tout entier" (Mallarmé: Toast funèbre^). Le sonnet à?Artémis enferme la déesse (ou d'autres mortes représentées par celle-ci), il en est la forme morte, mais durable,sa survie dans la mémoire de la postérité^. Mais voilà déjà des contenus qu'il faut considérer de plus près, même s'ils n'éclairent pas entièrement le sonnet.

Artémis se lirait sur cette base comme l'invocation à la déesse grecque, ou comme la remémo ration de son destin; en conséquence, toutes les formes féminines du texte désigneraient Diane: "la seule", "reine", "la morte", etc. Interprétation possible, bien que notre lecture fasse plutôt, comme on le verra, des quatorze vers une sorte d'allégorie de la déesse. Diane est peut-être bien présente tout au long du texte, mais ce n'est pas tout à fait elle ni uniquement elle qui est désignée.

Il en est ainsi du premier vers. Et déjà, il faut dépasser les limites du texte imprimédans les Ff. Le "Ballet des Heures" du ms Lombard désigne la danse menée, selon la mythologie classique, par les déesses représentant les douze heures de la journée. Si Nerval a pu substituer "Artémis" à ce titre sans rien changer au texte qui puisse renforcer l'allusion à Diane, c'est sans doute que les deux sens, les Heures et Artémis, étaient déjà présents dans les premiers vers. En effet, la "Treizième" heure, entre minuit et une heure du matin, c'est aussi la première; mais c'est également l'heure de la mort (après une pleine journée) et l'heure de la naissance (de la nouvelle journée). Parallèlement se lit l'autre sens du vers: Artémisreprésente la fin, par sa faculté de causer la mort et, devenue Hécate aux Enfersaprès sa propre mort, le renouveau, par l'espoir d'une régénération qu'elle symbolise. Il est donc bien question d'un seul moment et d'une seule figure féminine^.Sur le ms Éluard, Nerval a sans aucun doute voulu souligner ce caractèredouble de l'heure de minuit (MORT et VIE) en ajoutant en note: "La XIIIe heure (pivotale)". Mais si l'heure est pivotale, il est impossible de déterminer si

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la reine qui revient est la reine de la mort ou la reine de la renaissance, et si le roi qu'elle aime est le dernier (avant la mort) ou le seul aimé, coïncidant avec la "seule" reine et le "seul" moment et participant donc, lui aussi, au renouveau. Le "Car" introduisant les deux questions "es-tu reine" et "Es-tu roi" donne le pourquoi de la conjonction "ou"; le doute exprimé par les questions entraîne le doute du vers 2.

Le second quatrain résout le problème créé par cette indétermination en parlant de la continuité au-delà de la mort. L'exhortation à aimer toute une vie durant repose sur une expérience personnelle du poète (v. 6) qui est "encor" aimé. Cependant, les vers 5-7 sont empreints d'une nouvelle ambiguïté à l'instar des vers 1-4. Le roi-amant et la reine-aimée sont repris dans "Aimez qui vous aima" et dans "Celle que /'aimai seul m'aime" — réciprocité parfaite donc — mais de quel "berceau" s'agit-il, et de quelle "bière"? De la naissance de qui et de la mort de qui? Le "je" du sonnet étant encore vivant, nous sommes amenés à lire: Aimez celle qui vous aima depuis votre naissance jusqu'à sa propre mort, ce qui prolonge la réciprocité du roi et de la reine. Connaissant la biographie de Nerval et l'importance qu'elle exerce sur ses œuvres, nous n'hésitons pas à identifier ici la mère. Mais on peut aller plus loin dans ce sens en insistant sur la femme aimée et morte (v. 5 + 7), dans laquelle on reconnaîtra facilement Jenny Colon. De sorte que la reine, "la première ou la dernière" (v. 3), acquiert un second sens: est-ce la mère ou Jenny? sont-elles mortes ou vivantes? Inquiétude qui provoque autant de tourments que de délices...

Les vers 1-7, c'est-à-dire la première moitié du sonnet, nous semblent maintenant à peu près lisibles: à l'heure de la mort, le poète se rappelle cette Artémis qui, sous le nom de Hécate, ranime les âmes. Rien ne s'arrête donc, les femmes aimées et mortes continuent une vie dans l'arrière-monde, vie plus positive encore, puisqu'elle atteste la possibilité réelle d'une renaissance ou d'un renouveau.

La seconde moitié du sonnet répétera le même schème et corroborera notre lecture. Encore une fois, regardons du côté des manuscrits et des notes de Nerval, témoignages de son hésitation devant l'état définitif du texte. La morte tient dans sa main une "Rose tremiere" comme le fait, traditionnellement, sainte Philomène(l'aimée, en grec, cf. v. 6), nom ajouté par Nerval en marge du ms Éluard. Maintenant, il faut bien se rendre compte du fait que Nerval compare sa double morte à une sainte double. En effet, il y a amalgame d'au moins deux saintes, Philomène et Rosalie (nom ajouté par Nerval, mais au vers 14), cette dernière étant elle-même double, parce qu'on la trouve à Païenne aussi bien qu'à Naples. Qu'à cela ne tienne, car Naples et la Sicile sont des régions de volcans et de feu (cf. le "ciel qui brûle", v. 13). Nerval peut donc substituer à la "Sainte de Sicile" du ms Lombard (début du vers 9) la "Sainte napolitaine" du ms Éluard et de l'impriméet

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priméetnous renvoyer, du même coup, à la Rosalie napolitaine figurant dans Octavie*. Retenons que celle-ci, "couronnée de roses violettes", semblait "protégerle berceau d'un enfant endormi" (Nerval 1966, p. 288). Si on ajoute à ce renvoi la lettre V à Aurélia, qui ressemble à Octavie et dans laquelle Nerval parle de mourir, le rapport avec le début du sonnet s'éclaircit: la nouvelle vie s'oppose toujours à la mort.

Poursuivons. Un détail pourtant assez simple a échappé à la plupart des commentateurs du sonnet. Les "mains pleines de feu" sont les mains tenant la rose tremiere qui, étant multiflore, ressemble à des feux. La rose au cœur violet n'est qu'une flammes, la "fleur" de sainte Gudule. Une variante donne "sœur" au lieu de "fleur", mais à cause de la ressemblance rose-feu, la sainte napolitaine est bien une espèce de sœur de sainte Gudule. Celle-ci avait porté dans l'église un cierge; or, le diable l'ayant soufflé, la flamme s'est rallumée comme par magie6: renouveau, nouvelle" lumière. Le feu qui brûle peut donc être interprété comme une renaissance possible par l'intercession de la sainte (Philomène-Rosalie-Gudule). Rappelons avec d'autres commentateurs que sainte Gudule est originaire du Brabant, donc de la région de Bruxelles où Nerval avait vu Jenny Colon/Aurélie pour la dernière fois (en 1840, soit treize ans avant la genèse à'Artémis. Jenny devait mourir en 1842). Rappelons aussi que les trois saintes sont des vierges: Rosalie (de Palerme) est souvent représentée avec un bandeau, signe de protection contre les tentations; Philomène meurt pour avoir refusé l'amour de Dioclétien (Lemaître 1958, p. 703); Gudule "consacra à Dieu sa virginité"7. La lumière et la virginité nous ramènent à la figure d'Artémis elle-même, déesse de l'enfantement aussi (cf. Octavie, et le fait rapporté par les hagiographes que Gudule guérit un enfant estropié), et celle qui apporte la lumière. Artémis, c'est donc bien la même que les saintes évoquées et la même, sans doute, que les deux femmes mortes. Comme il en a l'habitude, Nerval condense dans un seul nom plusieurs figures, en l'occurrence celles qui viennent de l'hagiographie et de l'autobiographie.

Il nous reste à lire le dernier tercet — et le v. 11. Ils sont liés, Nerval ayant d'abord mis, dans le ms Éluard, "l'abyme des Cieux" au v. 11 et ajouté "Rosalie" au vers 14. Abîme et désert sont des termes interchangeables, comme cela ressort du Christ aux Oliviers (v. 12 et 19); ils désignent tous les deux un ciel vide du Dieu chrétienß. Dès lors, c'est l'autre abîme qui doit accueillir la sainte comme il avait accueilli Artémis. Les "Roses blanches" et les "Fantômes blancs" sont commela non-vie qui s'oppose à la vie^ évoquée dans le symbole du feu et de la lumière.Cette voie choisie par les saintes évoque celle des vierges blanches de l'antiquité,Artémis et Athènel^, et rester dans cet état serait précisément insulter "nos" dieux, c'est-à-dire les dieux païens et l'ordre qu'ils représentent, selon

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lequel Hécate avait succédé à Artémis. Dans Aurélia, Nerval soutient l'idée que les dieux antiques ont été remplacés par les dieux du christianisme. Dans Artémis, son attitude devant les deux religions demeure ambiguë (Bercot 1986, p. 105), il réinterprête seulement le destin des saintes chrétiennes à la lumière de la déesse grecque: aucune ascension vers le ciel chrétien n'est possible, le feu qui l'embrase vient d'en bas, comme Nerval en avait pu avoir l'assurance à Naples justement, de l'abîme, terme du destin d'Artémis aussi, devenue ce qu'elle n'était pas, la déessede l'abîme capable de donner la vie.

En ce sens, il est difficile de soutenir, comme le fait Schârer (1981, p. 41) que les tercets du sonnet mettent "en question l'unité proclamée par les quatrains". Ils nous semblent bien plutôt étayer cette unité qui — il est vrai — implique désormais la mort, mais une mort pour ainsi dire passagère, dans la mesure où elle renferme en elle la promesse d'une renaissance. Cette mort est importante, un sine qua non de la réunion avec la femme aimée. C'est sur ce point que se rejoignent la mère, Jenny, Rosalie et Artémis. Quant au "je" et à "la morte",ilssontun peu comme Polyphile et Polia qui veulent s'unir après la mort justement, "et, chose bizarre, ce fut sous les formes de la foi chrétienne qu'ils accomplirent ce vœu païen"l*. C'est ainsi que le nom d'Artémis remplit si bien la place qu'il occupe comme titre d'un sonnet par ailleurs consacré aux saintes.

Diane dans le contexte

Artémis n'est plus un texte clos, son hermétisme apparent éclate, dès qu'on prend en considération les variantes et notes, qu'on rend explicite ce que représente, par exemple, "Gudule" ou "Sainte napolitaine", et qu'on considère sa place dans le contexte immédiat, entre Deifica ("chanson d'amour... qui toujours recommence...") et Le Christ aux Oliviers. De même, l'horizon biographique recèle des points de repère non négligeables, comme on l'a déjà vu. Il importe maintenant d'élargir, comme d'autres l'ont fait avant nous, ce contexte et cet horizon.

Il se trouve que le récit de Sylvie, proche à'Artémis dans le temps (1853), l'est aussi du point de vue thématique. Le thème de la renaissance y est beaucoup plus élaboré que dans le sonnet, dans la mesure où le narrateur entreprend un retourd'abord spatial, par la suite aussi temporel, dans le pays de son enfance. Son point de départ est formé par ses sentiments pour l'actrice Aurélie, autre Jenny Colon, et femme idéale dont, précisément, il ne veut garder que l'image immaculée.Dans cette image, on reconnaît certains éléments du sonnet: "Amour, hélas! des formes vagues, des teintes roses et bleues, des fantômes métaphysiques! Vue de près, la femme réelle révoltait notre ingénuité; il fallait qu'elle apparût reine ou déesse (...)" (chap. I). Or, "cet amour vague (...) avait son germe dans le souvenird'Adrienne,

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venird'Adrienne,fleur de la nuit éclose à la pâle clarté de la lune, fantôme rose et blond" (chap. III). Cette Adrienne-Diane, fantôme elle aussi, se fait religieuse et meurt au couvent; elle appartient donc à la fois à l'ordre païen/antique et à l'ordre chrétien. Sylvie, de son côté, la très réelle Sylvie, reçoit aussi une teinte mythique, puisqu'elle est comparée (à un certain moment du récit, au moins) à Minerve: "son sourire (...) avait quelque chose d'athénien. J'admirais cette physionomiedigne de l'art antique (...)" (chap. IV), "je la plaçais désormais comme une statue souriante dans le temple de la Sagesse" (chap. XIII). En même temps, nous voilà devant une statue mythologique. En voici une autre, à laquelle plusieurscommentateurs ont déjà renvoyé en lisant Artémis^; le narrateur de Sylvie est sur le point de partir vers le Valois:

Quelle heure est-il?
Je n'avais pas de montre.
Au milieu de toutes les splendeurs de bric-à-brac qu'il était d'usage de réunir à cette
époque pour restaurer dans sa couleur locale un appartement d'autrefois, brillait d'un
éclat rafraîchi une de ces pendules d'écaillé de la Renaissance dont le dôme doré surmonté
de la figure du Temps est supporté par des cariatides du style Médicis (...)¦ La Diane historique,
accoudée sur son cerf, est en bas-relief sous le cadran, où s'étalent sur un fond
niellé les chiffres émaillés des heures. Le mouvement, excellent sans doute, n'avait pas
été remonté depuis deux siècles. - Ce n'était pas pour savoir l'heure que j'avais acheté
cette pendule en Touraine.

Je descendis chez le concierge. Son coucou marquait une heure du matin. (Chap. III)

L'image de la pendule arrêtée est liée au renouveau (cf. "restaurer", "rafraîchi", "Renaissance", "une heure du matin"), comme cela se doit pour qui veut retrouver l'enfance. S'il est précisé que la pendule est en style Médicis, c'est que Diane et les Médicis sont liés pour Nerval: le château (auquel nous reviendrons) de Saint-Germain, situé dans une "ville de souvenirs", proche du pays de l'enfance, "a la forme d'un D gothique, en l'honneur, dit-on, du nom de la belle Diane" (Promenades et souvenirs, Nerval 1966, p. 125, cf. p. 122). C'est encore la "Diane valoise qui protège les Médicis" dans La Pandora (ibid. p. 348), et que Nerval croyait voir en la personne de Sophie Dawes, Diane chasseresse, pendant son enfance (elle est morte en 1840, soit treize ans avant la genèse tf Artémis^).

Rosalie morte, Diane morte, Aurélie morte, la mère morte - les saintes de l'abîme sont plus chères à ses yeux...l4. Nous sommes reportés au début du sonnet, où la nouvelle vie succède à la mort, et la voie s'ouvre pour des révélations d'un autre ordre, comme le dit si bien Michel Jeanneret (1970, p. 130). Mais tout se renoue selon cet ordre sur la feuille 9r du Carnet du Caire (Nerval 1984, p. 853). Sept mois après la mort de Jenny Colon, survenue le 5 juin 1842, Nerval part pour l'Orient. Voici quelques notes jetées sur la feuille du carnet et qui se rapportent à la conjoncture Diane-Rosalie-Aurélie/Jenny-la mère:

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Amours laissés dans un tombeau - Elle - je l'avais fuie, je l'avais perdue — Je l'avais faite
grande - Italie - Allemagne - Flandre - Vaisseau d'Orient -
Amour de — Rosalie
(...)
Bruxelles le portrait - les lettres -
(...)
ma mère
(...) Le mystère de la divinité c'est l'énigme du sphinx
pour [moi? ] une Médicis
(...)

D'une Médicis (d'Adrienne? ) à la mère (morte en Allemagne), de la divinité représentée par le sphinx (autre statue) aux lieux de ses amours (Flandre et Bruxelles, Italie et Naples), tout se trouve lié dans la biographie de Nerval. La sainte et la déesse, la mère et la femme aimée ne sont pas plus éloignées les unes des autres qu'elles ne puissent se rencontrer dans une seule feuille. Si le nom de Diane ou d'Artémis ne figure pas sur cette feuille, nous allons voir comment cette déesse, le sphinxls, la statue, la mère et Aurélie sont indissociables chez Nerval.

Diane en statue

Le sonnet d'Artémis est rédigé en souvenir d'une morte. Il est juste que, sous cette forme, s'exprime la transformation de la personne regrettée en une figure éternelle, soit sainte, soit mythologique. D'où la formule de Nerval sur le Carnet du Caire: "Je l'avais faite grande". La femme devient une reine, mais à partir du royaume des morts. Le sonnet attribue à cette reine morte le pouvoir de donner la vie; mais il confère aussi à une forme morte la faculté de représenter la vie — ce qui est une définition possible de la statue, mais aussi du sonnet lui-même, comme l'avait suggéré Nerval en renvoyant au monument funèbre de Lucius qui n'était autre que la forme durable de la vie éteinte, la marque et les traces (dans l'inscription) de ce qui continuait ainsi à exister. La femme rendue à l'éternité par l'écriture, les femmes assimilées à la déesse de vie et de mort, la forme vivante figée dans le marbre — voilà des transformations qui se cristallisent autour de Diane.

Jenny Colon représente pour l'écrivain un tel "Type éternel" (Carnetdu Caire, p. 844), et il n'y a pas de doute que c'est l'actrice capable de représenter sur la scène diverses figures féminines qui a suscité chez Nerval cette idée. Au théâtre, Jenny était un être artificiel, un produit d'art représentant une réalité absente — autant que le fait la statuel6. Un passage á'Aurélia peut servir d'exemple-type, démontrant aussi le glissement vers l'art statuaire comme le moyen ultime de fixer le rêve:

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(...) je couvris bientôt les murs d'une série de fresques où se réalisaient mes impressions. Une figure dominait toujours les autres: c'était celle d'Aurélia, peinte sous les traits d'une divinité, telle qu'elle m'était apparue dans mon rêve. (...) Que de fois j'ai rêvé devant cette chère idole! Je fis plus, je tentai de figurer avec de la terre le corps de celle que j'aimais (...). (Première partie, chap. VII)

Cependant, dans les textes de Nerval, on peut cerner d'autres mises en scène plus développées, desquelles procède une seule figure mythologique. L'exemple le plus clair est la fameuse fête remémorée au chapitre VII de Sylvie, où les pensionnaires du couvent d'Adrienne jouent un "mystère des anciens temps" avec un "esprit [qui] montait de l'abîme". C'est le décor bien connu d'une place ouverte dans un jardin ou un parc, d'une pelouse baignée par les derniers rayons du soleil couchant ou déjà plongée dans la nuit (Sylvie, chap. II; cf. Poulet 1971, p. 47). La figure féminine qui y apparaît est soit menacée par la mort, soit transformée en figure mythologique, éventuellement rapprochée d'une statue. Le scénario revient sous diverses formes chez Nerval (voir aussi Angélique, Nerval 1966, p. 191-92). Il est constitué d'éléments que l'on peut trouver à l'état isolé ailleurs, en particulier celui du château (voir Promenades et souvenirs, éd. cit., p. 126; Les Faux Saulniers, Nerval 1984, p. 103).

Une variante de ce scénario se trouve dans Aurélia dans un passage déjà cité
par d'autres lecteurs à'Artémis à cause de la rose tremiere qui y réapparaît:

La dame que je suivais, développant sa taille élancée dans un mouvement qui faisait
miroiter les plis de sa robe en taffetas changeant, entoura gracieusement de son bras nu
une longue tige de rosé trémière (...). (Première partie, chap. VI)

Ce passage précède immédiatement celui où Nerval essaie de créer«une sculpture représentant sa "divinité" (voir ci-dessus). Voici le contexte de l'incident cité: le narrateur raconte un rêve, dans lequel il est accompagné par une dame dans un jardin et un "espace découvert", l'ambiance même des scènes de jeunesse de Sylvie. Mais, cette fois, la femme n'est pas une jeune fille, au contraire, c'est le narrateur qui devient "un petit enfant", "rajeuni" par les soins de trois femmes, dont il reconnaît l'une pour avoir entendu sa voix dans l'enfance; c'est incontestablement une figure maternelle qui l'entraîne sous les "treilles en berceaux" du jardin. La "taille élancée" de cette mère, cependant, ressemble aussi à celle d'Adrienne dans Sylvie, "développant sa taille élancée" sur la pelouse devant le château, où elle danse, autre Artémis, "aux rayons pâles de la lune" (Nerval 1966, p. 246).

C'est alors qu'a lieu, dans le jardin revenu à son état originel, à "l'état sauvage", l'événement fatal de la mort. La femme-mère se mêle à la nature et aux nuages "pourprés" du ciel (cf. le ciel qui brûle dans le sonnet, et les flammes du couchant dans Sylvie). Heure de la mort, heure de la transformation de la femme en statue, dans un décor plein de "statues noircies par le temps":

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(...) je me heurtai à un pan de mur dégradé, au pied duquel gisait un buste de femme. En
le relevant, j'eus la persuasion que c'était le sien... Je reconnus des traits chéris, et, portant
les yeux autour de moi, je vis que le jardin avait pris l'aspect d'un cimetière.

La mère morte, c'est aussi, selon l'interprétation du narrateur, Aurélia morte.
Nous avons retrouvé, sous la forme de la statue, Adrienne, la mère et Aurélie.

Revenons brièvement au Carnet du Caire, plus précisément à la légende de
"L'Amoureux de Diane", rapportée par Nerval (éd. cit., p. 868):

Dans le mur de la vieille citadelle on voyait autrefois une tête colossale de Diane (...). Un jeune homme de la ville devint amoureux de cette figure. Tous les matins et tous les soirs elle revivait pour lui sous les teintes rosées du soleil d'Asie. (...) Un jour, des janissaires (...) criblèrent la figure d'une décharge de coups de fusil. L'amoureux, revenant le soir, fut saisi de douleur et pleura longtemps, les yeux fixés sur l'image outragée. Les derniers rayons du couchant teignaient douloureusement ces tristes débris.

L'amour, la statue, les débris, la mort, beaucoup d'éléments préfigurent la scène d'Aurélia qu'on vient de lire. La citadelle (le château) et la lumière du couchant l'apparentent au scénario fondamental chez Nerval. Un dernier passage, tiré cette fois de La Pandora (Nerval 1966, p. 347-48) accentue l'aspect moins réconfortant de la statue, devenue ici "chimère", comme dans le passage qui y correspond, dans les "Amours de Vienne" du Voyage en Orient (Nerval 1984, p. 225):

(...) j'ai promené mes rêveries sur les rampes gazonnées de Schoenbrunn. J'adorais les pâles statues de ces jardins que couronne la gloriette de Marie-Thérèse et les chimères du vieux palais m'ont ravi mon cœur pendant que j'admirais leurs yeux divins et que j'espérais m'allaiter à leurs seins de marbre éclatant.

S'allaiter aux pâles statues (mortes), c'est retrouver la vie là où elle a disparu. La femme comme chimère (et sphinx), monstre et mère, c'est une des formes de la statue mythologique et de Diane qu'on peut trouver — et que Nerval a peut-être trouvées — chez son ami Heinrich Heine.

Diane chez Heine

II est possible d'élargir encore le contexte de Diane en tenant compte de l'intertextualité,de ce sous-texte formé par la statue mythologique et le scénario s'y rattachant qui relient les deux œuvres de Nerval et de Heinel7. Sauf sur certains points précis, où la notion de source s'impose, il semble plus prudent d'en rester à celle d'inspiration commune, bien que les ressemblances soient parfois frappantes.Le caractère nettement autobiographique de la plupart des œuvres en prose de Nerval, joint aux éléments mythologiques qu'il utilise, a fourni une clef importante au symbolisme de la statue. Chez Heine, c'est l'image purement poétique de la femme et sa dimension mythologique qui doivent nous retenir.

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Dans les poèmes de l'auteur allemand, la femme comme symbole de la mort et le scénario du jardin apparaissent dès Le Livre des chants, dans un poème traduit dans les Poèmes et légendes (1855) sous le titre "Songe fatal" (et dans Le Rêve et la Vie, choix de poèmes traduits par Nerval, sous celui de "Le Rêve" (Junge Leiden, Traumbilder II)). Mais c'est dans la "Préface" en vers à la troisième édition du Livre des chants (1839) que la femme-sphinx est mise en scène exactement de la même façon que chez Nerval qui publia une traduction de ce poème (version en prose) en 1848 (dans la Revue des Deux Mondes ("Le Sphinx", repris dans Le Rêve et la Vie), puis dans les Poèmes et légendes ("Prélude")).

Le poète, écoutant le rossignol chanter l'amour et les tourments d'amour, s'approche
d'un grand château:

Les fenêtres étaient closes, et tout, aux alentours, était empreint de deuil et de tristesse:
on eût dit que la mort taciturne demeurait dans ces tristes murs.

Devant la porte était un sphinx d'un aspect à la fois effrayant et attrayant, avec le
corps et les griffes d'un lion, la tête et les reins d'une femme.

Attiré par cette figure redoutable, le poète lui donne un baiser:

La figure de marbre devint vivante, la pierre commençait à jeter des soupirs. Elle but
toute la flamme de mon baiser avec une soif dévorante. (...)

Délicieux martyre, jouissance douloureuse, souffrance et plaisirs infinis! Tandis que le
baiser de cette bouche ravissante m'enivrait, les ongles des griffes me faisaient de cruelles
plaies. °

On reconnaît l'expression "0 délice! ô tourment!" d'Artémis; d'ailleurs, le château pourrait bien être celui de Nerval, le sphinx une des chimères de Schoenbrunn, et la lune, présente au début du texte de Heine, celle du scénario nervalien. Les éléments de ce scénario ne sont pas rares chez Heine. Dans le huitième poème "pour Lazare" dans les Gedichte 1853 und 1854, le poète s'adresse à la femme qui l'a abandonné:

Toi-même, te voilà émue de compassion, toi qui dans le désert de ma vie te tenais là,
silencieuse, pareille à une statue, belle comme le marbre, froide aussi comme le marbre!
(Traduction de Saint René Taillandier, Revue des Deux Mondes, 1854)

La femme comme un sphinx donnant la mort apparaît immédiatement après,
dans le neuvième poème:

La figure du véritable sphinx n'est pas différente de celle de la femme; (...). Sombre
comme la mort est l'énigme de ce véritable sphinx. u

Mais il y a plus. Dans Les Nuits florentines, un long passage semble, cette fois, être une source réelle des textes de Nerval. Le récit de Heine parut en 1836 en allemand et en français (toujours dans la Revue des Deux Mondes). Le héros, Maximilien, raconte un épisode de son enfance: il est allé, avec sa mère, visiter

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le vieux "château" de celle-ci qui s'avère être une maison de campagne délabrée
et dévastée, comme le parc qui l'entoure, par des soldats. Or, c'est surtout le parc
qui l'attire, dès son arrivée:

Les grands arbres jonchaient le sol, mutilés ou brisés (...)• On voyait aussi quelques statues auxquelles manquait toujours le nez quand ce n'était pas la tête. Je me souviens d'une Diane dont la partie inférieure était habillée de la façon la plus grotesque par les sombres branches du lierre; (...). Une seule divinité, comme par miracle, avait échappé aux outrages du temps et des hommes. (...) elle était restée intacte sur le gazon, la belle déesse de marbre, avec les lignes pures et harmonieuses de son visage, avec son noble sein bien partagé, qui dominait toute cette pelouse touffue comme une apparition de l'olympe grec.

Maximilien est tellement épris de cette statue (de Minerve? ) qu'il y retourne la
nuit suivante, "sous les rayons silencieux de la lune":

(...) à la fin j'embrassai la belle déesse avec une ferveur, une tendresse, un délire tel que je n'en ai jamais ressenti de ma vie en donnant un baiser. Je ne saurais non plus oublier le frisson doux et glacial qui courut dans mon âme quand le froid enivrant de ces lèvres de marbre toucha ma bouche.

Cette sainte de l'abîme, renversée et tombée, provoque les mêmes idées de vie et de mort qu'Artémis. Par son être double (comme la femme du "Sphinx") cette belle statue ressemble à Diane - Zeus n'avait-il pas donné à celle-ci le pouvoir de frapper de mort subite les hommes, et son baiser n'est-il pas glacial? L'allusion à la mort est tout aussi claire que dans Aurélia, et c'est également pendant la nuit que le héros se sent attiré par la statue mythologique, à cette "heure pivotale" probablement, où coïncident mort et vie, où de nouvelles formes se révèlent dans un ailleurs enchanté et olympien, non soumis aux "outrages du temps". Comment cette tentation pouvait-elle être mieux figurée que par la statue, et par sa parfaite ressemblance avec la vie ("Une seule divinité, comme par miracle, avait échappé..."), ressemblance désormais inaltérable?

Maximilien persiste d'ailleurs dans son amour pour les belles statues. Dans la chapelle des Médicis (!) à Florence, il tombe amoureux de la Nuit de Michel- Ange, "une femme de marbre": "dans ce marbre est enfermé l'empire des songes avec ses enchantements silencieux; un calme tendre et délicat repose dans ces beaux membres, un clair de lune assoupissant semble couler dans ses veines..." Œuvre d'art parfaite, la statue de Michel-Ange est la forme la plus susceptible d'égaler la forme réelle: la statue, ainsi que la femme, attire comme la vie qu'elle représente, mais elle est morte, ou c'est la mort qu'elle donne. Ce n'est qu'un simulacre, un morceau d'art, mais qui résiste au temps, comme le rappelle Gautier dans son "Art poétique". Et ce que Nerval, dans le passage suivant, applique à l'Art tout court, concerne encore plus l'art statuaire:

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Combien de religions et de sociétés sont mortes sans laisser de cadavre ni d'ombre, tandis que l'art, qui fut leur forme extérieure, est demeuré seul pour en témoigner, comme la coquille ou l'écaillé splendide d'une créature anéantie. (...) éternel et providentiel, l'art renouait la chaîne des temps (...). (Nerval 1964, p. 20)

Parmi les divinités antiques, c'est la déesse Diane qui peut le mieux servir d'illustration à cette idée, Diane qui passe sans transition de l'état de vierge à l'état de morte. Reine dans son univers mythologique, elle rend possible une nouvelle vie, renouant ainsi la chaîne des temps. Comme symbole d'art, elle restitue à la vie éteinte sa forme belle et idéale.

C'est bien ce que Heine veut dire dans une note sur la Beauté en art: "L'œuvre
d'art est belle, lorsque le Divin amicalement se rapproche de l'Humain: Diane
embrasse Endymion"22.

Mais il y a des cas, chez Heine comme chez Nerval, où cette rencontre ne réussit pas. On passe alors de Diane, symbole d'Art parfait, à Diane, symbole de femme et divinité signifiant la vie et la mort. Dans son essai sur les Esprits élémentaires (1837), Heine raconte l'histoire d'un jeune homme qui se prend d'amour pour la statue de la Déesse de la Beauté dans laquelle il sent vaguement "une vie plus vivante" que celle dont jouissent ses compatriotes du beau sexe. Or, un soir, au moment "où le soleil se couchait déjà", il s'aventure parmi les ruines où se trouve la statue, et rencontre sa déesse vivante dans une maison où on peut admirer sur les murs "des fresques de toutes sortes d'histoires d'amour païennes, par exemple Paris et Hélène, Diane et Endymion, Calypse et Ulysse". Se réveillant plus tard d'un cauchemar dans lequel il vient de décapiter la belle transformée en monstre hideux, il voit la statue renversée, gisant par terre, et la tête de marbre qui roule jusqu'à ses pieds23.

La statue mythologique figure aussi dans l'histoire qui suit immédiatement celle-ci: c'est l'histoire de la belle statue qui s'interpose entre le jeune homme et sa jeune épouse comme dans la nouvelle de Mérimée, Le Vénus dille (1837). Chez Heine, cependant, la fin est différente, puisque la déesse est exorcisée par un prêtre chrétien, variante dictée sans doute par la conception propre à l'auteurallemand (et à Nerval), selon laquelle le christianisme a remplacé brutalementles dieux antiques. Exactement comme dans Artémis, le dualisme inhérent à la statue mythologique de Diane (vie-mort, attraction-perdition) se double d'un autre dualisme. Dans un premier temps, la Beauté absolue de la forme sculptée est néfaste au poète (le "délice" et le "tourment" s'opposent chez Nerval ainsi que dans "Le Sphinx" de Heine); dans Aurélia, la femme elle-même meurt, se transforme en statue et entraîne la mort symbolique de l'univers qui est submergé par la nuit. Dans un second temps, l'ordre antique auquel appartient Diane se heurte à l'idéologie chrétienne, contraste qui engendre l'opposition fondamentaiechez

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taiechezHeine entre l'hellénisme et le judaisme ou le christianisme.

Chez Heine, la première constellation domine un de ses poèmes les plus importants,
"Nâchtliche Fahrt" ("La Nuit, sur l'eau") du Romancero (1851). Le
poète se promène en bateau, la nuit, sous la lune, avec un ami et une femme:

Debout dans le canot, elle était pâle et mince
et gardait l'immobilité
comme si elle eût été un marbre italien,
une statue de Diane.
(Heine 1976, p. 123)

Lui, en même temps, rêve qu'il est "un Sauveur" qui va "la libérer / de la honte et du péché, du mal et de la misère,/ et des viles bassesses du monde" 24. Succède une invocation au Roi des Juifs, et la barque, revenue vers la rive, ne porte que deux personnes. Exorcisme douloureux — et prise de distance par rapport aux tentations personnifiées par la statue mythologique.

La seconde constellation est élaborée dans le poème 33 des "Lamentations" (Poésies posthumes): "Es trâumte mir von einer Sommernacht..." ("Je rêvais d'une nuit d'été..."). Dès la première strophe, nous nous retrouvons dans le décor nervalien du château et du parc, des ruines et des statues:

Je rêvais d'une nuit d'été et de ruines de la Renaissance, vestiges de richesses disparues,
tombées et dispersées, blêmes et décomposées sous la lumière de la lune.
(...) Au sol gisaient, brisés, des portails, des toitures avec des sculptures, (...) et des statues
de femmes se trouvaient là, couvertes d'herbes folles.

Au milieu de ces débris des anciens temps se trouve un sarcophage en marbre, dans lequel gît un homme mort, le poète, qui contemple, sur les parois du sarcophage, des bas-reliefs représentant les dieux de l'Olympe, les héros d'Homère et ceux de l'Ancien Testament, et notre héroïne en train de chasser, accompagnée par des nymphes et des chiens. L'ensemble constitue un formidable contraste qui oppose la "volupté des Grecs" et "l'idée de Dieu de la Judée". Ces deux cultures finissent par se disputer le règne dans le cœur du poète:

Cette lutte ne prendra jamais fin, toujours la Vérité sera en querelle avec la Beauté, toujours
l'armée de l'humanité sera divisée en deux parties: les Barbares et les Hellènes.

Dans un passage ajouté à l'édition française des Esprits élémentaires, Heine explique comment Diane est devenue "un génie malfaisant" dès le sixième et septième siècle, une "femme démon" ou une "diablesse femme"27. Mais son apparence dans Atta Troll (Caput XIX) est à peine celle d'une exorcisée, elle est encore dominée par les passions autrefois refoulées, et c'est comme une "belle statue sans tache" qu'elle se promène, le visage "blanc comme du marbre", à la lumière des torches et de la lune, regrettant les temps perdus:

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Pourtant au fond de son œil noir brille un feu terrible, un feu doux et perfide, qui aveugle
et dévore. Combien elle ressemble peu à présent à cette Diane qui, dans l'orgueil de sa
chasteté, changea Actéon en cerf (...)•

Mais si les passions faisaient ainsi partie de l'Artémis hellénique, si celle-ci partageait cette "allégresse", cet "amour de la Beauté", cette "envie brûlante de vivre" que Heine attribue à l'hellénisme dans son essai sur Les Esprits élémentaires, c'est la nouvelle religion qui a perverti l'image classique de la déesse qui, pour lui, n'avait rien de diabolique.

En effet, Heine ne connaît aucune réticence, lorsqu'il s'agit de décrire la "féminité colossale" de telle courtisane du nom de "Diana" (Neue Gedichte, 1844), image qui fait irrésistiblement penser à telle autre grande figure féminine, à cette "femme du Nord" du Romanzerò qui ne peut être comparée qu'à "la grande Diane des Ephésiens", àla déesse de la fertilité!29. Il n'y a rien de maléfique non plus dans l'héroïne du ballet La Déesse Diane de Heine (1846). Le ballet met en scène une sorte de résurrection des dieux de l'Olympe et de l'hellénisme selon les idées de Heine. Le premier tableau montre un temple de Diane tombé en ruines, avec une statue de la déesse sous la lune, et un chevalier allemand qui tombe amoureux de cette vierge, lorsqu'elle fait son entrée. Au second tableau, le chevalier est dans son château gothique avec son épouse; Diane apparaît avec son cortège, et on assiste à un pas-de-deux, où la sensualité grecque lutte avec la vertu germanique. Dans le troisième tableau, Diane et sa suite sauvent le chevalier de tous les mauvais esprits de la mythologie nordique et l'entraîne au Mont de Vénus, "palais souterrain dont l'architecture et l'ornement sont dans le style de la Renaissance". C'est ici que le chevalier renaît, aux accents de la musique apollonienne, donc sous l'effet de l'Art. Mais on aura reconnu à quel degré ce schéma correspond aux textes lus précédemment, et qu'il installe explicitement l'Art du côté de Diane, l'Amour dans le décor de la Renaissance, le chevalier ou le poète dans la nature qui rappelle à la fois Sylvie et Aurélia. Et le sonnet d'Artémis n'est pas loin non plus, qui était basé sur l'image de la déesse disparue, mais aimant encore.

Deux amis de Diane. Conclusion

Aux yeux de Nerval, Heine est "Grec avant tout. Il admire la forme quand cette forme est belle et divine"3o. On sait bien que, pour Heine, l'opposition entre "Barbares" et "Hellènes" était en réalité moins facile à surmonter; ce qui donne raison à Nerval, cependant, c'est que Heine situe en Grèce la naissance et sans doute une certaine apogée de l'Art, ce qui est un argument de plus en faveur de la dévotion des deux amis pour la belle Diane. C'est ainsi que, à propos du théâtre

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en Angleterre, Heine s'en prend au puritanisme et à l'hostilité de celui-ci à l'égard de l'Art tout court. Cet esprit hostile imprégnerait selon lui la position de l'Eglise depuis les premiers siècles de son existence, esprit "plus ou moins iconoclaste qui a exercé son influence jusqu'à nos jours" et entretenu l'opposition entre "Jérusalem et Athènes, entre le Saint-Sépulcre et le berceau de l'art, entre la vie en l'esprit et l'esprit dans la vie"3l. Le monde de l'Art est menacé encore, dans les temps modernes, par les "sombres iconoclastes" que sont les "communistes": "ils briseront sans merci toutes les statues de marbre de la beauté, si chères à mon cœur"32.

L'art statuaire naît, nous explique Heine, au moment précis de l'histoire spirituelle de l'humanité, où l'esprit prend possession de la matière et "cisela dans la pierre une immatérialité à demi conçue dans ses pressentiments" (Lutèce, XXXII). Dans l'architecture égyptienne, la matière avait dominé; et dans la peinture, dont la grande époque commence vers la fin du Moyen Age, c'est l'esprit qui domine. Mais en plein milieu de cette évolution, c'est la statuaire grecque qui réalise la merveilleuse union de l'esprit et de la matière, la dialectique de l'homme créateur et du monde réel.

La statue de Diane, chez Heine, est l'illustration de cet idéal; et ses différentes
apparitions témoignent de l'idée partagée par Nerval que l'art statuaire est la
forme sublime et durable de la vie.

Artémis s'inscrit dans cette conception de l'Art et de son histoire. Non seulement le sonnet exprime la survie des passions humaines et la renaissance d'êtres aimés, mais il fait aussi d'une figure mythologique classique la représentation idéale de cette renaissance. C'est effectivement Diane qui assure l'union recherchée entre le périssable, la forme morte, et l'impérissable, la forme vivante figée pour l'éternité. Seule la déesse de la mort devenue la déesse de la renaissance et de l'enfantement pouvait présider, en donnant son nom au titre du sonnet, à cette synthèse.

Si le nom de "Diane" est inclus dans celui d'"Adrienne", "Artémis" renferme les lettres du mot "Art". Et si le sonnet est d'abord une prière à la morte (sens confirmé par l'intertextualité qui le lie à Sylvie et à Aurélia), il apparaît par la suite comme une déclaration d'amour à l'Art. Adrienne-Diane, Artémis-la statue, mouvement qui va de la vie à la renaissance en passant par la mort: le monument funèbre ne pouvait être qu'une pierre portant l'inscription dédiée à Hécate. Derrière cette thématique de la vie et de la mort se cache la recherche d'une forme artistique, celle du marbre, représentation morte de la vie. Le nom de Diane, de la déesse double, était celui qui allait le mieux à cette forme.

Hans Peter Lund

Copenhague

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Notes

1. Cf. notre article sur ce "tombeau" de Gautier: "Note sur Toast funèbre de Mallarmé et La Comédie de la mort de Gautier", Revue Romane 18,1, 1983.

2. Pour Jean Richer (1963, p. 582 ss), Artémis est aussi le tombeau de l'auteur et présente sa mort initiatique.

3. Point n'est besoin de renvoyer (Richer, loc. cit.) au tarot et aux arcanes pour expliquer la présence de la mort dans le premier vers (cf. aussi Richer 1971).

4. Cf. Chevalier 1971.

5. Cf. Guillaume 1963.

6. On se demande pourquoiGeninasca (1973, p. 124) renonce à demander "à l'hagiographie d'éclairer ou de justifier le texte nervalien", quand il le fait à propos de sainte Gudule. Mais il a raison de refuser d'invoquer, comme le font Guillaume et d'autres, sainte Lucie quine figure pas dans le texte.

7. Vies des Saintes et des Bienheureux, I, Paris 1935, p. 165.

8. Cf. Guillaume 1963, p. 39, Geninasca 1971, p. 122-24.

9. Geninasca 1973, p. 149, cf. Bercot 1986, p. 104.

10. Knapp (1980, p. 271), sans parler des vierges blanches, interprète ainsi: "The poet commands the purity to drop, the spirituality to descend".

11. Voyage en Orient, Nerval 1984, p. 238; cf. Milner 1985, p. 51.

12. Jean Onimus (1955) trouve dans ce passage l'explication du titre du sonnet: "Les anciens cadrans portent au-dessus des chiffres 1, 2, 3, etc. les numéros 13, 14, 15, etc." - ce qui n'explique guère la fonction du titre pour tout le sonnet.

13. Comme on le sait (mais Nerval le savait-il? ), Sophie Dawes n'avait en réalité rien d'une Diane. Venue au château de Chantilly en 1815 avec son amant et protecteur, le duc de Bourbon (l'avant-dernier des Condé), qui la maria à Adrien de Feuchères, elle habitait le château pendant l'enfance de Nerval (voir Lemaître 1958, p. XLVIII-LII; Paul Lombard, Par le sang d'un Prince. Le duc d'Enghien, Paris, Grasset, 1986, p. 299-302).

14. Cf. Constans 1979, p. 20: "M. Aristide Marie, dans sa biographie de Gérard de Nerval (...), a reproduit la description laissée par Maxime du Camp, d'un dessin que Gérard avait tracé au cours de son séjour dans la clinique du Dr. Esprit Blanche (21 mars- 21 novembre 1841): "Une femme géante nimbée de sept étoiles et symbolisant à la fois Diane, sainte Rosalie et Jenny Colon"."

15. Sur le sphinx, voir Vadé 1977.

16. Sur l'actrice, cf. Jeanneret 1973. Sur la même fonction de l'art du théâtre chez Gautier, cf. notre article: "Contes pour l'art. La métaphorique picturale et théâtrale chez Gautier", Revue Romane 18,2, 1983.

17. Rappelons que Heine s'est installé à Paris en 1831 pour y mourir en 1856. Nerval publia des traductions de ses poèmes en 1848, fruit d'une collaboration amicale; cf. notre article: "Distance de la poésie. Heine, Nerval et Gautier en 1848", Orbis litterarum, 1983,38.

18. Verschlossene Fenster, ûberall Ein Schweigen und ein Trauern; Es schien, als wohne der stille Tod In diesen ôden Mauern. Dort vor dem Tor lag eine Sphinx, Ein Zwitter von Schrecken und Lûsten, Der Leib und die Tatzen wie ein Lôw, Ein Weib an Haupt und Brûsten. (...) Lebendig ward das Marmorbild, Der Stein begann zu âchzen - Sie trank meiner KQsse lodernde Glut Mit DQrsten und mit Lechzen. (...) EntzQckende Marter und wonniges Weh! Der Schmerz wie die Lust unermesslich! Derweilen des Mundes Kuss mich begluckt, Verwunden die Tatzen mich grâsslich. (Heine 1975, 1, p. 14-15)

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18. Verschlossene Fenster, ûberall Ein Schweigen und ein Trauern; Es schien, als wohne der stille Tod In diesen ôden Mauern. Dort vor dem Tor lag eine Sphinx, Ein Zwitter von Schrecken und Lûsten, Der Leib und die Tatzen wie ein Lôw, Ein Weib an Haupt und Brûsten. (...) Lebendig ward das Marmorbild, Der Stein begann zu âchzen - Sie trank meiner KQsse lodernde Glut Mit DQrsten und mit Lechzen. (...) EntzQckende Marter und wonniges Weh! Der Schmerz wie die Lust unermesslich! Derweilen des Mundes Kuss mich begluckt, Verwunden die Tatzen mich grâsslich. (Heine 1975, 1, p. 14-15)

19. Selbst dich ergreift ein Mitgefûhl! Dich, die in meines Lebens Wildnis So schweigsam standest, wie ein Bildnis, Das marmorschSn und marmorkûhl. (Heine 1975,6, l,p. 206)

20. Die Gestalt der wahren Sphinx Weicht nicht ab von der des Weibes; (...) Todesdunkel ist das Râtsel Dieser wahren Sphinx (...). (ibid., p. 207; c'est nous qui traduisons)

21. Heine s.d., 2, p. 295, 297-98. - Die grossen BSume waren zum Teil verstümmelt, zum Teil niedergebrochen (...). Hie und da standen auch Statuen, denen meistens die Kspfe, wenigstens die Nase, fehlten. Ich erinnere mich einer Diana, deren untere Hâlfte von dunkelm Efeu aufs lâcherlichste umgewachsen war, (...). Nur eine Statue war, Gott weiss wie, von der Bosheit der Menschen und der Zeit verschont geblieben; (...) da lag sie unverstümmelt, die marmorne Gôttin, mit den reinschônen Gesichtszûgen und mit dem straffgeteilten, edlen Busen, der, wie eine griechische Offenbarung, aus dem hohen Grase hervorglâ*nzte. (...) und endlich kOsste ich die schône Gôttin, mit einer Inbrunst, mit einer ZSrtlichkeit, mit einer Verzweiflung, wie ich nie mehr gekûsst habe in diesem Leben. Auch nie habe ich diese grauenhaft susse Empfindung vergessen kônnen, die meine Seele durchflutete, als die beseligende Kâlte jener Marmorlippen meinen Mund berûhrte... (Heine 1975, 1, p. 560, 562).

22. Schôn ist das Kunstwerk, wenn das Gôttliche sich dem menschlichen freundlich zuneigt: Diana kflsst Endymion (...) (Heine 1975, 6,1, p. 628). C'est nous qui traduisons.

23. C'est nous qui traduisons; v. le texte original Heine 1975, 3, p. 686-88. Les ressemblances de ce texte avec Arria Marcella de Gautier (.185 2) sont claires; les rapports entre ce dernier et Artémis de Nerval ont été mis en évidence par Geninasca (1973, p. 136ss).

24. Traduction in Heine 1976, p. 122. Sie stand im Kahn so blass, so schlank, Und unbeweglich dabei, Als wSr sie ein welsches Marmorbild, Dianens Konterfei. (...) Mir trSumt, Dass ich ein Heiland sei, (...) Ich aber mâche sie frei Von Schmach und SOnde, von Quai und Not, Von der Welt Unflaterei. (Heine 1975, 6,1, p. 54-55)

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24. Traduction in Heine 1976, p. 122. Sie stand im Kahn so blass, so schlank, Und unbeweglich dabei, Als wSr sie ein welsches Marmorbild, Dianens Konterfei. (...) Mir trSumt, Dass ich ein Heiland sei, (...) Ich aber mâche sie frei Von Schmach und SOnde, von Quai und Not, Von der Welt Unflaterei. (Heine 1975, 6,1, p. 54-55)

25. C'est nous qui traduisons. Es trSumte mir von einer Sommernacht, Wo bleich, verwittert, in des Mondes Glanze Bauwerke lagen, Reste alter Pracht, Ruinen aus der Zeit der Renaissance. (...) Gebrochen auf dem Boden liegen rings Portale, Giebeldacher mit Skulpturen (...) Auch manches Frauenbild von Stein liegt hier, Unkrautumwuchert in dem hohen Grase (...) (Heine 1975, 6,1, p. 345)

26. 0, dieser Streit wird endgen nimmermehr, Stets wird die Wahrheit hadern mit dem Schônen, Stets wird geschieden sein der Menschheit Heer In zwei Parteien: Barbaren und Hellenen. (Ibid.)

27. Heine 1975, 3, p. 684-85.

28. Traduction dés Poëmes et légendes. Doch in ihrem scharzen Auge Loderte ein grauenhaftes Und unheimlich susses Feuer, Seelenblendend und verzehrend.

29. "Der weisse Eléphant", traduit dans la Revue des Deux Mondes, 1851, traduction reprise dans les Poëmes et légendes.

30. "Les Poèmes de Henri Heine", Revue des Deux Mondes, 1851, Nerval 1959, p. 85.

31. De l'Angleterre, Paris, 1881, p. 14; cit. Weinberg 1954, p. 61; voir Heine 1975, 4, p. 175 (Shakespeares MSdchen und Frauen).

32. Préface à l'édition française de Lutèce, 1855; Heine 1975, 5, p. 224.

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Résumé

Une élucidation du sonnet d'Artémis montre comment le poème rassemble des images de femmes mortes appartenant à la vie de Nerval et à l'hagiographie, sous l'invocation d'une figure mythologique capable de donner la mort et de ranimer leb âmes. De Sylvie au Carnet du Caire, on retrouve la même représentation ambigue de la divinité, parfois sous forme d'une statue, œuvre d'art qui garde la forme du vivant sous la forme morte du marbre. Plusieurs textes de Heine, qui a peut-être inspiré Nerval, confirment et élaborent cette conception de Diane et de la statue mythologique, symbole d'un Art qui réunit la matière et l'esprit.

Bibliographie

Nerval (1966): Œuvres, t. I, éd. A. Béguin et J. Richer, Bibl. de la Pléiade, Paris, Gallimard

Nerval (1959): Œuvres complémentaires de Gérard de Nerval, I, éd. J.Richer, Paris, Minard,
Lettres modernes.

Nerval (1964): Idem, VIII.

Heine (1975): SSmtliche Schriften 1-6, éd. Klaus Briegleb, MOnchen, Hanser.

Bercot, Martine (1986): "Poétique de l'ambiguïté dans Les Chimères", in: Le Rêve et la Vie.
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