Revue Romane, Bind 22 (1987) 1

Le causatif pronominal

par et

Liliane Tasmowski-De Ryck

Hildegard van Oevelen

0. // a été expulsé du club et // s'est fait expulser du club sont des tours très
proches par le sens. Dans les deux, le sujet représente l'objet expulsé et dans les
deux, l'expression de l'instrument d'expulsion est banale:

(la) II a été expulsé du club par le préposé.

(1 b) II s'est fait expulser du club par le préposé.

Les deux aussi sont unis par un rapport syntaxique constant à une phrase à l'actif de même sémantique: aucun nouvel élément ne peut être perçu dans la situation, la scène met chaque fois en jeu quelqu'un qui expulse et quelqu'un qu'on expulse. Ce rapport entre les deux formulations a été dénoncé par Stimm (1957), dont le centre d'intérêt principal était cependant la construction avec voiA. Pour ce qui est du causatif même, sa relation avec le passif a surtout été soulignée par Dubois (1967, 123-124)2, qui suggère en fait une forme de complémentarité entre la construction passive et le causatif pronominal. Celui-ci apparaîtrait quand le premier et le deuxième argument du verbe à l'infinitif3 réfèrent à des animés de sorte que le verbe au pronominal se prête a une interprétation réfléchie. Il y aurait dès lors lieu d'éviter l'ambiguïté entachant une phrase comme Jean s'habille (chez un bon tailleur / o}. Le causatif pronominal sert à déclencher le premier type d'interprétation et permet alors une lecture non-accomplie, exclue avec le passif ordinaire:

(2) Jean habille le petit ~le petit s'habille (réfléchi).
~ le petit a été habillé par Jean (accompli).
~ le petit s'est fait habiller par Jean (non-accompli).

Ces indications se heurtent à un certain nombre de difficultés. D'abord, bien que
rares, des exemples de causatif pronominal où soit Nj soit N2 sont inanimés
existent:

(3) -Sijeme faisais avaler par le gouffre? (Leblanc 1967, 124)

(4) Soudain, deux notes plaintives se firent entendre. (Robert, entendre)

Ensuite, dans certains contextes, le réfléchi (cf. (5)) ou le passif accompli (cf. (6))
sont exclus. Ni l'ambiguïté du pronominal ni le caractère accompli du passif ne
peuvent alors valoir comme déclencheurs du tour se faire Infinitif:

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(5) il se fit conduire dans la loge de la triomphatrice. (Leblanc 1967, 253)

(6) Pour faire parler Léo, le soutenir. Il avait la fièvre, il ne s'est pas fait prier. (Rivoyre
204)

On ne peut d'ailleurs pas prétendre sans plus que le causatif pronominal serve de forme non-accomplie au passif, car ce dernier ne prend pas d'office une valeur d'accompli, l'expression d'un complément d'agent permettant la description d'un procès en cours:

(7) -Je voudrais voir X. - Impossible, en ce moment il est interviewé par votre collègue
du Soir.

En fait, même en l'absence de complément d'agent, la distinction aspectuelle est
quelquefois inexistante comme en témoigne la paire (8) due à Spang-Hanssen
(1967):

(8 a) Vous vous demandez pourquoi je n'ai pas accepté d'être habillée rue de la Paix.

(8 b) Vous vous demandez pourquoi je n'ai pas accepté de me faire habiller rue de la Paix.

Rappelons enfin que le causatif pronominal s'emploie également avec des infinitifs intransitifs (cf. (9)) et avec des infinitifs bitransitifs quand c'est N3 qui est coréférentiel avec S (cf. (10)). Les conditions structurales pour une construction passive ne sont alors tout bonnement pas remplies:

(9) Elle se fait maigrir en suivant un régime sévère. (Dfc faire (se) 4.)

(10) Elle (...) se fit apporter quatre nouveaux toasts. (Leblanc 1967, 7)

II ne saurait donc être question de complémentarité stricte.

L'équivalence proposée par Dubois a été examinée en détail et rapportée à une série d'observations précieuses dans Spang-Hanssen (1967), où il est noté que le causatif pronominal remplace le passif quand la construction est emboîtée sous un verbe matrice ne supportant pas être + Vé. Tel est le cas des verbes de mouvement:

(lia) -*I1 vient sans doute être soigné chez vous?

(llb) - II vient sans doute se faire soigner chez vous?

Cette propriété particulière aux verbes de mouvement expliquerait aussi la propension
générale à éviter la construction passive après des verbes indiquant une
activité dont l'infinitif représente l'aboutissement, parvenir, essayer, réussir....
Sans doute ne s'agit-il là que d'une tendance, les énoncés (12) paraissant également


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(12)

Spang-Hanssen remarque aussi qu'avec le causatif pronominal, il est fait référence
à un aspect inchoatif, ou à un processus, et il donne à entendre que ce facteur

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pourrait expliquer la haute fréquence d'infinitifs rapportant des actes violents ou
désagréables. L'aspect inchoatif ou le caractère de processus n'est toutefois pas
toujours également perceptible dans les exemples donnés:

(13) Tu sais que le pauvre garçon s'est fait refuser à son examen.(Spang-Hanssen 1967,
142)

Quant au rapport causal avec la sémantique des infinitifs, il a fait l'objet d'un
examen spécial dans Gaatone (1983). Nous y reviendrons infra, section 4.

En fin interprète des données, Spang-Hanssen finit par reconnaître dans se faire
Infinitif une construction ambiguë, soit variante réfléchie de la construction causative
non réfléchie, soit passif.

Un troisième point de vue, mais sans véritable argumentation, se trouve dans Gaatone (1983)4: la valeur passive de se faire Infinitif est non primaire, induite sous la pression de facteurs pragmatiques. C'est celui-là que nous défendrons ici, en prétendant que le pronominal a une valeur propre qui se distingue de celle de la construction passive, et que s'il s'en rapproche dans certains cas, le principe doit en être cherché dans le causatif pronominal lui-même. Nous montrerons que le sujet global du causatif pronominal n'est pas patient au même titre que le sujet d'une construction passive et ensuite nous proposerons pour le fait que Nj apparaisse toujours sous la forme par / de SN, soit celle qu'on trouve typiquement avec le complément d'agent, et jamais (ou presque) sous la forme à SN, pourtant normale avec le causatif non pronominal, une explication sémantique basée sur les caractéristiques du tour causatif.

1. L'examen préalable d'un contexte dans lequel la commutabilité du passif et du causatif pronominal est exclue par la force des choses — l'infinitif est intransitif —, nous servira à fixer les possibilités de la construction. On se demandera ici quels sont les infinitifs tolérés, et d'un point de vue sémantico-pragmatique, quel genre d'actions on peut "se faire faire".

Rosen (1983) considère que la question est susceptible d'un traitement syntaxiqueet lui donne dans ce cadre une réponse radicale: bien qu'elles ne donnent lieu à aucune difficulté d'interprétation, des phrases du type S se fait lnfin ft sont agrammaticales. La contrainte qui bloque leur formation s'exprime en termes relationnels: "la relation Union est mal formée si la même tête nominale correspondà la fois au 1 initial de faire et à la relation la plus haute du réseau inférieur, et ce, non seulement dans la structure initiale, mais où qu'elle surgisse"s. Rosen s'oppose ainsi à des allégations de Raposo (1981) pour qui Union, bien qu'interditavec des prédicats inergatifs, serait pourtant permis avec des prédicats inaccausatif s6. Or, Raposo commettrait l'erreur de considérer laisser, verbe qui connaît

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deux syntaxes, et si on a en effet Jean se laisse tomber dans un fauteuil, c'est qu'on aurait là une structure provoquée par Raising, et non par Union7. On se demandera alors pourquoi Raising, qui doit expliquer Jean s'est laissé tomber dans un fauteuil, serait réservé auxprédicats inaccusatifs avec laisser, tandis qu'avec les verbes de perception, le mouvement s'applique tout autant aux prédicats inergatifs.Nos matériaux montrent d'ailleurs que le type de phrase incriminé s'emploieégalement avec faire. Il est couramment aussi signalé dans les dictionnaires, comme en témoigne (9).

Faut-il alors déclarer ces exemples agrammaticaux, mais quelquefois acceptables par analogie, ou faut-il les considérer comme grammaticaux et rejeter la plupart des énoncés sur des bases pragmatiques? Contrairement à Rosen, nous ne choisirons pas d'écarter ce type d'énoncés par la grammaire mais par le sens.

Dans le corpus que nous avons constitué, les infinitifs qu'on trouve après faire indiquent des modifications dans l'aspect de S (bronzer, maigrir, suer, se faire passer pour). A première vue, l'observation de Raposo est correcte: ces verbes semblent inaccusatifs. Reste pourtant, d'une part, que bien des verbes inaccusatifs ne s'emboîtent pas normalement sous faire (? *il se fait arriver, sortir, embellir, sentir), d'autre part que le passif impersonnel n'est pas également exclu avec tous. Suer le tolère sans doute. On trouve d'ailleurs parfois dans la littérature un exemple isolé d'inergatif authentique. Spang-Hanssen cite ainsi le passage suivant de Vian:

(14) il ale cafard parce qu'il est trop bête pour se Taire rire. (Spang-Hanssen 1967,145)

Si l'énoncé est ici plaisant, il n'y a par contre plus rien de spécialement bizarre à:

(15) -Tu savais qu'on peut se faire rire en se chatouillant la plante des pieds?

Examinant alors quelques phrases avec faire

(16) Pourquoi danse-t-elle? A moins que ce soit pour se faire maigrir. (Spang-Hanssen
1967, 146)

(17) Elles apprennent àla France émerveillée et un peu rouillée qu'on peut "se faire
suer" tout en s'amusant. (Paris-Match 1762, 14)

on voit bien que S agit volontairement en employant des moyens adéquats pour mettre en branle un processus qui l'affecte, mais cela n'explique pas pourquoi certains infinitifs sont plus naturels que d'autres. Après tout, il m'appartient aussi de danser, sauter, courir (verbes inergatifs) ou de venir, entrer, sortir (verbes inaccusatifs),qu'on conçoit pourtant très mal sous/a/re. Nous renonçons donc à la distinction en principe syntaxique d'ergativité, pour ne considérer que le type de situations auquel il est fait référence. On remarque alors que de ce point de vue, les verbes se laissent diviser en deux catégories, étant entendu qu'ils peuvent se trouver dans l'une et dans l'autre d'après le contexte: (I) ceux qui désignent une

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activité nécessairement volontaire, nager, courir, venir, entrer, que le sujet domine,qu'il initie et interrompt comme il l'entend, et (II) ceux qui désignent des activités involontaires, parmi lesquelles nous distinguerons (a) celles qui sont en principe incontrôlables, penser, réfléchir, ronfler, rêver et (b) celles où le sujet est patient, auxquelles il est soumis, mais qu'il peut néanmoins mettre en train par des moyens efficaces. Ce sont ces derniers seuls qu'on trouve naturellement après se faire, et ce conformément à la sémantique générale du tour causatif. Ici et ici seulement peut s'opérer une dissociation du seul partenaire de l'événement en d'une part Agent, siège de la volonté, Facteur Déterminant Externe pour employer la terminologie de Borei (1972), et d'autre part Patient, siège du procès. Or cette distinction est primordiale car elle permet de rencontrer deux exigences de la construction causative mises en lumière par Borei pour le tour non pronominal.

Elaborant sur l'étude de Ruwet (1972) qui cherche à établir les principes qui règlent le recours à une tournure directe par rapport aune périphrase avec faire, Borei montre qu'avec cette dernière, il y a nécessairement une certaine distance entre l'action de S et la situation. Il intervient un élément de durée dans sa réalisation, ce qui fait d'ailleurs que son aboutissement est incertain. A partir d'un certain moment "La réussite de l'action déterminée ne dépend plus du FDE {notre S, LTVO); elle dépend de la marche "normale" de l'effecteur {notre Nv LT-VO) dont l'action du FDE a modifié l'état" (Borei 1972, 24). La construction causative implique donc une phase où le rôle du FDE peut devenir passif, le relais étant pris par la situation provoquée. Dans le tour direct par contre, l'action du sujet doit être permanente. Borei explique de cette manière l'opposition:

(18a) *Jean flambe la maison.

( 18b) Jean fait flamber la maison.

Les verbes de la catégorie maigrir, suer, bronzer, etc. où le sujet est pris dans un
processus involontaire ont cet effet: après avoir été mis en train par S, le processus
peut se perpétuer sans le secours d'une pression externe constante.

Borei observe encore que suite à la distance qu'il y a entre les actes élémentaires et le résultat, il est en principe impossible qu'il y ait simultanéité entre un acte élémentaire et le but poursuivi. Si donc l'activité de la partie constitue en même temps l'activité du tout, la construction avec faire ne sera possible que si Nj possède une certaine autonomie:

(19) *La cloche (du réveil) fait sonner le réveil.

(20) Le Chef de nage fait accélérer ses coéquipiers. (Borei 1972, 42-43)

Ici encore, les verbes entrant dans la catégorie (II b) permettent cette distanciation:
les exemples ont montré que l'unique partenaire de l'événement est vu sous deux

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angles différents, Agent ou Patient, esprit et corps.

On comprend dès lors pourquoi les verbes de (I) sont normalement exclus: sauf cas pathologique, puisque Nj est ici agent volontaire, aucune distance ne peut s'instaurer avec un S qui provoque l'événement. Seule la structure simple est courante. Quant à (lia), les activités auxquelles il est référé étant en principe involontaires et incontrôlables, on ne s'attend pas a priori à voir figurer ces verbes ici, la construction menant alors à un sens contradictoire. Bref, entrent en principe dans la tournure se faire Infinitif où S = Nj les verbes désignant des activités que S peut délibérément provoquer mais qui se prolongent dans une situation où il est soumis à une modification.

Il semble pourtant également exister un cas où S ne dispose pas des moyens efficaces pour obtenir la situation, et où il ne la souhaite pas. L'activité est mise en branle non par un acte de sa volonté, mais par des caractéristiques de sa personne:

(21) Accoutré de cette façon, il se fait penser àun clown.

Même si la structure faire penser à est fortement lexicaliséeB, on peut comparer
la valeur du tour, nous semble -t-il, à celle du causatif non réfléchi qu'on trouve
dans (22):

(22a) Par un geste inconsidéré, le Chef de nage fait accélérer ses coéquipiers.

(22b) Un geste inconsidéré du Chef de nage a fait accélérer ses coéquipiers.

C'est dire que bien que S ne soit pas agent provocant pour la situation, il en est néanmoins fût-ce involontairement responsable. Nous verrons à présent que ce sont bien ces deux interprétations différentes qui déterminent l'ambiguïté reconnue par Spang-Hanssen dans le causatif pronominal à infinitif transitif et à S = N2.

2. Lorsque l'infinitif est transitif et S = N2, il ne faitpas de doute que la construction
passive et la construction causative pronominale semblent quelquefois interchangeables:

(23) L'accusé s'est fait condamner.

Il n'en va pas toujours de même, comme cela ressort de l'examen de la paire (24):

(24a) Je veux mourir en composant un Picon-citron, et si c'était permis, je me ferais enterrer
sous le comptoir. (Pagnol 254)

(24b) ...et si c'était permis, je serais enterré sous le comptoir.

(24 a) signale que César voudrait être enterré sous le comptoir. Mais cela n'apparaît pas dans (24a). Tout ce qui est énoncé là, c'est qu'on l'enterrerait sous le comptoirsi c'était permis; la question du désir ou de la volonté de César n'y est plus posée. Dans (25) ci-dessous, le fait de substituer un passif à la construction eausativechange

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sativechangecette fois le sens d'une manière radicale:

(25a) Jean est mort, je le sais, j'en suis sûre. Il l'a fait exprès, il disait la mort c'est gai,
une cabriole. Il s'est fait tuer. Exprès. Contre moi. (Rivoyre 293)

(25b) ...II a été tué. Exprès. Contre mol

Dans (25b) ce n'est plus Jean qui a fait exprès de mourir, ce sont d'autres qui l'ont tué exprès. L'adverbe d'intentionnalité exprès se rapporte dans (25 a) à S. Avec le passif de (25b), il a trait à l'agent sous-jacent. Lorsqu'on remplace la construction causative par le passif, le sens changera donc en conséquence, sauf si l'intentionnalité de N2 (N2 =S) est exprimée par des moyens indépendants:

(26) Non, le chauffeur ne peut pas refuser de vous charger, sauf si vous voulez vous faire
conduire (/être conduit) à l'extérieur des départements périphériques. (Le Nouvel
Observateur 853 (1981), 9)

(27) En fait, ils se battent ou se sont battus contre tout le monde, non par idéologie ou conviction religieuse, mais pour se faire reconnaître (/être reconnus) comme communauté autonome dans un pays qui les avait complètement ignorés, (ib. 994 (1983), 39)

(28) Je n'avais qu'un but: me faire bien voir (/être bien vu) du général. (Stimm 589)
Le fait observé supra pour exprès peut aussi se manifester avec les compléments
d'attitude:

(29a) II s'est lâchement fait embusquer à l'arrière.

(29b) II a été lâchement embusqué à l'arrière.

Dans (29 a) la lâcheté est celle de S, dans (29 b) elle caractérise ceux qui l'ont embusqué.
Dans la série d'exemples (24-29), S est clairement un agent volontaire, il
provoque intentionnellement la situation dans laquelle il est impliqué.

Il existe une autre catégorie d'exemples, où ces traits ne se retrouvent pas. Là,
aucun complément d'intentionnalité ou de but se rapportant à S n'apparaît, et le
contexte rend souvent évident que S ne peut pas avoir voulu la situation obtenue:

(30) En juillet 1977, Christine von Opel se fait prendre pour un trafic portant sur
plusieurs tonnes de cannabis. {Le Nouvel Observateur 1032 (1984), 35)

De plus, un éventuel complément d'attitude caractérise maintenant Nj, l'effecteur,
le complément en par:

(31) Enfin, les différentes organisations professionnelles regroupées au sein des "États-
Généraux de la construction" se sont fait proprement sortir par le comité des sinistrés,
certes poliment, mais sortir quand même. (Pourquoipas? 3396 (1983), 16)

Enfin, quand le tour causatif pronominal se trouve au passé composé, le phénomène provoqué est présenté comme réalisé, ce qui est le cas aussi avec un passif. Si on compare les paires (32) et (33), on verra que dans (33), où S agit de façon volontaire et qui appartient par conséquent à la série (24-29), l'action n'aboutit pas à coup sûr:

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(32a) #II s'est fait évincer du poste mais il l'a quand même obtenu.

(32b) #lla été évincé du poste, mais il l'a quand même obtenu.

(33a) II s'est fait conduire à la gare mais il a très vite changé de destination quand il asu
ce qui s'y passait.

(33b) #lla été conduit à la gare mais il a très vite changé de destination...

Une deuxième série d'exemples exhibe donc indubitablement des traits qui sont
caractéristiques du passif.

3. En accord avec Gaatone (1983)9, nous croyons pourtant que l'assimilation
pure et simple d'une des valeurs du causatif pronominal au passif est indue. Nous
en verrions pour preuves les faits suivants:

I°. On a rappelé supra, sous 0., que les verbes de mouvement ne tolèrent pas un passif emboîté (cf. l'exemple (11)) et que dans ces conditions, le causatif pronominal sert de substitut. Mais on vient de montrer aussi que le causatif pronominal est soit "causatif réfléchi" soit "causatif passif". Or pour que se faire vaille comme supplétif de être + Vé ici, il faut qu'il y possède en effet la vis passiva, c'està-dire qu'il y ait passivité pure du sujet. Rien n'est moins vrai: un exemple comme

(34) - Qu'est-ce que je lui ai fait, à cette femme, pour qu'elle aille se faire assassiner
chez moi? (Christie, A. 1930. L'homme au complet marron. Trad. J. Pary, Paris,
Librairie des Champs-Elysées, 139)

implique de manière évidente une responsabilité de cette femme dans ce qui lui arrive. Le verbe matrice, en tant que verbe de mouvement, suppose ipso facto une participation active de la part de celui qui se déplace, qui se rend pour ainsi dire dans la situation. Il est significatif à cet égard que lorsque aller fonctionne comme simple auxiliaire de temps, les restrictions sur le passif morphologique sont soulevées:

(35) - N'y allez pas (...), vous allez vous faire écharper. (Abraham 245)

(35b) - N'y allez pas (...), vous allez être écharpé.

2°. Inversement, que le contexte s'oppose d'une manière éclatante et définitive à
une quelconque participation de S à l'événement, et la construction causative
pronominale perd tout sens:

(36 a) - Et Jules? - Le pauvre garçon s'est fait rayer de nos listes. # II est mort.

(36b) - Et Jules? - Le pauvre garçon a été rayé de nos listes. Il est mort.

(37 a) - # La victime n'a pas encore pu se faire interroger. Elle est toujours dans le coma.

(37b) - La victime n'a pas encore pu être interrogée Elle est toujours dans le coma

3°. Une différence à première vue curieuse entre le causatif pronominal et le causatifsimple
vient confirmer l'hypothèse qu'une forme de responsabilité de S reste

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impliquée dans se faire Infinitif. Dans l'un comme dans l'autre, Nj s'exprime à l'aide de par SN ou de SN selon le type d'infinitf. Avec de SN, le causatif simple devient pourtant rapidement maladroit quand S est animé, ce qui n'est pas le cas pour le causatif pronominal:

(38a) ? On le fait détester de tous.

(38b) II se fait détester de tous.

(39a) ? On le fait respecter des autres joueurs.

(39 b) II se fait respecter des autres joueurs.

Apparemment, (38 a) et (39a) supposent un S causal:

(38c) Cette attitude le fait détester de tous.

(39c) C'est son calme qui le fait respecter des autres joueurs.

la cause se trouvant être une caractéristique de S même. Or avec se faire, un trait
de ce genre se retrouve en effet ou peut régulièrement être suppléé:

(40) Avec ses dents en avant, il se fait constamment chahuter.

(41) Elle est si bête qu'elle se fait avoir partout.

(42) On a tous compris qu'avec une gueule de bicot, on risquait à tout moment de se
faire jeter d'un train. (Le Nouvel Observateur 994 (1983), 66)

Sans doute la différence d'avec le passif ne se situe-t-elle pas ici dans l'intention,
n'empêche que S par une attitude, par un trait de sa personne, favorise l'action
de Nj et participe ainsi à l'instauration d'une situation. S est donc bien présenté
comme (involontairement) responsable du phénomène déclenché.
4°. En admettant que le causatif pronominal ait valeur passive, on ne s'attend
pas à ce que le tour soit à rejeter avec des infinitifs dénotant des situations que
S n'a pas les moyens de provoquer. Il devrait suffire qu'il les subisse. Or si la situation
ne peut pas être la conséquence d'un comportement ou d'une caractéristique
déterminante de S, le causatif pronominal est inacceptable:

(43) # Jean s'est fait choquer / dérouter / impressionner...

s°. C'est dans l'idée de participation obligée de S dans l'instauration d'une situation, qu'on verra alors, avec Gaatone (1983), l'explication du fait que le causatif pronominal paraît exiger un S animélo, un S inanimé ne pouvant pas être tenu pour responsable:

(44) # Son piano s'est fait abîmer par les déménageurs.

Mais cette observation doit être nuancée. En effet, la contrainte du sujet inanimé ne vaut que pour autant que des éléments contextuels ne viennent pas rendre à S une potentialité de participation. Ainsi, si se faire Infinitif est emboîté sous un semi-auxiliaire ou un modal qui dans leur sémantisme laissent transparaître quelque élément de non-passivité, S inanimé devient acceptable:

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(45 a) Ce verbe peut donc se faire suivre d'un complément de lieu.

On notera qu'avec un modal épistémique, la construction serait rejetée:

(45 b) ? *Dans le manuscrit original, ce verbe peut / doit s'être fait suivre par un complément
de lieu, effacé par la suite.

6°. Enfin, la nécessité d'une participation de Sà l'instauration d'une situation se révèle encore dans le fait que si le contexte contredit l'intervention d'un Nj dont l'action ou l'activité dépend dans une mesure quelconque de S, seul le passif est de mise:

(46) Deux voitures sont entrées en collision frontale àW. La femme d'un des deux
chauffeurs a été tuée sur le coup (/# s'est fait tuer sur le coup).

Non seulement S, mais aussi Nj est d'ordinaire animéll.

En définitive, le sens de la construction causative oscille bien entre les deux pôles de la volonté et de l'intentionnalité de S et de la non-volonté et de la nonintentionnalité de S, mais celui-ci reste toujours en quelque sorte responsable de ce qui lui arrive. Bref, dans un cas, la construction a valeur instrumentale (Gaatone 1976) ou finale (Danell 1979), dans l'autre, valeur consécutive (ib. ), et l'on a retrouvé les deux lectures qui se manifestaient déjà avec les verbes intransitifs.

4. On peut prévoir que certains contextes sélectionneront soit l'une soit l'autre lecture. On sait par exemple que Pourquoi ne pas...? suivi d'un infinitif est un signe d'injonction (Gordon et Lakoff 1973, 42-45). En conséquence, on lira alors se faire Infinitif avec le sens intentionnel. Si Pourquoi ne pas...? est en revanche suivi d'un indicatif, la double lecture redevient sensible:

(47 a) - Pourquoi, mais pourquoi ne pas t'être fait tuer?

(47b) - Pourquoi, mais pourquoi ne s'est-il pas fait tuer?

(47 a) ne serait en aucune manière commutable avec un passif, contrairement à
(47b):

(47 c) - # Pourquoi, mais pourquoi ne pas avoir été tué?

Inversement, il existe tout un ensemble d'énoncés qui s'interprètent généralement
dans un sens passif et où l'idée d'une responsabilité de S, même très atténuée, ne
paraît pas adéquate:

(48) Près de la mosquée El Azhar, un gavroche de 10 ans s'est fait tuer, mercredi, d'une
balle en pleine poitrine. (Danell 1979, 103)

Comme Spang-Hanssen (1967) l'avait remarqué, ils ont le plus souvent un infinitifréférant à des actes violents ou désagréables, ce dont Gaatone (1983) offre une explication pragmatique: l'interprétation réfléchie, à S agent volontaire, est naturellement écartée parce qu'il se conçoit mal que S rechercherait volontairementson

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mentsonpropre malheur. Nous essayerons néanmoins de montrer qu'un exemple comme (48) s'inscrit encore dans le sens général de la tournure sous examen. Ici cependant, la notion de responsabilité ou de participation de S à la situation déclenchéedoit être récupérée à travers un jugement de valeur de la part du sujet d'énonciation.

Nous alléguerons d'abord une construction qui véhicule en elle-même un jugement négatif, un reproche, de la part du locuteur, la phrase segmentée à pronom personnel détaché à droite, de type: // viendra, lui (Ronat 1979). Dans (49a) il est impliqué que S a eu le tort d'être à l'origine d'une certaine situation, nuance qui est absente de (49 b):

(49a) - Je ne me suis pas fait enlever par un gendarme, moi!

(49b) - Je n'ai pas été enlevée par un gendarme, moi!

On en verra une preuve dans le fait que le reproche peut facilement s'expliciter
avec (a), mais moins heureusement avec (b):

(49 a') - Je n'ai pas eu l'idiotie de me faire enlever par un gendarme, moi!

(49b')- ? Je n'ai pas eu l'idiotie d'être enlevée par un gendarme, moi!

Légèrement modifié, le type d'exemples amené par Gaatone (cf. la note 9) entre dans la même perspective. Une expression qualifiante, en fait dénigrante, exprime le jugement de l'énonciateur à propos de la façon dont S a déterminé la situation, bien qu'il soit évident que S ne peut pas en être tenu pour responsable dans un sens volontaire:

(50a) - L'imbécile! S'être fait tuer le jour de l'Armistice!

(50b) - L'imbécile! # Avoir été tué le jour de l'Armistice!

(51a) II faut être con pour se faire dépasser à deux mètres de l'arrivée!

(51b) -# II faut être con pour être dépassé à deux mètres de l'arrivée!

Le jugement de l'énonciateur peut s'exprimer par le truchement d'un adjectif
attribut du sujet. La participation de S est dénoncée dans la relation implicite
de cause à effet qui est établie entre l'attribut et la situation provoquée:

10
(52) Trop mou, Jean s'est fait évincer du poste de président .

Le connecteur pourtant permet de signaler que cette relation attendue n'est pas
réalisée:

(53a) Bâti comme une armoire à glace, Jean se fait pourtant descendre à chaque coup.

(53b) # Bâti comme une armoire à glace, Jean est pourtant descendu à chaque coup.

Mais le jugement de l'énonciateur portant sur la participation de S ne résulte pas nécessairement en un reproche adressé à S même. L'évaluation peut prendre pour cible Nls qui a été induit à agir ou à prendre position à tort, à partir de caractéristiquesde S. Imaginons une mère qui a appris l'échec de son fils et qui vient

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aux nouvelles. Si elle pose les faits sur un plan neutre, elle ne peut avoir recours
qu'au passif:

(54 a) - Pouvez-vous me dire pourquoi mon fils a été refusé?

Si elle a recours à (54b), elle laisse à entendre que son fils a été victime d'une
injustice:

(54b) - Pouvez-vous me dire pourquoi mon fils s'est fait refuser?

Le jugement de valeur négatif peut enfin viser la situation tout entière, à l'instauration de laquelle S a participé. Et sans doute est-ce bien par cette participation qu'un état de choses est instauré, mais c'est le destin qui en a décidé ainsi. Dans ce sens nous admettrions l'allégation de Mantchev, citée et rejetée par Gaatone (1983, 166, note 2): "à la limite, le sens de cette construction devient fataliste car (...) l'agent pourrait être la situation générale...". Sans doute n'est-ce pas la situation générale qui est l'agent dans (55), mais c'est bien la situation générale qui est prise à partie:

(55) Ce chien a traversé toute la ville pour bêtement se faire écraser devant la maison
de ses maîtres.

5. Mais s'il est vrai que le causatif pronominal reste toujours différent du passif, fût-ce par des nuances, quelle peut bien être la raison pour laquelle Nj prend presque obligatoirement la forme par SN, à l'exclusion de à 57V13? Y a-t-il des motifs profonds pour rejeter à SN?

Rappelons d'abord les positions adoptées en syntaxe. Kayne (1977) aurait pu empêcher la génération de *Marie se fait conduire à Paul en stipulant un ordre extrinsèque entre les transformations "Placement de SE" et "Faire-Infinitif" sur le même cycle. En fait il permet librement les deux formes. Burzio (1983, 1986) a une attitude opposée, qui s'exprime dans une proposition d'une très élégante simplicité: à SN est le produit d'une structure S fait P, par SN apparaît avec S fait SV. *Marie se fait conduire à Paul remonterait donc à une phase Marie ¡ se¡ fait (¿- Paul conduire ez). Dans P, e¡ qui fait partie du réfléchi, n'est pas lié par le sujet de sa proposition, d'où rejet de la phrase. Cette conséquence bienvenue exige la stipulation supplémentaire que les rapports de coréférence soient établis dès la structure profonde. Mais elle ne met par ailleurs aucun rapport explicatif avec l'agrammaticalité tout aussi évidente de *Marie me fait conduire à Paul, où me n'est évidemment pas un réfléchi. En grammaire relationnelle d'autre part, une contrainte particulière spécifie qu'aucun pronom "fancy" {me, te, se, nous, vous) ne peut prendre la relation 2 dans une construction causative avec à SN = Nj (Postal à paraître).

Quant à nous, élaborant sur une suggestion faite au passage dans De Groof

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(1983, 56), nous chercherons à montrer que l'absence généralisée de à SNpeut
s'expliquer par la sémantique.

Que dans S fait Inf à SN, à SN soit le point d'impact d'un phénomène déclenché agentivement ou causalement, a été énoncé d'une manière qui nous paraît très pertinente par Damourette et Pichón. Ceux-ci écrivent à propos de la phrase Le chirurgien fit opérer ce malade à son interne: "la fin principale que l'on envisage, au moins au moment où la phrase est énoncée, c'est de faire que l'interne opère, c'est de lui donner l'occasion de perfectionner sa virtuosité chirurgicale" (§ 2047). La force provocante ne tend pas ici simplement vers l'obtention d'une situation, mais vers l'obtention d'une situation pour autant qu'elle implique Nj et le concerne. En d'autres termes, le phénomène mis en branle par S dans le chef de N1 a comme effet que Nj en souffre quelque conséquence: qu'il soit conduit à une forme d'action ou qu'il soit conduit à une forme d'expérience, ce sera en principe à son avantage ou à son détriment.

Cependant, s'il faut que Nj soit le point d'impact du phénomène déclenché
par S, il doit y avoir entre S et Nj un parcours privilégié, Nj doit pouvoir être atteint
par S. Nj ne jouit à l'égard de S que d'une autonomie relative.

Pour S fait Inf par SN par contre, où par SN semble faire fonction d'un complément d'agent, Damourette et Pichón considèrent, à propos de la phrase Le chirurgien fit opérer ce malade par son interne que "la fin principale qui est présentement pensée pour le phénomène, c'est que le malade soit opéré et par là débarrassé de son mal; savoir qui sera l'agent de l'opération est un point accessoire, l'interne n'apparaît en quelque sorte que comme l'outil qu'emploie le chirurgien pour que l'opération soit faite".

Il découle de cette analyse sémantique des formes S fait Inf à SN / par SN un certain nombre de conséquences. L'énoncé en a généralement été fait dans l'une ou l'autre des études consacrées à la question, sans pourtant qu'elles aient, à ce que nous croyons, été mises dans un rapport général:

1. A l'opposé de par SN ("point accessoire", cf. supra), à SN ne saurait être complément facultatif. Toute phrase S fait Inf, si elle était "complète", serait donc de la forme S fait Inf par SN. Ce fait argumenté sur des bases sémantiques par Borei (1972) a des implications immédiates pour la syntaxe: toute phrase grammaticale S fait Inf doit rester grammaticale sous la forme S fait Inf par SN, mais peut devenir agrammaticale sous la forme S fait Inf à SN.

(56a) On vous fera téléphoner le résultat.

(56b) On vous fera téléphoner le résultat par le secrétaire.

(56c) *On vous fera téléphoner le résultat au secrétaire.

(57 a) II s'est fait reconduire.

(5 7b) II s'est fait reconduire par le secrétaire.

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(57 c) *I1 s'est fait reconduire au secrétaire.

2. A SN n'étant pas complément facultatif, s'il n'apparaît pas, alors qu'aucune contrainte n'aurait été violée, il doit y avoir à cela des raisons sémantiques. Une de celles-ci peut résider dans le fait que à SN serait un point d'impact trop évanescent. De Groof (1983, 54) remarque ainsi que à SN est rarement un complément indéterminé ou général. On notera la gradation:

(58 a) ? ? Je compte faire opérer ce malade à un interne.

(58b) ? Je compte faire opérer ce malade à un interne de dernière année

(58 c) Je compte faire opérer le malade à mon interne.

(58d) Je compte faire opérer le malade par mon interne.

3. On peut maintenant s'attendre à ce que plus l'atteinte de Nj par S est garantie, plus à SN sera naturel. Sans doute N^ pourra-t-il toujours se soustraire à l'influence d'un agent, mais tel n'est pas le cas si la force provocante est une cause. Dans ce cas, N^ est entraîné. Nous faisons allusion ici aux deux valeurs reconnues du tour, la finale et la causale. Avec cette dernière, S est généralement non animé. Et en effet, dans la relation de cause à effet où S est inanimé, on trouve en général à SN:

(59a) Essaye toujours de faire manger une souris à ton chat.

(59 b) Essaye toujours de faire manger une souris par ton chat.

(59c) La famine a fait manger des rats aux habitants de la ville. (Kayne 1977, 230)

(5 9d) ? *La famine a fait manger des rats par les habitants de la ville.

4. Inversement, plus l'intérêt va à la situation, plus il devient important que Nj dispose d'une forme d'agentivité autonome pour remplir avec succès son rôle d'effecteur. Les exemples de Nj inanimé sont pour ainsi dire inexistants, sauf là où Nj est un mécanisme doué d'une motricité propre, comme un ordinateur:

(60) ? *En lui donnant un coup de pied, elle a fait faire un tour par la boîte de chocolat,
(cf. Kayne 1977, 240)

5. En adoptant l'idée qu'avec par SN, l'accent est mis sur le phénomène provoqué, Nj étant accessoire, on comprend bien la préférence pour à SN quand Nj est Experiencer (physique ou psychologique) dans la situation provoquée. Il est en effet peu vraisemblable que l'intérêt aille à une forme d'expérience en soi, sans souci de celui qui en est le siègel4:

(61 a) Bianca a fait sentir la rose au capitaine.

(61b) Bianca a fait comprendre au capitaine qu'il est mal coiffé

(61c) Bianca fait porter ses valises par Irma.

6. On notera aussi que lorsque le contexte indique clairement que seul compte le
phénomène, l'intérêt de la situation obtenue étant nul pour Nls on ne peut trouver
que par SN:

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(62) à l'arrière de notre surprenante automobile éclate un concert d'imprécations bien senties: "Allez vous faire voir, hé, merdeux! (...)". (•••) Fin d'émission (...), mon astucieux chef m'explique: il est déprimant dans certains cas d'être piloté par un chauffeur ne parlant pas français, aussi ai-je fait enregistrer le document que vous venez d'entendre par un pittoresque plombier dont le vert langage m'avait frappé (...)• Quel chauffeur stylé pourrait rivaliser avec lui? (cit. Tasmowski 1985, 344)

Qu'avec à SN, Nj se trouve au centre de l'intérêt, alors qu'avec par SN l'intérêt
est centré sur la situation provoquée, est d'ailleurs quelquefois particulièrement
rendu sensible en contexte:

(Mme le Ministre est débordée. Elle a complètement oublié de préparer un programme
pour ses filles, qui sont en vacances)

(63 a) - Eh bien, faites donc visiter la nouvelle exposition à vos filles / # par vos filles.
(Mme le Ministre est débordée. Il lui reste cinq endroits où faire acte de présence et le
temps manque)

(63b) - Eh bien, faites donc visiter la nouvelle exposition par vos filles / # à vos filles. Ce système va néanmoins être perturbé par des facteurs d'un ordre apparemment différent. En effet, si N2 est animé, à SN devient rapidement peu acceptable, et ce d'autant plus que N2 est individualisé. Pour reprendre l'exemple de Damourette et Pichón, on conçoit sans doute, si S réfléchit à comment parfaire la virtuosité technique de son assistant, qu'on lui conseille:

(64) -Eh bien, faites donc opérer le nouvel accidenté à votre assistant.

mais il faudrait déjà des rapports bien malheureux entre S et sa femme pour qu'on
puisse avoir:

(64b) - Eh bien, faites donc opérer votre femme à votre assistant.

Nj =àSN ravale en même temps N2 (+animé) au rang d'un objet, d'un moyen.
Inversement si N2 est perçu en tant que personne, c'est Nj qui passe au rang
d'instrument:

(65) -II faut faire opérer Mme le Ministre par le chef de service en personne. On voit ainsi que le cas particulier où N2 est [+ animé l s'intègre bien dans le sens général de l'opposition à SN/par SN. En effet, plus la personnalité de N2 est importante, et plus l'intérêt se déplace vers ce qui doit lui arriver, c'est-à-dire vers le prédicat, et Nj prend tout naturellement la forme par SN. Il nous semble qu'on a atteint ici un principe qui explique l'absence de Nj = à SN dans le causatif pronominal. Non seulement se est nécessairement coréférentiel avec de l'animé dans se faire Infinitif, mais se renvoie à l'agent provocant en personne et rien ne saurait en principe être plus digne d'intérêt que ce qui arrive à celui-là mêmels. Dans le tour causatif pronominal, l'attention est dirigée d'une manière inhérente vers l'obtention du prédicat et Nj, l'instrument de cette obtention, ne saurait s'exprimer qu'à l'aide de par SN.

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6. Prenant comme point de départ les études qui ont dénoncé le sens passif du causatif pronominal quand S= N2, nous avons adopté le point de vue que se faire Infinitif reste dans son ensemble un tour causatif, où S est Facteur Déterminant Externe (Borei 1972), dont les valeurs vont d'Agent à Cause pour finir par simplement fournir àNj l'occasion d'instaurer une situationl6. Que Nj apparaisse alors sous la forme par SN n'est pas un argument pour assimiler un des emplois du causatif pronominal à un passif.

Liliane Tasmowski-De Ryck et Hildegard van Oevelen

Anvers



Notes

1. Stimm montre que des énoncés comme // s'est vu adresser pas mal de critiques remplissent un trou dans la langue en permettant de présenter un phénomène à partir du troisième argument des verbes bitransitifs. Ils seraient ainsi comparables au passif anglais Mary was given a book. Leur valeur est examinée dans Bat-Zeev (1981).

2. Dans la terminologie de Dubois, "passif" a un sens beaucoup plus large que "construction passive" et s'applique à tout énoncé où l'action exprimée par le verbe passe sur le sujet. Mais dans le passage concerné, il s'agit bien, au vu des exemples, d'une complémentarité avec la construction.

3. Nous employons les sigles suivants: Nj, N2, N3 = respectivement le premier, le second et le troisième argument du verbe à l'infinitif à la forme active, S = sujet global de se faire Infinitif. Exemple: (§ Jearij) fait (jn j 1 Pierre) montrer (^ quelque chose) (j^« à Jeanp *marque l'agrammaticalité, # signifie que l'énoncé est peu vraisemblable ou exclu dans le contexte indiqué.

4. Il est adopté aussi dans Blanche-Benveniste & alii (1984, 134-140).

5. On peut paraphraser en disant que le sujet affaire et celui de l'infinitif emboîté ne peuvent jamais être coréférentiels.

6. Nous avons montré ailleurs que les critères pour distinguer les intransitifs inergatifs des intransitifs inaccusatifs ne donnent pas un résultat uniforme en français (Tasmowski 1984). Nous nous en tiendrons à la possibilité du passif impersonnel qui caractérise les inergatifs.

7. Union est la relation particulière de l'infinitif dans la construction causative. Raising consiste pour le sujet de l'infinitif à fonctionner comme objet du verbe matrice.

8. Evidemment, se pourrait être datif et la phrase pourrait correspondre au non-pronominal // lui fait penser à un clown. Blanche-Benveniste et alii (1984, 195) reconnaissent ici deux &ens différents selon que N est datif ou accusatif: (a) II la fait penser à un chimpanzé, ("il lui dit de penser à un chimpanzé") (b) II lui fait penser à un chimpanzé, ("son aspect évoque en elle l'idée d'un chimpanzé") (les gloses sont de nous. Pour autant que nous voyions, elles ne font qu'expliciter davantage les indications des auteurs). Il existe indubitablement des variantes idiolectales ici. Pour nous, les gloses sont exactement inverses. Certains jugent que (a), mais non (b) possède les deux lectures. Ils interprètent alors (b) avec la glose de (a).

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8. Evidemment, se pourrait être datif et la phrase pourrait correspondre au non-pronominal // lui fait penser à un clown. Blanche-Benveniste et alii (1984, 195) reconnaissent ici deux &ens différents selon que N est datif ou accusatif: (a) II la fait penser à un chimpanzé, ("il lui dit de penser à un chimpanzé") (b) II lui fait penser à un chimpanzé, ("son aspect évoque en elle l'idée d'un chimpanzé") (les gloses sont de nous. Pour autant que nous voyions, elles ne font qu'expliciter davantage les indications des auteurs). Il existe indubitablement des variantes idiolectales ici. Pour nous, les gloses sont exactement inverses. Certains jugent que (a), mais non (b) possède les deux lectures. Ils interprètent alors (b) avec la glose de (a).

9. Gaatone donne certes des contextes où le causatif est plus heureux que le passif: Elle est folle. Elle se fera écraser par le tramway / # Elle sera écrasée par le tramway (165). Mais il faut tenir compte du fait que le passif futur, au contraire du passif pronominal, se prête mal ici à une lecture non-accomplie, de sorte que # Attention! Elle sera écrasée ou # Regarde, elle sera écrasée! auraient de toutes façons déjà été malheureux.

10. Les exemples à S inanimé ont comme infinitifs entendre, sentir ou attendre. Spang- Hanssen (1967) les expliquait par une supplétion lexicale: un nuage apparaît un craquement se fait entendre Un complément en par/de SN est alors exclu, ce qui confirme l'idée que la situation est instaurée d'une manière automatique et non par le biais d'un effecteur N^ agissant sous une impulsion provenant en définitive de S.

11. (3) est en fait le seul exemple que nous ayons pu relever où N^ ne soit pas une métonymie pour un animé ou le nom d'un mécanisme produit d'un animé. En réalité, dans (3), S délibère s'il va ou non (volontairement) se jeter dans le gouffre.-

12. Cet exemple nous a été fourni par L. Melis, que nous remercions ici aussi pour les remarques qu'il a bien voulu nous adresser.

13. On sait que Nj =àSN s'est trouvé dans les causatifs réfléchis. Nous-mêmes en avons encore relevé un exemple tout à fait extraordinaire dans Leblanc (1967): Il prononça: "J'ai été trahi". - Peut-être bien. - Oui, oui, trahi par elle. Je sentais depuis quelque temps qu'elle m'épiait. C'est par elle que tu as conduit l'affaire où tu le voulais et que tu t'es fait recommander à son mari auprès de moi. (194) Le passage s'explique par les mots de Lupin p. 173: "Sauvinoux, c'est un mythe. C'est un personnage irréel dont on a vanté les qualités à ton ministre et dont ce ministre t'a imposé la collaboration par l'intermédiaire de sa femme." Sans doute à SN avait-il alors la valeur qu'on retrouve encore dans les expressions mangé aux mites, rongé aux vers. De nos jours, il semble que seuls connaître et voir tolèrent cette construction et que contrairement à se faire connaître / voir par SN, se faire connaître / voir à SN prennent ie sens simple "se présenter à" (cf. Sandfeld 1965, 183). On remarque qu'il s'agit de verbes psychologiques, où le sujet est celui auquel il arrive quelque chose. Dans le cadre relationnel, Postal (à paraître) vient d'en rendre compte en supposant que ces prédicats ont un 3 et un 2 sur la première strate.

14. Hyman et Zimmer (1976) notaient déjà qu'avec les verbes d'expérience on est plus intéressé par les réactions du sujet que par l'action.

15. On rapprochera ceci de l'explication de Hyman et Zimmer (1976), exploitée dans Tasmowski (1984), et qui fonde l'agrammaticalité de *Jean me/te/se fait opérer à Paul sur un conflit entre la très grande sensibilité topicale des pronoms pourtant en position focus et l'intérêt mineur de Paul, pourtant affublé de marques de topique.

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15. On rapprochera ceci de l'explication de Hyman et Zimmer (1976), exploitée dans Tasmowski (1984), et qui fonde l'agrammaticalité de *Jean me/te/se fait opérer à Paul sur un conflit entre la très grande sensibilité topicale des pronoms pourtant en position focus et l'intérêt mineur de Paul, pourtant affublé de marques de topique.

16. Bien que la plupart des exemples aient été forgés, notre recherche part du dépouillement d'un corpus. Celui-ci comprend: Abraham, P. 1971. Les trois frères, Paris, Les Editeurs français réunis; Celine, L 1975. Voyage au bout de la nuit. Paris, Folio, 100 p.; de Rivoyre, C. 1968. Le petit matin, Paris, Grasset; Eluerd, P. 1979. Pour aborder la linguistique, Paris, ESF, I; Grimaud, M. 1980. Le temps des gueux, Paris, Gembloux, Duculot; Hallyn, F. 1979. Paradigmes dans ¡es études littéraires, Gent, Ed. Faculteit Letteren en Wijsbegeerte; Leblanc, M. 1967. La demoiselle aux yeux verts. Paris, Poche; Leblanc, M. 1980. Arsène Lupin 813. Paris, Presses de la Renaissance; Miquel, P. 1976. Histoire de la France, Verviers, Marabout, I; Pagnol, M. 1976. César, Paris, Pocket; San- Antonio 1969. Les vacances de Bérurier. Paris, Pocket, 55 p.; Simenon, G. 1953. Maigret et l'homme du banc. Paris, Presses de la Cité; Simenon, G. 1976. La tête d'un homme, Paris, Pocket; Steeman, S. A. 1972. Poker d'enfer. Paris, Poche. De plus: Le Courrier de l'Unesco 105 (1981); L'Express 1700 (1984); Magazine-Hebdo 22 (1984); Le Monde 2/2/1984; Le Nouvel Observateur 853 (1981), 994 (1983), 997 (1983), 1032 (1984); Paris-Match 1762 (1983), 1811 (1984); Pourquoi Pas? 3396 (1983), Le Soir 8/2/1984.

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Résumé

Le tour pronominal se faire Infinitif prend quelquefois une valeur très similaire à celle de la construction passive. Ce rapport est renforcé par le fait que l'agent second, s'il est mentionné dans la phrase, l'est toujours sous la forme par/de SN, à l'exclusion de à SN. Nous argumentons que se faire Infinitif reste néanmoins toujours enessence un tour causatif et laquasiimpossibilité de à SN pour l'expression de l'agent second est ramenée à des questions de sémantique et de pragmatique.

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