Revue Romane, Bind 22 (1987) 1

L'Utilisation des temps du passé dans les narrations françaises: Le Passé Composé, L'lmparfait et Le Présent Historique*

par

Marie Labelle

Cet article étudie l'utilisation des temps du passé dans onze narrations tirées d'un corpus de langage spontané des francophones de la région de Ottawa-Hull. Les données sur lesquelles se base cette étude proviennent du corpus Français parlé à Ottawa-Hull (Poplack 1985)1.

1. Analyse traditionnelle de l'lmparfait et du Passé Simple en français

L'lmparfait est traditionnellement décrit comme exprimant soit une situation non terminée dans le passé, soit une situation habituelle dans le passé (Brunot, 1926; Dauzat, 1943). Les études plus formelles sur l'utilisation des temps du français (Wilmet, 1970; Guillaume, 1971;Martin, 1971;Coseriu, 1976; Vet,l9Bo), à travers des terminologies et des formalismes très variés, font toutes appel, plus ou moins directement, à la notion d'aspect perfectif ou imperfectif dans l'explication de l'usage de l'lmparfait, du Passé Simple et du Passé Composé en français.

Selon Comrie (1976), l'aspect est une façon de concevoir la constitution temporelle d'une situation. L'aspect perfectif approche la situation de l'extérieur, comme un tout inanalysable, sans référence à sa constitution interne; l'aspect imperfectif, par contre, considère la constitution interne de la situation, c'est-àdire qu'il décrit la situation de l'intérieur, sans référence au début et à la fin de l'intervalle pendant lequel la situation est valable.

Nous résumerons brièvement ici le modèle utilisé par Vet (1980) pour décrire l'usage des temps du passé en français. Vet (1980) utilise une distinction, attribuée à Reichenbach (1947) entre le moment de parole, un point de référence à partir duquel l'action est envisagée et le moment de l'action elle-même. Il distingue deux systèmes de référence: le système du Présent, et le système de l'lmparfait. Dans



*Je remercie Mme Shana Poplack qui a dirigé une première version de ce travail, ainsi que M. Co Vet, Mme Suzanne Fleischman et M. Paul Hirschbiihler qui ont bien voulu commenter une version préliminaire de cet article. Ce travail a aussi été rendu possible grâce à une bourse doctorale du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (.*453-85-ü337).

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le système du Présent, le point de référence (Rx) correspond au moment de la
parole (P) (je chante, j'ai chanté). Dans le système de l'lmparfait, le point de
référence se situe avant le moment de parole (je chantais, j'avais chanté).

Le Présent et l'lmparfait expriment l'aspect imperfectif. La définition d'aspect imperfectif de Vet correspond à celle de Comrie. Avec l'aspect imperfectif, le locuteur ne prend pas en considération l'intervalle entier (A-B dans le graphique ci-dessous) pendant lequel la situation est valable, mais se contente de constater ce qui se passe au moment pris comme point de référence, excluant le début et la fin de l'intervalle. Dans l'imparfait, le point de référence (Rx) est antérieur au moment de parole (P):


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Le Passé Composé, le Plus-Que-Parfait et le Passé Simple expriment l'aspect perfectif.
Avec l'aspect perfectif, le locuteur assume la responsabilité de la vérité de
la situation entière, y compris le début, et surtout la fin de la situation.

Le Passé Simple constitue une variante perfective de l'lmparfait: le point de
référence se situe dans le passé, mais le locuteur envisage l'intervalle entier pendant
lequel la situation est valable:


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Avec les temps composés, le point de référence est postérieur à la fin de l'intervalle pendant lequel la situation est valable, ce qui permet au locuteur d'envisager le résultat de la transition (contrairement à ce qu'on a pour le Passé Simple). Dans le cas du Passé Composé, le point de référence correspond au moment de la parole; dans le cas du Plus-Que-Parfait, le point de référence est antérieur au moment de la parole:


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Le Passé Composé (et ceci vaut aussi pour le Plu s-Que-Parfait) est ambigu. Dans son sens d'antériorité, il contient un point de référence Ry antérieur à Rx, ce qui rend possible un complément adverbial modifiant Ry (Chantai est sortie hier soir)2 :


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Dans son sens d'implication, le Passé Composé ne contient que le point de référence
Rx et sert à décrire la situation résultant du procès. C'est ce que nous appellerons
le sens "parfait" du Passé Composé.


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Dans la langue orale, le Passé Simple est disparu du français. Selon Vet, sa fonction a été reprise par le Passé Composé d'antériorité qui, comme le Passé Simple, a un sens perfectif qui s'oppose à l'aspect imperfectif de l'lmparfait. Selon Benveniste (1966), le Passé Simple est réservé au récit historique écrit, tandis que le Passé Composé est le temps du discours (oral ou écrit). Weinrich (1964), cependant, a montré que, dans le récit oral, deux temps peuvent remplacer le Passé Simple: le Présent ou le Passé Composé, mais alors celui-ci est accompagné d'une série d'adverbes qui marquent la consécution narrative, que le Passé Composé ne suffit pas à exprimer.

2. L'Imparfait et le Passé Composé comme indicateurs d'arrière-plan et de premier

Weinrich (1964), prenant le contre-pied de l'analyse traditionnelle des temps du français, a soutenu l'hypothèse que, plutôt que de se distinguer par l'aspect perfectif ou imperfectif, l'lmparfait et le Passé Simple forment à eux deux un système grammatical servant à mettre le récit en relief: le Passé Simple indique le premier plan du récit, il en constitue le squelette et sert à raconter la suite des événements. L'lmparfait, en revanche, constitue l'arrière-plan du récit et sert à décrire la situation, les actions simultanées aux événements narratifs, les actions continues ou hypothétiques, les relatives et les remarques amplificatoires. Les événements relatés au Passé Simple constitueraient "ce que retient un compte rendu factuel", tandis que les événements à l'lmparfait aideraient l'auditeur "à s'orienter à travers le monde raconté". Cette mise en relief serait la seule et unique fonction de l'opposition Passé Simple-Imparfait (Weinrich 1973:115-117).

Reid (1976) a repris cette hypothèse et proposé que le Passé Simple indique
une forte attention portée à l'événement, un focus sur l'événement, tandis que
l'lmparfait indique une faible attention portée à l'événement.

Afin de tester cette hypothèse, Reid a effectué une corrélation entre l'lmparfaitet le Passé Simple d'une part et divers facteurs qu'il associe aux notions de faible ou forte attention portée à l'événement d'autre part, en utilisant deux textes littéraires: La femme adultère de Camus et Le Horla de Maupassant. Les facteurs choisis par Reid comme signalant le degré d'attention porté à l'événementsont

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Tableau 1 Facteurs étudiés par Reid (1976)

mentsontdécrits au tableau suivant, ainsi que les résultats qu'il a obtenus. Ceuxci,en
gros, semblent appuyer son hypothèse:

Nous avons tenté de reproduire les résultats de Reid dans nos narrations. Étant donné qu'en français le Passé Simple est disparu du langage oral et que sa fonction a été (partiellement) reprise par le Passé Composé, nous avons repris les calculs de Reid en utilisant d'abord le total des verbes au Passé Composé, ensuite les verbes au Passé Composé qui auraient pu être remplacés par un Passé Simple, c'est-à-dire ceux qui n'avaient pas un sens parfait (résultat actuel d'une action passée).

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Le tableau 2 compare la distribution des temps en fonction du caractère statique
du verbe:


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Tableau 2 Pourcentages des verbes d'état à l'imparfait et au Passé Composé

Les résultats de Reid sont reproduits: un fort pourcentage des verbes à l'lmparfait (67.3%) sont des verbes d'état, tandis que peu de verbes au Passé Composé (5.3%) le sont (5.7% des verbes au Passé Composé qui pourraient être remplacés par un Passé Simple). En fait, nos calculs indiquent que 72.8% des verbes d'état de nos données sont à l'lmparfait, tandis que seulement 3.4% sont au Passé Composé.

Voyons maintenant ce qu'il en est pour les verbes négatifs:


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Tableau 3 Distribution des verbes négatifs

Dans ce cas-ci, la distribution est moins claire: les verbes négatifs forment 9.4% des verbes à l'lmparfait et 8.4% des verbes au Passé Composé. Si l'on ne compte que les verbes au Passé Composé qui pourraient être remplacés par un Passé Simple, on obtient 3.4%. La tendance en faveur de l'lmparfait n'est pas très forte.

Voici les résultats pour le caractère ponctuel des verbes:

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Tableau 4 Distribution des verbes ponctuels

Ici, les résultats de Reid sont reproduits: le Passé Composé "attire" les verbes
ponctuels plus que l'lmparfait.

Les tableaux 5 à 8 présentent nos résultats en ce qui concerne les caractéristiques du sujet. Selon Reid, le pourcentage de sujets humains (agentifs) devrait être plus élevé pour les verbes au Passé Simple. Le tableau 5 décrit nos résultats. A la différence de Reid, nos calculs incluent tous les sujets humains. Reid n'a compté que les sujets pronominaux de troisième personne pour les verbes autres que le verbe être.


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Tableau 5 Distribution des sujets humains

Nos résultats sont très semblables à ceux de Reid qui avait obtenu 79.5% pour l'lmparfait et 95.5% pour le Passé Composé. Il n'est pas évident, cependant, qu'ici la différence entre l'lmparfait et le Passé Composé soit suffisante pour justifier l'utilisation de l'agentivité du sujet comme critère permettant de distinguer le premier plan de l'arrière-plan.

Reid a également regardé si le sujet était un pronom de première personne ou un pronom de troisième personne. Selon son hypothèse, le Passé Simple devrait favoriser les pronoms de première personne. Voici nos résultats, basés sur l'ensemble des verbes ayant un sujet pronominal non impersonnel et non générique (c'est-à-dire les verbes ayant un réfèrent défini).

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Distribution des sujets pronominaux de première personne vs troisième personne Tableau 6

Dans ce cas-ci, les résultats de Reid ne sont pas reproduits. On ne trouve pas de
différence entre l'lmparfait et le Passé Composé pour ce qui est de la personne
du pronom sujet.

Le tableau 7 présente la distribution de l'lmparfait et du Passé Composé en fonction du nombre du sujet. Selon Reid, l'lmparfait devrait attirer les sujets pluriels. Ici encore nos résultats sont calculés en fonction des sujets non impersonnels et non génériques; mais contrairement au tableau précédent, nous avons inclus les sujets nominaux.


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Distribution des temps en fonction du nombre du sujet Tableau 7

Comme pour le tableau précédent, nos résultats n'appuient pas ceux de Reid,
car on ne voit aucune différence entre l'lmparfait et le Passé Simple pour ce qui
est de la distribution des sujets pluriels.

Un autre calcul effectué par Reid concerne le fait que le sujet est le personnage principal ou un personnage périphérique. Selon Reid, les personnages périphériques devraient se retrouver plus souvent à l'lmparfait. Ici, nos pourcentages sont basés sur le nombre total de sujets humains non génériques

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Distribution des sujets personnages principaux Tableau 8

Pour la troisième fois, nos résultats n'appuient pas ceux de Reid.

Finalement, Reid propose que le nom propre se retrouve plus souvent au premier plan et donc en position sujet du Passé Simple, tandis que l'lmparfait favoriserait plutôt les sujets pronominaux. Les noms propres sont extrêmement rares dans nos narrations. Nous n'en avons aucun en position sujet d'un verbe à l'lmparfait ou au Passé Composé. Même chose pour les propositions relatives: celles que nous avons sont toutes des topicalisations ("C'était la femme là que je vous parle qui était 1à..." {Couple uni 22)).

En résumé, sur les huit facteurs proposés par Reid, deux caractéristiques du verbe sont clairement favorisées par un temps plutôt que l'autre: l'lmparfait favorise les verbes d'état, tandis que le Passé Composé favorise les verbes ponctuels; en plus, une caractéristique du sujet semble favorisée par le Passé Composé: son caractère humain. Les autres facteurs étudiés par Reid n'ont pas été trouvés pertinents.

Hopper (1979) s'est basé sur les résultats de Reid pour justifier la thèse selon laquelle l'lmparfait et le Passé Simple ont pour fonction d'encoder une distinction universelle entre le premier plan et l'arrière-plan. Selon Hopper (p. 217), la distinction aspectuelle entre l'lmparfait et le Passé Simple dérive du discours plutôt que d'être une distinction pré-existante qui est utilisée dans le discours narratif.

Les critères utilisés par Hopper et repris par Hopper et Thompson (1980)
pour distinguer le premier plan de l'arrière-plan sont les suivants:


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Facteurs proposés par Hopper (1979) Tableau 9

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Remarquons d'abord que Hopper associe la perfectivité à l'avant-scène et l'imperfectivté à l'arrière-plan. Selon Hopper, les verbes au Passé Composé auront donc les caractéristiques de gauche, tandis que les verbes à l'lmparfait auront celles de droite.

La première des caractéristiques de Hopper prédit que les propositions narratives seront au Passé Composé et non à l'lmparfait. Labov (1972) définit les propositions narratives de la façon suivante: deux propositions sont narratives si l'ordre dans lequel elles apparaissent reproduit l'orëre dans lequel les événements se sont produits. En effet, nous pouvons dire que les propositions que nous pouvons classer sans ambiguïté comme narratives ne sont pas à l'lmparfait dans nos données.

Pour ce qui est de l'identité du sujet d'un épisode à l'autre, nous avons d'abord regardé le nombre de changements de sujet d'une proposition narrative à l'autre par rapport au nombre de changements de sujet dans les propositions non narratives. Nous avons trouvé 52.2% de changements de sujets d'une proposition narrative à l'autre (60 changements pour 115 propositions narratives, incluant les propositions narratives restrictives, mais non les répétitions ou les propositions descriptives avec verbe narratif sous-entendu) par rapport à 57.3% de changements de sujets à l'intérieur des propositions non narratives (219 sur 382). Il ne semble pas y avoir de différence notable entre les phrases narratives et les phrases non narratives.

Nous avons aussi compté le nombre de changements de sujet lorsque nous
avions des suites de verbes au Passé Composé et des suites de verbes à l'lmparfait.

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Hopper prédit une identité du sujet d'un épisode à l'autre pour les verbes au Passé Composé, mais de fréquents changements de sujet pour les verbes à l'lmparfait. Nous avons trouvé 62 changements de sujet sur 129 verbes à l'lmparfait en séquence(48%), par rapport à 20 changements de sujet sur 61 (32.8%) pour les séquences de verbes au Passé Composé. Nous avons ici une légère tendance dans le bon sens, mais pas suffisante pour être convaincante.

Si l'on rapproche ces résultats de ceux que nous avons trouvés en vérifiant les facteurs proposés par Reid, il semble bien que le caractère du sujet, sauf peutêtre son agentivité, ne permet pas de prédire le temps du verbe. De deux choses l'une: soit que les caractéristiques du sujet n'ont rien à voir avec la probabilité qu'il se retrouve à l'arrière-plan ou au premier plan, soit qu'elles permettent bien de prédire sa position au premier plan ou à l'arrière-plan, mais que le premier plan et l'arrière-plan ne sont pas directement traduits par le Passé Composé et par l'lmparfait, comme le proposent Reid et Hopper. Nous ne pouvons nous prononcer sur le rapport entre le sujet et le premier plan, mais pour ce qui est du rapport entre le temps du verbe et le premier plan, nous croyons qu'effectivement il n'est pas aussi direct que le proposent Reid et Hopper.

Wallace (1982:209) nuance la position de Hopper de la façon suivante: si une langue offre un contraste entre un aspect perfectif et d'autres aspects, alors une partie du sens de l'aspect perfectif, du moins dans la narration, est de décrire les événements principaux, séquentiels, du premier plan, tandis qu'une partie du sens de l'aspect non perfectif, et spécialement de l'imperfectif, est de donner des renseignements supplémentaires d'arrière-plan. Cette hypothèse moins forte nous semble plus proche des faits, mais nous croyons que ce n'est pas le sens de l'lmparfait de donner des renseignements d'arrière-plan, mais c'est parce que l'lmparfait a un sens descriptif qu'il sert à donner des renseignements d'arrière-plan. En d'autres mots, nous prenons la position opposée à celle de Hopper: la distinction aspectuelle entre l'lmparfait et le Passé Simple, plutôt que de découler du discours narratif, est pré-existante à celui-ci.

Dans le but de mieux cerner le rôle des temps du français, et en particulier de comparer l'hypothèse selon laquelle le sens de l'lmparfait est d'encoder l'arrièreplan et celui du Passé Simple d'encoder le premier plan, avec l'hypothèse selon laquelle ces utilisations préférentielles des deux temps découlent de leur sens, nous avons étudié la distribution de ces temps dans nos narrations.

3. Distribution des temps dans les narrations

Nos narrations ont été analysées à l'aide du modèle développé par Labov et Waletzky(1967)
et Labov (1972). Une narration est définie comme une façon de

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raconter une expérience passée en présentant les événements dans l'ordre dans lequel ils sont arrivés. Chaque narration peut contenir jusqu'à six éléments différents:un résumé, une section d'orientation, le développement de l'action, une évaluation de l'action, une conclusion et un coda:

1. Le résumé, s'il est présent, n'est souvent constitué que d'une seule phrase.
Placé en début de narration, il peut servir à l'introduire; placé en fin de
narration, il permet d'insister sur le point central de la narration.

2. La section d'orientation sert à renseigner sur le moment et le lieu de l'événement raconté, sur les participants et sur la situation générale au moment de l'événement. Des phrases d'orientation peuvent aussi é"tre dispersées dans le corps de la narration.

3. Le développement de l'action sert à faire avancer la narration. Les propositions narratives sont des propositions ordonnées temporellement et présentées dans l'ordre dans lequel les événements se sont produits. Par définition, une inversion de deux propositions narratives modifie la séquence temporelle de la narration.

4. L'évaluation sert à mettre en évidence la raison d'être de la narration. Le narrateur
s'écarte de la stricte énumération de la séquence des événements pour
porter un jugement sur ces événements.

5. La conclusion décrit la résolution du problème et le coda ramène l'interlocuteur
au moment présent et indique la fin de la narration.

Une définition plus complète de ces divers éléments est donnée dans les articles de Labov cités plus haut. Ce modèle a été utilisé par Wolfson (1979), Schiffrin (1981) et Silva-Corvalán (1983) pour décrire l'utilisation des temps dans des narrations en anglais et en espagnol.

Avant de discuter nos résultats, nous aimerions présenter brièvement la distribution
des temps dans les narrations en espagnol, telle que décrite par Silva-Corvalán

Travaillant sur des narrations en espagnol, Silva-Corvalán a trouvé que le résumé, la conclusion et le coda étaient au Prétérit (équivalent du Passé Simple français). Les principaux temps de l'orientation étaient l'lmparfait (70%), le Présent (12%) et l'lmparfait Progressif (7%); le Présent est utilisé dans l'orientation lorsque les traits décrits sont indépendants des événements, ou lorsque ces traits existent encore au moment de parole; par ailleurs, l'lmparfait sert à décrire des conditions qui étaient vraies à l'époque de la narration et pour la durée de la narration, mais il est aussi utilisé pour décrire des conditions spécifiques au moment de l'événement; finalement, l'lmparfait progressif, bien que présent dans l'orientation, apparaît surtout dans les phrases non narratives du développement de l'action.

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Dans le développement de l'action, Silva-Corvalán a compté trois temps différents: le Présent, le Prétérit et l'lmparfait. Le squelette de la narration apparaît au Prétérit, tandis que les propositions décrivant des événements simultanés aux événements narratifs apparaissent à l'lmparfait.

Voyons maintenant la distribution des temps dans les différentes sections de nos narrations. Étant donné la définition de l'usage de l'lmparfait donnée par Weinrich, Reid, Hopper et Wallace, on s'attendrait à ce qu'en français le développement de l'action soit au Présent ou au Passé Composé et l'orientation et l'évaluation, à l'lmparfait.

Trois de nos narrations débutent par une phrase au Passé Composé qui sert d'introduction à la narration "Bien j'en ai connu une sur la rue St-André..." (Incendie l)3. Un résumé de l'action peut se trouver au début ou àla fin de la narration; parmi les verbes de cette section, six sur huit sont au Passé Composé, un est au plus-que-parfait et un est à l'lmparfait.

La distribution des temps dans les sections d'orientation, de développement
de l'action et dans les propositions évaluatives est donnée au tableau 10:


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Distribution des temps dans les différentes sections de la narration Tableau 10 du total des verbes de chaque temps qui se retrouvent dans les sections indiquées. du total des verbes de chaque section qui sont aux temps indiqués. 3IMP = Imparfait; PS = Passé Simple. Les autres temps incluent surtout le plus-que-parfait (11), le Passé Composé (> ps (4) et le Présent actuel (8).

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Ces résultats semblent appuyer ceux de Silva-Corvalán et soutenir l'hypothèse de Weinrich, Reid et Hopper. En effet, la majorité des verbes au Passé Composé qui pourraient être remplacés par un Passé Simple se retrouvent dans le développement de l'action (72.6%). Ils forment, avec le Présent Historique, 82.8% des verbes de cette section. Par contre, les verbes à l'lmparfait se retrouvent majoritairement dans l'orientation (72.3%). Ils forment, avec le Présent Historique (= IMP) 85% des verbes de cette section. Ce sont aussi les verbes à l'lmparfait qui sont dominants dans l'évaluation (50%), bien que moins fortement.

Dans l'étude de l'usage du Présent dans nos narrations, nous avons distingué le Présent Actuel, qui se réfère au moment de parole, et le Présent Historique, qui se réfère au moment de l'événement raconté. Parmi les verbes au Présent Historique, nous nous sommes demandé si ces verbes alternaient avec le Passé Composé (= Passé Simple) ou avec l'lmparfait. Nous n'avons pas inclus dans ces calculs les verbes au Présent qui font partie du discours direct. Voici les résultats que nous avons obtenus:

Intro Orient Action Eval Coda
Présent actuel 2 5-35
Présent = IMP 16 8
Présent = PS - 1 56 1

Tout comme chez Schiffrin (1981) et chez Silva-Corvalán, le Présent Actuel ne se trouve jamais dans le développement de l'action, ce qui est naturel puisque le développement de l'action a pour but de faire avancer la narration qui, par définition, raconte un événement passé.

Pour ce qui est du Présent Historique, nous pouvons comparer nos résultats à ceux de Schiffrin (1981) pour l'anglais, qui en avait trouvé 3% dans l'orientation et 30% dans le développement de l'action. Dans nos données, les verbes au Présent Historique forment 10.9% des verbes de l'orientation (10.3% = IMP; 0.6% = PS) et 37.1% des verbes du développement de l'action. Ces résultats correspondent assez bien à ceux de Schiffrin.

Silva-Corvalán a discuté en détail le rôle du Présent Historique dans les narrationsqu'elle étudie. Dans ses données, le Présent Historique n'est utilisé que dans le développement de l'action où il prend un sens perfectif: il alterne avec le Prétérit,et non avec l'lmparfait. Lorsque le Présent apparaît dans d'autres sections de la narration, il fait référence au moment de parole, et non au passé. Selon Silva-Corvalán, le Présent Historique, parce qu'il présente les événements comme s'ils se passaient au moment de parole devant les yeux du locuteur, est un outil d'évaluation qui sert à donner plus de vividité à la narration et à la rendre plus dramatique. Ceci est justifié par le fait que le Présent Historique apparaît précisémentdans

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mentdansles contextes où l'aspect dramatique est important: d'une part au moment le plus crucial de la narration, lorsque la tension est à son maximum, d'autre part lorsque les événements racontés sont particulièrement drôles ou inhabituels.

Dans nos données, le Présent Historique "de narration" (= PS) se retrouve presque exclusivement dans le développement de l'action (96.6%). Par contre, et ceci contrairement aux résultats de Silva-Corvalán, nous avons un nombre important de Présents Historiques dans l'orientation et dans l'évaluation. Sur nos 82 verbes au Présent Historique, 17 (20.7.%) sont dans l'orientation et 9 (11.0%) dans l'évaluation. Tous ces verbes sauf deux alternent avec l'lmparfait et non avec le Passé Simple. La plupart de ces Présents Historiques sont des verbes statifs, ce qui est attendu puisque les sections d'orientation et d'évaluation ont tendance à attirer les verbes statifs, leur rôle étant de décrire la situation ou l'état d'esprit du locuteur. Cependant, on trouve aussi des verbes d'action au Présent Historique dans les sections d'orientation ou d'évaluation. Voici des exemples de Présent Historique dans la section d'orientation:


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Œil de vitre

Comme le montrent les exemples ci-dessus, les verbes au Présent qu'on trouve dans les sections d'orientation et d'évaluation, n'ont pas une référence actuelle ou indépendante des événements, mais ils se situent dans son déroulement. Nous voyons qu'en français, contrairement à ce que Silva-Corvalán avait trouvé pour l'espagnol, le Présent Historique n'est pas exclu des sections d'orientation et d'évaluation du récit où il alterne avec l'lmparfait et où il ne prend donc pas nécessairement un sens perfectif ou actuel.

Selon Silva-Corvalán, le Présent Historique est un outil d'évaluation qui sert à rendre plus dramatique la narration. Dans les narrations en espagnol qu'elle a étudiées, le Présent Historique apparaît précisément aux moments les plus importantsde la narration. Nous avons regardé l'usage des temps aux points centraux de nos narrations. Le point central d'une narration est défini comme étant le momentoù la tension est à son maximum et à partir duquel Fhisoire se dirige vers la résolution de la tension et la conclusion (cf. Labov et Waletzky, 35; Silva-Corvalán,775).

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Tableau 12 Distribution des temps au point central de la narration

valán,775).Nous avons compté 31 propositions qui se situaient clairement au point central de nos narrations. Par exemple, dans l'histoire du Train lorsque le train approche et que la voiture est encore sur les rails; ou encore dans l'histoire de la Noyade, lorsque le narrateur ne réussit pas à atteindre la surface de l'eau pour respirer. Voici la distribution des temps dans ces 31 propositions:

Le point central de la narration ne semble pas spécialement attirer le Présent Historique, qui y apparaît moins souvent que le Passé Composé ou l'lmparfait. Nous avons regardé si le Présent au point central de la narration reflétait un changement de temps par rapport au texte narratif qui précédait. Mais non. Les verbes au Présent qui apparaissent au point central de nos narrations font partie de narrations racontées au Présent et suivent d'autres verbes narratifs au Présent.

Par contre, nous sommes surpris par le nombre élevé d'lmparfaits au point critique de la narration. Il y en a plus que de Passés Composés! En fait, onze des quinze verbes à l'lmparfait qui se retrouvent dans le développement de l'action se situent au point central de la narration.

Voici des exemples de ces utilisations de l'lmparfait:


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Le Train

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Noyade

On trouve aussi l'lmparfait là où l'élément de surprise est à son maximun, comme
dans l'histoire du Couple uni:


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Couple uni

La présence de l'lmparfait au point central de la narration n'est pas prévue par Weinrich et par Reid. Selon Weinrich ( 1973:115), le Passé Simple (Passé Composé, Présent Historique) aurait pour fonction de raconter "l'événement inouï"". Selon Reid, les événements relatés à l'lmparfait seraient "moins dignes d'attention" que ceux relatés au Passé Simple (p. 319). Il est donc exclu qu'ils se retrouvent à un point central du récit, puisque le sens de l'lmparfait est de ne fournir que l'information

Les propositions à l'lmparfait qui forment le point central de nos narrations
ont certaines caractéristiques:

1. Elles ne pourraient pas être enlevées sans créer un trou dans le déroulement
narratif. En ce sens, elles devraient être considérées comme narratives.

2. Cependant, elles ne racontent pas à proprement parler, mais elles décrivent les
composantes d'une situation telle qu'elle a été vécue par le narrateur.

3. Elles pourraient (a) soit être remplacées par des propositions au Passé Composé:

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"...puis le billot a changé de bord, puis moi je me suis retrouvé en-dessour de
l'eau (...) puis j'ai essayé d'avoir la surface de l'eau pour avoir de l'air, puis j'ai
pas pu..." (Noyade)

(b) soit être précédées par un verbe narratif au Passé Composé qui est sous
entendu dans la narration actuelle:

"Je m'en vas là, puis arrivé là, j'ai vu que c'était la femme là queje vous parle,
qui était 1à..." (Couple uni)

Dans les deux cas, l'effet provoqué par le remplacement de l'lmparfait par le Passé Composé est d'amoindrir l'intensité de la situation. Dans l'histoire de la Noyade, on perd le sentiment du tragique de la situation; dans l'histoire du Couple uni, l'effet de surprise est diminué par l'utilisation du Passé Composé. Cet effet ne s'explique pas si l'lmparfait a, comme le propose Weinrich, le sens premier de décrire l'information d'arrière-plan, tandis que l'information principale est réservée au Passé Simple ou au Passé Composé.

Molendijk (1983) et Pollak (1976) ont tous deux affirmé que "vouloir faire un absolu de l'interprétation (...) de l'opposition perfectif-imperfectif d'après la distinction entre premier et arrière-plan conduit de toute évidence à des interprétations fausses" (P011ak:299). Les exemples donnés par Molendijk sont les suivants. D'abord, dans:

(6) II faisait sombre. De temps en temps, on entendait le grondement lointain de
l'orage. Alors, une détonation violente. J'aperçus une lueur multicolore qui, brusquement,
traversait le ciel gris. (Molendijk, ex. (9))

"nous avons de la peine à ne pas considérer le procès traverser comme un événement, un fait de premier plan. Si l'on caractérise l'événement comme un phénomène qui "produit une impression de nouveauté, un effet de surprise" (Martin, p. 95), il est difficile de ne pas ranger traverser, dans le cas présent, dans la catégorie des événements. Pourtant, ce procès est présenté de façon imperfective, parce qu'on fait abstraction de sa limite finale (au moment où l'on aperçoit la lueur, elle n'a pas encore cessé de traverser le ciel)" (Molendijk:2s)

Inversement, dans:

(7) La guerre de Cent Ans - qui dura d'ailleurs 116 ans - fut surtout amenée par la
rivalité entre Philippe VI et Edouard 111. (Molendijk, ex. (10))

dura est certainement à l'arrière-plan, ne serait-ce que par sa nature appositive,
et pourtant il se trouve au Passé Simple.

Mais Molendijk va plus loin: il remet en question l'utilisation même des termes
perfectif et imperfectif pour expliquer l'emploi du Passé Simple (Passé Composé)
et de l'lmparfait.

D'abord, les définitions sont trop vagues pour être utilisables sans ambiguïté.

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Ainsi dans les phrases qui expriment une qualité intrinsèque comme:

(8) Jean avait les yeux bleus. (Molendijk, ex. (5))

le locuteur prend en considération l'intervalle entier pendant lequel la situation est valable, ce qui est contraire à la définition d'aspect imperfectif (cf. pages 3 et 4), et pourtant le verbe est à l'lmparfait (et il serait difficile de le remplacer par un Passé Simple).

De plus, l'lmparfait se combine avec des expressions adverbiales qui indiquent
la durée entière pendant laquelle la situation est valable:

(9) Pendant des siècles les humains observèrent le ciel.....pendant tout ce temps les
Martiens se préparaient. (Molendijk, ex. (14))

et avec des adverbes qui font spécifiquement référence à la fin de l'intervalle
pendant lequel la situation est valable:

(10) A cette époque-là, et jusqu'à la guerre, les grands journaux publiaient en première
page, chaque jour, un poème. (Molendijk, ex. (18))

(11) U faisait beau jusqu'ici, (mais ce matin, il s'est mis à pleuvoir). (Molendijk, ex. (19))

Une réponse à ces arguments, ainsi qu'une solution à l'utilisation des Imparfaits
et des Passés Composés dans nos narrations, nous est donnée par Ducrot (1979).
La description de l'lmparfait donnée par Ducrot est la suivante:

"PI. Lorsqu'un énoncé est à l'lmparfait, son thème est nécessairement temporel: c'est, soit une période du passé, soit, plus fréquemment, un objet ou événement considéré à l'intérieur d'une certaine période du passé (les indications temporelles relatives au thème peuvent d'ailleurs être seulement implicites, et fournies par la situation d'énonciation).

P2. Lorsqu'un énoncé est à l'lmparfait, l'état ou l'événement constituant son propos
sont présentés, comme des propriétés, comme des caractéristiques du thème, et qualifient
celui-ci dans sa totalité." (Ducrot:6)

Ducrot définit le thème temporel de la façon suivante:

"Une indication temporelle concerne le thème si elle sert à préciser la tranche de temps dont on parle ou à l'intérieur de laquelle on considère l'être dont on parle. Elle concerne le propos si elle constitue, totalement ou partiellement, l'information donnée au sujet du thème" (Ducrot:3)

Ducrot voit la même différence entre (a) "Pierre a volé" et (b) "Pierre est un voleur" qu'entre (a') "L'année dernière à Paris, il a fait chaud" et (b') "L'année dernière à Paris il faisait chaud": Dans les phrases en (a) et (a'), l'événement est asserté sans plus. Dans les phrases en (b) et (b'), par contre, l'événement est présenté comme une caractéristique de Pierre et de l'année dernière.

En d'autres mots, pour utiliser l'lmparfait il faut identifier un moment, si
celui-ci n'est pas implicite; l'lmparfait sert alors à décrire des événements ou des
situations caractéristiques de ce moment. Cela rejoint la remarque de Nef (1982)

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sur la composante anaphorique de l'lmparfait: il ne peut être utilisé sans contexte.
On peut dire que l'lmparfait est dans le champ d'un thème temporel.

Si l'on adopte cette définition, ce qui donne le sens imperfectif à l'lmparfait
c'est que la durée du procès peut excéder la durée prise comme thème temporel.
Par exemple, dans:

(12) A six heures Jean écrivait encore.

Le thème temporel est un moment, six heures, et l'lmparfait décrit l'action de
Jean à ce moment, sans se prononcer sur ce qui a pfécédé ou suivi la période désignée
par le thème. Reprenons les exemples de Molendijk:

(9) ...pendant tout ce temps les Martiens se préparaient.

( 10) A cette époque-là, et jusqu'à la guerre, les grands journaux publiaient...

(11) II faisait beau jusqu'ici

Ici encore, le thème temporel est la période spécifiée, et l'lmparfait décrit l'événement caractéristique de cette période, mais on voit en plus qu'un adverbe peut servir à préciser si le thème temporel inclut toute la durée pendant laquelle la situation décrite par l'lmparfait est valable.

Pour que l'lmparfait soit utilisé correctement, il n'est donc pas nécessaire que le procès se poursuive après la fin de la période mentionnée, comme le montrent les exemples de Molendijk cités ci-dessus. Ce qu'il faut c'est que la période temporelle constituant le thème dont l'lmparfait décrit la caractéristique soit définie. Dans "Jean avait les yeux bleus", le thème Jean définit implicitement une période temporelle bien déterminée: la durée de sa vie. Par contre, la phrase:

(13) *Pendant des années, les grands journaux publiaient en première page, chaque jour,
un poème. (Molendijk, p. 32, ex. 18c)

peut paraître bizarre parce que l'adverbe pendant des années n'est pas assez spécifique
pour servir de thème temporel.

Pour l'utilisation de l'lmparfait, la terminaison ou la non terminaison du procès n'est donc pas importante, ce qui importe c'est que le procès soit considéré comme une caractéristique du thème temporel. Voici un exemple de Ducrot qui illustre ceci et l'explication qu'il en donne:

(14) Idiot que je suis! L'année dernière j'achetais un appareil de photo dont je n'avais
nul besoin, et, cette année, je n'ai même pas de quoi me payer le cinéma.

"Dans la mesure où le locuteur compare les deux années du point de vue de sa situation financière, l'achat d'un appareil de photo, considéré comme un signe ou indice de prodigalité, peut suffire, de ce point de vue, à caractériser l'année précédente dans sa totalité, et justifier l'lmparfait." (Ducrot:9)

On remarquera en plus que l'achat d'un appareil de photo est un événement qui
occupe peu de temps, qu'il est certainement présenté comme terminé et non en

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cours de déroulement, et qu'on ne peut pas dire que "le locuteur ne prend pas en considération l'intervalle entier pendant lequel la situation est valable, mais se contente de constater ce qui se passe au moment pris comme point de référence, excluant le début et la fin de l'intervalle", selon la définition d'aspect imperfectifdeVet(cf.p.

Pour en revenir à nos narrations, nous avons repris chaque occurrence d'un Imparfait et nous nous sommes demandé s'il servait à décrire une situation dont l'ancrage temporel était défini. Nous n'avons trouvé aucun verbe à l'lmparfait qui ne répondait pas à la définition de Ducrot. Un des verbes à l'lmparfait que nous avons trouvé le plus difficile à interpréter en ce sens est le suivant:

15. mais un soir j'ai eu un téléphone d'une motel

16. et puis ils voulaient avoir une bouteille de fort

17. so j'ai été leur porter la bouteille (Couple uni)

Nous croyons qu'il répond à la définition de Ducrot pour la raison suivante. Ici, 16. est une description du coup de téléphone. Son thème est donc ce coup de téléphone, et son thème temporel, le moment de ce coup de téléphone. Les personnes qui ont appelé avaient probablement commencé à désirer la bouteille de fort avant d'appeler, et ont pu ou non la désirer encore après avoir raccroché, mais l'important c'est qu'au moment où le narrateur a répondu les gens voulaient cette bouteille. Dans ce sens l'lmparfait est approprié puisqu'il décrit un moment temporel.

La définition que Ducrot donne de l'lmparfait explique pourquoi il représente à lui seul près de 75% des verbes de l'orientation (cf. tableau 10 p. 14). Le rôle de l'orientation est de décrire la situation en vigueur au moment de la narration. Or, l'lmparfait sert justement à décrire une situation caractéristique d'un thème temporel passé. Il constitue donc le temps par excellence de l'orientation. La "préférence" des verbes d'état pour l'lmparfait s'explique pour la même raison: les verbes d'état utilisés dans les narrations sont généralement utilisés pour décrire une situation.

Ewert (1933) a décrit de la façon suivante l'utilisation moderne de l'lmparfait:

"The Imperfect often becomes an artistic device for presenting an action more graphically,
as something actually going on before the mind's eye. This development is part of a
wider change in outlook; the modem tendency to envisage the past as a scène, or picture,
whereas to the Médiéval mind it appeared above ail as action. Broadly speaking, Modem
French prefers the static tense while Old French preferred the dynamic.
Modem French employs the Past Definite only to dénote an action or séries of actions
presented as having happened at a given time in the past, (...) the Imperfect to describe
an action or séries of actions in progress at a given time in the past" (p. 253-254)

On notera que c'est effectivement ce que nous trouvons. Dans l'histoire du train,

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par exemple, l'effet de tragique est atteint par l'utilisation de l'lmparfait qui décrit une scène immédiatement subséquente au moment où les freins ont été mis, une scène où tout se passe en même temps dans un moment qui suit immédiatementl'application des freins et qui précède l'arrêt de la voiture.

Schiffrin (1981) a soutenu que le progressif anglais met en évidence un événement en le mettant en parallèle avec les autres événements se déroulant en même temps; en plus, il brise la suite des événements en présentant un événement qui s'étale dans le temps. Nous croyons que ces caractéristiques du progressif qui en font un outil d'évaluation interne peuvent aussi s'appliquer à l'lmparfait. Dans cet ordre d'idées, Silva-Corvalán dit que l'imperfectif permet une coupure dans le déroulement temporel de la narration.

Il semble que dans l'utilisation de l'lmparfait, le narrateur prend avantage des caractéristiques de l'imperfectif, qui ne suppose pas la complétion de l'événement précédent, mais qui décrit des situations simultanées, pour reconstituer une scène qui fait ressortir le côté tragique ou comique de la situation de façon beaucoup plus efficace qu'une simple énumération d'événements au Passé Composé ne peut le faire. En ce sens, nous croyons que, tout comme le Présent Historique étudié par Silva-Corvalán, l'lmparfait en français est un outil d'évaluation interne.

Si nous acceptons cette définition de l'lmparfait, qu'en est-il alors du Passé Composé? Selon Reid, le Passé Composé forme le premier plan de la narration. Or, bien que nous le trouvions à près de 73% dans le développement de l'action, nous trouvons aussi certaines utilisations du Passé Composé qui ne répondent pas à cette définition. Par exemple, six narrations sur onze débutent par une phrase d'introduction au Passé Composé. "Je m'ai faite échapper un frigidaire de même moi" (Frigidaire).

De plus, si nous en croyons Silva-Corvalán, les propositions temporelles en quand ne sont pas des événements, mais constituent Farrière-plan d'une scène ou d'un événement (p. 771)4. Dans nos narrations, le Passé Composé est le temps qui est régulièrement employé dans les subordonnées temporelles. Nous le trouvons par exemple dans huit temporelles en quand sur douze ("Quand on a arrivé chez nous il était midi" (Commission), où le Passé Composé constitue le thème de l'énoncé à l'lmparfait qui suit) et une fois dans la proposition principale d'une temporelle servant d'introduction à la narration ("Moi y ai été attaquée quand j'étais petite" (Pastouriaux), où le thème temporel de l'lmparfait est défini par le moment de l'attaque); dans les trois derniers cas, la temporelle aussi bien que sa principale sont à l'lmparfait, ce qui donne à la phrase un sens habituel ("lui quand il arrivait de travailler il s'en allait à l'lnterprovincial avant d'aller chez eux" (Couple uni)).

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Finalement, nous trouvons aussi le Passé Composé dans un sens parfait, c'est-àdire lorsque la situation est encore valable soit au moment Présent ("Je Vai jamais dit à ma mère parce qu'elle nous aurait bien battus" (Pastouriaux)), soit au moment de la narration, lorsque celle-ci est racontée au Présent Historique ("II cogne à porte, puis mon père est parti ça fait six mois").

Nous croyons qu'une des meilleures descriptions informelles que nous
ayons trouvées du Passé Composé est la suivante, de Larthomas (1980):

"Dans notre conversation courante, c'est le fait que tel ou tel événement s'est produit que nous exprimons par le Passé Composé. Lorsque les événements passés se succèdent et que leur énoncé doit s'organiser en récit, nous faisons appel ordinairement au Présent. C'est lui qui, dans cet emploi, a éliminé le Passé Simple."

Oubliant pour un moment la réflexion sur le Présent, nous voudrions ici rappeler la description de Ewert que nous avons citée plus haut: "Modem French employs the Past Definite only to denote an action or series of actions presented ashaving happened at a given time in the past". Il semble bien que, comme le suggère Ducrot, dans un énoncé au Passé Composé, le thème est l'événement. Les indications temporelles ne sont pas nécessaires pour l'utilisation du Passé Composé, et c'est pour cela qu'il peut servir de phrase d'introduction à une narration. Les indications temporelles, s'il y en a, en constituent le propos.

Un appui à cette hypothèse nous vient de Guenthner, Hoepelman et Rohrer (1978) qui ont montré que les indications temporelles qui accompagnent un verbe au Passé Simple servent à localiser l'action dans une période de temps plus large qui la contient. Ce sont donc des indications accessoires sur le moment de l'événement. Ainsi, s'il est parfaitement normal de dire:

(15) A six heures je roulais entre Toronto et Montréal.

parce que l'lmparfait décrit l'action du locuteur au moment défini par le thème
temporel, six heures, la même phrase au Passé Composé:

(16) ??A six heures j'ai roulé entre Toronto et Montréal.

est surprenante parce qu'elle sous-entend que le locuteur a pu faire toute la route entre Toronto et Montréal à six heures même. Par contre, dans les exemples suivants de Guenthner, Hoepelman et Rohrer, le Passé Simple (Passé Composé) ne pose pas de problèmes parce que la durée de l'événement est très brève:

(17) Le satellite traversa l'Atlantique à quatre heures.

(18) Jean écrivit son nom à minuit*

(19) La nouvelle traversa la moitié du monde à midi.

En ce qui concerne le rapport entre le Présent Historique et le Passé Composé,
Larthomas (voir ci-dessus) suggère que le Présent constitue le temps du récit,

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tandis que le Passé Composé ne fait qu'indiquer l'existence passée d'un événement.De même, Weinrich (1964) (chap. 10) constate que "le Passé Composé est plus employé dans les passages narratifs fragmentaires et isolés, le Présent dans des passages plus longs et plus cohérents". Selon lui, les récits au Passé Composé sont exceptionnels. Nous n'avons pas trouvé de préférence à utiliser le Présent plutôt que le Passé Composé comme temps de narration. Au contraire, comme en témoigne le tableau 10 (p. 14), le Présent Historique est un peu moins fréquentque le Passé Composé dans le développement de l'action (37.1% vs. 45.7). Trois de nos narrations sont racontées au Présent Historique, quatre sont racontéesau Passé Composé et quatre alternent entre le Présent et le Passé Composé.

Pour ce qui est de l'alternance entre le Présent et le Passé Composé, Wolfson (1979) a proposé qu'elle souligne un changement de décor ou toute autre coupure dans l'action. Schiffrin (1981) a noté que ses narrations avaient tendance à commencer par un passé, puis à passer au Présent, et à finir par le passé. Elle a aussi noté que les verbes au Présent et ceux au passé avaient tendance à apparaître en groupes dans les narrations. Tout comme Wolfson, Schiffrin croit que l'alternance indique une coupure dans l'action (elle se produit souvent après une proposition temporelle qui indique un changement de décor), mais, contrairement à Wolfson, elle croit que les coupures dans l'action provoquent un passage du Présent Historique vers un temps du passé, et non l'inverse. De plus, les verbes déclaratifs apparaissent souvent au Présent Historique et pour cette raison causent souvent un changement du passé vers le Présent. Finalement Silva-Corvalán, en plus d'associer le Présent au point central de la narration, croit, elle aussi, que l'alternance se produit aux points de discontinuité.

Dans nos données, nous avons compté dix-huit alternances entre les propositions narratives au Présent Historique et celles au Passé Composé. De ces dix-huit alternances, trois seulement ne se produisent pas concurremment à un ou plusieurs des facteurs suivants: verbe déclaratif ("dire"), indication temporelle ou changement d'acteur (sujet du verbe narratif).

Huit des dix-huit alternances sont introduites par des verbes déclaratifs dont cinq introduisent un changement vers le Présent et trois, un changement vers le passé. On ne peut donc pas parler d'une forte tendance des verbes déclaratifs à introduire le Présent (bien que des données plus nombreuses pourraient le montrer). De plus, six alternances suivent un adverbe de temps ou une proposition temporelle servant à introduire un changement de décor. Cinq de ces six introduisent une alternance vers le Présent Historique. Finalement, dix alternances se produisent concurremment à un changement d'acteur.

Ces résultats suggèrent que les verbes déclaratifs ainsi que la discontinuité
sont effectivement des facteurs tendant à favoriser le passage d'un temps à l'autre.

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Cela reste à être vérifié. Il faudrait voir dans quelle mesure ces facteurs sont présentslorsqu'il n'y a pas d'alternance. Pour ce qui est des indications temporelles introduisant un changement de décor, par exemple, elles sont relativement rares dans nos narratives, et le fait qu'on trouve six de celles-ci sur nos dix-huit alternances(33%) semble indiquer que la discontinuité temporelle est effectivement un facteur d'alternance.

4. Conclusion

Une question fondamentale sous-tend l'étude de l'usage des temps: existe-t-il des
critères sémantiques primitifs permettant de décrire universellement l'usage des
temps?

Dans l'analyse traditionnelle, la notion d'aspect est à la base de la répartition des temps. Il existe un certain nombre d'aspects et les langues choisissent de marquer tels ou tels aspects, entre autres l'aspect perfectif ou l'aspect imperfectif. L'lmparfait marque l'aspect imperfectif, et le Passé Simple ou le Passé Composé marquent l'aspect perfectif.

Une école de pensée plus récente a proposé que le critère de sélection des temps pour une langue comme le français était discursif plutôt qu'aspectuel: les temps du passé auraient pour rôle de mettre du relief dans le récit, c'est-à-dire d'indiquer le premier plan ou Farrière-plan.

Nous avons cependant vu que la signification de l'lmparfait et du Passé Composé ne semblait pas découler de la nécessité discursive d'indiquer l'arrière-plan ou le premier plan de la narration. Les verbes à l'lmparfait de nos narrations se retrouvent surtout dans l'orientation, mais peuvent aussi apparaître à un point central de la narration. Dans ce cas, par le caractère pictural de la scène qu'ils décrivent, ils servent à mettre en valeur le caractère inhabituel - comique ou tragique — de la situation.

Nous croyons plutôt que l'utilisation de l'lmparfait et du Passé Composé dans l'arrière-plan ou au premier plan découle de leur sens. La définition de l'lmparfait qui nous semble décrire le mieux les données du français est celle de Ducrot: tandis que le Passé Composé correspond au thème de l'énoncé qui le contient, le thème d'un énoncé à l'lmparfait est temporel et le verbe à l'lmparfait constitue son propos.

Avec l'analyse de l'lmparfait de Ducrot une nouvelle notion devient pertinente, celle de la distinction entre thème et propos. Cette dernière notion est beaucoup plus proche de l'analyse traditionnelle que l'approche discursive. Dans l'analyse traditionnelle, le choix du temps est dicté par l'événement lui-même. Il y a alors deux critères pour la sélection du temps: (1) le moment de l'événement et (2) le

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fait que l'événement est présenté comme complété, non complété, habituel, etc. Dans l'approche de Ducrot, le choix du temps est dicté par le thème de l'énoncé. Pour utiliser l'lmparfait, (1) le thème de l'énoncé doit être temporel (passé) et (2) l'événement doit être présenté comme caractéristique du thème. Dans les deux approches, l'accent est mis d'un côté sur le moment temporel et de l'autre sur la perspective du locuteur. La différence entre les deux est que l'approche traditionnelleconsidère que le locuteur décrit la caractéristique de l'événement, qui est d'être inaccompli, tandis que Ducrot considère que le locuteur décrit le thème temporel, qui est caractérisé par l'événement.

Étant donné cette inversion de la perspective, deux questions viennent à l'esprit: 1. S. Fleischman (1985, 1986) note qu'au XIIIe siècle, on trouvait le Passé Simple non seulement dans les phrases narratives, mais aussi dans les phrases d'orientation, là où on trouverait maintenant l'lmparfait. Il serait intéressant d'essayer de déterminer laquelle de l'analyse traditionnelle et d'une analyse inspirée de celle de Ducrot permet le mieux d'expliquer l'évolution de l'usage des temps dans l'histoire du français. 2. Si l'analyse de Ducrot est correcte pour le français, on pourrait s'attendre à ce que le même genre d'approche se révèle explicatif pour décrire l'usage des temps dans d'autres langues que le français. D'une manière plus générale, on peut se demander dans quelle mesure les notions de thème et propos ou des notions du même ordre (s'ajoutant éventuellement aux aspects traditionnels) sont des notions sémantiques nécessaires pour décrire correctement l'usage des temps dans les langues. On peut par exemple se demander si certains temps qui étaient traditionnellement décrits comme perfectifs ou imperfectifs ne devraient pas être réanalysés selon les lignes de Ducrot.

Marie Labelle

Ottawa



Notes

1. Ce projet bénéficie d'une subvention du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada.

2. Ce n'est pas le cas en anglais où il n'y a qu'un seul point de référence Rx, d'où l'impossibilité d'avoir *The parcel has arrived on Aprii 15th, mais The parcel has arrived now est possible parce que l'adverbe modifie le point de référence Rx.

3. Les citations sont suivies du nom de la narration et du numéro de ligne.

4. Selon S. Thompson (1986), cependant, cela n'est pas toujours le cas.

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Résumé

Une analyse de l'utilisation des temps du passé a été effectuée sur 11 narrations tirées d'un corpus de français spontané de la région d'Ottawa. L'hypothèse selon laquelle le sens de l'lmparfait serait de marquer l'arrière-plan, tandis que celui du Passé Simple (Passé Composé) serait d'indiquer le premier plan n'est pas vérifiée. Au contraire, l'lmparfait et le Passé Composé semblent plutôt se répartir selon qu'ils constituent le thème ou le propos de l'énoncé qui les contient, comme l'a proposé Ducrot (1979). Tandis que le Passé Composé correspond au thème de l'énoncé qui le contient, le thème de l'énoncé à l'lmparfait est temporel et l'événement décrit à l'lmparfait constitue son propos. Quant au Présent Historique, contrairement à ce qui a été trouvé pour l'espagnol par Silva-Corvalán (1983), d'une part il ne semble pas qu'il soit particulièrement associé avec le point central du récit, d'autre part, il peut alterner avec l'lmparfait dans les sections d'orientation et d'évaluation du récit. Dans les propositions narratives, il semble en variation libre avec le Passé Composé.

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