Revue Romane, Bind 21 (1986) 2

Hanne Korzen: Pourquoi et l'inversion finale en français: Étude sur le statut de l'adverbial de cause et l'anatomie de la construction tripartite. Études Romanes de l'Université de Copenhague. Revue Romane numéro supplémentaire 30. Munksgaard, Copenhague, 1985. 220 p.

Lise Lorentzen

Le but du livre de Hanne Korzen est de rendre compte de la différence entre pourquoi et les autres adverbes interrogatifs, surtout en ce qui concerne l'inversion du sujet. L'auteur s'appuie sur les recherches faites depuis vingt ans sur les compléments adverbiaux (pour le français surtout Mordrup 1976 (Une analyse non-transformationnelle des adverbes en -ment) et Schlyter 1977 (La place des adverbes en -ment en français)) et, plaçant les problèmes dans un cadre sémantico-pragmatique, elle s'inspire de la théorie de renonciation, élaborée par Ducrot et son équipe. L'étude de HK présente un grand nombre de découvertes et réflexions intéressantes, aussi bien sur pourquoi et l'interrogation que sur de nombreux autres phénomènes de la langue française. Tout au long du livre, les résultats sont résumés dans des tableaux

Soulignons tout de suite que c'est un sujet extrêmement complexe qu'aborde HK, et qu'elle le traite avec beaucoup de scrupules. Le but de son étude est de trouver et d'expliquer les raisons pour lesquelles pourquoi ne déclenche pas normalement l'inversion finale du sujet non conjoint, contrairement aux autres adverbiaux interrogatifs. Son hypothèse est que cela est dû à la fonction de l'adverbial de cause, qui serait différente de celle des autres adverbiaux. HK est obligée de reconsidérer la structure de la phrase française en général, et elle arrive à des résultats originaux.

L'introduction contient une présentation du problème essentiel, le plan du travail, ainsi que
le système de notation employé.

Dans le premier chapitre ("Point de départ: la construction tripartite et l'adverbial de cause"), l'auteur fait le bilan des différents types possibles d'inversion du sujet. L'intérêt est surtout centré sur la construction dite tripartite (type: Où est Pierre! ). Pour expliquer que pourquoi n'entraîne pas facilement ce genre d'inversion (l'inversion finale avec un sujet non conjoint), HK examine d'abord, pour la réfuter aussitôt, l'explication phonétique donnée par Le Bidois. Elle discute ensuite la possibilité de considérer l'adverbial de cause comme un adverbial de phrase. Comme les adverbiaux de phrase, l'adverbial de cause présente une faible cohésion avec le verbe, et l'inversion finale est rare dans les deux cas. Néanmoins, pourquoi ne se comporte pas à tous égards comme les adverbiaux de phrase types tels que peut-être, heureusement, etc. D'autre part, HK compare pourquoi avec comment. Elle

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montre que comment peut avoir une valeur proche de celle de pourquoi et que, dans ces cas-là, il a tendance à entraîner, lui aussi, l'inversion complexe. HK résume la situation de la manière suivante: "L'adverbial de cause ressemblerait donc à la fois aux adverbiaux de phrase et aux compléments déclencheurs d'inversion " (p. 35).

Dans le chapitre II ("L'adverbial de cause et la structure de la phrase en général"), HK assigne à l'adverbial de cause une place spécifique dans une hiérarchie de la phrase: cet adverbial "occupe une place intermédiaire entre les adverbiaux de phrase et les compléments déclencheurs d'inversion" (p. 38). L'auteur donne aussi une représentation graphique très instructive du modèle dans sa totalité. Elle prend son point de départ dans la "phrase entière", qu'elle divise d'abord en deux: d'une part les "éléments périphériques", contenant les adverbiaux périphériques, dont font partie, entre autres, les adverbiaux de phrase, et les "autres éléments périphériques"; d'autre part, il y a la "phrase centrale", elle-même divisée en deux: les "adverbiaux de relation causale" (qui diffèrent des "adverbiaux de cause" en ce qu'ils englobent aussi les conditionnelles et les concessives) et la "phrase élémentaire". La phrase élémentaire, elle, contient aussi bien les "adverbiaux scéniques" (de temps et de lieu) que le "noyau" (le verbe et ses actants, ainsi que les adverbiaux de degré et de manière).

Inspirée par Herslund et Sorensen 1982 ("Indledning til en valensgrammatisk analyse af fransk og dansk"), elle utilise pour ses explications les notions d'arguments et de modificateurs, subdivisés tous les deux en libres d'un côté et liés au verbe de l'autre. Les différences syntaxiques entre adverbiaux de phrase (type: probablement) et adverbiaux de verbe (type: gentiment) ressortent d'une série de tests. La conclusion est que l'adverbial de cause est plus proche des adverbiaux de phrase que des adverbiaux de verbe. Dans la hiérarchie établie, les adverbiaux de relation causale sont à considérer comme des arguments libres, contrairement aux adverbiaux de phrase, qui sont des modificateurs libres.

La plus grande partie du livre (le chapitre 111, "L'adverbial de cause et les membres de la phrase élémentaire") cerne de plus près les différences qu'il y a entre l'adverbial de cause et les membres de la phrase élémentaire. En se servant de divers tests, HK montre que, contrairement aux membres de la phrase élémentaire, l'adverbial de cause n'est pas essentiel pour le contenu de la phrase dont il fait partie. "Pour agir, on n'est pas obligé de savoir pourquoi, mais on est obligé de savoir quand, où, comment, etc!' (p. 59).

A la suite de Gunnarson 1978 (Les questions en pourquoi), elle distingue deux emplois différents de pourquoi, selon que l'énoncé introduit par pourquoi comporte une présupposition forte ou faible. L'auteur distingue un pourquoi non-marqué ou "incolore" (qui présuppose faiblement l'existence d'une cause et qui perd souvent sa valeur causale) et un pourquoi marqué (qui présuppose fortement l'existence d'une cause). Comme ce dernier prend souvent la forme pour quelle raison, cette dénomination sera par la suite utilisée pour ce deuxième emploi de l'adverbial de cause. Celui-ci est appelé "adverbial de cause normal", tout comme les adverbiaux de cause non-interrogatifs (parce que, etc.). Les exemples donnés à l'appui de cette distinction sont accompagnés d'observations très fines.

Suit une longue et impressionnante série de propriétés qui font ressortir la différence entre les adverbiaux de cause et les, membres de la phrase élémentaire. Certains des critèrel; dont se sert HK sont des critères généralement utilisés dans les études sur les adverbiaux, alors que d'autres sont des critères nouveaux qui se manifestent comme le fruit des tests auxquels elle recourt. Il est impossible ici d'entrer dans tous les détails, mais mentionnons

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quelques-uns des critères employés:

- le caractère "essentiel" des membres de la phrase élémentaire
- la possibilité de se rattacher à renonciation aussi bien qu'à l'énoncé
- la possibilité d'être foyer dans une construction clivée
- la place par rapport à la négation
- les restrictions de sélection avec le verbe

- la possibilité de faire partie de questions rhétoriques
- la possibilité de figurer dans des constructions enchevêtrées
- la possibilité d'être postposés (ex.: Tu viens quand"] )

Les résultats sont donnés dans des tableaux où chaque propriété est marquée par un + ou
un - pour les 4 groupes suivants:

- les membres de la phrase élémentaire
- pour quelle raison
- pourquoi incolore

- les adverbiaux de phrase

On voit alors que la distinction faite entre pourquoi (incolore) et les adverbiaux de cause normaux (pour quelle raison) s'avère très utile. Bien que ces deux adverbiaux de cause aient en commun certaines propriétés - p. ex.: ni l'un ni l'autre n'est essentiel, tous les deux peuvent modifier la première partie d'une construction clivée, tous les deux peuvent être hors de la portée de la négation, ni l'un ni l'autre ne comporte de restrictions de sélection - il y a davantage de traits qui les séparent. Mentionnons que, contrairement à pour quelle raison, le pourquoi incolore peut modifier l'acte illocutoire, qu'il peut se placer immédiatement avant pas, qu'il peut se rattacher à une construction elliptique. En revanche, pour quelle raison se différencie de pourquoi par la faculté de pouvoir constituer le foyer dans une construction clivée, introduire une construction enchevêtrée et entrer dans le type Tu viens quandi En plus, pour certaines des propriétés examinées, pour quelle raison est syntaxiquement possible, mais bizarre d'un point de vue pragmatique. Somme toute, alors que le pourquoi incolore se comporte à peu près comme les adverbiaux de phrase, pour quelle raison a pratiquement les mêmes propriétés que les membres de la phrase élémentaire.

Les questions introduites par pourquoi sont également comparées aux questions totales. La conclusion de cette comparaison est que "les interrogatives introduites par pourquoi possèdent toutes les propriétés essentielles de l'interrogation totale, sauf une: ce sont des questions partielles" (p. 184).

HK propose alors de modifier le modèle hiérarchique établi dans le deuxième chapitre et déplace le pourquoi incolore parmi les éléments périphériques. Or, comme ce modèle "n'illustre pas la parenté étroite entre le pourquoi incolore et les adverbiaux de cause normaux qui dénotent le même type de relation causale" (p. 185), elle préfère garder les deux modèles à titre provisoire, disant qu'ils sont complémentaires. C'est un problème auquel elle ne revient pas, ce qui est un peu gênant. Mon impression est plutôt que les deux modèles paraissent incompatibles. Ou bien le pourquoi incolore est à incorporer dans la phrase centrale avec les autres adverbiaux de cause, ou bien il est à rejeter hors de la phrase centrale, parmi les éléments périphériques. Toujours est-il qu'il est très difficile de choisir l'un des deux modèles comme étant le plus "vrai".

Dans un court chapitre sur "le rôle du premier élément de la construction tripartite", HK

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explique les raisons pour lesquelles des phrases comme *Pourquoi sont venus tant de gens! sont impossibles. C'est que le premier élément d'une construction tripartite doit avoir un statut autonome, ce qui n'est pas le cas du pourquoi (incolore), ayant "perdu son statut de véritable argument" (p. 186). Quant à pour quelle raison, cet adverbial ne constitue qu'exceptionnellementle premier élément d'une construction tripartite. Cette construction exige que la liaison entre le premier élément et le verbe soit forte, ce qui n'est pas normalement le cas des adverbiaux de cause, qui se trouvent à l'extérieur de la phrase élémentaire.

HK commente ensuite les cas d'inversion finale dans les subordonnées introduites par pourquoi,
phénomène qu'elle explique en disant qu'il s'agit là d'une construction bipartite
{pourquoi ayant perdu son statut autonome), où l'inversion finale est possible.

Dans la conclusion, HK résume les résultats auxquels elle est arrivée, et elle mentionne
"quelques problèmes résiduels" qu'elle a l'intention de reprendre dans une étude ultérieure.

Le livre se termine par 6 "Remarques", où l'auteur donne des renseignements supplémentaires sur certains points. Il s'agit d'observations diachroniques, de seul et l'inversion finale, de l'interrogatif que {-pourquoi), de l'imprécision des tests, de la possibilité pour les causales de constituer le foyer dans des constructions clivées; et pour terminer, elle reprend plus en détail certaines différences entre les temporelles et les causales.

HK nous livre là le fruit d'un gros travail. Elle va au fond des problèmes qu'elle rencontre, et il est toujours intéressant de suivre ses cheminements. On pourrait peut-être lui reprocher d'être trop méticuleuse parfois, dans la mesure où elle se sent obligée de décrire à fond tous les aspects des phénomènes traités. Mais je tiens à préciser que cette dernière remarque n'infirme en aucune façon l'impression très favorable que laisse cet ouvrage aux nombreuses qualités. C'est une lecture riche et stimulante, où chercheurs et enseignants pourront aisément trouver de l'inspiration.

Trondheim