Revue Romane, Bind 21 (1986) 2

José Ma- Alegre Peyrón: Costumbres populares y formas de vida en la Espana del "Lazarillo de Tormes". ECE, Ediciones, Salamanca, 1985. 99 p.

Morten Nøjgaard

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Avec ce petit livre M. Alegre Peyrón continue ses études sur le milieu social du temps de Charles-Quint. Il convient de rappeler les deux articles sur "El campesinado y su mundo rural en la España del Lazarillo de Tonnes" et "Grupos sociales marginados en la España de "Lázaro de Tormes" " (Boletín de la Asociación Europea de profesores de español, XVI, 31, 1984, p. 35-48) et la grande étude d'ensemble "Lázaro de Tormes y su entorno social" (270 p.), Copenhague, 1980, qui n'existe malheureusement que sous une forme polycopiée (écrire à l'lnstitut d'Etudes Romanes de l'Université de Copenhague).

Avec les travaux de AP nous pénétrons vraiment dans la vie quotidienne des petites gens à l'époque de Lázaro (2e tiers du XVIe s.). On sait que pour certains critiques le célèbre roman est à ranger sous la rubrique "littérature populaire traditionnelle", alors que d'autres insistent sur sa modernité en tant que vision personnelle de la vie sociale. Or, AP nous montre que cette vision est surtout réaliste: tous les traits si pittoresques qui caractérisent les déambulations du picaro et dont certains pourraient paraître inventés pour les besoins de la cause, se révèlent être rigoureusement exacts. Grâce à sa connaissance approfondie de la littérature de l'époque et des sources historiques les plus diverses, AP est capable de prouver que toute la pratique sociale de Lázaro - vêtement, nourriture, gains monétaires, jeux etc. - reflète fidèlement les habitudes contemporaines de sa classe sociale. Par conséquent il nous faut réviser notre interprétation du petit chef-d'œuvre: en tant que conte, il appartient peut-être à la tradition médiévale, et comme récit personnel d'une vie unique, il inaugure sans doute le roman moderne, mais il convient désormais de l'envisager aussi comme une œuvre réaliste, d'un réalisme si proche de la vie sociale qu'il faudra peut-être attendre jusqu'au XVIIIe siècle pour en retrouver l'équivalent. En tout cas il n'a rien - ou très peu - du réalisme grotesque et caricatural d'un Quevedo.

Dans de courts chapitres clairement structurés et abondamment documentés, AP nous promène lestement à travers les différentes occupations du temps: les confréries et les guildes, les fêtes, les divertissements (dont les nombreuses formes de jeu), l'argent, la nourriture et les vêtements. Les quatre premiers chapitres, qui sont parmi les plus intéressants du livre, abordent la société dans une perspective plus profonde, proche de celle illustrée par les historiens français de la mentalité collective: la perception du temps. AP montre comment le temps était perçu de façon variée par les différents états et comment il était structuré par divers "calendriers" qui se croisaient sans se confondre: le calendrier religieux, celui des saisons et celui des heures, etc. Il nous donne une peinture vive et précise des grands moments de fête citadine - temps chéri du picaro - et de l'ennui profond des bourgs castillans.

Au début du livre AP attire notre attention sur les richesses incroyables qui dorment dans les registres de l'lnquisition et il se déclare convaincu que leur étude permettra "en un futuro próximo hacer "la historia diaria del hombre llano español del Siglo de Oro" " (p. 10). Rappelons à ce propos que l'ethnologue danois Gustav Henningsen a été l'un des premiers à puiser dans ces registres pour étudier dans sa brillante thèse la superstition en Galicie. Sans doute l'étude de ces documents nous permettra de pénétrer jusqu'à l'homme intime derrière le masque que la rigidité des coutumes espagnoles entrepose si souvent entre la sensibilité réelle et notre regard. En bon historien AP nous met à plusieurs reprises (p. ex. p. 38) en

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garde contre ce prisme déformateur ("Al estudiar las costumbres no vemos más que las
actitudes externas tras de las cuales pueden ocultarse sentimientos íntimos tal vez diametralmenteopuestos...").

Il est bien évident que les informations données par AP n'intéressent pas les seuls curieux de Lazarillo de Tormes: tous ceux qui s'occupent de la littérature du temps y trouveront à glaner. Parfois on a même le sentiment qu'AP aurait eu intérêt à élargir la perspective luimême. Ainsi il nous parle de force phénomènes qui ne figurent guère dans notre petit roman (p. ex. les courses de taureaux), mais qui feraient défaut dans une peinture complète de l'époque. Parfois AP se laisse entraîner par les fureurs de l'érudition, témoins la bibliographie boulimique sur les vêtements p. 88-90 et la longue histoire de l'évolution de la monnaie. Cependant c'est le prix de la vertu majeure de ce livre: la crédibilité. AP n'avance que ce qu'il peut prouver, sources en main. Je doute pourtant, soit dit en passant, que Cervantes et Castillo Solórzano soient de bons témoins lorsqu'ils affirment "que los pastores comían carne en gran cantidad y todos los días" (p. 81)!

Jusqu'à nouvel ordre il n'existe pas de meilleure source d'information sur l'hombre llano" du temps de Lázaro que les études de M. Alegre Peyrón. Il allie une érudition peu commune à l'art de commenter avec pertinence une grande œuvre littéraire - et cela dans un style informatif, agréable et clair.

Odense