Revue Romane, Bind 21 (1986) 2

Toujours est-il

par

Thanh-Binh Nguyen

Le but de cet article sera de signaler un ensemble de traits que nous supposons
propres à l'emploi de toujours est-il (TEI) dans des contextes argumentatifs analogues
à ceux de (1) et (2):

(1) I: La construction d'un labyrinthe ne servirait que les besoins du mythe.
L: Toujours est-il que les plans sont prêts.
Y

(2) I. Sa seul? tâche est doter les feuilles mortes de I2 surface de est étang, et i! est
incapable d'en venir à bout.
L: Renvoie-le, si tu veux. Toujours est-il qu'entre les vraies feuilles et les reflets,
n 'importe qui en deviendrait fou !
Y

Comme première approximation d'une description générale nous proposerons le
schéma suivant:

En disant "toujours est-il que Y" le locuteur L introduit un commentaire à propos d'un fait F (exprimé en Y), et, ce faisant, oppose F à l'argumentation antérieure de son interlocuteur I. Selon ce commentaire, F est tel que sa prise en considération enlève à l'argumentation de I la valeur absolue que ce dernier (implicitement) réclame pour elle.

Deux points dans cette description vont nous concerner plus particulièrement. Il
s'agit, d'une part, de l'environnement argumentatif de TEI; d'autre part, de sa
fonction.

1. Environnement argumentatif

1.1. Contrairement àce qui se passe avec mais, TEI exige ce que nous appel
leronsune "clôture de débat" préalable.

1.1.1. A propos d'un échange à caractère argumentatif, nous parlerons de "clôture de débat" lorsque les deux interlocuteurs s'accordent sur une même conclusion. Ici deux cas (exemplifiés respectivement par (a) et (b)) peuvent se présenter, selon que cette conclusion est celle du locuteur ou celle de l'interlocuteur:

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(a) I: Pars, laisse tout tomber, si cela t'amuse.
L: Je ne demande pas mieux, mais je n'en ai ni l'énergie, ni le courage.

(b) I: Fais-moi le plaisir de laisser ce chat àla maison pour une fois.
L: Mais il adore faire de la voiture, et puis, une fois à la campagne... enfin, bon!
C'est bien pour te faire plaisir.

1.1.2. On retrouve ces deux types de clôture de débat avec TEI; le premier, en (2), où L accepte la conclusion de I; (notons qu'en (1) on a le même cas de figure, sauf que l'acceptation de L n'y est pas explicitée); le second, en (3), où L renonce à son intention discursive initiale (celle d'argumenter pour une conclusion r selon laquelle il ne faut pas déplacer la réunion une quatrième fois):

(3) L: Je commence àen avoir assez: c'est la troisième fois qu'on déplace cette réunion
pour lui. On ne va pas recommencer.
I: Écoute, il a de graves ennuis en ce moment, ce n'est pas vraiment de la mauvaise
volonté de sa part...
L: Mais quand même! ...Enfin toujours est-il qu'il aurait pu nous prévenir plus tôt.

L dans sa seconde réplique n'aurait pas pu utiliser TEI sans un enfin préalable (il s'agit ici d'un enfin de "résignation", selon ia description de Cadiot et al. 1985a) dont la fonction est de marquer un abandon d'intention discursive — intention qui sous-tend à la fois la première réplique de L, et toute cette partie de sa seconde réplique qui précède enfin. (Notons, en passant, qu'aucun argument n'est instancia là où l'on en attend un, après mais: ce qui tient lieu d'argument étant cette partie du commentaire véhiculé par quand même qui invite à conclure à r tout en reconnaissant à l'argumentation antagoniste toute sa valeur. (Pour plus de détails sur ce point cf. Cadiot et al. 1985 b).

1.2. Outre le fait que TEI soit combinable avec un enfin de résignation, signalons
trois autres types d'indices (fj, f2, f^,) allant également dans le sens d'une
clôture de débat préalable.

1.2.1. fj : TEI ne peut pas servir à opposer directement deux arguments. Ainsi,
en réponse à I qui veut le dissuader de quitter son poste, L ne pourra pas avoir
recours à un TEI pour introduire un argument contraire (Q):

(4) I: Tu ne peux pas nous quitter (r), maintenant que tu es devenu indispensable (P)
L: (Peut-être), toujours est-il queje refuse de me sacrifier (Q)

Pour réaliser son intention discursive (i.e. argumenter en faveur de ¡>on propre
départ (-r)) L peut, en revanche, soit se passer de tout connecteur d'opposition
(L: "Je refuse de me sacrifier"), soit utiliser mais à la place de TEI; mais étant,

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contrairement à TEI, un connecteur d'opposition interne, en ce sens qu'il précède
une clôture de débat.

1.2.2. f2: TEI peut, dans tous les cas, être précédé d'une expression telle que
d'accord, c'est un fait, c'est vrai sans qu'il en résulte un changement de sens.

Il va de soi que/2 ne constitue un argument en faveur de notre hypothèse que si les marques d'assentiment en question expriment l'acceptation par L de la conclusion de I, et non pas une concession * comme dans le cas de mais (où a) X mais Y relève d'une même intention discursive; b) la concession effectuée en X implique un rejet de la conclusion de I; et c) et X, de ce fait, n'est pas séparé de Y par une clôture de débat.)

Le choix que nous faisons de donner à ces expressions une interprétation non concessive peut se justifier de deux manières. D'une part, en signalant l'existence d'énoncés tels que la réplique de L en (2), qui reprend explicitement la conclusion de I. D'autre part, en invoquant l'avantage que présente la position que nous avons adoptée.

1.2.2.1. Contre notre première justification, on pourra citer des énoncés tels
que (5) où l'on trouve en X des expressions du type "peut-être bien", "c'est possible":

(5) I: On devrait s'en aller d'ici. Le coin est infesté de crocodiles.
L: Peut-être bien. Toujours est-il que c'est toi qui en as eu l'idée.,.

Des énoncés tels que (5) ne remettent pas en cause l'hypothèse d'une clôture de
débat, et ceci, même si un certain type d'interprétation concessive s'impose à
propos de X.

Dire, comme nous l'avons fait, qu'il y a en X clôture de débat signifie seulement que l'acte accompli en X — s'il est instancié — marque l'acceptation par L de la conclusion de I. Notre hypothèse n'entraîne nullement qu'une telle acceptation doive s'accompagner nécessairement d'une adhésion de la part de L: on peut fort bien accepter une conclusion sans pour autant trouver l'argumentation correspondante entièrement satisfaisante; et, en fait, dans le cas qui nous concerne, TEI, comme nous le verrons plus loin, implique une telle absence d'adhésion de la part de L.

En d'autres termes, que l'on ait en X d'accord ou peut-être bien, X, selon nous, va marquer une clôture de débat, dans la mesure où l'acte accompli à travers renonciation de l'un ou l'autre type d'expression reste le même, à savoir un acte de prise en charge de r. La différence de sens apportée par "peut-être bien" est d'un autre ordre: peut-être bien, contrairement à d'accord, annonce la distanciation qui sera exprimée en Y.

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L'idée de clôture de débat n'est, d'autre part, incompatible qu'avec un type d'interprétation concessive: celle qui ferait de l'acte effectué en X un acte de concession "stratégique", i.e. une manœuvre assumée comme telle et consistant à reconnaître l'accessoire pour mieux rejeter l'essentiel par la suite (i.e. en Y). Une telle interprétation, en effet, ferait relever X TEI Y d'une seule intention discursive globale, ce qui exclurait toute possibilité de clôture de débat.

Le type de concession auquel on a affaire dans le cas qui nous importe diffère du précédent tant par sa nature que par sa fonction (avouée). Si l'on parle ici de concession, c'est uniquement parce que la prise en charge en question — non motivée, selon L, par la valeur objective de l'argumentation de I — fait l'effet d'une faveur. L'objet de cette prise en charge, r, ne peut nullement, dans l'optique de I, être taxé d'"accessoire", puisqu'il s'agit de la conclusion que I lui-même cherche à imposer. D'un point de vue fonctionnel, d'autre part, l'acte accompli par un peut-être bien (suivi d'un toujours est-il) n'est pas censé être une manœuvre stratégique subordonnée à un acte d'argumentation: il s'agit, comme nous l'avons dit, d'un acte d'accord relevant d'une intention discursive distincte et indépendante de celle qui gouverne renonciation de TEI Y.

Pour clore cette discussion notons que ce qui constituerait un contre-exemple à notre hypothèse serait plutôt l'existence d'énoncés acceptables (de la forme X TEI Y) où l'on trouverait en X des expressions marquant le rejet de l'argumentation de I, ou exprimant une conclusion opposée à la sienne. L'acceptabilité de tels énoncés serait la preuve qu'il n'y a pas de clôture de débat en X, et que la suite X TEI Y relève d'une seule et même intention discursive. Or le remplacement en (5) de peut-être bien par certainement pas ou au contraire restons donnerait lieu à un énoncé pour le moins curieux.

1.2.2.2. La seconde justification que nous invoquerons en faveur d'une interprétation non concessive (i.e. non stratégique) des marques d'assentiment qui peuvent précéder TEI a trait à l'avantage descriptif qu'offre cette solution: celleci en effet fait relever/; (le fait que TEI ne peut pas servir à opposer directement deux arguments) et f2 (la possibilité de faire précéder TEI de marques d'assentiment) d'une même idée, celle de clôture de débat.

La position adverse, qui opterait pour une interprétation concessive, se verrait confrontée à deux faits difficilement conciliables au niveau de la conclusion qu'ils permettraient de tirer à propos de TEI: alors que fj, allant dans le sens d'une clôture de débat, fait de TEI un connecteur d'opposition externe,/^, qui (en raison de l'interprétation concessive qui lui est attribuée) va à rencontre de cette idée, en fait un connecteur d'opposition interne: la concession qu'exprimerait l'expression d'accord ne constituerait pas une prise en charge de la conclusion de

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I — ce qui impliquerait pour la suite X TEI Y une structure sémantique différente
de celle que l'on déduit de f¡.

Une autre raison pour rejeter cette position: en faisant de TEI, comme mais, un connecteur d'opposition interne, elle ne fait que reporter à un autre niveau la distinction qui existe entre ces deux connecteurs — distinction qui se manifeste par l'impossibilité de les substituer l'un à l'autre, ne serait-ce que dans des situations telles que (4).

1.2.3. Un troisième et dernier indice en faveur de l'idée de clôture de débat réside en une contrainte2 (fj) qui régit la relation entre F', le fait à partir duquel I argumente pour r, et F, le fait exprimé en Y. Cette contrainte, mise en évidence par l'impossibilité d'avoir (6)

(6) I: Ne sortons pas (r); U pleut (P).
L: Toujours est-il que j'ai un parapluie.

veut que F (ici le fait d'avoir un parapluie) soit tel qu'il ne rende pas F' (la peur
d'être mouillé) inutilisable comme argument pour r, en le faisant disparaître en
tant que fait.

(7) est un autre exemple du même type:

(7) I: Je ne peux pas sortir (r), je n'ai personne pour garder les enfants (P).
L: *Toujours est-il que j'ai un frère qui le ferait volontiers à ta place.

Ici encore, l'existence de F (le fait que L a un frère qui peut garder les enfants) a
pour conséquence d'ôter toute réalité à celle de F' (le fait que I n'a personne
pour garder ses enfants).

N.B. L'impossibilité notée à propos de (6) et (7) n'est pas due au simple fait
qu'il y ait distanciation de la part de L vis-à-vis de l'argumentation de I, dans la
mesure où l'on peut très bien avoir (6') et (7'):

(6') I: Ne sortons pas: il pleut!
L: Toujours est-il que tu es bien sorti par une pluie battante l'autre jour.

(7') I: Je ne peux pas sortir. Je n'ai personne pour garder les enfants.
L: Toujours est-il que tu aurais pu trouver un autre prétexte.

La contrainte que nous venons de signaler constitue un autre indice en faveur de notre hypothèse dans la mesure où elle vient renforcer l'idée que L accepte r — idée qui, nous le rappelons, découle de cette hypothèse: s'il avait été possible pour TEI d'introduire un fait F qui ait pour effet d'annuler F' (qui fonde l'argument en faveur de r), cela aurait signifié que L rejette r. L'existence d'une contrainte du type évoqué nous permet, par conséquent de maintenir notre proposition concernant à la fois l'attitude de L vis-à-vis de r, et l'idée d'une clôture de débat préalable.

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2. Fonction de TEI

L'idée selon laquelle TEI exige une clôture de débat préalable est compatible avec (au moins) deux hypothèses concernant sa fonction. L'une (Hj) est que TEI introduit un acte de réfutation contre r, par le biais d'un argument Q (exprimé en Y) orienté vers -r (ou quelque autre conclusion impliquant la négation de r), et, ce faisant, relance le débat. L'autre {H 2) — celle que nous chercherons à défendre - consistera à dire que TEI accompagne seulement un fait F, sur lequel il serait possible de fonder une réfutation de l'argumentation précédente, mais à partir duquel L ne prétend pas argumenter. En disant X TEI Y (où X marque la place d'une expression d'accord qui peut ou non être instanciée) L introduit un commentaire sur un fait F (exprimé en Y). Selon ce commentaire, F, dont l'existence ne saurait être niée, demeure un problème non résolu, malgré le fait que constitue l'argumentation de I.

N.B. Il serait possible d'avoir une seule hypothèse (Ho) àla place des deux précédentes, et dire que TEI introduit un acte de réfutation contre l'argumentation de I. Une telle hypothèse cependant aurait des présupposés théoriques différents des nôtres. En effet, pour pouvoir "gommer" la différence entre H¡ (L prétend argumenter) et H2 (L ne prétend pas argumenter) et dire que L argumente (Hq), il faudrait une conception plus "large" de l'intention présentée, qui permettrait — si c'est là ce que l'on souhaite faire — d'assimiler ce que L se "présente" (au sens strict du terme) comme faisant, à ce que I croit / est en droit de croire que L tente de faire. Cette croyance de I serait basée sur ce que L se présente (au sens strict) comme faisant, et la situation argumentative.

2.1. Avant de gloser certains points de notre formulation de H2, nous voudrions justifier notre choix d'écarter H¡ en faveur de H2. Notre décision repose principalement sur le fait que H¡, contrairement à H2, n'est pas à même de traiter des exemples tels que (8):

(8) I: C'est un garçon extrêmement pieux.
L: Ah, tiens! Enfin, toujours est-il que ce n'est pas l'impression qu'il donne.

Étant donné que Hj et H2 ne concernent que le segment commençant par TEI, cette partie de la réplique de L qui est antérieure à TEI se comprendra de la manière suivante dans les deux cas: en disant Ah, tiens!, L manifeste sa surprise devant le discours de I; en faisant suivre son exclamation d'un enfin de résignation (après la pause intonative appropriée) il indique qu'il renonce à l'intention discursive qui eût informé une suite logique à sa réaction de surprise, à savoir celle de réfuter I.

Pour en venir maintenant au segment qui nous intéresse: Hj prédit qu'en

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disant TEI Y L accomplit un acte de réfutation contre l'argumentation qu'il attribueà I, c'est-à-dire réalise justement l'intention discursive à laquelle il vient de renoncer. Une telle interprétation nous paraît contre-intuitive. A première vue, bien sûr, il serait possible de la défendre en invoquant un revirement d'intention de la part de L; cette solution, cependant, se heurte au fait qu'on a affaire ici à une combinaison de connecteurs. En effet, à partir du moment où telle combinaisonde connecteurs est attestée, il semble difficile de concevoir — au cas où ces connecteurs n'auraient pas tous deux pour fonction de contribuer à réaliser la même intention discursive — qu'ils puissent servir deux intentions opposées (on notera, à ce propos que mais ne serait pas possible à la place de TEI en (8)). Or c'est à cette conclusion que l'on aboutit si on adopte Hj.

L'application de H?, en revanche, tout en préservant l'idée qu'en énonçant
TEI Y L s'oppose au discours de I, permet d'éviter la difficulté signalée à propos
de llj .

Selon H2 il n'y a pas de revirement d'intention, dans la mesure où TEI n'introduit pas un acte de réfutation, i.e. un argument contre la conclusion de I; Y exprime un simple fait F, apte, certes, à fonctionner comme argument dans la même situation de discours, mais qui n'est pas censé être utilisé comme tel.

N.B. Ceci n'empêche pas que F, ou plutôt le fait d'introduire F au moyen de TEI puisse être interprété par I comme un acte d'argumentation. Un tel acte, cependant, dans la mesure où il ne sera pas assumé par L, ne pourra prétendre transformer les possibilités de parole de I.

2.2. Glose de H2.

Les points de la formulation de H2 qui vont nous intéresser sont ceux qui ont un
rapport direct avec la fonction de TEL Les deux premiers ont trait au commentaire
véhiculé par TEI, le troisième au fait F.

2.2.1. Concernant tout d'abord le contenu de ce commentaire, c'est-à-dire ce
qui est "dit" par TEI, on distinguera (au moins) trois éléments qu'il est possible
d'exprimer comme suit:

(a) F demeure malgré ce qui précède (i.e. l'événement que constitue l'argumentation
de I/le fait que cette argumentation ait pu avoir lieu).

(b) L'existence de F ne saurait être niée.

(c) F est opposé à F' (fait sur lequel est fondée l'argumentation de I).

Ces trois éléments, il importe de le noter, ne sont pas à mettre sur le même plan, et ceci pour deux raisons. La première est que, en énonçant TEI Y, l'intentiondéclarée de L est de communiquer (a), et non pas (b) ou/et (c), qui sont censés être connus de I. La seconde est que seul (a) fait vraiment partie du contenudu

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tenuducommentaire véhiculé par TEI; (b) et (c) étant en fait des implications du fait de dire (a) : (b), dans la mesure où il faut une justification au fait de dire (a) : (c), parce que L dit (a) dans un certain type de situation. En d'autres termes, ce qui autorise à dire que F demeure malgré ce qui précède (=(a)) c'est le fait que l'existence de F ne saurait être niée (=(b)); si d'autre part, L dit que F demeure malgré ce qui précède, i.e. malgré l'argumentation de I, cela signifie qu'il donne à F une valeur argumentative opposée à celle de F' (=(c)).

N.B. Comme nous venons de le voir, ce que l'on perçoit, d'un point de vue intuitif, comme le contenu du commentaire véhiculé par TEI, est en fait constitué par deux éléments. Le premier, identifiable à (a), forme ce qu'on pourrait appeler le "commentaire abstrait"; le second, représenté par (b) et (c), n'apparaît que lorsque ce commentaire abstrait est mis en application dans un énoncé. C'est ainsi qu'on pourra dire de (b) et de (c) qu'ils sont inhérents au fait de dire (a), ou encore d'employer TEL

2.2.2. Second point ayant trait au commentaire véhiculé par TEL En faisant porter ce commentaire sur F, nous ne voulons pas dire que F en est le seul objet. Pour nous il ne s'agit, en effet, que de l'objet immédiat: dans la mesure où ce qui importe ce n'est pas F en tant que tel, mais en tant qu'il a une certaine incidence sur l'argumentation antérieure, il ne sera pas absurde de voir en la valeur de cette argumentation, ou même la manière d'argumenter de I, le véritable objet de ce commentaire.

2.2.3. En disant que Y (dans TEI Y) exprime un fait Fet non un argument, nous voulons dire que le commentaire, qui (entre autres choses) présente F comme argumentativement opposé à F' (le fait sur lequel se fonde l'argumentation de I), n'a pas pour effet de donner à F une fonction d'argument, mais seulement un potentiel argumentatif. En d'autres termes, en énonçant TEI Y, L (entre autres choses) attribue à F une certaine valeur argumentative, mais sans se présenter comme l'utilisant en tant qu'argument.

2.3. Fonction de TEI

2.3.1. S'interroger sur la fonction de TEI dans l'optique qui est la nôtre revient
à se demander ce que L prétend faire en employant TEI, ou, encore, en introduisant
au moyen de ce morphème un certain commentaire (=(a)).

Pour nous TEI n'est pas censé permettre un acte de réfutaion; d'une part, L
accepte d'endosser la conclusion de I et ne revient pas sur sa décision; d'autre part,
le potentiel argumentatif de F (qui est opposé à celui de F') est donné comme

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quelque chose d'acquis. Ce que L prétend faire en énonçant TEI Y c'est relativiserla valeur de l'argumentation de I. En disant d'un fait F (doté d'un certain potentielargumentatif et dont l'importance ne saurait être niée) qu'il demeure malgré ce qui précède, L implique que la prise en compte de F eût rendu l'argumentationde I difficilement concevable: dans une situation argumentative caractériséepar la présence (reconnue) de F, une telle argumentation se verrait dévaloriséepar le fait que le choix de P n'aurait pas dû être possible. En d'autres termes, en disant TEI Y, L, d'une part, construit parallèlement à S¡ — la situationdans laquelle I est censé avoir placé son argumentation — une situation S2 différant de S¡ par la présence de F; d'autre part, laisse entendre que l'argumentationde I eût été difficilement concevable en S2 ¦

Concernant ces deux situations construites, trois points sont à noter,
i) S, et S? appartiennent à un même paradigme, celui des images de situations
d'énonciation possibles pour un discours de I au moment où I a énoncé ce qui
précède TEI Y.

û) S2 contrairement àSj est donné comme étant conforme àla réalité objective,
qui, selon L, contient F.

iii) Dans la mesure où en tenant le discours qu'il a tenu I s'est placé dans une situation
correspondant à Sj, la situation correspondant àS2 n'est plus susceptible
de réalisation.

2.3.2. Concernant à présent l'impossibilité pour Ide choisir Pen S2, on distinguera
deux types de cas, selon que ce qui est en cause a trait à l'insuffisance de P
en tant qu'argument, ou au droit qu'a I d'utiliser P.

2.3.2.1. Cas où P s'avère "insuffisant" en S2

Un premier cas nous est donné par (1), où l'insuffisance de P tient à ce que cet
argument s'adresse à un destinataire construit autre que le destinataire révélé par
F, et auquel L s'identifie.

(1) I: La construction d'un labyrinthe ne servirait que les besoins du mythe.
L: Toujours est-il que les plans sont prêts.
Y

où I argumente contre la construction d'un labyrinthe ( : r).

En disant TEI Y, L oppose à l'argumentation A de I un fait F, exprimé en Y {F: le fait que les plans sont prêts), qui n'a pas été pris en compte par I (en ce sens que I ne semble pas en avoir envisagé la possibilité). Ce faisant, il replace A dans une situation S2, caractérisée par la présence de F, à l'intérieur de laquelle A n'est plus concevable: en S2, P, qui s'adresse àun destinataire construit qui n'a pas encore pris de décision concernant le labyrinthe, s'avère insuffisant face

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au destinataire tel que le donne F, c'est-à-dire un destinataire beaucoup plus
engagé en faveur du projet en question.

Un cas analogue à (1) nous est fourni par (7'), où l'insuffisance àeP tient également
à ce qu'il s'adresse à un destinataire construit moins exigeant que L, tel
que présenté par F.

(7') I: Je ne peux pas sortir (r), je n'ai personne pour garder les enfants (P)
L: Toujours est-il que tu aurais pu trouver un autre prétexte.

En choisissant comme argument P le fait F' qu'il n'a personne pour garder ses enfants, I semble en effet s'adresser à un destinataire D¡ pour qui P suffit à amener à r (= I ne peut pas sortir ce soir). Or L, en attirant l'attention de I sur l'existence de F (le fait que L puisse se rendre compte de l'idée que I a de lui), donne de lui-même une image D2 non assimilable àD¡ :L,en tant que D2, ne saurait se contenter de P.

L'insuffisance de PenS2 Peut aussi provenir de ce que F relativise la force de
P en mettant en cause la nature de F' (sur lequel I fonde son argumentation).
Ainsi en (2):

(2) I: Sa seule tâche est d'ôter les feuilles mortes de la surface de cet étang, et il est
incapable d'en venir à bout.
L: Renvoie-le si tu veux. Toujours est-il qu'entre les vraies feuilles et les reflets,
X Y
n 'importe qui en deviendrait fou!

où S2 ne comprend que F', qui, selon I, correspond à l'incapacité de J (en tant qu'elle est imputable à sa paresse); et S2 est caractérisée par la présence de F (l'aspect aliénant du travail de J); P, une fois transposé en S2, n'a plus qu'une force relative, dans la mesure où la prise en compte de F a pour effet de modifier la nature de F', sur lequel P est fondé: si on prend en considération ce que le travail de J peut avoir d'aliénant, il n'est plus possible de le rendre entièrement responsable de son incapacité d'en venir à bout.

2.3.2.2. Cas où F rend le choix de P non justifiable
Ainsi en (6'):

(6') I: Ne sortons pas (r), il pleut (P).
L: Toujours est-il que tu es bien sorti par une pluie battante l'autre jour.

ce que L remet en cause ce n'est pas la force de P (fondé sur F', le fait qu'il pleut) en tant qu'argument pour r (le refus de I de sortir), mais le droit qu'a I de choisir F', du moins en S2 qui contient t (le fait que I soit sorti un certain joui par une pluie battante). En faisant remarquer à 1 (au moyen de TEI) que ce dernier a "oublié" F, L donne à entendre que si l'on tenait compte de FI n'aurait pas le

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droit de choisir F' comme P: l'existence de F semble en effet indiquer que I ne
croit pas que F' puisse servir d'argument pour r.

(5) est un autre exemple du même type.

(5) I: On devrait s'en aller d'ici. Le coin est infesté de crocodiles.
L: Peut-être bien. Toujours est-U que c'est toi qui en as eu l'idée.

Ici comme en (6') L dévalorise l'argumentation de I en mettant encause son droit de choisir F': en rappelant F à I, L signale à ce dernier que dans une situation S2 où l'existence de F est reconnue, le choix de F' comme argument eût été pour le moins surprenant: ayant eu l'idée du coin en question, 1 n'est pas censé avoir le droit de s'en plaindre.

N.B. Notons quand même deux points de différence entre (6') et (5):

1. En (5), contrairement à ce qui se passe en (6'), ce que L remet en question à travers sa critique du choix de F' c'est ¡'intention discursive même de I: non seulement I n'aurait pas dû choisir F', mais il n'aurait même pas dû argumenter pour r.

2. En (6'), mais non en (5), le choix de F' (replacé en So) entraîne la violation de l'une des conditions préalables que doit satisfaire toute argumentation, en l'occurrence celle selon laquelle le locuteur doit croire à la valeur de l'argument qu'il utilise. Le droit dont il est question en (5) serait plutôt d'ordre idéologique.

Toujours dans cette même catégorie nous indiquerons un troisième exemple,
mais davantage pour son caractère marginal:

(3) L: Je commence àen avoir assez: c'est la troisième fois qu'on déplace cette réunion
pour lui. On ne va pas recommencer.
I: Écoute, il a de graves ennuis en ce moment, ce n'est pas vraiment de la mauvaise
volonté de sa part.
L: Mais quand même!... Enfin toujours est-il qu'il aurait pu nous prévenir plus tôt.

(Dans la mesure où ce qui précède toujours est-il n'entre pas en ligne de compte
ici, nous en ferons abstraction.)

Ici encore F met en cause le choix de P. Mais à la différence de ce qui se passe dans les deux cas précédents, I, en choisissant P, ne trahit pas une identité discursive pré-établie; la raison pour laquelle un tel choix est difficile en S2 tient à ce que P annule la relation argumentative postulée entre P et r: I, en argumentant pour r {-S n'est pas responsable) à partir d'un P fondé sur F' (le fait que J a de graves ennuis) donne à entendre qu'en d'autres circonstances J n'aurait pas agi de la sorte — sous-entendu qui justifie la relation argumentative entre P et r; or c'est justement la vérité de ce contenu que F (le fait que J n'a pas pris la peine de les prévenir plus tôt) met en doute.

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3. Toujours est-il / mais

3.1. Nous ne ferons que reprendre ici, en les élaborant, certains points abordés lors de notre description de TEI.

La différence que nous percevons entre TEI et mais peut se résumer en disant
que l'opposition introduite par ces deux connecteurs est "parenthétique" dans
un cas — le premier — mais pas dans l'autre.

Cette opposition est parenthétique, en ce qui concerne TEI, dans la mesure où ce connecteur, qui n'apparaît qu'après une clôture de débat et permet un acte interprétable comme une réfutation dirigée contre l'argumentation antérieure, n'est pas censé annuler cette clôture (ou, encore, rouvrir le débat). En disant TEI Y, L ne revient pas sur sa décision d'accepter la conclusion de I, il ne fait que prendre ses distances vis-à-vis de l'argumentation de ce dernier. Si son acte fait l'effet d'une réfutation, il ne peut, cependant, en aucun cas prétendre imposer l'obligation discursive correspondante: I n'est tenu ni d'accepter la conclusion -r qu'on pourrait tirer de F, ni de la réfuter; il peut très bien prétendre ignorer le discours de L. En contrepartie, la position de L présente l'avantage d'être inattaquable — ce à quoi ne saurait prétendre une réfutation non-parenthétique.

Cette description de TEI entraîne deux conséquences. Lorsqu'on a affaire à
une structure de la forme X TEI Y (où X exprime un acte d'accord) on est amené
à dire :

a) que l'acte effectué en X n'est jamais donné comme un acte de concession stratégique;

b) que Y exprime, non pas un acte d'argumentation en faveur de -r, mais seulement
un fait susceptible de fonder un tel acte.

Mais, contrairement à TEI, va introduire une opposition présentée comme telle - et non plus parenthétique. En disant mais Y, L non seulement prétend modifier les possibilités de parole de I, mais s'expose à son tour à une réfutation de la part de I. A l'inverse de ce qui se passe pour TEI, lorsqu'on se trouve devant une structure de la forme X mais Y (où X exprime un acte d'accord), on dira:

a) que l'acte effectué en X est un acte de concession stratégique;

b) que Y exprime un acte de réfutation contre une argumentation antérieure attribuée
à I.

Nous avons déjà dit, à propos de mais, que ce connecteur est interne au débat (i.e. à un débat donné). En termes de clôture de débat cela signifie que lorsque le discours de L concerne le même thème que celui de I, ou plutôt lorsque l'enjeu est le même dans les deux discours, deux types de situations sont envisageables - Soit mais n'est précédé d'aucune clôture de débat (cf. (8)):

(8) I: Si on les emmenait àla chasse aux lions (r). Depuis le temps qu'on en parle (P).
L: C'est vrai, mais/c ne sais pas dans quelle mesure cela va leur plaire.
X Y

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- Soit une telle clôture existe, auquel cas mais a pour effet de l'annuler et de rouvrir
le débat (cf. (9)):

(9) I: Si on les emmenait à la chasse aux lions (r). Depuis le temps qu'on en parle (P).
L: D 'accord!... Mais, à bien y réfléchir, ils préféreraient peut-être quelque chose de
X Y
plus tranquille.

On notera à propos de (9) que l'acte de clôture exprimé en X fait place à un acte
de concession une fois relu par mais.

N.B. Les cas où la clôture de débat préalable n'est pas annulée par mais sont
ceux où l'enjeu n'est plus le même lorsqu'on passe au discours de L. Ainsi en:

( 10) I: Si on les emmenait àla chasse aux lions? (r). Depuis le temps qu'on en parle. (P)
L: D'accord. Mais c 'est toi qui te charges de tout.
X Y

La réfutation introduite par mais ne remet pas en cause ce qui a fait l'objet d'un consensus, parce qu'elle relève d'un débat différent. Mais accompagne un argument Q (exprimé par Y) orienté vers une conclusion r' dont l'acceptation par I n'impliquerait par le rejet de r : Q ne s'oppose pas à P mais à une implication contextuelle de l'acceptation de r par L — à savoir que L va soit aider I dans ses préparatifs, soit s'en charger seul. On remarquera que X est le siège de deux actes qui co-existent sur deux plans différents: le premier, qui relève du débat enclenché par l'argumentation de I, est un acte d'accord (portant sur r) qui clôt ce débat; le second, qui appartient à un débat d'un autre type, est un acte de concession (portant sur r et rejetant l'implication dont nous avons parlé).

3.2. Mais toujours est-il

Le fait qu'une telle combinaison soit attestée peut, à première vue, remettre en question la description que nous venons de donner pour mais et TEL Comment, en effet, maintenir qu'un même locuteur puisse se présenter à la fois comme réfutant l'argumentation antérieure et comme signalant seulement la possibilité d'une telle réfutation. Deux types de solutions nous semblent envisageables ici.

Le premier consisterait à dire qu'on a affaire àun mais (mais2) différent de celui décrit plus haut (maisj). Contrairement à maisj et TEI, ce mais2 servirait uniquement à indiquer la tendance générale d'un discours (en l'occurrence, une opposition); il s'agirait d'une forme d'enchaînement, justifiée, certes, par un contenu,mais ne portant pas sur ce contenu. Un tel mais ne relèverait que du locuteur(en tant que responsable de la production d'un énoncé): en disant mais2 ce dernier (du moins en tant que locuteur) ne prendrait pas parti pour ce qui suit, mais ne ferait que signaler dans quel sens le discours évolue. Cette première solutionreste,

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lutionreste,bien entendu, purement ad hoc tant qu'on n'en aura pas montré la
"rentabilité".

Le second type de solution ferait simplement porter chacun des deux connecteurs
sur des paires de contenus différents.

Considérons l'exemple suivant:

(11) I: Ce n'est pas la peine qu'on emporte nos smokings (r). On a assez de bagages
comme ça (P).
L: Bon, d'accord. Mais toujours est-il qu'on serait plus tranquille.
X Y

Le discours de L est susceptible d'au moins deux interprétations; l'une, correspondant
à la première solution proposée, l'autre, à la seconde.

Selon la première interprétation, Len (11) aurait très bien pu se passer de mais pour exprimer son intention discursive, qui est de faire une réfutation parenthétique à l'argumentation (A) de I. Dans les deux cas (i.e. avec ou sans mais) L accepte r et ne revient pas sur sa décision: tout ce qu'il dit c'est que la prise en compte de F (le fait que I et lui-même seraient plus tranquilles s'ils emportaient leurs smokings) eût empêché I d'accomplir A. Mais ne serait là que pour annoncer la nature du discours qui suit, également peut-être pour en faciliter l'amorce.

Selon la seconde interprétation, mais et TEI relèvent chacun d'une intention discursive distincte et portent sur des paires de contenus différents. En disant X, L accepte l'argumentation de I; en enchaînant avec mais TEI Y, il s'oppose à ce que I puisse tirer de l'expression de son accord l'idée (r') qu'il ne soit pas susceptible de dire TEI Y, ou encore de dévaloriser A. Mais opposerait donc l'acte d'accord effectué en X — acte que L concède à I — et la possibilité pour L d'accomplir l'acte effectué en disant TEI Y. (Remarquons que mais ici n'a pas pour effet de rouvrir le débat dans la mesure où il n'y a pas annulation de l'accord marqué par X). Quant à TEI, il opposerait le fait que A ait eu lieu et l'existence de F. On notera que chacun des deux connecteurs introduit une forme de distanciation — vis-à-vis de l'image que I est censé se faire de L, dans le cas de mais; vis-à-vis de la valeur de A, dans le cas de TEL

Pour terminer nous signalerons encore trois points à propos de cette seconde
interprétation de (11).

a) l'accord exprimé en X porte bien sur r, et non pas sur le statut d'argument de
P: c'est ainsi qu'on peut avoir en A" "Bon, d'accord, laissons-les", sans que l'intention
de L en soit modifiée.

h) On n'aurait pas pu 3voir un futur à la place du conditionnel comme après un
simple mais — ce qui semble indiquer que l'argumentation introduite par mais en
(11) ne s'appuie pas sur F.

c) Bon, d'accord, contrairement à d'accord, dans un contexte tel que (11) n'est

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susceptible que d'une interprétation, celle donnant r pour objet de l'accord; d'accordpouvant
porter aussi bien sur r que sur le statut d'argument de P. Ceci expliqueraitque
L, en (11), ne puisse répondre par:

(i) *Bon,d'accord, mais on sera plus tranquille.

énoncé qui le présenterait à la fois comme acceptant r et argumentant pour -r.
(ii) et (iii) en revanche seraient possibles dans le même contexte:

(ii) D'accord, mais on sera/serait plus tranquille,

(iii) Bon, d'accord; mais on serait plus tranquille.

En (iii) L concède à I le statut d'argument de P (i.e. que P peut servir à mener à
r) et présente un argument Q à partir duquel il dit qu'il faut conclure à -r. En
(iii) L accepte r, puis tente de relancer le débat.

Conclusion

En guise de conclusion nous ferons deux remarques.

1. La première est à propos de la notion de clôture de débat. L'introduction d'une telle notion présente un double intérêt. D'une part, elle permet de différencier d'un point de vue fonctionnel des connecteurs d'opposition habituellement sentis comme assez proches. D'autre part, elle fournit un critère de démarcation à l'intérieur du discours permettant le calcul de l'intention discursive du locuteur: comme nous l'avons vu, la présence d'un connecteur après une clôture de débat peut avoir pour effet d'annuler cette clôture, et, à plus forte raison, l'intention qui la commande.

2. Notre seconde remarque a trait à la question de savoir comment on peut caractériser l'acte stratégique lié à l'utilisation de TEI de manière à le distinguer d'un acte illocutoire (au sens searlien du terme). Si on accepte a) qu'une assertion que p s'effectue par le fait d'exprimer la croyance que p ; et b) que le locuteur d'une assertion prend en charge à la fois l'expression de sa croyance et le fait qu'elle sert à accomplir une assertion, on pourra dire de même à propos d'un certain type de réfutation, a) qu'elle s'effectue par le fait d'exprimer une croyance - celle selon laquelle un fait F est susceptible de fonder un argument contre une certaine conclusion r\ b) que son locuteur prend en charge les deux niveaux signalés. C'est sur ce second point que la réfutation introduite par TEI va différer de celle que nous venons de décrire: son locuteur, en effet, ne prend en charge que le premier des deux niveaux.

Thanh-Binh Nguyen

Paris

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Résumé

Toujours est-il (TEI) fait partie de ces opérateurs métalinguistiques dont la fonction est d'introduire un "commentaire" sur certains aspects du processus argumentatif, celui de l'interlocuteur en l'occurrence. Ce qui fait la particularité de TEI c'est qu'il permet à son locuteur de faire une réfutation présentée comme "parenthétique", i.e. non assumée comme telle: en énonçant une suite TEI Y, en réponse à un discours antérieur, le locuteur ne prétend pas réfuter ce discours mais simplement attirer l'attention sur un fait susceptible de fonder une telle réfutation, et que l'interlocuteur aurait dû prendre en considération. Parmi les notions utilisées nous signalerons celle de "clôture de débat" introduite ici pour la première fois.



Notes

1. Lorsqu'on parle de concession il est utile de distinguer deux cas, que nous appellerons, respectivement, "concession non-obligatoire ou stratégique", et "concession obligatoire". La concession non-obligatoire est une manœuvre stratégique consistant à reconnaître (dans ce que dit l'autre, ou dans ce qu'on lui attribue) l'accessoire pour mieux rejeter l'essentiel, (cf. "Il est, certes, toujours possible de se tromper, mais il faut prendre une décision"). Quant à la concession obligatoire, elle résulte d'une obligation antérieure: dans ce cas il ne s'agit plus de manœuvre (destinée à créer une obligation chez le destinataire) mais d'acquiescement forcé (cf. "D'accord, puisque c'est comme ça").

2. Cette contrainte a été signalée dansCadiot et al. 1985 b.

Je remercie O. Ducrot et R. Martin de leurs critiques judicieuses.

Bibliographie

Cadiot, Anne, Ducrot, Oswald, Fradin, Bernard, Nguyen, Thanh-Binh (1985 a) "Enfin opérateur
métalinguistique". Journal of Pragmatics 9.

Cadiot, Anne, Ducrot, Oswald, Nguyen, Thanh-Binh, Vicher, Anne (1985 b) "Sous un mot
une controverse: les emplois pragmatiques de toujours". Modèles Linguistiques VU/2.

Nguyen, Thanh-Binh (1984) "Sens et intention" . Semantikos VIII/1.