Revue Romane, Bind 20 (1985) 2

L'Année balzacienne 1984, Nouvelle série 5. Presses Universitaires de France, Paris, 1985. 438 p. + 8 ili. hors texte.

Hans Peter Lund

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Editée depuis 1959, Y Année balzacienne est restée un instrument de travail indispensable pour toute recherche sur l'œuvre de Balzac, une mine inépuisable d'idées, un réservoir riche d'informations. La formule du volume annuel, rédigé par une équipe sous la direction de Madeleine Ambrière-Fargeaud, est à peu de chose près la même dans cette "nouvelle série"

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que dans la précédente: présenter un choix d'articles sur Balzac et son œuvre et, en annexe, une documentation comprenant une bibliographie balzacienne (110 titres dans le volume présent), des notes sur Balzac à l'étranger (Canada, Chine, Hongrie, Japon, URSS, Etats-Unis), ainsi qu'une petite "revue critique" que la rédaction, à mon avis, aurait tout intérêt à élargir, par exemple, par de brèves notices bibliographiques sur des ouvrages et articles jugés importants.Chaque volume présente la liste des articles parus dans les volumes antérieurs de la nouvelle série.

On Lira dans ce volume quelques lettres retrouvées, et qui ne se trouvent pas dans l'édition de la Correspondance en cinq volumes de Roger Pierrot (Garnier, 1960-69). Après des pages sur des "rencontres biographiques et Littéraires" et sur "Balzac et la presse de son temps", citons trois beaux articles de Nathalie Basset sur "Les physiologies au XIXe siècle et la mode", de Danielle Dupuis sur "La poésie de la toilette féminine chez Balzac", et de Nicole Mozet sur "Alençon, ville-corps", supplément intéressant à son livre de 1982 sur La ville de province dans l'œuvre de Balzac (SEDES/CDU). Et venons-en aux deux travaux les plus importants, et les plus balzaciens.

Patrick Berthier s'interroge sur 1' "Absence et (la] présence du récit guerrier dans l'œuvre de Balzac" (p. 225-46). Contrairement à Stendhal (La Chartreuse de Parme), Balzac ne réussit pas à rapporter ni à décrire les actes de guerre. Tout le projet des "Scènes de la vie militaire" avorte plus ou moins, en particulier le roman qui aurait été intitulé "La Bataille" (projet de 1832). Et le pauvre romancier qui avait prévu 21 scènes de la vie militaire! Pourtant, soutient Patrick Berthier, le passage de la Bérésina, dans Adieu, nous émeut, mais c'est qu'il s'agit là "de tragédies humaines engendrées par la guerre, et non du récit même de la bátanle" (p. 233). Où est l'explication de cette absence chez Balzac? Marcel Bouteron, cité par Berthier, suggère "qu'on ne peut peindre une réalité qu'on ignore", proposition lourde de conséquence pour Balzac et pour tout romancier. Mais Balzac, lui, voulait faire autre chose que de "sèches définitions"; il visait les "héroîsmes" et les "souffrances" du soldat (Les Paysans) et arrive parfois à les représenter (Le Médecin de campagne et Une ténébreuse affaire : images d'Epinal de Napoléon; p. 236-38). Faute de batailles vraies dans la Comédie humaine, Berthier souligne que Balzac compare sa vie d'écrivain à celle d'une armée (p. 244); dans l'Album d'Andersen, il note même: "Le livre est plus influent que la Bataille" (cit. p. 245). C'est carrément valoriser l'Art aux dépens du Réel.

Le second article sur lequel je voudrais m'arrêter est de Jeannine Guichardet: "Doublures historiques en scène parisienne" (p. 307-25). L'auteur a eu l'excellente idée d'attirer l'attentionsur quelques personnages de la Comédie humaine, "acteurs" de deuxième ou de troisièmeordre, c'est-à-dire qui devraient incarner, dans la vie, tel acteur appartenant à la "troupe dorée", donc un personnage historique de premier plan auquel le texte se réfère dans ses comparaisons.Il s'agit très souvent de "Napoléons inconnus" (La Fille aux yeux d'or), non des hommes forts comme de Marsay, véritables fils de l'Empereur, mais de pauvres existences ratées comme celle de Z. Marcas. Alors que l'illustre Gaudissart est appelé à jouer sur un ton humoristique toute une série de personnages - c'est à vrai dire son métier - un Louis Lambert est un Christ manqué et Célestin Crevel "une doublure caricaturale de l'Empereur" et, chose fascinante dans la Comédie humaine qui se fait par là la doublure, dirais-je, de la société, de César Birotteau, autre figure fictive! Le comble de la doublure est évidemment Vautrin, dont les différentes "incarnations" sont évoquées ici, sans que pour autant Jeannine Guichardet n'aborde le jeu qui fait des doublures, des masques et des travestissements une fiction dans la fiction et une véritable mise en abyme du problème de l'identité. Ce problème, trop souventnégligé

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ventnégligéchez Balzac, a été traité par Inger Hvidtfeldt dans un mémoire de maîtrise tout
à fait remarquable: "Maskespillet [le jeu de masques] i Splendeurs et misères des courtisanes",
Université de Copenhague, 1983, dactylographié.

On lira finalement, de Serena Jin, l'émouvante histoire de "Fou Lai, traducteur de Balzac en Chine", qui s'est consacré sa vie durant à la traduction de la Comédie humaine, au point d'être influencé par les idées politiques de Balzac: il s'est suicidé en 1966, en pleine révolution culturelle.

Copenhague