Revue Romane, Bind 20 (1985) 2

Gérard Genot: Grammaire et récit. Essai de linguistique textuelle. C.R.L.L.I., Nanterre, 1984.434 p.

Steen Jansen

Side 313

Les lecteurs de la Revue Romane auront pu prendre connaissance des positions théoriques qu'expose cet essai de G. Genot dans un article d'un numéro précédent {Revue Romane 19,2: G. Genot et P. Larivaille: Style narratif, Rhétorique, Tradition (sur le 'Novellino')); cet article pourrait être une bonne introduction à la lecture de Grammaire et récit.

Le but que se propose Genot est le suivant:

Je soutiens dans ce livre la thèse que parler de grammaire dans le récit revient à reconnaître que les structures narratives obéissent aux mêmes règles que les autres énoncés, et que ces règles y ont une portée plus étendue; et je soutiens la thèse complémentaire que parler du récit dans la grammaire revient à identifier, dans cette dernière, les catégories et les opérations qui servent à concevoir et à représenter les situations, procès, actions, et leurs modalités. En termes plus simples: au delà des diversifications terminologiques, je soutiens que les catégories conceptuelles à l'œuvre dans la construction dite 'grammaticale' et dans la contruction dite 'narrative' sont les mêmes, (p. 4)

Side 314

C'est-à-dire que les "réflexions sur la narrativité constituent une extension de la grammaire du texte" (ibid.). En effet, comme l'indique aussi le sous-titre, il s'agit d'abord d'un raisonnement sur la "linguistique textuelle" et en second lieu sur la narratologie (ou plutôt sur la narrativique: cette discipline a pour but d'élaborer les modèles dont se sert la narratologie, qui, elle, se propose d'analyser des textes concrets). A strictement (et traditionnellement) parler, c'est seulement le dernier tiers du livre qui s'occupe du récit (les chapitres 5 (Catégories narratives), 6 (Cohérence, modèles séquentiels) et 7 (Principes et pratique de l'analyse)), tandis que les deux premiers tiers sont consacrés à la présentation - nécessaire, il est vrai - de la grammaire, des notions de base d'ordre sémiotique qui la constituent, telle qu'elle doit, selon l'auteur, être formulée pour que sa portée s'élargisse du domaine traditionnel (plus ou moins: la phrase/proposition) au domaine des discours plus étendus - qu'ils soient des récits ou non: il s'agit des chapitres 1 (Communication, Signification, Culture), 2 (Phrase, Texte, Grammaire), 3 (Présentation générale du Modèle grammatical) et 4 (Sur la grammaire du veibe); ces deux derniers sont de loin les chapitres les plus longs du livre.

L'essai de Genot est assez bien composé: il réussit à traiter un très grand nombre de détails (des notions élémentaires aux ensembles très complexes, des problèmes très spécifiques aux questions générales), et en général on ne perd pas la vue d'ensemble, c'est-à-dire la vue sur la place et la fonction de ces détails dans le modèle général. Parfois cependant cela arrive, comme lorsque la définition ou la description plus précise d'une notion ne sont données que bien des pages après leur présentation: c'est là peut-être un résultat (ou expression voulue (? )) du caractère inductif-déductif (ou "hypothético-déductif') du raisonnement, de la construction du modèle (de toute façon, ce travail se distingue justement par là beaucoup d'un travail précédent de l'auteur {Eléments of narrativics, Hamburg 1979), qui traite du même sujet). Cet essai se caractérise aussi par le grand nombre d'exemples concrets (nombreux surtout au début) qui servent à faire comprendre le raisonnement théorique, et par le grand nombre de citations empruntées à d'autres recherches sur la linguistique textuelle (l'auteur parle lui-même, avec un peu d'ironie (?), d'un "montage de références" (p. 91)), mais c'est une des forces de ce travail que d'appuyer la thèse soutenue sur un examen et une discussion détaillés de solutions déjà proposées aux problèmes que pose la construction d'un modèle grammatical tel que l'envisage l'auteur.

Le premier chapitre (divisé en quatre sous-chapitres; Le champ sémiologique, Communication, Signification, Narrativité) présente, pour ainsi dire, la discipline: il introduit les notions et les phénomènes qui lui servent de base et de cadre et en constituent l'objet. Le point de départ est assez simple: y est posé un modèle du champ sémiologique conçu comme un système représenté par le graphe suivant:


DIVL5327

où S est un système de signes, M un monde (au sens logique et physique) et U un socius
d'utilisateurs (p. 19).

Les arcs/relations qui relient les trois sommets/entités/arguments peuvent définir et délimiterdifférents
champs de nos connaissances; ainsi (S,S) (c'est-à-dire les relations du
système de signes à lui-même) désigne la syntaxe (dont les règles de combinaison des unités

Side 315

de ce système); (U,S) désigne la pragmatique, (S,M) la sémantique, (U,M) l'économique (ou
l'écologique), (U,U) le psycho-sociologique et (M,M) le physico-logique. Les trois premières
paires forment le champ propre de la sémiologie.

Le modèle est ensuite corrigé pour rendre compte aussi de la diachronie: s'y ajoute un axe temporel le long duquel se placent, se succèdent les "états" syn-(ou a-)chroniques représentés par le graphe initial (p. 26). Ce modèle très simple (trop diraient quelques-uns) et élégant permet de préciser comment il faut entendre les différentes notions utilisées par la suite: signe, sémantique, monde (qui est une "vision du monde", c'est-à-dire la réalité filtrée, perçue à travers des grilles d'ordre perceptif, cognitif, social ou autre (p. 22)), évolution, transformation, mémoire, culture, pouvoir, etc., et enfin celles de communication et de signification.

La première de ces notions, la communication, est fondamentale et est utilisée tout le long du livre: c'est un processus qui est défini comme "un ensemble orienté d'états du système" (p. 32), et vu ensuite comme transfert ou circulation d'information/signification, comme médiation (entre utilisateur et monde), comme régulation et interaction sociale, et enfin il est question de communication 'à distance' (p. 53) et de la 'communication littéraire' (p. 57). Je discuterai plus loin cette notion et l'utilisation qui en est faite, ici et ailleurs; il me semble qu'elle soulève de sérieux problèmes, surtout lorsqu'il est question de la'communication littéraire' (les guillemets sont de l'auteur).

Pour définir la signification, l'auteur part du concept classique du signe, mais seulement pour le remplacer très vite par celui de "fonction sémiotique" de Hjelmslev et par les autres notions construites par lui; celle de "sémiotique connotative" fait place enfin à la notion de "système modélisant secondaire" (Lotman, Uspenskij), particulièrement apte à la perspective adoptée par Genot lui-même. Il précise que "la modélisation secondaire consiste plus exactement à projeter sur une fonction sémiotique complète le principe formel (c'est-à-dire la forme de Hjelmslev) ordinairement appliqué à d'autres substances d'expression" et "qu'entre en jeu un système modélisant secondaire chaque fois (mes italiques) qu'un système donné est affecté par la mécanique d'un autre système qui a la capacité d'infléchir le comportement du premier {et non réciproquement (m. i.))" (p. 72). En passant, j'ajouterais qu'il y aurait sans doute un grand intérêt à faire entrer parmi ces sources de la construction d'une grammaire du texte/récit, les travaux de Broendal, le grand antagoniste, si j'ose dire, de Hjelmslev (comme l'a fait récemment Sv. E. Larsen: Sémiologie littéraire, Odense 1984). Il est difficile de dire, aujourd'hui, dans quelle mesure Broendal et Hjelmslev se laissent "concilier", c'està-dire peuvent ensemble contribuer à la construction d'un modèle, - mais la tentative devrait être faite.

La communication est fondamentalement conçue comme un processus ayant lieu au sein du socius des utilisateurs et la signification comme une médiation entre le système des signes et le monde; la narrativité concerne un aspect, ou dimension de l'organisation du sens en tant que médiation entre les utilisateurs et le monde; cette organisation ou "la vue des choses qui sous-tend ces opérations d'assignation du sens à une partie du monde est bien connue et fonctionne à découvert dans des institutions de discours universellement présentes dans les cultures (...): les récits" (p. 75). L'hypothèse de l'auteur est alors que "le principe qui commande la mise en forme manifeste des récits, qui les modélise impérativement, constitue une commande plus générale, une programmation privilégiée de la médiation entre le socius et le monde" (ibid.), de sorte qu'il peut affirmer que "ce n'est pas la langue historico-naturelle qui est le système sémiotique le plus élaboré, apte à "traduire" tout autre système sémiotique

Side 316

(l'idée de Hjelmslev, ndr), et donc à lui servir de métalangage", mais "c'est ce qu'on appelle
communément la langue, "plus" ce qu'on appelle communément le récit" (ibid.).

Le premier chapitre ayant posé les bases du modèle, le second est davantage une discussion
portant sur les différentes conceptions qui ont été proposées des notions de texte et de
phrase et des relations entre elles.

Sont d'abord présentées les définitions classiques qui font de la notion de texte une notion dérivée de celle de phrase (p. 85). L'auteur montre qu'une telle conception ne peut qu'aboutir à des contradictions insolubles. La conclusion du chapitre est alors la suivante: "est TEXTE tout ce qui PEUT être un énoncé complet; par exemple: un roman, une phrase, un mot, une "phrase incomplète" en coordination conversationnelle, etc. (...) tout texte peut être segmenté et/ou agrégé àun autre; il n'y a pas de forme spécifique du texte. Il faut donc postuler une unité de base, récursive, qui représente cette propriété" (p. 140), et cette unité textuelle de base c'est le MOT: c'est ce que propose l'intuition des locuteurs et confirment les théories de la formation du lexique (au sens traditionnel) qui mettent en lumière les propriétés parallèles du mot et du texte. Ainsi, "la notion de phrase est confinée dans une zone du modèle: c'est une unité de surface, transformationnellement tardive, et non un donné de départ" (p. 141). Au fond, il n'y a rien d'étonnant à cela: tant dans la linguistique classique que dans la linguistique textuelle, il y a un objet/unité "supérieur" qui peut être posé par la théorie ou le modèle de cette linguistique, mais non pas être défini par les termes de la théorie même; c'est pourquoi on est fatalement amené à dire: est phrase/texte TOUT ce qui peut être/qui est considéré comme phrase/texte. Je ne suis pas sûr que l'auteur partage cette opinion, mais il montre bien que l'erreur essentielle a été de vouloir définir le texte à partir de la phrase, et non pas nécessairement de vouloir considérer cet objet/unité, la phrase, comme un possible objet d'analyse.

Le terrain ayant été ainsi déblayé, si j'ose dire, le troisième chapitre peut donner une première présentation du modèle grammatical de texte à base logique; cela signifie: modèle du texte (objet théorique) dont le discours (objet empirique) n'est pas nécessairement (ou seulement) ce qu'on appelle communément un récit, et dont les notions de base sont d'ordre mathématique (notions d'ensemble et de graphe) ou d'ordre logique (notions de proposition, de prédicats et d'arguments) (p. 143-44).

Cette grammaire de texte comprend cinq composantes; les différentes relations qui les
réunissent ou aspects qui les caractérisent (cf. p. 149, 150 et 163) peuvent être "réunies"
dans la figure qu'on voit à la page ci-contre: p. 317.

Les cinq composantes forment,donc autant de couches, ou niveaux du plus profond au plus superficiel, et l'on passe de l'un à l'autre par des projections qui, ensemble, allant d'en bas vers le haut, forment la génération; l'interprétation, dans le sens inverse, est, fondamentalement, considérée comme une simulation de la génération.

La Représentation sémantique est un graphe qui est la représentation d'un monde (possible),
objet de la communication. En termes de logique formelle un tel monde est constitué
d'un ensemble d'entités et de leurs relations, organisé dans une suite d'états de choses.

Pour ces états de choses, l'auteur établit (p. 166ss) une typologie assez simple et assez détaillée, rendant compte d'aspects qui les caractérisent, et les définissent, tels que "contenu", validité, modalité, relations (internes et externes) et rôles (des participants/entités (des états de choses)).

Side 317

DIVL5329
Side 318

Cette description des états de choses permet ensuite d'expliciter comment se fait la reformulation
de ceux-ci en propositions logiques (de la forme: prédicat (argument,..., argument))
qui correspond à (ou formalise) la projection de la Représentation sémantique de surface
(topicalisée et thématisée) dans la Structure profonde.

Ayant ainsi vécu une expérience qui, au niveau de la Manifestation linéaire (ou du discours), pourrait être rendue par une phrase telle que "Judith déplace le livre de la table à la bibliothèque", on peut la faire correspondre, au niveau de la Représentation sémantique, à deux états de choses qui forment un ensemble ordonné, un procès, qui est contrôlé, et qui alors est une action; à celle-ci participent un agent (Judith), un objet (livre), une source (table) et un goal (bibliothèque). Au niveau de la Structure profonde cela peut se récrire ainsi:

Pa : = : F ENTR CO (a: Judith, o': livre, so": table, go": bibliothèque) (p. 187)

C'est-à-dire comme une proposition, qui est une formule d'action, avec un prédicat, formé
des postulats de sens F (contrôler) ENTR (entraîner) et CO (coïncider (spatialement)), et
les arguments/rôles a, o', so" et go".

Cette proposition se réalise lexicalement au niveau de la Structure superficielle où a lieu une "prise en charge syntaxique", à travers des synthèses lexicales et des assignations de catégories grammaticales, et est, de là, projetée dans la Manifestation linéaire en subissant toutes les contraintes venant de la situation de communication où elle est énoncée.

Le chapitre 4 traite du verbe et commence par un "Pourquoi les verbes? " Deux réponses sont données: d'une part il est "plus commode" de partir du verbe (p. 221) pour construire une grammaire fonctionnelle (et le présent modèle en est une, cf. p. 217-219 où sont énumérées ses caractéristiques: stratificationnelle, generative, en partie transformationnelle, fonctionnelle, lexicaliste et de texte); d'autre part, l'analyse narrative qui suivra aura besoin d'un lexique construit (c'est-à-dire lexique concret soumis à une élaboration théorique) pour pouvoir "localiser" les "noyaux de sens" et expliciter les différences de sens; les verbes en effet, sont étroitement liés soit aux 'postulats de sens' (p. 222) soit aux 'motifs narratifs' (p. 237).

Le problème fondamental du chapitre est celui-ci: comment décrire la projection de la
Structure profonde "vers" la manifestation (p. 222), c'est-à-dire le passage de la proposition
logique (prédicat (argument,..., argument)), résultat d'une topicalisation-thématisation qui
réorganise la Représentation sémantique, à l'unité de la Structure superficielle, organisée
par les catégories lexicales (nom, adjectif, verbe, etc.) et les catégories grammaticales (sujet,
verbe, complément, etc.).

Le chapitre reprend les considérations du chapitre précédent pour les approfondir et les élargir. D'abord les postulats de sens servent de base à une classification des verbes (performatifs, modaux (c'est-à-dire "constitutifs de monde"), factitifs, processifs, etc.); cette classification est ultérieurement spécifiée en tenant compte des arguments/rôles (leurs coréférences, valences des prédicats, etc.). En second lieu, les catégories lexico-grammaticales, qui ont été déjà réduites à deux catégories primaires ou méta-grammaticales: nom et proposition (ou, plus ou moins, 'sujet' et 'prédicat' ou 'terme' et 'foncteur') (p. 210-215), servent à definii de nouvelles notions, ainsi celle de 'cadre', qui est un "schéma de construction" (pour "accorder" par exemple: 'N V N à N' (p. 271)); ce 'cadre' est actualisé à travers différents mécanismes tels l'effacement, la commutation, la montée du sujet, la fixation (superficielle).

Side 319

Le cinquième chapitre (sur les catégories narratives) est le plus bref du livre, mais pas pour autant le moins important; il est bref parce qu'il peut s'appuyer sur tout ce qui précède et y renvoyer et parce que cela correspond aussi, sans doute, à un désir de modifier la perspective traditionnelle, c'est-à-dire de faire de la grammaire du récit un cas qui ne diffère de la théorie grammaticale générale que par sa portée (cf. p. 294).

Le principal propos du chapitre semble être de dissiper la confusion introduite par Propp entre motif et fonction et entre motif-fonction et figure (cf. p. 310, 322, 326), et cela se fait en reliant étroitement la notion de motif narratif à celle de proposition, telle qu'elle a été développée et discutée à propos du verbe dans le chapitre précédent (cf. p. 314).

Le chapitre donne d'abord une esquisse des univers narratifs dont voici la conclusion: "La représentation formelle du monde du récit se fait comme pour tout texte: les notions de représentations sémantiques (profonde et superficielle) et de représentation syntaxique (profonde et superficielle), d'origine grammaticale, sont applicables, et fournissent la notion de base de texte. La base de texte (BT) est le réseau (RS) ou l'ensemble ordonné de propositions (SP) nécessaire et suffisant pour rendre compte du discours narratif (en constituer Yinput)" (p. 298).

Dans cette BT est introduite une distinction entre la BT implicite, un "noyau" en quelque sorte, et la BT explicite, qui comprend (aussi) les inférences du narrataire (ou, en d'autres termes, celles produites par le lecteur); d'autre part l'auteur distingue entre la BT du récit et la BT du discours narratif - résultat de la distinction (présentée ensuite, p. 34455) entre récit et (récit + ) description ( = discours narratif); c'est d'abord (mais pas seulement) la BT du récit implicite qui intéresse l'auteur.

Un modèle ou typologie simple des motifs narratifs, présenté dans un schéma à la page 309, apparaît ici comme le résultat d'une confrontation entre différentes conceptions (Tesnière, Fillmor, Greimas, Dolezel, etc.) et comme une "réduction draconienne" du modèle de Heydrich (p. 308); en outre il est conforme au schéma déjà construit dans le modèle grammatical (p. 177).

Le motif peut alors être défini comme "le constituant correspondant, au plan figuratif, à la proposition quasi-logique de la grammaire" (p. 310), et il consiste en "un ensemble de figures (images de parties du monde) et un ensemble de relations unissant ces figures en un micro-système de solidarité" (ibid.); plus loin, cette figure est définie comme "un être du monde, individuel ou non, pouvant entrer dans une configuration de coprésence, d'interaction ou de solidarité; (...) la figure joue le rôle de constante couvrant les variables que sont les rôles; partant, elle (l'auteur écrit "il", mais cela doit être un lapsus) définit, comme dans l'algèbre numérique, la valeur {importée, ici le sens) de chaque formule" (p. 311).

On peut distinguer entre motifs simples et motifs complexes (même si la distinction n'est pas absolue puisque la complexité est plutôt graduelle); pour les premiers est proposée une classification en quatre classes, basée d'une part sur des analyses de textes concrets (dont le Novellino qui fait aussi l'objet de l'article cité au début) et d'autre part, sans doute, sur le modèle grammatical; les quatre classes sont (du motif le plus simple au plus complexe): motifs descriptifs statiques, descriptifs dynamiques, modaux (ou 'constitutifs de monde') et communicatifs (p. 316-318). Les formules générales qui en résultent peuvent être ultérieurementdifférenciées/spécifiées en tenant compte des "constantes figuratives" qui couvrent les arguments de la proposition, c'est-à-dire des configurations figuratives, de la focalisation (manifestée par exemple dans la différence entre les "noms de motifs" CONQUETE, PRIVATION,TRANSFERT (p. 318)) et enfin en tenant compte des traits sémantiques (par exemple

Side 320

+ / - humain, etc.) dont la figure est, fonctionnelle ment, un ensemble.

Les problèmes que posent les motifs complexes sont de deux sortes: ceux qui concernent l'aspect logique, où le motif est sémantiquement complexe mais souvent présenté (manifesté) sous une forme extérieure simple (comme il arrive pour "l'état final" auquel d'autres donnent l'étiquette BECOME ou COME ABOUT (p. 320, cf. p. 298 et 300) en le considérant donc comme un postulat de sens), et ceux qui concernent "la contingence et l'acceptabilité", c'est-à-dire l'insertion des motifs dans une "histoire" selon des "règles" qui sont loin d'être universelles (et donc sont contingentes), mais l'expression particulière de la "normalité" (ou acceptabilité) narrative d'une culture donnée (p. 322); cet aspect conduit aux problèmes de la séquence, et des modèles séquentiels qui constituent l'objet du chapitre suivant.

Dans ce chapitre, le système sémantique du récit résulte de l'application du modèle grammatical
à celui-ci: c'est un ensemble de situations, où chacune correspond à un graphe de la
Représentation sémantique et, dans la Structure profonde, à une proposition (quasi-) logique.

Ceci posé, la cohérence est définie comme ce qui est commun à deux (ou plusieurs) structures, ici situations, c'est-à-dire comme l'intersection entre deux ensembles ou comme un prédicat à deux places/arguments. Le domaine de la cohérence, à savoir les éléments compris par l'intersection, peut concerner les arguments (comme rôles ou comme figures) ou les prédicats (qui peuvent avoir des constituants (postulats de sens) en commun). A partir de là on peut définir d'autres relations entre deux situations, ainsi la différence et la différence symétrique, souvent utilisées dans les procédures de segmentation (p. 338), et affronter les problèmes de la continuité/discontinuité.

Un récit peut être réduit à une suite de propositions représentant des états de choses successifs, correspondant aux formules manifestées appartenant à la base de texte implicite; mais les propositions d'une suite peuvent ne pas être cohérentes (selon la définition donnée ci-dessus); dans ce cas, le lecteur peut décider qu'elles n'appartiennent pas à un même récit ou bien qu'elles en manifestent une suite discontinue, et cela parce qu'il peut construire la représentation sémantique complète du récit qui lui fournit la base de texte explicite (contenant toutes les inférences nécessaires pour rendre le récit cohérent ou continu), c'est-à-dire construire une suite de propositions intermédiaires (éventuellement formée d'une seule proposition) qui est cohérente et dont la première et la dernière propositions sont cohérentes avec l'une et l'autre, respectivement, des propositions de la base de texte implicite entre lesquelles elle est intercalée (p. 340). Ce procédé sert à décrire (ou à formaliser) la modalisation qui fonde la causalité narrative et la présupposition (p. 341-342), essentielles dans l'opération narrative.

Tandis que les problèmes associés à la notion de cohérence concernent la "mécanique" du récit, et cela semble vouloir dire surtout ceux qui se rapportent à la lecture/le lecteur (ou si l'on veut à la réception/l'interprétation du récit en tant qu'énoncé), l'étiquette 'l'ordre narratif rassemble des observations sur la "dynamique" du récit, fondées sur un modèle de renonciation (-énoncé), et donc, semble-t-il, liées à l'auteur (-narrateur), à la génération (ou production) du récit: il s'agit de problèmes tels que Fopposition/différence 'narratif - descriptif', temps de renonciation (ou de la narration) et temps du narré, et le discours (ou la rhétorique) du récit. Ces problèmes sont évidemment interprétés à l'aide des concepts que fournit le modèle grammatical, mais ils sont aussi confrontés à des conceptions traditionnelles (ainsi à celle de la rhétorique classique (p. 349)).

Les modèles séquentiels ont pour but de "repérer, reconnaître, cataloguer des structures

Side 321

intermédiaires entre motif et récif (p. 354), pour pouvoir rendre compte soit de la multiplicitédes récits soit de la stéréotypie à l'œuvre dans une culture donnée. L'auteur examine d'abord un certain nombre de modèles plus ou moins traditionnels ou classiques; il distingue entre modèles empiriques (Propp par exemple), 'déduits' (Greimas)etaxiomatiques(Dolezel) et décrit, en résumant, la logique de chacun (p. 361-362). Ces pages servent en quelque sorte de préparation à une description et à une discussion beaucoup plus approfondies du modèle proposé par Larivaille (p. 363-376) qu'on retrouve exposé, de façon à peu près identique, dans l'article cité au début de ce compte rendu.

Le dernier chapitre est, comme son titre l'indique, divisé en deux parties: une première sur
les principes de l'analyse et une seconde sur la pratique de celle-ci.

Les principes du "traitement des textes" exposés dans la première partie dépassent largement l'utilisation du modèle élaboré au cours des chapitres précédents: il s'agit en effet de principes de base relatifs à n'importe quelle analyse, indépendamment du modèle adopté, mais ils se limitent d'autre part à discuter (des problèmes de l'analyse) des "textes littéraires": ce type de texte se distingue d'autres types en ce que sa "manifestation matérielle doit être considérée comme ne varietur, et même comme intangible" (p. 377) et parce que "la structure du sens du texte littéraire comprend une représentation de son émission et de sa réception" (ibid.); il s'ensuit que "Le caractère censément plus 'créatif des textes littéraires me semble donc tenir au fait que le processus de construction d'un monde, commun à tous les textes, se trouve couplé avec un processus de participation du récepteur, qui doit reconstituer une communication, en projetant 'en amont' du texte une image de l'émetteur de celui-ci qui soit compatible à la fois avec les données du texte et les intérêts du récepteur; cette dernière condition est nécessaire à la constitution d'un monde commun, ou intersubjectivement valide" (p. 378).

La description qui suit du traitement de ces textes est très claire et comprend des analyses assez fines de différents détails: y sont distingués les objectifs du traitement: l'analyse, la synthèse et la comparaison (p. 378-79), les principes de description: la schématisation, la normalisation, la structuration et la réduction vs la saturation (p. 380-86) et enfin les problèmes de l'extraction du récit, c'est-à-dire du résumé où sont discutés les procédés proposés par van Dijk, Hendricks et Agricola (p. 387-95). Qu'on soit d'accord ou non avec l'auteur sur tel ou tel détail, ces pages sont une brève mais excellente mise au point des problèmes fondamentaux de l'analyse des textes littéraires.

La seconde partie du chapitre donne deux exemples d'une telle analyse: d'un texte bref, une fable de La Fontaine, et d'un texte long: Pinocchio. Les deux analyses partent d'un "résumé" du texte, dans le premier cas en s'appuyant sur le modèle séquentiel de Larivaille, dans le second sur un modèle moins réduit, mais en principe semblable, de la "macroséquence" (Genot en trouve dix dans le roman (schéma p. 407) regroupés en quatre cycles (p. 409)), et appliquent ensuite, de manières différentes puisque le but de l'une et de l'autre analyse n'est pas le même, le modèle grammatical aux deux textes-résumés. Ces analyses, on peut les considérer, toutes les deux, comme "un guide pour une étude rapprochée, ou comme une illustration de l'application des chapitres précédents au récit (long)" (p. 405), comme dit l'auteur à propos de celle de Pinocchio; il ne cherche pas à être exhaustif (à ce propos, il a d'ailleurs dit, justement: "Plus que l'exhaustivité est nécessaire la correcte et explicite définition du plan ou de l'aspect du texte qui doit être schématisé, normalisé, structuré, puis saturé" (p. 386)), ce qui n'empêche pas qu'on y trouve de multiples "insights" concrets et individuels sur l'un et l'autre texte.

Side 322

Pour conclure, je voudrais poser deux questions - de vraies questions - à propos de deux
concepts fondamentaux utilisés dans l'ouvrage de Genot.

La notion de système joue un rôle principal (cf. p. 17): il s'agit d'un modèle systématique, "totalisant", c'est-à-dire qui voudrait couvrir la totalité des aspects de l'objet visé, et "unitaire", c'est-à-dire qui voudrait intégrer les différents aspects de cette totalité dans une seule conception ordonnée et unifiée; il y a là, semble-t-il, un héritage du structuralisme classique, ou d'une certaine linguistique générative-transformationnelle où tout est subordonné à la composante syntaxique. Je me demande, sans toutefois connaître la réponse, s'il ne faudrait pas, aujourd'hui, remplacer une telle conception systématique par une conception qu'on peut appeler modulaire (ou componentielle) où l'on accepterait que le texte/discours se réalise en fonction d'un ensemble de composantes différentes et interdépendantes sans être dépendantes toutes d'une composante unique ou d'un principe théorique dominant et unificateur; un exemple-modèle, qu'il faut pourtant d'abord développer - méditer, travailler, préciser - fortement, pourrait être la conception barthésienne présentée dans S/Z. Une telle conception ne pourrait-elle pas formaliser une vue plus complète de la complexité du texte (y compris aussi des aspects qui n'ont pas encore été relevés) et quand même offrir à l'analyse d'un texte les mêmes possibilités, ou garanties, de contrôle et de filtrage du sens dont se soucie, à juste titre, l'auteur (cf. par exemple p. 378-379 où une telle fonction est assignée aux composantes intermédiaires (les structures superficielle et profonde))? Le fait qu'une telle conception modulaire puisse servir de base à certaines expériences de traitement du texte par l'ordinateur (cf. Sabah et al.: "Un système modulaire de compréhension d'histoires racontées en français", in T. A. Informations, 1981, no. 2), semble indiquer que cela est possible.

L'autre concept fondamental est celui de communication. Il peut sembler inutile d'en discuter encore vu qu'il est en train de devenir une notion de plus en plus étendue - mais aussi alors, justement, plus imprécise et parfois se prêtant à un usage contradictoire. Ainsi je me demande si l'on peut soutenir en même temps et sans contradiction que "la communication appartient à une sous-classe d'interactions particulièrement importante: les interactions médiates, c'est-à-dire dans lesquelles, entre les interacteurs A et B, s'interpose nécessairement un terme C" (p. 45) et qu' "on peut parler de communication si, lors de l'émission, n'est pas visé un appareil de récepteur et un groupe de destinataires" (et symétriquement pour la réception; p. 54): où est l'mieraction dans ce dernier cas? Et comment distinguer émetteur et récepteur, ou A et B, lorsqu'il est question d'une projection, ou construction, de la part du dernier, "d'une image de l'émetteur" dans le passage cité plus haut à propos du caractère 'créatif des textes littéraires (p. 378)? N'y a-t-il pas là une illusion qui confond émetteur et récepteur ou qui favorise la dépréciation de l'instance de la réception à laquelle s'oppose l'auteur (p. 58)? Et s'il en est ainsi, cela n'est-il pas dû au fait de vouloir faire de la communication l'élément fondamental de l'usage qu'on peut faire des textes littéraires, comme nous enseigne la tradition de la critique littéraire? (en effet, cela m'a étonné un peu de lire "En gros, la description qui suit correspond à la pratique et à la perception de la littérature valables pour le XIXe siècle, et qui règlent encore largement, grâce àla conserve culturelle, notre appréhension de cet aspect des pratiques culturelles" (p. 57) - comme si l'auteur acceptait cette pratique et cette perception).

Il est manifestement difficile de savoir comment concevoir la communication et son rôle
dans l'usage que nous pouvons faire des textes et de la langue. Mais peut-être pounait-on
attribuer à ces derniers deux fonctions dictinctes et différentes: celle d'être un moyen de

Side 323

communication et celle d'être un moyen d'analyse. Cette dernière fonction n'est pas nécessairementidentique à, ni dépendante de la première (et des autres notions que celle-ci comprendou véhicule, telles que transfert, message, code (au sens traditionnel), ni même, peutêtre,de celle de renonciation de l'émetteur/auteur): s'il en était ainsi, une analyse des phénomènesde la nature (du monde non social(isé)) serait également une communication; et alors avec qui? (Dieu? comme dirait Bernardin de Saint-Pierre).

Si le texte est conçu comme un moyen d'analyse, on pourra dire que le lecteur (qui alors n'est pas un récepteur) s'en sert comme d'une grille apte à l'aider à organiser sa réalité sans qu'il ait nécessairement la moindre connaissance de (ou intérêt à connaître) la réalité de l'auteur du texte en question, et sans que sa lecture-interprétation doive nécessairement être vue comme une simulation de la génération (ou production) du texte.

C'est assez clairement une telle conception du texte qui est à l'œuvre dans l'usage qu'on fait de textes dramatiques dans l'institution théâtrale. Si l'on pense aux mises en scènes de Jouvet ou de Planchón, on peut, après coup, dire que leurs lectures/réalisations de Tartuffe ont révélé des messages (de la part de Molière, sinon de qui? ) jusqu'alors restés inaperçus, mais ce n'est pas un point de vue très fructueux, ni très convaincant. Et s'il y a un tel usage au théâtre, c'est peut-être parce que cette institution a pu justement échapper aux contraintes de la pratique et de la perception de la littérature mentionnées plus haut.

Construire un modèle qui corresponde à une telle conception ne sera pas facile - pourtant on pourra certainement trouver bon nombre d'éléments dans le présent travail, indépendamment de sa conception de base. Mais il y aura toujours de grands problèmes: ainsi un tel modèle ne laissera pas beaucoup de place, comme le fait le modèle présenté par Genot, et de façon très convaincante, à un élément (notion ou phénomène) très important comme la tradition (et partant aux éléments comme l'histoire, la culture (dans un certain sens), etc.). Une solution serait peut-être de concevoir l'un et l'autre modèle (et d'autres pas encore inventés ou construits) comme des composantes ou modules, distinctes et interdépendantes, de manières et dans des mesures variables, d'une conception générale, non systématique mais modulaire, de la réalité "inépuisable" que sont les textes littéraires.

Copenhague