Revue Romane, Bind 20 (1985) 2

Maryse Laffitte :

Maryse Laffitte

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Les réponses de MM. Fauskevâg et Nojgaard ne font que confirmer ce que j'avais exprimé dans mon compte rendu de Sade dans le surréalisme: d'une part, les textes sadiens sont réduits à une dimension discursive et le critère d'interprétation de l'œuvre entière semble être les lettres ou les journaux de Sade, sans qu'à aucun moment ne soit posée la question du statut particulier de la lettre ou du journal. Autrement dit, SEF croit pouvoir décider du sens d'un texte à partir d'autres textes et des déclarations d'intention de l'auteur, ce qui l'amène à opposer "vision du monde" et "structure formelle de l'œuvre", comme si le sens d'un texte n'était pas indissolublement dépendant de sa structure diégétique. MN partage la même croyance, puisqu'il nous déclare que "tous les efforts du premier surréalisme se portaient précisément à faire de leurs textes des actes". Sans doute. Toujours est-il que, quoi qu'ils en aient dit, seuls leurs textes nous restent, tels quels. D'autre part, le point de vue philosophique et épistémologique adopté par SEF le conduit à faire une impasse totale sur les éléments romantiques contenus dans l'œuvre de Sade, et par là, à limiter l'impact littéraire et philosophique de Sade.

Il est vrai que de nombreux textes utilisés par SEF sont des lettres, des commentaires, etc. Mais ni Justine, ni Les 120 journées par exemple ne sont des essais. Ce sont des textes de fiction "agrémentés" de longues digressions de caractère discursif tenues par les personnages. Ces textes narrent quelque chose, ils mettent en scène des personnages dans une succession d'événements donnés, scandés par une série de catastrophes et aboutissant à une dénouement.

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Or, je crois que SEF serait bien en peine de me désigner dans son livre un seul passage où il compare ce que font les personnages des romans de Sade et ce qu'ils disent au même instant (les pages auxquelles me renvoie SEF dans sa réponse ne portent aucune trace de ce genre d'analyse). Or, c'est là que se jouent, me semble-t-il, toute l'ironie, tout le sarcasme et, également, toute l'horreur de ces textes - ce qu'a très bien analysé Maurice Blanchot dans son essai sur Sade, dont SEF "prend acte" àla page 126 de son livre, sans en tirer autre chose que la remarque faite par Blanchot sur l'existence d'une logique qui détruit l'objet du plaisir dans le sadisme. En fait, Sade n'a pas, à proprement parler, d'oeuvre philosophique dans laquelleil s'exprimerait à la première personne au nom d'une pensée unitaire ou homogène. Ses textes ne comportent pas de sujet d'énonciation philosophique. Or, si l'on veut être "rationnel", comme le propose SEF, peut-on vraiment croire que le sujet de renonciation épistolaire résolve ce problème?

SEF prend en considération, il est vrai, un corpus important de textes sadiens ou autres. Mais les commentaires qu'il nous en propose relèvent de la lecture au premier degré, paraphrastique, dans la mesure où l'absence d'analyse textuelle immanente, tenant compte des différents ressorts narratifs, ne permet pas de saisir ce que j'ai appelé le "romantisme" de Sade, auquel je ne me réfère pas comme à une "très large notion", mais dont je dessine certains contours précis dans la dernière partie de mon compte rendu.

En ce qui concerne le point de départ philosophique et épistémologique de SEF, je ne vois rien à ajouter à ce que j'ai déjà écrit. Je trouve tout à fait louable que SEF ait entrepris "d'étudier historiquement i'œuvre sadienne et son fondement infra-littéraire". Ma critique porte sur le caractère partiel de cette étude et sur son angle d'attaque transcendant.

Voilà d'où viennent mes "préventions personnelles", limitées à l'ouvrage dont la critique m'avait été confiée. J'ai dit, conformément à la "loi la plus élémentaire du genre", ce qu'il contenait, et j'en ai fait une "évaluation critique", en précisant les raisons théoriques de mon désaccord. Je ne considère pas l'œuvre de Sade comme "imperméable à toute analyse historique et comparative". Je ne me fais pas non plus "le porte-parole d'une idée de différence radicale qui soustrairait cette œuvre à tout examen rationnel". Je réclame, au contraire, un supplément d'analyse qui permettrait d'échapper au rapport transcendant avec les textes - qui ramène tout au même - et qui intégrerait éventuellement le fait que Sade, effectivement, a lu La Mettrie et d'Holbach, mais que, par le biais de son ironie radicale, il annonce, en écrivain venu d'une culture catholique - et non protestante — le sens du mal, du tragique et de la transgression qui nourrira en partie le romantisme français et ses divers successeurs.

Je ne chercherai pas à réfuter la critique qui m'est adressée par SEF au sujet de l'usage que je fais des citations: c'est une tâche impossible en deux pages. De plus, cette critique, erronée à mes yeux, bien entendu, est due au fait que SEF refuse l'analyse que je fais de son livre, et par là, la manière dont j'isole certaines citations de 399 pages de texte ou dont je résume certains points de vue en des formules lapidaires (le problème de la "bonté" de la nature, par exemple, destiné à souligner l'aplatissement des textes de Sade).

Car, pour finir, je voudrais souligner que le différend qui nous sépare, SEF et moi, me paraît irréductible, ses prémisses de travail et ses conclusions reposant sur une opposition implicite entre analyse historique transcendante et analyse textuelle immanente - et sa réponse le confirme. Mais "les vrais spécialistes", comme le dit si justement MN, sauront bien trancher...

Copenhague