Revue Romane, Bind 20 (1985) 2

Morten Nojgaard:

Morten Nøjgaard

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Dans le dernier fascicule de Revue Romane Maryse Laffitte publie un compte rendu du livre de Sv. Eirik Fauskevâg, Sade dans le surréalisme, compte rendu qui n'est en fait qu'un long persiflage, comme ML le suggère d'ailleurs elle-même. On se demande pourquoi la rédaction de RR a jugé intéressant de soumettre à ses lecteurs un texte qui ne respecte pas la loi la plus élémentaire du genre, qui est de nous présenter - avec une évaluation critique - ce que dit réellement le livre présenté. ML parle beaucoup de la façon dont il faut lire, selon elle, les fictions de Sade - tout en qualifiant d'ailleurs cet auteur d' "impensable" (p. 155) - mais là n'est pas le thème de l'étude de Fauskevâg. Elle prétend que ses considérations sur le Sade des surréalistes sont "parfaitement limitées" (p. 156), alors que Fauskevâg présente l'étude la plus détaillée qui existe jusqu'à ce jour de la façon dont les surréalistes ont utilisé et interprété Sade. Elle prétend (ib.) que les analyses que fait Fauskevâg du signe Sade auprès des surréalistes ne seraient qu'en partie exactes, sans mentionner une seule erreur. Effectivement je n'en ai relevé aucune. ML sait ce que sont les textes des surréalistes: des "réservoirs de fantasmes" (ib.), alors que tous les efforts du premier surréalisme se portaient précisément à faire de leurs textes des actes. Sv. E. Fauskevâg (pas plus que les surréalistes eux-mêmes, bien sûr) n'a jamais prétendu qu'ils ne seraient que le "reflet littéral de conditions d'existence données" (ib.). Selon ML (p. 155) le raisonnement de Fauskevâg se réduirait à l'axiome suivant: "(...) puisque Sade se croyait matérialiste rationaliste, il l'était ...". Elle fait ainsi singulièrement bon marché des longues analyses de textes sadiens où le philosophe écrivain raisonne en matérialiste consommé. Il ne s'agit donc pas de ce que Sade "se croyait" — selon ML - mais d'une étude serrée et novatrice des positions philosophiques du grand écrivain, positions qui n'ont rien d'un "plat décalque du matérialisme ambiant du XVIIIe siècle" (p. 155), comme ML le fait dire à Fauskevâg avec une mauvaise foi étonnante dans un compte rendu qui se veut scientifique.

Il serait fastidieux d'allonger la liste de ces erreurs de lecture et de ces préventions personnelles. Il est plus fructueux de rappeler à l'attention des lecteurs de la Revue Romane tout l'intérêt qu'il y a à suivre Fauskevâg dans son analyse originale et féconde. Son idée centrale (que ML, p. 254, rend pour une fois correctement puisqu'elle cite l'auteur lui-même) est d'examiner l'usage que font les surréalistes de la figure de Sade conçu comme un emblème mythique: "le divin marquis", mythe qui sera appelé à jouer un rôle déterminant dans la formation de l'univers conceptuel du surréalisme. Fauskevâg examine dans cette perspective un immense corpus textuel qui va des premières manifestations dadaïstes jusqu'aux derniers avatars de la pensée de Breton et de ses héritiers immédiats, jusqu'en 1969.

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Le projet de Fauskevâg est original: il veut confronter les idées et les textes d'un auteur tels qu'ils se lisent et s'interprètent dans leur contexte historique avec les métamorphoses qu'ils subissent, de façon que cet auteur devient un instrument dans la lutte d'un groupe bien postérieur pour se comprendre et pour interpréter le monde. Une telle recherche "mythique" connaît peu d'exemples dans l'histoire de la littérature européenne (une exception de taille est constituée par la somme d'Etiemble, Le mythe de Rimbaud). Il faut espérer que l'étude de Fauskevâg contribuera à favoriser ce genre d'études qui pourront jeter une nouvelle lumière sur la formation de la conception moderniste de l'homme. Le livre de Fauskevâg sera ainsi un instrument de travail important non seulement pour l'historien des idées, mais aussi pour celui qui désire analyser le mouvement surréaliste dans son évolution conceptuelle et littéraire.

J'ajoute que l'interprétation philosophique de la pensée de Sade, condition évidente pour qu'on puisse évaluer correctement le caractère mythique du Sade des surréalistes, représente une contribution précieuse à notre connaissance du personnage. Rares sont en effet les critiques qui aient échappé totalement à l'influence mystificatrice des surréalistes. Il est ainsi revenu à Sv. E. Fauskevâg de montrer comment Sade prend place dans la tradition philosophique française, à côté d'Helvétius et de d'Holbach.

Un peut naturellement discuter certaines interprétations de Fauskevâg. Cependant, dans son ensemble, son analyse est convaincante et le rapprochement qu'il opère entre Sade, penseur historiquement situé, et Sade, mythe libérateur du XXe siècle, est riche en enseignement sur Sade et sur le surréalisme. Voilà une recherche originale et fertile aux qualités de laquelle les vrais spécialistes ne demeureront pas insensibles.

Odense