Revue Romane, Bind 20 (1985) 1

Povl Skarup

Povl Skårup

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Comme l'indique son sous-titre, l'ouvrage de Lene Schosler, qui ne traite que de l'ancien français à l'exclusion des autres langues romanes, n'étudie pas seulement le rôle de la distinction casuelle dans la proposition, il cherche encore à trouver les causes de sa disparition. Dans ce qui suit, je ne vais discuter que de l'explication causale adoptée par LS.

LS pense que la disparition de la distinction casuelle a été déclenchée par la chute
phonétique de la consonne s en position finale du mot, par quoi murs s'est confondu avec
mur dans la prononciation.

Contre cette idée, qui n'est pas nouvelle, on peut faire les deux objections suivantes,
qui ne sont pas nouvelles non plus, mais dont LS n'a pas fait état et que je reprends à mon
compte afin de lui permettre d'y répondre.

(1) On n'a pas montré que Vs. final soit tombé dès l'époque où le cas régime a commencé à supplanter le cas sujet. LS allègue la désinence verbale -um pour -ons, mais celle-ci n'est pas pertinente, puisqu'il n'y a pas d's dans la désinence correspondante du catalan, de l'occitan, du vieux franco-provençal et du rhéto-roman, où Vs final n'est pas tombé phonétiquement: ce cas est d'ordre différent. LS allègue également des exemples de le, au pour les, aus, cependant Vs n'y est pas placé à la fin d'un mot phonétique, mais dans une syllabe protonique. Quelques exemples plus pertinents sont trop rares pour être probants. L'examen chronologique reste donc à faire, et il est permis de douter que sa conclusion s'avère favorable à l'idée de LS.

(2) Les autres langues romanes occidentales ont conservé Vs final, mais n'en ont pas
moins perdu la distinction casuelle tout comme le français. Ce fait fournit une objection
qu'on peut formuler de deux façons:

(2.a) Pour accepter l'explication de LS, il faudrait en trouver une autre qui soit valable
pour les autres langues occidentales, et il faudrait en outre expliquer pourquoi celle-ci
ne serait pas valable pour le français.

(2.b) L'explication de LS implique une hypothèse disant que si Vs final n'était pas
tombé en français, la distinction casuelle n'y serait pas tombée non plus, du moins pas
aussi tôt. Mais pour y croire, il faudrait étayer cette hypothèse par un argument positif,

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qui distinguerait le français des autres langues romanes occidentales, notamment de l'occitan,où
la distinction casuelle est tombée à peu près à la même époque sans que Vs final
y soit tombé.

La chronologie géographique de la supplantation du cas sujet par le cas régime est difficile à établir, mais il semblerait que le procès ait commencé en portugais et en espagnol, pour atteindre ensuite le catalan et l'occitan occidental (le gascon) et le français occidental (y compris l'anglo-normand), avant de parcourir, dans la direction ouest-est, le domaine occitan et le domaine français jusqu'au franco-provençal et au rhéto-roman. Il est artificiel et peu convaincant de vouloir tenir le français à l'écart de ce mouvement général.

Aarhus