Revue Romane, Bind 20 (1985) 1

Réponse à Povl Skârup

Lene Schøsler

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Je remercie d'abord Povl Skârup (PS) pour ses intéressantes remarques - mais je dois toutefois constater que son argumentation repose sur une présupposition qui, à mon sens, n'est pas judicieusement fondée. En effet, la présupposition de PS se fonde sur l'identité structurelle des langues romanes. Comme on sait d'une part qu'il existe déjà dans le latin vulgaire une différenciation à l'intérieur de la Romania, concernant parmi d'autres catégories grammaticales celle de la déclinaison casuelle (voir ma thèse p. 13-14 et les notes 4, 5 et 6), et comme le développement ultérieur des langues romanes n'a souvent fait qu'accentuer ces différences (voir la bibliographie: Iliescu, Manczak, Muljacic, Ternes), j'accepte mal que PS puise son argumentation indifféremment dans les diverses langues romanes. Par conséquent, je ne vois pas pourquoi une explication visant uniquement l'ancien français doive également rendre compte de l'état de choses des autres langues romanes.

Prenons un exemple: on sait qu'en français moderne, les facteurs C3 (ordre des mots) B5 et B7 (présence d'un pronom déclinable) jouent un rôle décisif pour l'identification des actants. En italien moderne, les facteurs C3 et B7 sont le plus souvent inopérants et, que je sache, il n'existe pas d'autres facteurs en italien qui apparaissent avec une récurrence comparable à C3, B5 et 87. Une comparaison des éléments qui assurent l'identification actantielle dans les deux langues amène inévitablement à la conclusion que le français est une langue plus redondante que l'italien (voir la bibliographie: Schmitt-Jensen)l. Pour ce qui est de l'identification actantielle qui nous occupe, il serait intéressant d'étudier, à propos de chaque langue romane, où elle se place sur une échelle allant, disons d'un niveau très élevé d'économie (c'est-à-dire très peu de redondance, ce qui implique un risque de confusions) jusqu'à un niveau très élevé de redondance (c'est-à-dire très peu d'économie, ce qui implique des constructions univoques); l'italien et le français modernes se placeraient probablement aux deux extrêmes de l'échelle, alors que i'ibéroroman, le roumain et quelques dialectes italiens se situeraient entre les deux langues "extrêmes", grâce à l'existence de leur complément d'objet animé introduit par une préposition (a ou p(f)ë). Cette façon de voir les choses me semble très intéressante, elle aurait certainement



1: Voir Schmitt-Jensen: Méthodes... p. 162-163, qui cite entre autres le titre suivant de Y Espresso: Non dimenticano De Gaulle e Mao [gli americani], phrase impossible à analyser telle quelle: VS(O) ou VO(S)?

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mieux satisfait mon collègue, mais la perspective romane ne m'a pas semblé le point le plus important. Ce qui m'a paru le plus pertinent, c'était d'une part d'examiner les moyens dont dispose une langue donnée pour assurer l'identification des actants, et, d'autre part, de considérer ces facteurs dans une perspective diachronique. La perspective romane aurait constitué une complication inutile.

Un autre exemple: PS se réfère, entre autres, à l'occitan pour montrer que la disparition de Vs final, phénomène catalyseur en ancien français, n'a eu aucune influence sur la disparition du système bicasuel, car les autres langues romanes occidentales conservent, du moins partiellement, Vs final. J'avoue que je ne vois pas la pertinence de cette objection; puisque le système bicasuel de l'ancien occitan est différent de celui de l'ancien français, les causes de la disparition des deux systèmes peuvent également différer sans que cela doive gêner le chercheur curieux d'examiner l'un ou l'autre des systèmes concernés. (Le système des articles, si importants pour l'argumentation concernant les changements du système bicasuel, est bicasuel en ancien français: li/le, mais acasuel en ancien occitan: lo.)

PS insiste, avec raison, sur le rôle de Vs final. Je renvoie, pour une discussion plus détaillée sur ce sujet, à ma réponse à l'intervention de Palle Spore. Qu'il me soit permis de corriger Povl Skârup sur un seul point: le cas de les et de aus ne diffère pas nécessairement de celui d'un nom, disons chevaliers. Dans mon exemple (391) je voi les bons chevaliers chevauchier, les -s du syntagme nominal (les bons chevaliers) sont tous placés devant consonne, à l'intérieur d'une unité phonétique (un "mot" phonétique) et la règle d'effacement valable pour les est valable également pour bons et chevaliers (cf. § 9.4.).

Odense

Bibliographie

Bourciez, E.: Eléments de Linguistique Romane*, Paris 1967.

Iliescu, M.: "Ressemblances et dissemblances entre les langues romanes du point de vue
de la morpho-syntaxe verbale", Revue de Linguistique Romane 33 (1969) p. 113-132.

Jensen, F.: The Old Provençal Noun and Adjective Declension, Odense 1976.

Manczak, W.: "Le problème de la classification des langues romanes", Boletim de filologia
18 (1961) p. 81-89.

Meyer-Lübke, W.: Grammatik der Romanischen Sprachen I-IV, Leipzig 1890.

Muljacic, Z.: "Die Klassifikation der romanischen Sprachen", Romanisches Jahrbuch
18 (1967) p. 23-37.

Schmitt-Jensen, J.: "Les "syntaxèmes", "phonèmes" de la syntaxe", in Méthodes de la
grammaire. Tradition et Nouveauté, p. 155-182, Paris 1966.

—: Subjonctif et Hypotaxe en italien, Odense 1970.

Ternes, E.: "Phonemsysterne und ihre Bedeutung fur die Klassifikation der romanischen
Sprachen", Romanistisches Jahrbuch 27 (1976) p. 19-51.