Revue Romane, Bind 20 (1985) 1

Lexique 2 - Le dictionnaire. Actes du Colloque Franco-Néerlandais 28-29 avril 1981. Maison Descartes, Amsterdam. Presses Universitaires de Lille 1983. 165 p.

Jens Rasmussen

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Cette deuxième publication de la série Lexique présente les actes d'un colloque franconéerlandais qui a eu lieu en 1981 à Amsterdam. Une douzaine de linguistes et de lexicographes s'y sont donné rendez-vous afin de discuter les problèmes théoriques et pratiques qui se posent aujourd'hui pour l'élaboration des dictionnaires monolingues et bilingues. Le but principal du colloque a été de trouver une formule pour améliorer la description lexicographique, en tenant compte aussi bien des exigences scientifiques des linguistes que des besoins pratiques des usagers non spécialistes, étant entendu que la production des dictionnaires se fera dorénavant essentiellement au moyen de l'ordinateur.

Les contributions se répartissent sur trois sections

I. Linguistique et lexicographie française.

11. Ordinateur et lexicographie.

111. Linguistique et lexicographie bilingue.

Dans la première contribution ("La lexicographie française: rétrospective et perspective") Alain Rey donne un aperçu historique des dictionnaires monolingues français, depuis le XVIIe siècle jusqu'au temps présent, et discute une série de problèmes récurrents tels que la définition des mots, la description des choses, la prise en considération des usagers et la formation des équipes rédactionnelles.

Les expériences étendues de l'auteur le désignent tout naturellement pour proposer des directions à la lexicographie française. Les problèmes dont il faudra se préoccuper sont, selon lui, la systématisation des marques d'usage, le choix des exemples, les contraintes syntaxiques et la description pragmatique. Un appel pour travailler dans cette direction est résumé dans une citation pertinente de Georges Bataille: "Un dictionnaire commencerait à partir du moment où il ne donnerait plus les sens, mais les besognes des mots".

L'article de Wiecher Zwanenburg ("Dégroupement" et "regroupement" dans le DFC et
le LEXIS) passe en revue certains principes qui ont renouvelé la présentation des mots
dérivés et composés et qui ont été pratiqués surtout par Jean Dubois.

Le regroupement veut dire que les dérivés et les composés sont traités dans le même article que leur mot de base. Le mot "agrandir" trouve dans LEXIS sa description sous "grandir" et le mot "auto-extinguible" sous "extinction". Ce principe, qui marque une rupture avec l'ordre strictement alphabétique, a pour but de présenter, dans une cohérence logique, les mots qui sont reliés.par des relations morphologiques et sémantiques.

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Le dégroupement, de son côté, consiste à séparer des mots qui, sur la base de critères étymologiques, sont traditionnellement réunis dans un même article bien que leur emploi les place dans des situations très différentes. Dans le DFC, par exemple, la forme "élever" est répartie sur trois vedettes:

1. "élever" (le niveau de vie)

2. "élever" (des enfants)

3. "élever" (des animaux)

L'auteur de l'article démontre que ces principes de groupement n'ont pas été suivis d'une façon systématique dans les dictionnaires auxquels il se réfère et maintient qu'il est impossible de le faue dans l'état actuel des études morphologiques. Le dégroupement est, en effet, extrêmement difficile à pratiquer en synchronie, étant donné qu'il n'y a pas de critères sûrs pour savoir s'il faut parler d'un seul mot polysémique ou de plusieurs mots homonymiques. La critique dirigée contre le regroupement est à la fois d'ordre scientifique et d'ordre pratique: l'organisation des articles de mots regroupés risque de mener à des inconséquences rédactionnelles et à une structure complexe, qui rend la consultation du dictionnaire peu commode.

La grammaire generative transformationnelle a inspiré l'exposé de Danielle Corbin ("Le monde étrange des dictionnaires: La créativité lexicale, le lexicographe et le linguiste"). Faisant une distinction entre la créativité qui change les règles et la créativité qui est gouvernée par les règles, l'auteur plaide pour une amélioration du traitement des mots dérivés, aussi bien dans la macrostructure des dictionnaires (organisation des entrées) que dans leur microstructure (les informations concernant une entrée). Pour remédier aux incohérences et inexactitudes des dictionnaires courants, elle propose d'établir une liste des radicaux et des affixes attestés, accompagnée d'une liste des règles de formation des dérivés et composés. Le dictionnaire doit donc être complété par une section grammaticale.

Le thème du traitement de la dérivation est poursuivi dans la contribution de Q. I. M. Mok: "Dictionnaires et dérivation". En tant que linguiste, l'auteur regrette que les dictionnaires monolingues français ne donnent pas toutes les informations que souhaiterait un morphologue "allophone": lemmatisation des affixes, indications sur leur productivité et définition précise de leur valeur sémantique. Parmi les problèmes morphologiques, l'auteur attire l'attention sur la confusion qui s'attache à l'apparence formelle d'un mot: en synchronie, "renier" et "regarder" ne peuvent pas être considérés comme des dérivés, sauf dans des contextes exceptionnels.

Dans l'article "Le nom de nombre dans le dictionnaire", Jaap Spa propose de faire entrer dans les dictionnaires les règles qui permettent de former tous les numéraux possibles (les numéraux composés), trouvant insuffisant de ne citer que les noms de nombre qui peuvent être considérés comme des mots de base.

Jean Dubois ("Dictionnaire et syntaxe") se fait le porte-parole d'une méthode de rédaction qui présente des informations syntaxiques plus fines et qui permette le codage informatique des matériaux lexicographiques. Cette méthode, qui est utilisée pour la composition des articles de langue du Grand Dictionnaire Encyclopédique Larousse (en cours de parution

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depuis 1982), apporte surtout des innovations dans la description des verbes. Chaque verbe doit être rapporté à une classe indiquant les propriétés syntaxiques et sémantiques du verbe. Les constructions du verbe ne sont donc pas seulement définies par les types de compléments d'objet, mais aussi par des compléments spécifiant une catégorie sémantique telle que l'instrumental, la quantité, la manière, etc. Malgré sa brièveté, cet exposé fait ressortir tout le profit que peut tirer la lexicographie d'études s'inspirant de la théorie sur la valence des verbes.

Sous le titre "Des idées et des mots", Nicole Celeyrette-Pietri fait une revue rétrospective
de deux genres à part: le dictionnaire des rimes et le dictionnaire analogique.

Dans la deuxième section (Ordinateur et lexicographie), la contribution la plus importante est celle de Bernard Quemada, qui, dans son exposé ("Bases de données informatiques et dictionnaires"), dresse le bilan de l'emploi de l'ordinateur dans les entreprises lexicographiques. En sa qualité de directeur de l'lnstitut National de la Langue Française et de responsable des travaux qui vont résulter, dans quelques années, dans l'achèvement du dictionnaire mammouth, le Trésor de la Langue Française, il est on ne peut mieux placé pour se prononcer sur les modalités, les avantages et les désavantages que présente l'utilisation de l'ordinateur en lexicographie.

En décrivant les procédures pratiques qui sont mises en œuvre pour l'informatisation des matériaux et la saisie des données, il souligne, à juste titre, la fonction recherche, qui pourra tirer de l'ordinateur un profit évident. L'utilisation d'une banque de données textuelles permet, en effet, de vastes analyses iexicologiques, syntaxiques et thématiques, dans une optique nouvelle.

Sans se laisser tenter à donner dans la "dictionnairique-fiction", l'auteur de l'article annonce les nouvelles formes de dictionnaires qui sont en train de faire leur apparition, que ce soit les "télédictionnaires", dont les réponses apparaissent sur l'écran d'un téléviseur, ou bien les dictionnaires sous forme de cassettes, de disquettes ou de vidéo-disques.

Les possibilités offertes au lexicographe par un microprocesseur relié à un ordinateur sont
traitées aussi dans une contribution de René Moreau et Isabelle Warnesson.

La dernière section des actes du colloque est consacrée surtout à la lexicographie bilingue. Bondi Sciarone fait ressortir dans son article "Analyse sémantique: l'homme et la machine" la différence de connaissances qui existe chez les usagers d'un dictionnaire bilingue selon qu'ils l'utilisent à partir de la langue étrangère vers la langue maternelle (dictionnaire-version, dictionnaire "passif") ou dans le sens inverse (dictionnaire-thème, dictionnaire "actif). Le dernier type de dictionnaire va d'un mot connu à des mots inconnus et doit donc présenter, sur le sens des mots étrangers, des informations vraiment distinctives. Celles-ci doivent comporter une description grammaticale hiérarchisée, assortie de descriptions sémantiques opérant par des termes définitoires ou bien par un cadre sémantique indiquant, par exemple, que "pain" est un aliment qui est fait de farine, qui est cuit et qui se vend chez un boulanger.

Les ambiguïtés qui constituent une menace pour la description lexicographique sont traitées
par Ronald Landheer ("Ambiguïté et dictionnaire bilingue"). Ambigus sont par exemple

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les équivalents donnés dans les dictionnaires néerlandais-français lorsqu'ils traduisent "Zij
is muzikaal" par "Elle est musicienne", sans mentionner que la phrase française peut avoir
aussi le sens "Elle est musicienne de son métier".

D'autres types d'ambiguïtés sont passés en revue, parmi lesquels les différences d'extension de sens, les différences de sens propre et de sens figuré ainsi que les différences de grammaire contrastive. Pour remédier aux ambiguïtés, l'auteur propose de procéder par un système de renvois ou d'avertissements explicites de sorte que l'usager du dictionnaire soit mis en garde.

La dernière contribution (Bernard Al: "Principes d'organisation d'un dictionnaire bilingue") présente un modèle de dictionnaire qui est en train d'être réalisé en Hollande (Ed. Van Dale) avec le néerlandais comme langue source et l'anglais, l'allemand ou le français comme langue cible et vice versa.

Trouvant trop peu instructives les informations présentées ordinairement dans les dictionnaires bilingues, l'équipe de rédaction chargée du projet a élaboré une systématique pour définir d'une manière plus complète les traits caractéristiques de chaque entrée. A part les indications traditionnelles, cette systématique comprendra la combinatoire syntaxique du mot-vedette, l'utilisation de symboles pour indiquer des différences d'usage dans la langue source et la langue cible ainsi qu'une organisation des termes de traduction suivant leur fréquence supposée.

La disposition typographique d'un article en différentes sections doit aider le lecteur à trouver les informations qu'il cherche. Le modèle de rédaction proposé semble offrir des avantages réels, non seulement pour guider le traducteur mais aussi pour instruire l'étudiant qui s'intéresse à la description contrastive des deux langues en question. Cependant, l'usager doit posséder une certaine pratique de l'analyse linguistique pour s'y retrouver dans un article d'une certaine longueur.

Les contributions réunies dans ce deuxième numéro de la série Lexique reflètent bien
les tendances marquantes de la lexicographie contemporaine. La valeur du recueil réside
aussi bien dans les rapports sur les travaux en cours que dans leurs perspectives d'avenir.

Il témoigne d'un effort croissant pour développer la lexicographie par une description scientifique cohérente et par une ouverture vers l'informatisation. Ces tentatives de développement des méthodes de travail et de rédaction ne laisseront pas d'influencer la conception des entreprises lexicographiques actuelles et futures.

Copenhague