Revue Romane, Bind 20 (1985) 1

Jane-Odile Halmoy: Le gérondif. Eléments pour une description syntaxique et sémantique. Thèse de doctorat présentée devant l'Université de Trondheim le 8 mai 1982. Tapir. Université de Trondheim, 1982.

Helge Nordahl

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La thèse qu'a soutenue Jane-Odile Halmoy (J-O. H.) devant l'Université de Trondheim le 8 mai 1982 est une contribution fort importante à l'étude du gérondif français moderne. Son volume impressionnant (451 pages) ne doit aucunement faire peur à personne, car, malgré son érudition profonde, c'est un livre relativement facile à lire, bien pensé, bien pesé et bien présenté, et dont la qualité la plus remarquable est la synthèse de l'analyse scientifique et de la présentation pédagogique, synthèse, en effet, difficilement réalisable et rarement réalisée.

L'organisation formelle de la thèse est d'une clarté exemplaire. Une courte "Introduction" (p. 1-6) précède un chapitre détaillé et très instructif appelé: "Le gérondif vu par les grammairienset les linguistiques. Exposé et commentaire" (p. 7-47). Suivent, après ce Stand der Forschung, les trois chapitres centraux de la thèse: "Description morphologique" (p. 48-68), "Description syntaxique" (p. 69-219) et "Description sémantique" (p. 220-386). La thèse

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se termine par les titres suivants: "Récapitulation et remarques finales" (p. 387-397),
"Notes" (p. 398-401), "Appendice" (p. 402-431) et "Bibliographies" (p. 432-446) et
"Table des matières" (p. 447-451).

Dans son introduction, J-O. H. souligne le fait intéressant que les grandes études sur le gérondif français que nous possédons, s'inscrivent presque toutes dans une tradition diachronique et comparative. Les savants qui se sont penchés sur les problèmes du gérondif semblent avoir été tacitement d'accord pour étudier son développement dans plusieurs états de langue successifs, et, sans doute à cause de l'homonymie des deux formes en [-à], ils l'ont confronté avec le participe présent. La thèse de J-O. H., pour reprendre un mot qui lui semble cher, rompt radicalement avec cette tradition tandem. Elle est, au dire de l'auteur, consacrée à l'étude exclusive du gérondif français moderne, et sans que cette unité linguistique soit comparée avec le participe présent.

La thèse de J-O. H. est solidement ancrée dans des réalités linguistiques explicitées: "C'est à partir d'un corpus d'énoncés que s'élaborera ce travail", déclare-t-elle à la page 3. Pour que ce corpus soit aussi représentatif que possible, J-O. H. a utilisé tous les genres d'expression littéraire: romans, essais, langage journalistique, théâtre, langues techniques, textes publicitaires et même des livres de cuisine, ce qui confère à certains passages de sa thèse une atmosphère gastronomique et féminine, au charme de laquelle on ne saurait rester insensible. Son but fondamental étant de décrire "l'éventail des possibilités" (p. 4) qui existe pour l'emploi du syntagme gérondif, l'auteur renonce à une exploitation statistique de son corpus. C'est là une prise de position compréhensible, mais aussi quelque peu regrettable. Nul doute que certains aspects des problèmes analysés, surtout l'aspect séquentiel des formules étudiées, n'eussent considérablement gagné à être présentés dans une perspective statistique.

Dans le Stand der Forschung décrit dans le premier chapitre, J-O. H. examine, ce qui a déjà été dit par les spécialistes sur le gérondif français. Elle étudie d'abord quelques grammaires à l'usage des francophones (Dubois et Lagane, Wagner et Pinchón, Grammaire Larousse, Damourette et Pichón, Frei, Brunot, Le Bidois et Bonnard), à qui une étude particulièrement détaillée est réservée. Elle analyse également trois grammaires modernes du français langue étrangère (Mauger, Togeby, et Pedersen, Spang-Hanssen et Vikner) et termine son exposé par une présentation fort intéressante des études spécialisées, thèses et articles (Weerenbeck, de Boer, S. Lyer, A-J. Henrichsen, S. Schmidt-Knàbel, H. Gettrup, J. P. Dècle, B. Moortgat et O. Posander). Il est extrêmement précieux que J-O. H. ait réuni et présenté avec ses commentaires critiques toute cette documentation, où se reflètent clairement des points de vue très opposés et où se profilent des théories controversables. Pour qui souhaite s'initier aux mystères du gérondif français moderne, cette introduction est un instrument de travail non seulement utile et nécessaire, mais vraiment, nous semble-t-il, obligatoire.

Le chapitre consacré à la description morphologique du gérondif est le plus court des trois chapitres descriptifs de la thèse. La définition du gérondif que nous propose J-O. H. est très claire et exclut formellement toute confusion avec le participe présent. Elle définit provisoirement, (p. 48) le gérondif comme "un syntagme comportant au moins les trois éléments suivants:

1 - l'élément en

2 - un radical (ou thème) verbal r{ V)

3 - l'élément -ant

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1 et 3 sont fixes; 2 seul est variable. Ces trois éléments, dans cet ordre, sont les constituants nécessaires et suffisants à la formation du gérondif, qui, dans sa forme minimale, peut "ne comporter qu'eux". Suit alors une discussion du statut de l'élément en, et une analyse d'un problème qui, au premier coup d'œuil, peut paraître marginal, mais qui se révèle intéressant: La répétition de en dans le cas des gérondifs coordonnés. 18 exemples, dont quelques-uns fort bien choisis, permettent à J-O. H. de nous présenter des interprétations excellentes. Sont également analysés quelques cas de "non-gérondifs" c'est-à-dire, "des syntagmes qui, par leur forme extérieure, pourraient être confondus avec des gérondifs" (p. 387) du type "il n'arrivait pas dans la ville en mendiant mais en homme libre" (p. 65).

La définition morphologique du gérondif que nous propose J-O. H. veut donc que trois éléments formels, dont le premier est la préposition en, soient obligatoires pour la formation du syntagme gérondif minimal. On peut donc se demander si la construction périphrastique aller + (en) + -ant, ne devrait pas être exclue d'une thèse sur le gérondif, cette périphrase ayant ceci de particulier que l'élément en y est facultatif (aller croissant, aller en décroissant). Le problème mérite d'être signalé, mais ne se résout probablement pas dans une perspective logique. La périphrase représente un casa part,et J-O. H. a raison, pensons-nous, quand elle soutient, (p. 303) qu'elle est "une survivance littéraire d'un état de langue où l'emploi du gérondif et du participe présent ne répondait pas aux mêmes règles qu'aujourd'hui".

Le troisième chapitre de la thèse de J-O. H. est consacré à la description syntaxique du gérondif et du syntagme gérondif. C'est un chapitre bien structuré avec ses cinq souschapitres, précédés d'une introduction et suivis d'une conclusion. Quatre des cinq souschapitres sont bien réussis, seul le quatrième, réservé à l'étude des charnières, est à notre avis, nettement moins clair que les autres.

Dans le grand chapitre syntaxique, J-O. H. se propose, sur le plan général, d'étudier "quels rapports cette unité linguistique (le gérondif) entretient avec les autres éléments constitutifs de la phrase, de cerner son statut syntaxique" (p. 69). Ces rapports syntaxiques étant au nombre de trois: coordination, fonction et subordination, J-O. H. réserve, corollairement, trois sous-chapitres à l'étude des latitudes coordinatoires, des latitudes fonctionnelles et des latitudes subordinatoires du syntagme gérondif. Les titres des deux premiers sous-chapitres sont révélateurs: "Les latitudes coordinatoires respectives du syntagme gérondif et du syntagme participe présent", et, "Les latitudes fonctionnelles respectives du syntagme gérondif et du syntagme participe présent". On constate donc, avec quelque étonnement, que dans ces deux sous-chapitres est réintroduite la perspective comparative, que l'auteur, dans son introduction, déclare avoir abandonnée. Loin de nous l'idée de vouloir reprocher à l'auteur ce retour inattendu à la tradition, car ces deux chapitres sont organisés avec une clarté magistrale. Sans entrer dans tous les détails analysés, nous tenons pourtant à souligner que l'étude des latitudes coordinatoires respectives du syntagme gérondif et du syntagme participe présent montre avec éloquence et autorité que le gérondif est une unité linguistiqueradicalement différente du participe présent, les gérondifs étant "coordonnables" à un adverbe, une locution adverbiale ou à un syntagme prépositionnel à fonction adverbiale, tandis qu'un participe présent ne saurait être coordonné qu'à un adjectif, un participe passé ou une construction absolue. Le syntagme gérondif est donc avant tout un "syntagme à fonction adverbiale" (p. 86). "Comme tous les adverbes..., le SG se rattache à un noyau auquel il est subordonné..." C'est l'étude comparée des noyaux possibles du gérondif et du participe présent qui remplit le deuxième sous-chapitre. Le gérondif a pour noyau un verbe,

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fini ou non-fini, un participe présent, un autre gérondif, un participe passé, une locution à fonction adverbiale et un substantif, tandis que le syntagme participe présent est une expansion facultative d'un noyau nominal, ou sert de deuxième élément d'une construction absolue. Particulièrement intéressante est aussi l'étude sur les gérondifs "sans noyau", où le gérondif est considéré comme un élément de synthème prépositionnel (en passant par), comme un élément de synthème conjonctionnel (en supposant que), et comme un adverbe de phrase (en attendant). Dans le dernier sous-chapitre, J-O. H. analyse la structure interne du syntagme gérondif. Elle décrit les éléments susceptibles de figurer entre en et r(V)-ant, c'est-à-dire, les trois séries de formes possibles:

1) le premier élément de la négation: ne

2) les formes conjointes des pronoms personnels: me, te, se, la, le, lui, nous, vous,
les, leur

3) les formes des pronoms adverbiaux en et y.

Elle décrit aussi les expansions susceptibles de figurer à droite du syntagme gérondif, c'està-dire, "toutes les expansions qu'admettent les verbes en général" (p. 173). Le chapitre se termine par une analyse intéressante de la question du "sujet logique" du gérondif, sous-chapitre qui, de façon élégante, effectue la transition entre le domaine syntaxique et le domaine sémantique du chapitre suivant.

C'est pourtant le chapitre consacré à la description sémantique du syntagme gérondif
qui est le plus long de la thèse. Comme le chapitre syntaxique, il est bien structuré en
sous-chapitres, six au total.

J-O. H. passe d'abord en revue les tentatives d'analyse faites par ses prédécesseurs en ce qui concerne la valeur circonstancielle du gérondif. C'est une présentation fort intéressante et très détaillée d'un problème épineux. Combien de valeurs circonstancielles peut-on vraiment attribuer au gérondif? Y en a-t-il réellement neuf, comme le prétend Grevisse? J-O. H. discute les différentes prises de position, et nous montre que le problème controversable le plus débattu est la valeur prétendument causale de certains gérondifs. Le gérondif, est-il susceptible d'exprimer la cause, comme l'indique Grevisse, le fait-il seulement par "le biais du moyen", comme le soutient Togeby, ou ne sait-il pas du tout exprimer la cause, comme le disent carrément certains grammairiens modernes, dont Pedersen, Spang- Hanssen et Vikner?

Bien que cette introduction à la description sémantique du syntagme gérondif soit naturelle et nécessaire, J-O. H. pense, et avec raison, que la question des valeurs circonstanciellesdu gérondif est mal posée. Ce qui lui paraît plus pertinent que d'analyser, dans la perspective traditionnelle, les valeurs circonstancielles éventuelles du syntagme gérondif, c'est d'étudier les rapports qui existent entre le gérondif et son VP, c'est-à-dire, le noyau verbal auquel il est subordonné, car l'interprétation dépend des rapports sémantiques entre les deux verbes en jeu: Les deux racines verbales ne se trouvent pas sur le même plan syntaxique, le gérondif étant subordonné au VP. Tout dépend de l'éventail des possibilités réalisables dans chaque construction concrète. Les deux racines verbales rapprochéesdans le SG et le VP réduisent le nombre des interprétations théoriquement possibles, tout en permettant un certain éventail d'interprétations. Ayant constaté que l'analyse traditionnelle des valeurs circonstancielles aboutit à une "atomisation infertile" (p. 256), J-O. H. déclare son intention de proposer une nouvelle classification, qui a pour principe de respecter le type de relations logiques possibles à l'intérieur du couple VP-gérondif.

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J-O. H. dégage tout d'abord deux grandes sous-catégories, "appelées respectivement les gérondifs A et les gérondifs B, selon qu'on peut ou non parler de rapport logique entre les situations respectives exprimées par le VP et le gérondif: les gérondifs A entretiennent un rapport logique avec leur VP, et qui plus est, on a vu qu'il s'agissait d'une antériorité logique" (p. 389), ce qui veut dire que "la situation exprimée par le gérondif est logiquementantérieure à la situation exprimée par le VP. Les gérondifs B n'entretiennent pas de rapport logique avec leur VP, mais présentent "une relation de pure concomitance avec lui" (p. 389). Dans cette catégorie, il y a normalement coréférence des sujets. Deux variantes, appelées A1 et B1 introduisent deux nouveaux types de rapport entre VP et gérondif, à savoir un rapport d'équivalence (A1) et un rapport d'hyponymie (B1). Le grand chapitre sémantique soutient aussi que l'opposition statique/dynamique, opposition jamais proposée avant, est très importante. La thèse de J-O. H. est que "dans un système VP-gérondif, ..., on doit nécessairement trouver un élément de dynamisme qui permette l'emploi du gérondif. Cet élément vient en général du sémantisme du VP (verbe d'état et non d'action) mais peut aussi venir d'un autre élément du contexte, comme le temps du VP, le sémantisme des expansions", etc. (p. 392).

La thèse de Jane-Odile Halmoy est une œuvre qui brille par de nombreuses qualités. C'est une œuvre de réflexion scientifique et de présentation pédagogique. C'est aussi une œuvre d'une riche documentation. 972 exemples sont cités avant l'appendice, qui, à son tour, cite 221 exemples. Cet aspect "empirique" de la thèse lui assure une grande solidité. Les commentaires qui suivent les exemples sont parfois de vraies perles.

C'est Guiraud qui a dit quelque part que "en grammaire, tout est à refaire - et toujours". Faisons toutefois une exception importante. Nous ne pensons pas qu'il soit nécessaire dans un avenir prévisible, de reprendre l'étude du gérondif. La thèse de J-O. H. est là, et elle sera, pour de longues années à venir, une source d'information, de réflexion et d'inspiration pour tous ses collègues. Terminons simplement en la remerciant et en la félicitant de son importante contribution à l'étude du gérondif.

Oslo