Revue Romane, Bind 20 (1985) 1

Zur Semantik des Franzôsischen. Beitràge zum Regensburger Romanistentag. Herausgegeben von Helmut Stimm und Wolfgang Raibler. Zeitschrift fur franzòsische Sprache und Literatur - Beiheft 9, Franz Steiner Verlag GMBH Wiesbaden, 1983. 115 p.

Henning Nølke

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Les huit articles de ce volume trouvent leurs origines dans les communications présentées
à la section "Semantik" du Regensburger Romanistentag en septembre 1981. Ils ont profité

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plus ou moins des discussions qu'ils ont inspirées à cette occasion. Wolfgang Raibler les a organisés de manière à obtenir une certaine continuité: les premières contributions se tournent vers les problèmes fondamentaux de la théorie sémantique, alors que les dernières abordent des questions plus spécifiques. Cet ordre est justifié dans l'introduction compréhensiverédigée par Raibler, dans laquelle il résume, analyse et critique tous les textes. Il s'agit en fait d'un compte rendu très détaillé du recueil; et le lecteur profitera certainement plus encore de cette excellente introduction, s'il ne la lit qu'après avoir lu les huit articles en question, qui sont les suivants:

Hans-Martin Gauger: "Bedeutung und Bezeichnung" (p. 25-29).

Gerold Hilty: "Der distinktive und der referentielle Charakter semantischer Komponenten"
(p. 30-39).

Klaus Heger: "Zum Verhàltnis von Semantik und Noematik" (p. 40-44).
Otto Gsell: "Bemerkungen zu den lexikalischen Solidaritéten"' (p. 45-53).

Georges Lùdi: "Bemerkungen zum Verhàltnis von Verbalsemantik und Kasustheorie"
(p. 54-70).

Horst Geckeler: "Lexeme ohne Antonyme" (p. 71-79).

Bruno Staib: "Antonymische Relationen bei sekundàren Verben" (p. 80-91).

Bernd Kielhôfer: "Die Entwicklung von Bedeutungen in der franzôsichen Kindersprache"
(p. 92-115).

En raison de l'organisation du volume, je traiterai des articles dans l'ordre donné, tout
en commentant en même temps les remarques fort pertinentes que fait Raibler dans son
introduction.

On distingue depuis Aristote le contenu d'une expression linguistique ('significatum') de la chose extra-linguistique à laquelle renvoie cette expression ('designatum'). C'est souvent pour désigner cette distinction peu contestable que l'on se sert des termes Bedeutung und Bezeichnung. Il existe pourtant un autre emploi des deux termes: celui que l'on trouve chez Coseriu, pour lequel le 'Bezeichnung' est un élément de l'acte d'énonciation. Gauger démontre d'abord combien cette conception est équivoque et dresse ensuite un inventaire des problèmes qu'elle rencontre. Il en arrive à la conclusion suivante: "Die Semantik kann auf sie nicht als auf etwas Festes und in jeder Hinsicht Geklartes ohne weiteres zuriickgreifen" (p. 28). L'essentiel est de comprendre que c'est déjà dans la langue que le mot se réfère à la chose extra-linguistique. Il ne se réfère pas à une chose individuelle, bien entendu, mais à une classe de mots; ainsi on pourrait dire que la chose n'existe qu'à l'intérieur d'une langue donnée. En revanche, il ne faudra pas confondre, dit Gauger, le contenu d'un mot avec son 'Bedeutung'. Cette remarque mène l'auteur à conclure que ce que Saussure appelle "signifié" est en réalité un "signifiant".

L'article de Gauger constitue une analyse limpide du couple notionnel classique; sans aboutir cependant à une conclusion positive, me semble-t-il. En revanche, une telle conclusion est proposée par Raibler qui introduit la notion de modèle. Le premier modèle est le "'Vorstellung'" (le concept), qui est en principe inter-linguistique, et le deuxième modèle est le 'Bedeutung', qui, lui, serait intra-linguistique. Le deuxième modèle est un modèle du premier. Cette notion de modèle semble en effet apte à traiter les problèmes énumérés par Gauger.

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Gerold Hilty se propose de démontrer le caractère à la fois distinctif et référentiel des sèmes. Les sèmes ne seraient pas seulement les 'traits sémantiques distinctifs minimaux' d'une langue donnée, mais on pourrait aussi les concevoir comme des "éléments abstractifs reflétant certains aspects de la réalité extralinguistique" (p. 30), et en ce sens ils feraient preuve d'un caractère référentiel. Après avoir rappelé et précisé les relations essentielles qui existent d'une part entre SIGNIFICANS et SIGNIFICATUM (le domaine du virtuel) et d'autre part entre NOMEN et NOMINANDUM (le domaine de la réalité), l'auteur montre le double caractère du sème à l'aide d'une analyse sémantique du verbe voler (verbe de mouvement) qui est polysémique. On peut distinguer huit sèmes différents dans ce lexème. Il n'y a rien d'étonnant à cela, car, comme le note Hilty, les langues naturelles ne connaissent guère de lexèmes monosémiques. L'essentiel, c'est que les caractéristiques sémantiques des sèmes sont dans une large mesure de nature référentielle. Après avoir fait ressortir ainsi l'importance de la composante sémantique référentielle par rapport à la composante purement distinctive, Hilty conclut par une promesse: "In Zukunft werdc ich konscquent scheiden zwischen - distinktiven - Semen und referentiellen - semantischen Merkmalen" (p. 39).

Il est sans aucun doute très important de souligner comment, en un sens, le monde extérieur est engendré dans les lexèmes. Dans la linguistique structurelle, on n'a que trop souvent négligé cette évidence - et à tort. On peut pourtant se demander si les arguments qu'avance Hilty sont vraiment des arguments contre la conception des sèmes comme 'traits sémantiques distinctifs minimaux'. Une notion théorique telle que 'sème' ne peut exister en dehors du système auquel elle appartient, et discuter de son contenu "extra-théorique" n'aurait aucun sens. Cependant, il me semble que c'est là exactement ce que fait Hilty. Sa dernière remarque laisse d'ailleurs entendre qu'il s'en rend parfaitement compte luimême; et considéré comme une précision de l'extension à attribuer à la notion de sème, son article représente une importante contribution à la discussion des problèmes fondamentaux de la théorie sémantique.

La contribution de Hegeler consiste en une seule phrase qui s'étend sur cinq pages. Cette forme - qui représente une vieille tradition juridique remontant jusqu'à la Loi romaine - ne facilite pas le travail du lecteur. Heureusement celui-ci peut se référer à l'introduction de Raibler qui est bien plus intelligible. Hegeler établit, pour ainsi dire, une loi de la sémantique comparative. Celui qui compare deux langues doit nécessairement se servir d'un tertium comparañones. C'est là en effet la fonction de la noématique. Il s'ensuit qu'une noématique "pure" n'aurait aucune raison d'être. Il faut néanmoins que la construction de la noématique soit tout à fait indépendante des langues particulières qu'elle doit "comparer". Chaque ressemblance avec la réalité serait donc fortuite. Le système total comprendra quatre composantes: (i) une paradigmatique sémantique qui, pour chaque langue, établit les paradigmes sémantiques, (ii) une noématique, (iii) une analyse sémasiologique qui prépare la projection de l'analyse sémantique de la langue particulière sur la noématique, et enfin (iv) la projection onomasiologique de (iii) sur (ii). Il ressort de ce système que l'indépendance de la noématique par rapport à la "réalité" est purement théorique. En pratique, Raibler a évidemment raison en concluant "Die Àhnlichkeiten sind bei einer wirklichkeitsnahen, d. h. brauchbaren noematischen Systematik eben doch nicht vòllig zufàllig" (p. 9).

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Après avoir présenté dans une courte introduction le traitement qu'a proposé Coseriu sur la notion de solidarité lexicale (désormais SL), Gsell aborde ce problème en trois étapes. Dans la première, il modifie un peu les trois règles relatives à la cooccurrence de signes appartenant à des classes différentes. En tant qu'hypothèse de travail, Gsell propose ceci: (i) En ce qui concerne la combinaison de certains types de syntagmes (il reste à préciser lesquels), SL est une condition nécessaire mais pas suffisante, (ii) Dans certains cas (qu'il précise), la cooccurrence de lexèmes entre lesquels la SL existe paraît tautologique. (iii) La cooccurrence de lexèmes SL est toujours facultative là où elle n'est ni obligatoire selon la première règle ni tautologique selon la deuxième. Dans la deuxième étape, il aborde le problème de la distinction syntagmatique/paradigmatique, et enfin, dans la troisième, il essaie de délimiter la SL par rapport à la congruence sémantique.

Je suis d'accord avec Raibler pour penser que les réflexions que fait Gsell dans la deuxième partie sont d'un intérêt particulier. Il démontre de manière convaincante que non seulement les SL sont syntagmatiques — sur ce point tout le monde est d'accord — mais qu'elles sont en même temps paradigmatiques. Ou plutôt: elles sont "weder syntagmatische noch paradigmatische, sondern interparadigmatische Inhaltsstrukturen (Relationen zwischen Teilmengen aus verschiedenen Distributionsklassen des Lexikons)" (p. 48). Ensuite il rappelle le fait que Saussure a parlé des notions 'syntagmatiques' et 'associatives'; c'est seulement plus tard que Hjelmslev a remplacé 'associatif par 'paradigmatique', effectuant ainsi une réduction notionnelle importante. On peut en effet se demander, tout comme Gsell, si l'on n'aurait pas mieux fait de garder la disctinction saussurienne qui, quoique de nature plus psychologique que linguistique immanente, semble plus apte à traiter des faits linguistiques. Ce point de vue force Gsell à essayer de délimiter les SL par rapport aux congruences sémantiques, qui sont, elles, (probablement) de nature paradigmatique au sens strict du terme. La conclusion à laquelle arrive Gsell est que les SL constituent un cas particulier des congruences sémantiques. Il serait intéressant de développer cette idée dans des analyses sémantiques plus poussées.

L'article de Ludi est tellement riche d'observations qu'il est impossible d'entrer dans les détails. L'auteur présente d'abord un aperçu bref mais précis de la littérature qui existe sur la grammaire des cas et des actants, tout en effleurant la théorie des valences qui y sont apparentées. Sa propre contribution est de distinguer d'abord "Argumentsfunktionen", notion interlinguistique, et "Mitspielerfunktionen", notion intralinguistique. Ensuite il soutient que les derniers ne sont pas des primitifs sémantiques mais au contraire le résultat de concaténations d'"Argumentsfunktionen" ayant la même référence. Partant de cette hypothèse, il est en mesure de critiquer de manière constructive les théories existantes, tout en les comparant entre elles. Notons en particulier sa critique bien argumentée sur la manière dont on attribue souvent les rôles sémantiques aux arguments (vides). Son travail peut en effet être considéré comme un argument en faveur d'une grammaire cornponentielle(comme par exemple la "PC-Grammar" (Korzen et alii (1983): "PC-Grammar: An alternative?" Acta Linguistica Hafniensia)). Ludi esquisse ensuite, à l'aide d'une analyse du verbe nager (pourquoi s'agit-il toujours dans ces analyses de verbes de mouvement?), comment on peut (ou doit) intégrer la notion d'actant dans l'analyse sémique. Au cours de cette démonstration, l'auteur introduit un peu de formalisme, qui est critiqué à juste titre par Raibler, et qui d'ailleurs révèle une certaine tendance localistique. Au lieu d'entrer dans une discussion au sujet de ces détails, j'aimerais terminer ce bref compte rendu en

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citant l'hypothèse (qui est présentée comme une hypothèse de travail) et à laquelle aboutissentles considérations de l'auteur: "... die Kasusformen im weitesten Sinn, zusammen mit den grammatikalischen Relationen, welche sie anzeigen, (kô'nnen) auch semantischfunktionnelleInformationen tragen" (p. 68).

La relation d'antonymie lexicale est un sujet dont les sémanticiens se sont souvent occupés. Geckeler a étudié trois catégories de mots (les adjectifs, les verbes et les substantifs) pour dévoiler dans quelle mesure ces classes renferment des lexèmes qui n'ont pas d'antonymes. Il s'avère que cette relation est assez répandue ¦ armi les adjectifs, alors qu'elle est beaucoup plus rare parmi les substantifs. L'auteur pré , .e bien des observations empiriques, et propose plusieurs explications possibles, mais, me en restant malheureusement sur un niveau intuitif. Il est évident qu'un article de neuf pages est trop court pour permettre la présentation de beaucoup de résultats, et, en effet, il est difficile de juger dans quelle mesure Geckeler a ajouté quelque chose aux analyses proposées (par exemple) par G. Leech (Semantics, Penguin Books, 1974). On pourrait également regretter le manque de certaines généralisations. A titre d'exemple: La relation taxonomique que l'on trouve à l'intérieur de la classe des substantifs, par exemple parmi les lexèmes qui désignent les métaux, semble tout à fait parallèle à celle que l'on trouve parmi les adjectifs désignant les couleurs. Dans la conclusion, Geckeler ouvre une perspective intéressante: "Die ganze Problematik kann auch unter dem Gesichtspunkt der lexikalischen Liicken aufgegriffen werden (...)" (p. 77). On sait que Geckeler travaille depuis longtemps sur la théorie des trous lexicaux; peut-on espérer lire bientôt une étude sur l'antony lexicale faite dans ce cadre théorique?

L'introduction que donne Raibler à l'article de Geckeler (et qui sert en même temps d'introduction aux deux derniers articles) mérite un commentaire individuel. Raibler évoque la théorie des oppositions déjà développée par Aristote. Il dresse un tableau synoptique et fait entrer dans celui-ci les différentes théories vues ces dernières années. Ainsi le traitement d'Aristote sert-il à systématiser, ou plutôt à classer, les recherches modernes. L'observation suivante que fait Raibler à partir de son tableau est peut-être d'un intérêt particulier: La classe 'incompatibilité à l'intérieur de l'assertion' (ex.: "il dort"/"il ne dort pas") n'est plus considérée explicitement comme faisant partie de la catégorie des oppositions. "Warum?" (P. 18).

Bruno Staib aborde la question de savoir quelles relations de forme et de contenu existent entre les verbes au préfixe de- et les verbes sans préfixe qui leur correspondent. S'appuyant sur le travail de Max Peter (ÏJber einige negative Pràfîxe im Modernfranzôsischen ah Ausdrucksmittel fur die Gegensatzbildung. Bern. 1949), l'auteur arrive à une répartition en trois grandes classes et plusieurs sous-classes. Les différents types de relations oppositives que marquent les verbes lui servent de critères. La troisième classe surtout, c'est-à-dire les "induktiv-reversiven Verben", sera soumise à une étude plus détaillée qui aboutit à une sous-classification bien argumentée. Non seulement Staib souligne bien les propriétés qui distinguent les verbes des différentes classes et sous-classes, mais il montre aussi comment ces verbes se ressemblent entre eux, et comment c'est souvent la connaissance du monde extra-linguistique qui, en dernier lieu, tranche la question de la classification. Esquissant à peine des explications sur la distribution observée, l'article de Raibler reste au plan descriptif; pourtant, grâce à son style sobre, il ferait un excellent point de départ pour une approche plutôt explicative de la sémantique du préfixe de-.

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Le dernier article se distingue des sept premiers par son approche plutôt expérimentale. Aidé par ses étudiants dans les recherches empiriques, Kielhòfer a exécuté une série de "Psychosemantische Untersuchungen am Beispiel der Dimensionsadjektive". A l'aide de tests psychologiques dits associatifs (par exemple du type: "quel est le premier mot que vous associez avec le mot petit?"), il a d'abord établi une structure psycho-sémantique des adjectifs relationnels telle qu'on la trouve chez les adultes. Cette structure reflète pour l'essentiel une structure basale de la pensée humaine, à savoir la structure des antonymies (on voit donc comment le travail de Kielhôfer s'ajoute au travaux déjà discutés). Ensuite sera abordée la question de savoir comment cette structure se développe chez les enfants. Il s'avère qu'il existe une évolution graduelle vers la structure adulte, mais passant par plusieurs stades fort intéressants. On peut par exemple observer chez les plus jeunes enfants une "sémantique enfantine" particulière, qui est souvent presque incompréhensible pour l'adulte. Ainsi, en réponse au mot mince, Kielhòfer a obtenu papa, enfant, c'est pas vrai, gros mot. La dévouverte d'une sémantique spécifique chez les plus petits enfants permet sans doute d'expliquer beaucoup de réactions étonnantes qu'a observées toute personne qui s'occupe d'enfants.

Kielhòfer fait preuve d'une conscience remarquable quant à la méthode, et son travail constitue une contribution non-négligeable aux recherches des structures psychosémantiques. Il n'aborde que des questions auxquelles il est en mesure de proposer des réponses bien fondées, et réussit en effet à apporter des justifications supplémentaires à des théories assez disparates. Ainsi ses résultats concernant l'emploi remarquable que font les enfants de six â huit ans de la négation syntaxique, corroborent les recherches accomplies par Piaget.

En guise de conclusion sur la question de la relation de l'antonymie, j'aimerais adhérer à l'avis de Raibler qui dit à propos d'un des tableaux présentés par Kielhòfer (test de l'antonymie de long): "Intéressant an dieser Tabelle ist weiterhin die Haufigkeit der Reaktion mit "II n'est pas long" (...) dies zeigt sehr schôn, dass die Ansicht des Aristóteles, zum Bereich des Entgegengesetzes gehôre auch Affirmation und Négation (...), nicht gerade als "bewusstseinsfremd" einzuordnen ist" (p. 23).

Pour conclure: Si l'on prend "sémantique" au sens strict du terme, le titre de ce volume est peut-être un peu trompeur. Il est vrai que la langue analysée est le français, mais les problèmes examinés relèvent plutôt de la linguistique générale. Les huit articles apportent en fait d'excellentes réflexions sur la théorie des signes et des relations sémantiques ou lexicologiques; ainsi, aucune personne s'intéressant à ce genre de problèmes, qu'elle soit romaniste ou non, ne doit se priver du plaisir de lire ce recueil.

Nancy