Revue Romane, Bind 19 (1984) 2

Werner Abraham, éd.: Valence, Semantic Case and Grammatical Relations. Studies in Language (Jompaníon Series, vol. 1. John Benjamins B. V., Amsterdam 1978. XIV + 729 pp.

Michael Herslund

L'ouvrage contient 27 articles, qui, avec trois ou quatre exceptions, ont été présentés à un atelier, "Case Grammar and Valence Theory", au XIIe Congrès International des Linguistes, à Vienne en 1977. Cet atelier, organisé et dirigé par l'éditeur du livre, était donc consacré à des problèmes, qui, à l'époque, étaient au centre des débats linguistiques, mais dont certains ont incontestablement perdu de leur actualité; ou bien parce que les centres d'intérêt ont changé (un phénomène de mode), ou bien parce que les problèmes discutés se sont avérés être de faux problèmes, les questions soulevées des pseudo-questions (du progrès réel donc). S'il s'agit par conséquent, en 1984, plus d'un volume partiellement d'intérêt historique que d'une intervention dans le débat actuel, il n'en reste pas moins que plusieurs des articles gardent toute leur actualité. Si la grammaire des cas, du moins telle qu'on la concevait en 1977, semble largement abandonnée comme modèle linguistique aujourd'hui, la théorie valentielle se porte beaucoup mieux; le troisième volet du titretriptyque, les relations syntaxiques, n'a jamais, bien entendu, cessé de jouer un rôle crucial dans la linguistique.

Le livre est divisé en trois parties, comme l'indique déjà son titre. Après une brève introduction de l'éditeur, la première partie aborde les problèmes concernant la grammaire valentielle. Le sous-titre de cette partie: "Valence: From Heuristic Problems to a Strietly Defined Notion of Valence-Boundness", circonscrit d'emblée l'envergure des problèmes soulevés. Neuf articles constituent cette première partie. Les six premiers sont consacrés à différents problèmes empiriques de la description valentielle: B. Abramov, "Über einige Regularitàten in den Valenzeigenschaften der verbalen Streckformen vom Bautyp "Pràpositionalenominale Komponente + verbale Komponente" (in Bewegung sein, kommen, bringen)", essaie d'établir une typologie de ces expressions. Les deux articles suivants, H. Bluhm: "Über kommunikative Notwendigkeit und Valenz" et H. Vater: "On the Possibilityof Distinguishing between Compléments and Adjuncts", abordent ce qui est depuis toujours le problème central de la grammaire valentielle: étant donné que la grammaire valentielle pose que tout verbe sélectionne un certain nombre et type de membres nominaux (et/ou prépositionnels), ses actants. comment peut-on, dans la pratique descriptive, distinguerentre ces actants et les autres membres de la phrase, non sélectionnés par le verbe,

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les circonstants, et à l'intérieur du groupe des actants, entre les actants obligatoires et les actants facultatifs, si une telle distinction est réellement justifiée? L'article de Bluhm attire l'attention sur l'importance des facteurs pragmatiques pour la deuxième question, tandis que Vater passe en revue les critères, malheureusement pas tous, qui ont été proposés pour opérer la première disctinction mentionnée, celle qui existe entre actants et circonstants. Il faut croire que la discussion de l'atelier a eu pour effet de rehausser le moral de Vater, puisque son intervention à Vienne avait pour titre: "Zur t/>?mòglichkeit der Unterscheidung von Ergànzungen und Angaben". Net progrès donc. En ce qui concerne le fond du problème, qui reste entier jusqu'à ce jour, je trouve que la contribution de Vater, bien qu'extrêmement utile, aurait pu être plus constructive si elle avait pris au sérieux le programme même de la grammaire valentielle et proposé des critères qui découlent logiquement de la définition même de valence. Ce défaut est commun à toutes les descriptionsvalentielles que je connais, et ce sont celles-là que discute Vater: parmi tous les critères proposés, suppressions, substitutions, permutations, etc., il y en a à peine quelques-uns qui ont un rapport direct avec la notion de valence, la dépendance lexicosyntaxiquedu nom par rapport au verbe. Il me semble pourtant assez évident que c'est là qu'il faut commencer à chercher le bon critère heuristique, s'il existe! Suivent trois articles sur des points empiriques divers: R. Ruzicka "Three Aspects of Valence", B. Hesse "Valenzgrammatische Untersuchungen zu fakultativen Spezialisierungen im Franzòsischen" et A. Rothkegel "Valence Frames in Standard Form and Corresponding Frames of IndividualLanguages". Les trois derniers articles, J. Ballweg "A Reconstruction of the Notion of Valence within a Grammar with a \-Categorial Base", H. Gù'nther "Valence in Categorial Syntax" et H. Frosh "On Valence-Binding Grammars" essaient tous de définir la valence dans le cadre d'une théorie grammaticale formalisée: la grammaire catégorielle. Malgré beaucoup d'observations justes et malgré la précision descriptive obtenue par la formalisation,le problème heuristique fondamental, c'est-à-dire comment savoir si, dans une phrase donnée, tel membre nominal est un actant ou un circonstant, n'est pas résolu, car, comme le dit J. Ballweg: "It (la définition de la valence) leaves the whole burden of the empirical foundation of valence-boundness to the empirical motivation of the lexicalization functions in our lexicon 11. In the absence of sound empirical and independenî motivation our définition of valence-boundness will be empirically vacuous and will be no more than a statement about our formalism" (p. 107; c'est moi qui souligne). Ce qui ne doit pourtant pas faire douter de l'utilité de la formalisation, cf. H. Giinther: "That is, the présent définitionof valence is not a discovery procedure of any sort. However, it makes explicit, in definitional terms, what I am talking about when I talk about valence. It seems useful to restrict our vocabulary and its pragmatic rules in such a way that the linguistic term valence is used only in the way proposed above. This does perhaps not solve problems, but it prevenís us from investigating unnecessary ones" (p. 151; c'est moi qui souligne).

La deuxième partie contient dix articles consacrés à la grammaire des cas et intitulés: St. Fink "Case Grammar and Valence Theory at a Stalemate? Their Relevance for SemanticMemory", H. U. Boas "Lexical Entries for Verbs in a Contrastive Lexicon English- German", U. Figge "Semantische Verknù'pfungen und Kasus", D. Willems "A la recherche d'une grammaire des cas. Ses rapports avec la syntaxe et le lexique", A. P. Omamor "Case Grammar and Viability", W. A. Cook "A Case Grammar Matrix Model", E. L. Blansitt Jr. "Stimulus as a Semantic Role", G. Radden "Can 'Area' Be Taken out of the Waste- Basket?", R. Dirven "Defining Semantic Roles in Derived Adjectives", et J. Pleines "Ist der

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Universalitàtsanspruch der Kasusgrammatik berechtigt?". Comme j'estime que la grammaire des cas, modèle 1977, n'a aujourd'hui qu'un intérêt purement historique, en particulier les questions, débattues avec fougue à l'époque, sur le nombre et la nature des cas, je n'apporteraipas de remarques critiques à ces articles. Pour l'étude du français, il y a pourtant lieu de signaler l'article de D. Willems; mais pour une évaluation plus complète, il vaut mieux se reporter à son livre Syntaxe, lexique et sémantique. Les constructions verbales, Gand 1981.

La troisième partie, "The Interlocking of Coding and Control Features with Grammatical Relations", comprend sept articles: I. Rosengren "Die Beziehung zwischen Semantischen Kasusrelationen und Syntaktischen Satzgliederfunktion: Der freie Dativ", T. C. Potts "Case-Grammar as Componential Analysis", St. Starosta "The One Per Sent Solution", T. J. Klokeid "Nominal Inflection in Pamanyungan", N. E. Collinge "Restructuring of Noun-Cases in Syntax. Why 'anti-' Will not Do", J. A. Edmonson "Ergative Language, Accessibility Hiérarchies Governing Reflexives and Questions of Formai Analysis" et J. Andersen "On thè Derivative Status of Grammatical Relations". Ces articles ont ceci de commun qu'ils attaquent les questions concernant les rapports entre les rôles sémantiques, les cas si l'on veut, et les relations syntaxiques, sujet, objet, etc., donc les questions de codage de l'information sémantique. J'ai lu avec un intérêt particulier l'article de Rosengren sur le datif libre (ou datif étendu) en allemand; l'auteur suggère que cette relation est une relation entre un argument (un patient) et une proposition. Autrement dit, et pour traduire en français, tandis que le complément datif de Jeanne luì a tendu la bouteille, à Jean représente une relation entre le prédicat 'tendre' et l'argument 'Jean', celui de Jeanne lui a ouvert la porte, à Jean traduit la relation entre la proposition entière 'Jeanne a ouvert la porte' et l'argument 'Jean'. Les deux articles de Potts et de Starosta prennent aussi leur point de départ dans la grammaire des cas, tandis que les trois articles de Klokeid, de Collinge et de Edmondson sont consacrés aux problèmes soulevés par l'analyse des langues ergatives, partiellement dans le cadre de la grammaire relationnelle (Relational Grommar). S'il y a lieu de signaler un de ces articles plutôt qu'un autre, j'opterai pour la contribution de Collinge: écrit selon la meilleure tradition britannique, cet article, plein d'humour, de sain scepticisme et d'érudition, forme une lecture particulièrement agréable et contient des propositions fort intéressantes sur les différents procédés de codage qu'ont à leur disposition les langues naturelles. Aux amateurs de l'humour dans les textes linguistiques, je peux aussi recommander l'article de Starosta. L'article de John Anderson essaie de montrer que la fonction d'objet indirect n'a aucun rôle à jouer dans la grammaire de l'anglais; tout découle des relations casuelles sous-jacentes.

L'éditeur du livre, Werner Abraham, donne en épilogue un bon résumé des questions traitées, "Valence and Case: Remarks on Their Contribution to the Identification of Grammatical Relations", et indique des pistes importantes pour les recherches futures. Même si la linguistique d'aujourd'hui peut sembler dominée par l'école de Chomsky (GB Theory), il existe d'autres approches, et il existe avant tout des problèmes qui sont peu ou pas du tout étudiés dans ce cadre. Le présent volume est là pour nous le rappeler, en rassemblant des articles d'observations différentes, parmi lesquelles la grammaire valentielle et la grammaire relationnelle constituent toujours des approches viables et prometteuses.

Copenhague