Revue Romane, Bind 19 (1984) 2

Michael Herslund: Fransk Fonologi. Trondheim, Tapir Forlag 1983. 107 p.

Jørn Westengaard-Holm

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Ce manuel est écrit en danois pour être utilisé dans l'enseignement de phonétique française à l'Université de Trondheim (Norvège). Son sujet est avant tout - ce qu'annonce le titre - la Phonologie Française. L'aspect phonétique est réduit au minimum nécessaire à l'inventaire et aux règles phonologiques, et, dans la préface, Michael Herslund (MH) renvoie, pour qui veut en savoir plus long, à la pratique du laboratoire de langues (ce qui est surtout vrai pour la phonétique segmentale, tandis que le chapitre final, sur la prosodie, étudie très minutieusement les différents types d'intonation). L'aspect orthoépique (les règles pour la prononciation en fonction de l'orthographe) est presque totalement omis et le lecteur est renvoyé à d'autres manuels de phonétique française, plus précisément au "Fransk Fonetik" de O. Kongsdal et al. (inéd.). Comme remarque MH, à cause de l'absence de ces deux aspects, le manuel se prête moins bien à l'étude libre (sans surveillance) des débutants, en revanche, il est évident que ces omissions rendent la lecture bien plus passionnante.

Le livre se compose de cinq chapitres, dont le premier contient une précision du français
standard, une description de la langue comme moyen de communication et finalement
une présentation de deux des disciplines linguistiques, la phonétique et la phonologie.

Le chapitre II traite les termes articulatoires: les désignations des différents lieux et
manières d'articulation.

Le chapitre 111 présente les unités phonétiques d'importance variée: segment, syllabe,
mot et groupe rythmique.

Tandis que les trois premiers chapitres donnent surtout des introductions dans un cadre de phonétique générale, les chapitres IV et V traitent le système français. Le chapitre IV examine les segments, à commencer par les voyelles, qui sont divisées provisoirement en trois classes: les voyelles fermées, les voyelles orales non-fermées et les voyelles nasales. Les voyelles fermées ont des variantes syllabiques et des variantes non-syllabiques (règle: une voyelle fermée est non-syllabique devant une autre voyelle sauf si elle est précédée d'obstruante + liquide). Comme trois groupes de semi-voyelles phonétiques ne peuvent pourtant pas être dérivés à l'aide de cette règle, us sont considérés comme des semi-voyelles "primaires". Il s'agit Io de diphtongues phonologiques qu'on trouve précédées d'obstruante -t- liquide (/14Ì, wa, we, w£/, dans truite, trois, groin), 2°de semi-voyelles consonantiques

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d'un côté, surtout dans les mots d'emprunt (/w, j/, dans le week-end, le yacht) et de l'autre
côté du ¡il consonantique français (dans travail, fille) et 3° du [j] "son de passage", qu'on
trouve entre un [i] et une voyelle suivante (dans crier).

La classe des voyelles orales non-fermées est constituée par quatre paires, deux antérieures
/e e, 0 œ/ et deux postérieures /o o, a a/ où, cependant, MH propose un abandon
de l'opposition dans les paires /o œ/ et /a a/.

Pour les voyelles nasales, MH se borne finalement à en compter trois, vu le rendement très faible de [£]: /ë ô â/; plus tard, ces trois voyelles sont pourtant réinterprétées en voyelle + consonne nasale à la finale ou en voyelle + consonne nasale suivies de consonne nonnasale.

Le schwa, appelé ici "e caduc", est regardé comme un phonème dont le maintien et la chute sont déterminés, d'après le contexte, par des règles assez complexes, qui peuvent être exprimées très imparfaitement dans le principe suivant: le schwa est gardé là où sa chute aurait causé une accumulation défendue de consonnes. Les règles ne sont cependant pas absolues, puisque la tendance à la chute croît avec la vitesse d'élocution.

Finalement, le paragraphe donne des règles de la durée des voyelles; cette durée s'explique de trois manières: Io la durée dépend du mot (type maître); cette durée est en train de disparaître, 2° la durée dépend de la voyelle elle-même type jeûne, saute, pâte, dinde, blonde, banque) et 3° la durée dépend de la consonne suivante (type tire, treize, tige, vive, vivre).

Comparé avec la nature complexe du système des voyelles, le système des consonnes est assez simple, les seules règles qui opèrent sur les consonnes étant les règles d'assimilation de sonorité, et la seule complication dans ce système provient des mots commençant par le "h aspiré", qui sont interprétés comme des mots non pas à consonne spéciale initiale mais à voyelle initiale et en même temps exempts des règles d'elisión et de liaison.

Dans le chapitre V sur la prosodie, MH revient sur le rôle du mot et étudie les signaux qui facilitent la reconnaissance du mot dans la langue parlée: la possibilité des accents secondaires (dans on sent des gouttes mais pas dans on s'en dégoûte), les coupes syllabiques entre obstruante et liquide si elles ne se trouvent pas dans le même mot, et la syllabicité des voyelles fermées finales même si elles sont suivies de voyelle initiale, avant de s'orienter vers des mécanismes qui ont la fonction inverse, celle de cacher le mot: l'accent primaire qui lie des mots ou plutôt des syllabes sans compter les mots —en groupes rythmiques (de même les fonctions d'insistance et affective de l'accent sont traitées ici) et la liaison. La présentation de cette dernière commence par une brève stylistique, mais comme pour le schwa, MH préfère utiliser la terminologie du mouvement musical (presto — allegro — andante - adagio) au lieu d'une terminologie stylistique (styles familier - soigné - rhétorique - de récitation); il s'agit donc de vitesse, et le parallélisme entre le maintien du schwa et la présence de la liaison est explicité: plus on parle lentement, plus on garde le schwa et plus on fait la liaison.

Les "liaisons permises" sont divisées en trois groupes: liaisons obligatoires, liaisons
facultatives et liaisons rares. Les cas où on ne fait pas la liaison forment un quatrième
groupe: liaisons défendues.

La dernière partie du chapitre est consacrée à l'intonation qui est très minutieusement
étudiée.

Après ce compte rendu trop bref pour être fair-play, je vais relever quelques points
discutables dans le manuel. D'abord il faut parler terminologie: il est vrai qu'on peut utiliser

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les termes comme on veut, pourvu qu'on en définisse le sens; ce principe me semble cependant moins valable quand on donne aux termes existants un sens nouveau sans le préciser. Cela est vrai pour "commutation" utilisé ici pour "épreuve de commutation", "sonante" dont le sens est limité à "consonne sonante" et "diphtongue" devenu ici un terme exclusivement phonologique. Si, plus qu'autonome, le manuel se veut une invitation à la lecture des ouvrages de phonétique, il doit utiliser - ou du moins mentionner la terminologietraditionnelle.

Ces questions de terminologie ne posent sans doute pas de problèmes à l'intérieur du système, mais il y a des incohérences plus graves quant au "terme" C: Co = pas de/nombre arbitraire de consonnes (p. 32); Ct etC2 ne sont pas définis, mais les exemples montrent que Cj = une consonne, C2 = deux consonnes et non pas des nombres arbitraires de consonnes à partir de une et de deux. La règle pour la coupe syllabique (p. 33) montre que C = une consonne, donc C, = C, mais plus tard (p. 68) la position de la voyelle en syllabe fermée est représentée par "_C", ici donc, C = nombre arbitraire de consonnes à partir de une. C'est pourtant la description des groupes obstruante + liquide qui pose le plus grand problème, car tandis que ces groupes suivies de voyelles ont la valeur de une consonne (p. 34), cette valeur change au moment où un schwa suivant tombe (p. 61), et le schwa est gardé (ou réinséré?).

Maintenant, examinons de plus près l'interprétation de deux classes de sons: les semi-voyelles et les voyelles nasales. Comme MH fait la distinction entre les semi-voyelles vocaliques (type l'oiseau) et consonantiques (type le whisky), j'aurais aimé retrouver cette distinction dans la transcription, car bien que le [u] de l'un se prononce comme le [w] de l'autre, les deux sons ont des fonctions assez différentes pour qu'on distingue entre semi-voyelles et semi-consonnes (si on transcrit différemment les [o/ce] et le schwa, c'est plutôt à cause des fonctions différentes qu'à cause d'articulations différentes). De toute façon, il est évident qu'il ne suffit pas de classer les /w, j/ initiaux avec le "h aspiré" comme fait MH, car bien que les deux empêchent la liaison et l'élision, on entend l'apocope dans il a bu le whisky et il a vu le yacht mais pas dans U a vu le héros. Et si l'argument ne convainc pas, la paire abeille ¡abbaye montre qu'il y a commutation entre /j/ et /i/ (quand MH rejette cette paire, puisqu'on y change le nombre de syllabes avec les sons, il oublie d'expliquer que c'est là un problème qui se pose chaque fois qu'on essaie de faire l'épreuve de commutation entre consonnes et voyelles, et bien qu'on puisse démontrer la commutation entre 0 (zéro) et chaque consonne (devant [u]: où/pou/bout/tout etc.), il n'en va pas de même pour les voyelles).

Dans l'interprétation phonologique des voyelles nasales, MH oublie les exemples de -nm- (il n'existe probablement que vînmes et tînmes, et on peut se demander s'il ne s'agit pas d'analogie dans ces deux passé simple, mais cela suffit pour montrer qu'il faut distinguer entre les groupes W7V normaux et nm), mais l'interprétation /VN/ des voyelles nasales pose d'autres problèmes, car la description de [ë] comme nasalisation de toutes les voyelles antérieures ne permet pas des exemples comme affamer ¡faim, étamer/étain, gagner/gain, et la paire sain/saine devient moins illustrative si on y ajoute santé/sanitaire; bien sûr, ces problèmes sont résolubles, mais ils sont très — trop? — compliqués pour un manuel de débutants.

Pour finir, nous allons étudier les règles phonologiques pour le schwa et la liaison.
Les deux paragraphes contiennent des oublis (le schwa après voyelle n'est pas mentionné,
le défense de faire la liaison des mots à [-V] ne fait pas l'exception pour des mots à -VNC

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(type -ment)) et des règles trop catégoriques (celle qui dit qu'ayant plusieurs syllabes à schwa, on garde le premier et par la suite un sur deux des schwa, et celle qui rend la dénasalisationobligatoire quand on fait la liaison du préfixe non-, alors que ni l'une, ni l'autre ne sont vérifiables), mais en même temps une très grande force dans l'explicitation de la dépendance du style qui est valable pour le schwa comme pour la liaison, donc dans l'explicitation de l'interdépendance de style-liaison-schwa; mais même si la terminologie de "vitesses" est plus définissable que celle de "styles", je trouve discutable d'identifier celle-ci à celle-là; comme il s'agit de prononcer plus de sons (les schwa et les liaisons) quand on parle moins vite et vice versa, il n'est guère possible de parler effet et cause.

Somme toute, malgré des points discutables et les quelques erreurs évidentes, ce manuel est un ouvrage très solide, qui peut servir à rendre plus nuancé l'enseignement de la phonétique française, et qui pourrait en effet mériter d'être traduit en français pour être diffusé plus largement.

Copenhague