Revue Romane, Bind 19 (1984) 2

Aspects syntaxiques et sémantiques des adjectifs ethniques en français*

par

Inge Bartning

0 Introduction

En considérant l'ambiguïté d'un syntagme nominal comme (1) le roi anglais, qui peut être interprété comme (a) le roi d'Angleterre ou comme (b) le roi qui est anglais, il est légitime de se poser la question suivante: cette ambiguïté typique des SN à adjectif ethnique (désormais AE) doit-elle être décrite comme 1) une ambiguïté structurale, 2) un sens vague et général traduit par la paraphrase "relatif à", ou 3) un cas de polysémie, c'est-à-dire une ambiguïté lexicale?

Dans cet article, nous essaierons d'argumenter en faveur de l'ambiguïté lexicale: nous montrerons que l'existence des caractéristiques sémantiques et référentielles des syntagmes ethniques a des conséquences pour leur comportement syntaxique. Le fait qu'il y a une corrélation entre les caractéristiques sémantiques et le comportement syntaxique des N-AE confirme l'hypothèse que ces syntagmes doivent être décrits comme un système polysémique.

I Relations syntaxico-sémantiques des groupes pseudo-adjectivaux et ethniques

II est d'usage d'inclure dans l'ensemble des pseudo-adjectifs dénominaux (désormais
PA) les adjectifs ethniques, car on considère que ces deux types d'adjectifs
ont le même type de relations avec leur nom têtel.



* Cette étude a été subventionnée par Humanistisk-Samhàllsvetenskapliga Forskningsrâdet, n° F 92/82. Pour leurs précieuses remarques, je tiens à remercier Georges Kleiber, Ferenc Kiefer, Karl-Johan Danell, Kerstin Jonasson et Suzanne Schlyter.

1: La catégorie des PA a attiré l'attention des linguistes surtout pendant la dernière décennie. Elle a été étudiée sous plusieurs noms différents: pour l'anglais par Ljung 1970 (denominai adjectives) et par Levi 1978 (complex nomináis), pour l'allemand par Schàublin 1972 (Bezugsadjektive). Le terme le plus courant en linguistique romane et française est "adjectif de relation". Le terme de pseudo-adjectif a été lancé par Postal 1969, et repris en linguistique française par Zribi 1972, Ronat 1974 et Bartning 1976. Parmi ceux qui incluent les AE dans les PA, il faut citer, entre autres, Chomsky 1970, Postal 1969, Ronat 1974, Levi 1978 et nous-même. Le terme de PA a son origine en sémantique generative, où l'on considérait ces adjectifs comme des formes superficielles correspondant à des noms (génitifs) dans la structure profonde. Ainsi, on faisait dériver American de America's pour saisir les rapports synonymiques entre the American et America's attack on Cuba. Nous employons le terme de PA comme synonyme & adjectif de relation, et il ne sera question ici que des formes dénominales, telles que présidentiel, français, parisien. Parmi les critères syntaxiques et sémantiques qu'on emploie d'habitude pour isoler ces adjectifs, se retrouvent les suivants: ils n'acceptent ni l'emploi attributif, ni la modification par un adverbe de degré, ni la coordination avec un adjectif ordinaire. Ces critères ont été longuement discutés dans Bartning 1976 et seront repris dans la présente étude, notre but étant de montrer leur caractère peu opérationnel. Retenons pourtant que c'est le caractère classificatoire ou sous-catégorisateur et non-qualificatif de la relation sémantique entre le NI et son adjectif qui est décisif pour l'identification d'un syntagme pseudoadjectival. Les AE correspondent en gros aux adjectifs de nationalité ou d'origine.

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Ainsi dans (2a), syntagme pseudo-adjectival, et dans (2b), syntagme ethnique,
la relation sémantique est la même, à savoir celle de non-qualification, et la
relation "casuelle" de la nominalisation est celle de verbe-sujet:

(2a) le voyage présidentiel

(2b) le refus américain

Or, quand on regarde les syntagmes N-AE de plus près, on s'aperçoit que leur
comportement syntaxique n'est pas identique à celui des N-PA, et que les
N-AE montrent une polysémie plus grande que les N-PA.

C'est dans le but d'examiner et de déterminer le statut syntaxique et sémantique
des N-AE que nous essaierons de répondre aux questions suivantes:

— quand un AE exprime-t-il un pur rapport pseudo-adjectival?

— peut-il devenir adjectif qualificatif?

Pour pouvoir répondre à ces questions, il faut d'abord voir quelles sont les
relations où peut entrer un AE avec son nom tête. Cet examen entraîne des
questions comme les suivantes:

— est-ce la relation elle-même qui implique une interprétation pseudoadjectivale
ou qualificative dans la structure Dét-N-ÂEI

— est-ce que l'appartenance d'un AE à telle ou telle relation a des conséquences
pour son comportement syntaxique?

— I'AE en question accepte-t-il, par exemple, la position predicative? Si
oui, est-ce que cela influence l'interprétation de I'AE?

— est-ce que certaines relations admettent plus facilement que d'autres
une interprétation qualificative?

— quelle est l'influence du nom tête et celle des déterminants sur l'interprétation
du syntagme?

- quel est le rôle des propriétés référentielles de I'AE et du nom tête?



1: La catégorie des PA a attiré l'attention des linguistes surtout pendant la dernière décennie. Elle a été étudiée sous plusieurs noms différents: pour l'anglais par Ljung 1970 (denominai adjectives) et par Levi 1978 (complex nomináis), pour l'allemand par Schàublin 1972 (Bezugsadjektive). Le terme le plus courant en linguistique romane et française est "adjectif de relation". Le terme de pseudo-adjectif a été lancé par Postal 1969, et repris en linguistique française par Zribi 1972, Ronat 1974 et Bartning 1976. Parmi ceux qui incluent les AE dans les PA, il faut citer, entre autres, Chomsky 1970, Postal 1969, Ronat 1974, Levi 1978 et nous-même. Le terme de PA a son origine en sémantique generative, où l'on considérait ces adjectifs comme des formes superficielles correspondant à des noms (génitifs) dans la structure profonde. Ainsi, on faisait dériver American de America's pour saisir les rapports synonymiques entre the American et America's attack on Cuba. Nous employons le terme de PA comme synonyme & adjectif de relation, et il ne sera question ici que des formes dénominales, telles que présidentiel, français, parisien. Parmi les critères syntaxiques et sémantiques qu'on emploie d'habitude pour isoler ces adjectifs, se retrouvent les suivants: ils n'acceptent ni l'emploi attributif, ni la modification par un adverbe de degré, ni la coordination avec un adjectif ordinaire. Ces critères ont été longuement discutés dans Bartning 1976 et seront repris dans la présente étude, notre but étant de montrer leur caractère peu opérationnel. Retenons pourtant que c'est le caractère classificatoire ou sous-catégorisateur et non-qualificatif de la relation sémantique entre le NI et son adjectif qui est décisif pour l'identification d'un syntagme pseudoadjectival. Les AE correspondent en gros aux adjectifs de nationalité ou d'origine.

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Avant d'entamer la discussion sur les rapports de relation et de qualification,
regardons les AE à la lumière des faits relevés pour le groupe PA.

Comme nous venons de le dire, les PA et les AE ont ceci de commun qu'ils entretiennent avec leur nom tête un certain nombre de relations autres que celles que peuvent exprimer les adjectifs qualificatifs avec leur nom tête2. Voici quelques-unes de ces relations:


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Comme la fonction communicative des syntagmes N-PA et N-AE est d'exprimer un contenu comprimé à l'aide d'une nominalisation par exemple, il est naturel que l'on retrouve dans ces syntagmes les mêmes relations que dans des phrases complètes. Les relations dans (l)- ressemblent à celles qui existent entre les constituants d'une phrase, et peuvent se décrire à l'aide des paraphrases ci-dessous. La relation dans (5) est une relation plus "vague", paraphrasable par "concernant"3 :


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(Ces paraphrases sont décrites ci-après sous les abréviations suivantes:
(1) verbe-objet, (2) verbe-sujet, (3) objet-/AVOIR/-sujet, (4) S,V-PP/locatif/,
(5) S-PP/concernant/.)

En étudiant l'ensemble des PA français (Bartning 1976), nous avons pu constater
qu'il y a un rapport entre ces différents types de relations et la possibilité qu'a
un PA d'être employé comme attribut du sujet.

En linguistique traditionnelle ainsi qu'en linguistique generative, ces adjectifs
ont été considérés comme non-prédicatifs, c'est-à-dire comme ne pouvant pas



2: Cf. Coates 1971, p. 169, qui compare les N-PA anglais aux adjectifs qualificatifs, en constatant que ces derniers maintiennent souvent avec leur nom tête une seule relation: un livre important =*¦ un livre qui est important, un développement important => un développement qui est important. Voir pourtant note 9 ci-dessous.

3: Pour une discussion plus détaillée de l'information comprimée des syntagmes nominaux, voir Levi 1978, p. 56 ss.

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accepter la position predicative. Nous avons cependant montré que ceci n'est
pas conforme aux faits et que les PA peuvent être employés comme attribut
sous certaines conditions. Nous avons aussi proposé l'hypothèse suivante:

1. Plus la relation entre le nom et le PA est typique de celle des constituants
d'une phrase complète, moins la prédicativité est possible

Par relations typiques entre constituants d'une phrase, nous entendons par
exemple des relations telles que sujet-verbe, verbe-objet, sujet-verbe-complément
circonstanciel4.

En examinant les syntagmes (Bl) à (B5), nous avons pu constater que seul
(5) accepte l'emploi prédicatif d'une manière naturelle:

(6) II avait bien raison: le problème est politique.

Pour illustrer l'hypothèse 1, nous avons proposé l'existence d'une échelle (figure
1), où nous retrouvons les syntagmes (Bl) et (B5):


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Figure 1 : Echelle des N-PA



4: Malheureusement, nous n'avons pas trouvé de critères ou tests formels pour établir ces relations sémantico-syntaxiques, mais à l'aide de tests de paraphrase, nous avons fait contrôler par des informateurs francophones tous les syntagmes pris dans leur contexte authentique. On peut ajouter que la plupart des relations exprimées par le nom et son adjectif se retrouvent dans des applications récentes de la grammaire des cas de Fillmore, comme par exemple Kàllgren 1979. Cf. aussi Leech 1974, p. 296, qui propose une analyse présuppositionnelle des NP du type "thè Governar of Idaho is currently in London": ce NP "présuppose" que "Idaho has a governor" et cette présupposition est analysée comme une "downgraded prédication". Ces prédications sous-jacentes correspondraient ainsi aux relations sémantico-syntaxiques dans ce travail.

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Le syntagme (Bl) représente une relation typique d'une phrase "X conquiert l'espace" et le syntagme (B5) une relation plus "vague" interprétée comme "problème concernant la politique". Dans (B5) l'adjectif peut donc être prédicatif et se rapproche des adjectifs que nous avons appelés "sous-classificateurs", comme ville universitaire, et des adjectifs qualificatifs comme chanteur populaire, qui tous deux ont un comportement prédicatif naturel.

Regardons maintenant les principales relations des syntagmes N-AE. L'hypothèse
1 et l'échelle "pseudo-adjectivale" peuvent-elles aussi s'appliquer à la
description de ces syntagmes?

Disons tout de suite que l'interprétation des syntagmes ci-dessous a été faite dans leur contexte authentique. Pour ces contextes et pour les paraphrases qui correspondent aux syntagmes, voir l'appendice p. 213. Un syntagme N-AE isolé se prête facilement à plusieurs interprétationss.



5: Notre but est d'énumérer d'une façon plus ou moins exhaustive, les différents types de syntagmes N-AE en français. Comme nous venons de le dire, les mêmes syntagmes peuvent recevoir dans d'autres contextes d'autres interprétations ou nuances. Nous ne voudrions pas pour autant renoncer à un essai de classement qui permet de tirer des conclusions générales quant au comportement des N-AE. Nous nous basons sur un examen d'environ 4000 exemples de N-AE (15 AE différents) du corpus du Trésor de la langue française et sur quelques centaines d'exemples relevés dans la presse française, notamment dans le Nouvel Observateur, l'Express et l'Expansion, ainsi que sur les tests soumis à nos informateurs. Nous ne tenons pas compte, pour le moment, des syntagmes "métaphoriques" ou des syntagmes à interprétation pragmatique, comme dans: (i) Le président de la République, qui avait reçu à l'Elysée, depuis son installation le 21 mai, six chefs d'Etat africains (...) et plusieurs Premiers ministres, vient d'entamer un nouveau "mois africain" qui lui fera rencontrer, d'ici au 15 octobre, sept nouveaux chefs d'Etat. (NO 880, p. 33) (ii) Skiez en Suisse à des prix français*. (Le Monde 13/1 1979, pub. p. 17) Cf. Levi 1978, p. 102 ss.: "Into tins group /FROM/ would also fall that large groupe of CNs /complex nomináis/ that hâve proper nouns ou PPAs /proper pseudo-adjectives/ as prenominai modifiers denoting "place of origine" as in Florida orange, Israeli leather, Swiss cheese and Japanese radios.

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Figure 2 : Echelle des N-AE



5: Notre but est d'énumérer d'une façon plus ou moins exhaustive, les différents types de syntagmes N-AE en français. Comme nous venons de le dire, les mêmes syntagmes peuvent recevoir dans d'autres contextes d'autres interprétations ou nuances. Nous ne voudrions pas pour autant renoncer à un essai de classement qui permet de tirer des conclusions générales quant au comportement des N-AE. Nous nous basons sur un examen d'environ 4000 exemples de N-AE (15 AE différents) du corpus du Trésor de la langue française et sur quelques centaines d'exemples relevés dans la presse française, notamment dans le Nouvel Observateur, l'Express et l'Expansion, ainsi que sur les tests soumis à nos informateurs. Nous ne tenons pas compte, pour le moment, des syntagmes "métaphoriques" ou des syntagmes à interprétation pragmatique, comme dans: (i) Le président de la République, qui avait reçu à l'Elysée, depuis son installation le 21 mai, six chefs d'Etat africains (...) et plusieurs Premiers ministres, vient d'entamer un nouveau "mois africain" qui lui fera rencontrer, d'ici au 15 octobre, sept nouveaux chefs d'Etat. (NO 880, p. 33) (ii) Skiez en Suisse à des prix français*. (Le Monde 13/1 1979, pub. p. 17) Cf. Levi 1978, p. 102 ss.: "Into tins group /FROM/ would also fall that large groupe of CNs /complex nomináis/ that hâve proper nouns ou PPAs /proper pseudo-adjectives/ as prenominai modifiers denoting "place of origine" as in Florida orange, Israeli leather, Swiss cheese and Japanese radios.

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Les catégories de l'échelle des N-PA (fig. 1) exclues pour les N-AE sont les suivantes: industrie lainière, paraphrasé par "industrie qui produit de la laine" (S-/PRODUIT/-O), ingénieur agricole, paraphrasé par "ingénieur qui s'occupe de l'agriculture" (S-/S'OCCUPE DE/-O), travail manuel, paraphrasé par "travail fait à la main" (S,V-PP/INST/), salaire mensuel, paraphrasé par "salaire payé par mois" (S,V-PP/TEMPS/) et finalement loi constitutionnelle, paraphrasé par "loi selon la constitution" (S,V-PP/SELON/). La raison en est évidente: un AE ne peut exprimer l'idée d'un produit, d'un objet d'étude, d'un instrument ou d'une dimension temporelle. De plus, la catégorie de "sous-classification", dont les syntagmes étaient caractérisés par l'absence de relations typiques de phrases, et où nous avions classé plusieurs groupes de N-AE d'une façon préliminaire, est réanalysée ici en plusieurs sous-groupes sous VIL

Nous voyons donc qu'un certain nombre des catégories de N-PA s'appliquent
aussi à la description des N-AE. Il s'avère que l'hypothèse 1 vaut aussi pour les
N-AE. Ainsi on a du mal à accepter

(7) *la défense est européenne

tandis que

(8a) le problème est palestinien
et

(8b) le vin est italien

sont des phrases acceptables.



7: Pour l'interprétation verbe-sujet des syntagmes de ce type, voir la "note" récente de Gross 1981. Gross considère comme "équivalentes" (p. 216) la nominalisation la production française du pétrole et la phrase La France produit du pétrole. Cette équivalence justifie, selon Gross, le fait qu'un "adjectif épithètepeut être sujet d'un verbe", ce qui est le titre de sa "note". Gross signale, par ailleurs, l'absence d'études sur les syntagmes parallèles la production française vs la production de la France. Nous voudrions seulement rappeler ici que nous avons un peu abordé la question dans Bartning 1976, en particulier les hypothèses de Postal 1969 et celles de Chomsky 1970, quant à ce parallélisme. (Nous espérons pouvoir y revenir dans notre travail en cours sur les syntagmes "géographiques" N-AE et N-de-(Dét)-N.) Cf. aussi Milner 1982, p. 123 ss., le chapitre intitulé "De l'existence du sujet dans les groupes nominaux".

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Avant d'entrer en détail dans la discussion sur la prédicativité des N-AE,
nous aimerions examiner un autre facteur que celui des relations casuelles,
à savoir les propriétés référentielles du nom tête et de l'adjectif.

Dans son ouvrage sur les problèmes de référence, Kleiber (1981) fait une distinction
entre substantifs catégorématiques et substantifs syncatégorématiques(p. 39):

Les substantifs catégorématiques sont des prédicats nominaux qui présupposent un concept général catégorématique. Catégorématique, parce que ce type de concepts s'applique à (ou rassemble) des occurrences individuelles qui constituent une catégorie référentielle stable.

A l'opposé, les substantifs référentiellement syncatégorématiques présupposent des
concepts généraux dits syncatégorématiques, parce qu'ils rassemblent des occurrences
individuelles qui ne forment pas une catégorie référentielle stable, homogène.

Dans la première catégorie de noms, nous trouvons des substantifs comme chien et neige, dans la seconde des substantifs comme sagesse et blancheur, c'est-à-dire des noms dérivés. (...) Les substantifs chien et neige (...) présupposent un concept qui s'applique à des référents particuliers qu'on peut qualifier de constants, parce qu'ils constituent une catégorie référentielle homogène. (...) A l'inverse, les substantifs sagesse et blancheur peuvent connaître des occurrences particulières fort diverses: ils renvoient à une catégorie référentielle hétérogène.

Qu'une telle distinction soit pertinente nous semble être vérifié par le comportement des N-AE. On peut constater que le nom tête des N-AE exprimant des relations casuelles (groupes I-IV sur l'échelle) est un substantif syncatégorématique: défense, découverte, débarquement, intervention, refus, expérienc e6 .



8: Un des tests proposés par Kleiber 1981 pour la distinction substantifs catégorématiques / substantifs syncatégorématiques est celui de "la Hiérarchie-être". Pour le décrire très grossièrement, on peut dire que l'hypothèse de Kleiber est que seuls les substantifs catégorématiques peuvent se trouver en position NI dans la stucture Le/les/un NI est un/des N2. Kleiber donne comme exemples des substantifs syncatégorématiques sagesse et blancheur: quel N2 pounait inclure ces substantifs comme NI: *La blancheur est un NI, *La sagesse est un N2Ì Par contre, pour les substantifs catégorématiques, nous avons Le chimpanzé est un singe, Le fer est un métal, etc. Cf. nos NI des groupes I-II: *la défense/*le débarquement/*l'intervention est un N2 par opposition aux NI des groupes VI-VII (sauf Vlla) Le vin est un liquide, Les croissants sont des pâtisseries, La famille est une institution sociale. Les substantifs syncatégorématiques ne sauraient non plus figurer en position N2: *Le NI est une défense / une intervention / une expérience / un refus. L'explication du fait que les substantifs syncatégorématiques ne peuvent se placer ni dans la position NI ni dans la position N2 de la Hiérarchie-être est selon Kleiber la suivante: "(...) comme ils ne déterminent pas par eux-mêmes une catégorie d'occurrences particulières homogène, stable, ils sont réfractaires à toute taxinomie référentielle hiérarchique qui rangerait tel ou tel ensemble de référents particuliers à l'intérieur de tel ou tel autre ensemble de référents particuliers" (p. 46). — Pour une discussion des propriétés référentielles des syntagmes comme feu/morceau musical, critique musicale, voir Tamba-Mecz 1980.

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Kleiber (p. 55) caractérise les substantifs syncatégorématiques et catégorématiques quand ils entrent dans des descriptions définies: "(...) ce sont les descriptions de la forme Le NI syncatégorématique de SN2 catégorématique, où l'occurrence individuelle à laquelle renvoie la description définie tout entière n'existe que par l'existence de l'occurrence particulière à laquelle renvoie le SN2 avec substantif catégorématique." Kleiber donne, entre autres, l'exemple suivant:

(9) l'attaque des Allemands

où le substantif syncatégorématique attaque ne peut renvoyer à un réfèrent
particulier qu'à l'aide du substantif catégorématique Allemand.

Selon Kleiber, on peut montrer à l'aide d'une paraphrase qu'il ne s'agit
dans ces syntagmes que d'un seul réfèrent particulier:

(10) la blancheur de cette neige = Cette neige est blanche

(11) la colère du directeur =le directeur est en colère

Au contraire, dans les descriptions Le NI de SN2 catégorématique comme
le vélo du directeur, il reste toujours deux référents particuliers de la description
d'origine: "le directeur possède un vélo" (Notre paraphrase)

Comment mettre ce raisonnement en relation avec notre échelle et avec
la possibilité de prédicativité des AE?

Si l'on nous permet de nous exprimer d'une façon moins rigoureuse que
Kleiber, nous voudrions proposer le raisonnement suivant:

Nous venons de constater que le nom tête des N-AE à relations typiques de phrases est constitué par un substantif syncatégorématique. Nous avons vu aussi que ces substantifs n'ont pas de réfèrent particulier indépendant, mais en reçoivent un dans les descriptions définies grâce à un complément, comme dans l'attaque des Allemands, la douceur de ce drap.

Si l'on accepte qu'un N-AE défini comme (12) la défense européenne est un équivalent et un synonyme de la description définie la défense de l'Europe et qu'il a les mêmes propriétés référentielles que celle-ci, on peut dire que le nom tête défense dépend référentiellement de l'adjectif européenne. Il s'ensuit qu'il est diffìcile, voire exclu, d'émettre un énoncé prédicatif qui a comme sujet un tel substantif référentiellement "vide":

(13) * cette défense est européenne

De même: *le débarquement est britannique (V-S), *la fermeté est américaine
(Attr-être-S), *V'expérience est britannique (O-/FAIRE/-S), *la réunification
est allemande (V-O).



8: Un des tests proposés par Kleiber 1981 pour la distinction substantifs catégorématiques / substantifs syncatégorématiques est celui de "la Hiérarchie-être". Pour le décrire très grossièrement, on peut dire que l'hypothèse de Kleiber est que seuls les substantifs catégorématiques peuvent se trouver en position NI dans la stucture Le/les/un NI est un/des N2. Kleiber donne comme exemples des substantifs syncatégorématiques sagesse et blancheur: quel N2 pounait inclure ces substantifs comme NI: *La blancheur est un NI, *La sagesse est un N2Ì Par contre, pour les substantifs catégorématiques, nous avons Le chimpanzé est un singe, Le fer est un métal, etc. Cf. nos NI des groupes I-II: *la défense/*le débarquement/*l'intervention est un N2 par opposition aux NI des groupes VI-VII (sauf Vlla) Le vin est un liquide, Les croissants sont des pâtisseries, La famille est une institution sociale. Les substantifs syncatégorématiques ne sauraient non plus figurer en position N2: *Le NI est une défense / une intervention / une expérience / un refus. L'explication du fait que les substantifs syncatégorématiques ne peuvent se placer ni dans la position NI ni dans la position N2 de la Hiérarchie-être est selon Kleiber la suivante: "(...) comme ils ne déterminent pas par eux-mêmes une catégorie d'occurrences particulières homogène, stable, ils sont réfractaires à toute taxinomie référentielle hiérarchique qui rangerait tel ou tel ensemble de référents particuliers à l'intérieur de tel ou tel autre ensemble de référents particuliers" (p. 46). — Pour une discussion des propriétés référentielles des syntagmes comme feu/morceau musical, critique musicale, voir Tamba-Mecz 1980.

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Nous considérons donc le fait que le substantif est référentiellement dépendant ou "vide" comme une des raisons pour lesquelles les phrases de ce type sont impossibles. Pour l'adjectif, il s'ensuit de ce raisonnement qu'un adjectif ethnique dans ce genre de syntagme semble susceptible d'avoir un réfèrent. Si c'est l'adjectif seul, et non le nom sujet, qui a un réfèrent indépendant, il n'est pas étonnant qu'un tel énoncé prédicatif devienne inacceptable: on ne peut pas attribuer une propriété à une entité à laquelle on ne peut pas se référer.

Si maintenant nous remontons dans l'échelle (fig. 2), nous trouvons des syntagmes avec des noms catégorématiques comme villes, bases, familles, croissants, qui tous réfèrent à des occurrences particulières, et qui peuvent donc être employés comme sujets dans des énoncés prédicatifs tels que:

(14) ces villes sont allemandes ces bases sont américaines ces familles sont françaises ces croissants sont français

Disons, entre parenthèses, que cette condition sur le sujet ne suffit pas pour
une phrase predicative contenant un PA du type présidentiel: *cette maison
présidentielle.

Il faut cependant signaler quelques difficultés avec les nominalisations qui
auront peut-être des conséquences pour la distinction entre substantifs syncatégorématiques
et substantifs catégorématiques.

Il est bien connu que les nominalisations du type organisation, fermeture,
intervention sont ambiguës entre une interprétation /+action/ et une autre
interprétation /+résultat/9.

Ainsi que nous l'avons montré dans Bartning (1976), l'interprétation /^résultat/
permet la prédicativité d'un PA dans un syntagme comme organisation
syndicale. Il en est de même pour les N-AE dans (15):

(15)(a) l'intervention, dont nous parlions, était américaine
(b) cette expérience est britannique

Comment peut-on alors caractériser ces substantifs? Il nous semble que, dans
l'interprétation /+résultat/, ces nominalisations sont devenues des substantifs
catégorématiques ayant la possibilité de renvoyer à un réfèrent particulier.

Regardons maintenant le rôle référentiel de l'adjectif. En général, les linguistes



9: Cf. Milner 1982, p. 124, pour une distinction parallèle entre les interprétations "processive" et "stable" des nominalisations, comme dans j'entends le chant des enfants, qui peut signifier "j'entends que les enfants chantent" et "j'entends ce que chantent les enfants".

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n'attribuent pas de propriétés référentielles aux adjectifs et aux verbeslo. Kleiber (p. 83-84) constate pourtant que "si l'on veut exprimer le fait que des verbes comme courir, des adjectifs comme sage, blanc, etc., présupposent l'existence d'un réfèrent — ce qui ne peut être nié — on est obligé, pour l'expression de ce réfèrent, d'utiliser un syntagme nominal qui comporte une nominalisation du verbe ou de l'adjectif ou des marqueurs référentiels à la forme substantívale tels que action, propriété, caractère, état, etc.:



10: II est intéressant de noter que les linguistes commencent maintenant à s'intéresser aux propriétés référentielles des adjectifs. Récemment, Aarts & Calbert ont fait une étude originale (1979) des combinaisons A+N en anglais. Ce qu'ils-essaient de faire n'est rien d'autre qu'une classification sémantique exhaustive des adjectifs et des noms, et des relations qui existent entre eux. Nous nous permettons, pour ces remarques, de suivre en gros le compte rendu de Warren 1982. Pour déterminer le sens des adjectifs, il faut selon A & C reconnaître et distinguer deux composants différents: 1) le contenu référentiel de l'adjectif, et 2) "la valeur" de l'adjectif, c'est-à-dire l'existence d'un "relateur prédicationnel" (predicational relator). Dans "wealthy man" par exemple, le contenu référentiel est "wealth" et le "relateur prédicationnel" est une expression verbalisée "having", "possessing". La paraphrase du syntagme devient alors "man possessing wealth". D'autres "relateurs prédicationnels" sont EXPERIENCE et CAUSE. A & C prétendent aussi que le critère crucial traditionnel entre AQ et PA (chez A & C "linking constructions") n'est plus valable: on prétend normalement que seuls les derniers ont des relations différentes avec leurs noms têtes, tandis que les premiers ont une relation constante (cf. note 2 ci-dessus). Selon A & C, même un AQ comme happy a des relations différentes avec le nom tête: nom tête PR contenu référentiel happy man man experiencing happiness happy event event causing X to expérience happiness happy home home where X lives who expériences happiness Si on applique ce système aux N-AE, il faut d'abord prendre ceux des groupes COMME et AQ, qui correspondent aux adjectifs "normaux": le contenu référentiel d'un groupe comme "un vieux monsieur très français" serait alors quelque chose comme "caractère, aspect français" ou "francité" et le "relateur prédicationnel" AYANT. A & C excluent cependant de leur analyse les N-PA (et donc les N-AE), car ils considèrent les "linking constructions" comme des noms composés qui n'ont pas un caractère descriptif (ou "prédicationnel") mais un caractère classificatoire: les traits sémantiques de l'adjectif sont ajoutés aux traits sémantiques du nom, créant ainsi un sousensemble de l'ensemble des référents du nom tête (cf. Bartning 1976, p. 78ss). Ces constructions sont considérées comme un item lexical en soi, et A & C ne les incluent pas dans leur analyse des lectures différentes des combinaisons A+N en anglais. Pour le statut référentiel des adjectifs, voir aussi Milner 1978, p. 200: "En revanche, un adjectif est référentiellement autonome (bien qu'il ne puisse pas, lui-même, avoir une référence individuelle) puisqu'il est possible de lui définir hors énoncé une extension (la classe des êtres rouges pour l'adjectif rouge) et que les énoncés du type " est rouge " sont toujours interprétables."

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(...) sage présuppose l'existence d'une propriété la sagesse
sage a comme réfèrent la sagesse
le réfèrent de sage est la propriété d'être sage (...).

Pour énumérer encore des marqueurs référentiels possibles pour un adjectif, citons un passage de Kleiber (p. 83) qui, de son côté, cite Searle. Ce dernier constate au sujet d'un réfèrent possible à intelligent: "une autre façon de poser cette affirmation /que Pierre et Paul sont tous deux intelligents/ consiste à dire qu'ils ont tous deux la qualité {l'attribut, la caractéristique, la propriété) d'intelligence

Et Kleiber conclut: "Cette observation à elle seule suffit à démontrer la
fausseté de la thèse qui refuse la référence aux verbes et aux adjectifs au profit
des seuls noms et syntagmes nominaux."

Essayons donc de déterminer le rôle référentiel des AE

Dans les syntagmes N-AE à relations typiques d'une phrase, le réfèrent de l'adjectif
semble être le concept exprimé par le nom d'origine de l'adjectif dérivé, à
savoir le nom du pays ou des habitants, c'est-à-dire des entités nominales:

le refus américain = le refus des Etats-Unis
l'attitude anglaise = l'attitude des Anglais

Dans les catégories COMME et AQ, au contraire, comme dans une ville très américaine et un repas bien français, le réfèrent de I'AE est plutôt "la qualité", "les caractéristiques" d'être américain, français ou la propriété d'"américanicité", de "francité".

Peut-on dire alors que l'échelle n'est pas seulement une illustration des
différents degrés de prédicativité d'un N-AE mais aussi une illustration hypothétique
des différentes propriétés référentielles de I'AE?

Il nous semble qu'il en est ainsi: la référence de I'AE se fait, en bas de l'échelle,
dans les syntagmes I-IV, à des entités nominales comme le pays ou
les habitants, et, on l'a vu, souvent dans les rôles d'agent et d'objet.

Au milieu de l'échelle, dans les syntagmes locatifs VI-VII, la référence se
fait aussi à des entités nominales, cette fois exprimant le lieu géographique
ou le lieu d'origine.

Dans les groupes COMME et AQ, au contraire, ainsi qu'on vient de le constater, le réfèrent de I'AE peut être saisi par des marqueurs référentiels comme "la ressemblance aux propriétés", "la propriété", "la qualité", "les caractéristiques" d'être américain, français, etc. ou d'"américanicité", de "francité".

Les possibilités de prédicativité qu'a l'adjectif peuvent ainsi s'expliquer par ses propriétés référentielles: il est moins naturel de donner comme attribut au sujet de la phrase une entité nominale qui fait partie d'un syntagme génitif, qu'un réfèrent qui renvoie aux propriétés caractéristiques de cette entité.

Side 189

Cette différence dans la référentialité de l'adjectif peut aussi expliquer pourquoi on parle souvent des AE et des PA comme d'une catégorie frontière entre nom et adjectif (d'où l'étiquette de "pseudo-adjectifs" de Postal 1969): quand on parle de la "nouniness" des AE (et des PA), on pense aux groupes à référence nominale (cf. groupes I-Vll)et quand on veut démontrer l'"adjectiveness" des AE, on prend comme exemples les syntagmes à référence adjectivale (cf. groupes VIII-IX). Les échelles montrent aussi que la "relationnalité" des N-PA et des N-AE n'est pas une valeur absolue (Cf. Wunderli 1979).

II Les N-AE et la construction predicative

Revenons maintenant à l'examen détaillé de la possibilité qu'a I'AE d'être
mis en position predicative, et à l'interprétation des deux constructions, le
syntagme épithétique et la phrase attributive.

Nous venons de voir que les N-AE exprimant la relation verbe-objet (groupe I) n'acceptent pas la construction predicative. La même constatation vaut pour la relation verbe-sujet (II), sauf dans un contexte de contraste explicite ou implicitell.

(16)(a) *?l'intervention est vietnamienne
(b) l'intervention est vietnamienne, et non pas chinoise

Dans la mesure où la construction predicative contrastive est acceptée, l'interprétation
verbe-sujet reste la même que dans la construction épithétique.

Des deux groupes (III) et (IV), c'est celui-ci qui accepte la construction
predicative le plus facilement, mais ces phrases ne sont pas très naturelles.

Le groupe (V) l'accepte à la rigueur, mais moins facilement que les N-PA
correspondants (les problèmes sont politiques / Ile problème est palestinien).

En dehors des groupes COMME et AQ, il s'avère que ce sont les AE appartenant
aux groupes (VII) et (VI) qui acceptent la construction predicative
le plus facilement:

(17) le vin est italien (Vlld)
les croissants sont français

(18) les familles sont françaises (VIIc)
le chercheur est américain

(19) les propriétaires sont français (Vllb)

(20) ces villes sont allemandes (VI)
ces pays sont européens

A voir ces résultats, on pourrait croire que seuls les AE ayant pour réfèrent
une entité qui renvoie à un lieu géographique peuvent être employés comme



11: Cf.Bartningl976,p. 75 ss.

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attribut du sujet. Il s'est révélé cependant que ce n'est pas le trait /+locatif/ qui
est décisif pour la prédicativité, mais un trait sémantique "origine".

Qu'il existe deux composants sémantiques différents d'"origine" et de
"lieu" dans le système des N-AE est corroboré par les exemples suivants:

(21)(a) Grâce au financement décisif d'un diamantaire belge, une coproduction
franco-italo-espagnole a pu monter ce film réalisé par un cinéaste parisien
d'origine sicilienne. (NO 933, p. 31)

(b) Dans les villages arabes israéliens, les mouvements de révolte sont plus violents
que jamais. (NO 933, p. 27)

Ainsi, parisien dans (21a) et israéliens dans (21b) indiquent le lieu, tandis que
arabe, dans (21b), indique l'origine.

Grâce au test de la prédicativité, on arrive à distinguer un sous-groupe de N-AE où l'adjectif exprime un rapport purement locatif sans l'idée d'origine, et qui n'acceptent pas la prédicativité. Ils appartiennent à notre groupe (Vlla). En voici quelques exemples:

(22)(a) Réception toute chaleureuse et empreinte de la grande hospitalité de vos
vacances indiennes qui seront pour vous une expérience inoubliable. (Expansion,
Voyages, p. 63, publicité)

(b) N'oubliez pas un bon couvre-chef, une echarpe, un chaud vêtement et des
bottes pour affronter la pluie. Les balades irlandaises sont inoubliables. (Expansion,
Voyages, p. 31)

(c) Comme l'a expliqué Jean-Pierre Cot, qui prend désormais soin d'inclure dans ses tournées africaines plusieurs pays non francophones, la nouvelle politique africaine de la France ne doit pas se limiter à des relations entre Paris et ses anciennes colonies. (NO 880, p. 33)

Les AE dans (22) expriment donc avec leur nom tête une relation purement locative, paraphrasable par "en Inde", "en Irlande", "en Afrique". Le sens d'origine est absent et la position predicative n'est pas possible. De même, on ne peut faire une construction predicative de l'exemple suivant, qui appartient au même groupe:

(22)(d) Lorsque Paris ne sera plus qu'à trois heures quarante de New York, tous
les prétextes seront bons pour s'offrir un week-end américain. Chacun le
sait et personne n'en parle, (de Closets, pr. 36-37)

Ajoutons que les noms tête dans (22) sont probablement aussi syncatégorématiques,
ce qui en soi explique déjà la non-prédicativité de ces syntagmes.

Ce sont donc les AE des groupes (VIIb, c, d) contenant le composant "origine"
qui s'emploient le plus naturellement comme attributl2:



12: Selon Ljung 1970, p. 171, les AE anglais sont ambigus entre deux interprétations: 1) "relating to" (Finnish girl) et 2) "resembling" (a very Danish custom). 11 observe un troisième trait caractéristique qui distingue les AE des vrais adjectifs: ils expriment la notion d'identité, A est B, comme dans Max is Finnish, qui, selon Ljung, équivaut à Max is a Finn. Doit-on proposer pour la construction française parallèle Pierre est français une structure "antérieure" Pierre est Français! il peut être tentant de la proposer pour les N-AE à nom tête /+humain/, mais pour les autres réalisations de Nêtre-AE, ce parallélisme est exclu. Pourtant, dans la propostion de Ljung, on peut voir une explication de la majuscule de I'AE (ou du substantif correspondant!) en position predicative avec sujet /+humain/ (cf. l'anglais), qu'on trouve quelquefois: Pierre est Français.

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(23)(a) l'ambassadeur est suédois
(b) cet étudiant est français
(c) ces chaussures sont italiennes

Dans l'exemple ambigu qui suit, seule l'interprétation "origine" permet la
construction predicative:

(24) les prisonniers politiques français

(24)(a) les prisonniers politiques d'origine française

(24)(b) les prisonniers politiques des Français (que les Français ont pris)

Dans (25) le AE peut aussi être interprété de deux manières différentes:

(25) les fonctionnaires parisiens

(25)(a) les fonctionnaires qui travaillent à Paris sans être d'origine parisienne

(25)(b) les fonctionnaires qui travaillent à Paris et qui sont d'origine parisienne

La phrase predicative correspondante n'accepte que l'interprétation B:

(26) les fonctionnaires sont parisiens

On pourrait donc proposer la règle suivante

— dès qu'un syntagme N-AE contient le composant "origine", I'AE accepte la position predicative. (Signalons déjà ici que dès qu'un AE se trouve en position predicative, il semble y avoir trois possibilités: l'une d'elles est l'interprétation d'origine, et c'est celle-là qui importe ici; les deux autres sont, comme nous allons le voir, la relation vague et le contexte de contraste.)

Nous reviendrons plus loin sur cette question et sur d'autres interprétations possibles de la construction predicative. Voici deux exemples authentiques qui confirment à merveille cette règle: l'idée exprimée par I'AE en position predicative est uniquement celle d'origine:

(27) A Liverpool, la mémoire des gros ordinateurs américains est française. Go
France! (Publicité Pyral, Expansion 117, p. 134-135)

(28) Après avoir expérimenté la formule depuis six ans, elle a consenti une concession: les vélos seront français (mis au point par Lejeune), car les engins chinois viendraient à bout des meilleurs mollets de la vallée de Chevreuse... (Présentation d'une formule touristique "Chine à vélo", Expansion mars 81, p. 47)



12: Selon Ljung 1970, p. 171, les AE anglais sont ambigus entre deux interprétations: 1) "relating to" (Finnish girl) et 2) "resembling" (a very Danish custom). 11 observe un troisième trait caractéristique qui distingue les AE des vrais adjectifs: ils expriment la notion d'identité, A est B, comme dans Max is Finnish, qui, selon Ljung, équivaut à Max is a Finn. Doit-on proposer pour la construction française parallèle Pierre est français une structure "antérieure" Pierre est Français! il peut être tentant de la proposer pour les N-AE à nom tête /+humain/, mais pour les autres réalisations de Nêtre-AE, ce parallélisme est exclu. Pourtant, dans la propostion de Ljung, on peut voir une explication de la majuscule de I'AE (ou du substantif correspondant!) en position predicative avec sujet /+humain/ (cf. l'anglais), qu'on trouve quelquefois: Pierre est Français.

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Un argument syntaxique en faveur de cette règle est que dans les syntagmes VII b, c et d il y a une construction prépositionnelle parallèle qui accepte la position predicative et qui est synonyme de la construction N-étre-AE; la préposition de exprime explicitement l'origine:

(29) le vin est d'ltalie

(30) les familles sont de France / cet étudiant est de France

(31) les propriétaires sont de France

Comme on peut s'y attendre, il n'y a pas de constructions prépositionnelles
parallèles aux groupes I-VIIa:

(32)(a) *la défense est de l'Europe
(b) ?*l'intervention est du Vietnam
(c) *le miracle est du Japon
(d) *la fermeté est des Etats-Unis
(e) *les gestes sont des Français
(f) *cette industrie est de France
(g) *les villes sont d'Allemagne
(h) *ses tournées sont d'Afrique

Regardons maintenant la deuxième partie de la règle ci-dessus: peut-on dire que dès qu'un AE est employé comme attribut du sujet, il exprime une idée d'origine? Disons plutôt que quand on emploie la construction N-être-AE, c'est - dans un contexte neutre — très souvent pour dire qu'une personne est de telle ou telle origine, ou bien qu'un produit, une marchandise, etc., "vient de", "est produit en" tel ou tel pays.

Il faut cependant signaler une exception où la construction predicative n'exprime pas une idée d'origine. C'est l'adjectif européen, qui dans les deux constructions entraîne une interprétation "POUR". (Pour la construction épithétique, voir le groupe V a de l'échelle.) L'interprétation "POUR" persiste dans la construction predicative sans aucune idée d'origine:

(33) Margaret Thatcher non plus n'est guère européenne, encore qu'elle ait fait,
pendant la campagne, plusieurs concessions à Edward Heath, l'ancien Premier
ministre Tory, "fan" de la C.E.E. (NO 756, p. 57)

Si la tendance d'un AE en position predicative à exprimer en premier lieu l'origine s'avère correcte, ce fait montre aussi que les relations casuelles entre le nom tête et I'AE sont moins nombreuses dans la construction predicative que dans les constructions épithétiquesl3.



13: Pour continuer la comparaison entre les AE et les PA, ajoutons que les relations que peut exprimer un AE avec son nom tête sont plus nombreuses que celles exprimées par un PA. Ce qui joue ici, c'est probablement la grande extension du nom d'origine de I'AE: Allemagne par exemple, a une extension plus grande que président (dans présidentiel) et peut donc entier dans un plus grand nombre de "rôles" avec son nom tête. Le contenu de présidentiel est plus spécifique que celui de I'AE allemand. D'une manière générale, les AE semblent être plus "syncatégorématiques" (le mot étant pris dans un autre sens que celui de Kleiber, cf. Katz 1964 et Kiefer 1978) que les PA: ils dépendent du NI pour recevoir leur sens complet d'une manière plus nette que les PA. Voici les rôles que peuvent avoir les deux adjectifs: voyage présidentiel (V-S), voiture présidentielle (O-/AVOIR/-S), élection présidentielle refus allemand (V-S), réunification allemande (V-O), voiture allemande (O-/Produit/^par agent), ville allemande (rei. locative), culture allemande (O-/AVOIR/-S), stabilité allemande (Attr-être-S), problèmes allemands (S-PP/concernant/).

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Pour conclure cette section, constatons donc que les N-AE admettent la
construction predicative dans les trois cas suivants:

1 quand le syntagme contient un composant "origine" et quand le nom tête
est un nom catégorématique susceptible de référer à des occurrences particulières.

2 quand le syntagme appartient aux groupes "vagues" comme le problème
est allemand (groupes V a + b)

3 dans un contexte de contraste, même quand I'AE entre dans des relations
typiques d'une phrase, et surtout si I'AE joue le rôle de sujet dans
le syntagme.

Avant d'entamer la discussion sur les différentes possibilités d'interprétation de la construction predicative, il convient de signaler des résultats intéressants décrits dans un article de Winther (1976). Winther soumet les PA et les AE à une analyse casuelle dans la lignée de Fillmore. Il conclut (p. 84) que "les adjectifs de relation entrent dans trois types de constructions qu'on peut appeler:

— construction relationnelle (l'adjectif n'est pas predicable après être et
ne peut être modifié en degré d'intensité) /aide française/

— construction prédicative-locative (l'adjectif est predicable, mais non modifiable)
¡Jean est lillois, ce produit est belge/

— construction predicative-qualificative (l'adjectif est predicable et modifiable)
/// mène une vie très provinciale/." (Nos exemples)

C'est dans la deuxième catégorie que l'on retrouve les AE chez Winther, et
nous sommes donc arrivée à une classification semblable quant à la tendance
des AE à exprimer une idée d'origine dans la construction predicative.



13: Pour continuer la comparaison entre les AE et les PA, ajoutons que les relations que peut exprimer un AE avec son nom tête sont plus nombreuses que celles exprimées par un PA. Ce qui joue ici, c'est probablement la grande extension du nom d'origine de I'AE: Allemagne par exemple, a une extension plus grande que président (dans présidentiel) et peut donc entier dans un plus grand nombre de "rôles" avec son nom tête. Le contenu de présidentiel est plus spécifique que celui de I'AE allemand. D'une manière générale, les AE semblent être plus "syncatégorématiques" (le mot étant pris dans un autre sens que celui de Kleiber, cf. Katz 1964 et Kiefer 1978) que les PA: ils dépendent du NI pour recevoir leur sens complet d'une manière plus nette que les PA. Voici les rôles que peuvent avoir les deux adjectifs: voyage présidentiel (V-S), voiture présidentielle (O-/AVOIR/-S), élection présidentielle refus allemand (V-S), réunification allemande (V-O), voiture allemande (O-/Produit/^par agent), ville allemande (rei. locative), culture allemande (O-/AVOIR/-S), stabilité allemande (Attr-être-S), problèmes allemands (S-PP/concernant/).

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Disons pourtant que les faits examinés jusqu'ici ne confirment pas tout à fait les deux premières catégories de Winther, puisque nous avons des contreexemples tels que le problème est politique pour la première catégorie, et *la prostitution est parisienne, pour la deuxième. Mais revenons aux syntagmes attributifs. Ce que Winther ne dit pas, c'est que quand un AE est employé comme attribut du sujet, il reçoit très facilement une interprétation extensive, à savoir celle de "typique" ou de "typiquement", comme dans (34):

(34) Ces habitudes sont françaises

Un tel énoncé est facilement interprété ainsi: "ces habitudes sont françaises et sont en même temps typiques des Français". Ce sont, entre autres, des interprétations de ce type, dans la construction attributive, que nous allons examiner dans la section 111.

III L'interprétation extensive des AE dans les constructions prédicatives et épithétiques

Regardons encore de plus près les interprétations possibles de la séquence N-être-AE. Nous sommes bien consciente du fait que nous entrons dans un domaine assez flou et difficile, et où les avis peuvent différer quant à l'interprétation des énoncés.

Forsgren (1978, p. 39) constate à propos de la phrase (35) qu'il y a un
rapport de relation entre le AE et son sujet:

(35) je suis français

Nous pensons aussi que le but de cet énoncé est que le locuteur se prononce
sur sa nationalité.

Forsgren continue: "Mais on ne peut pas exclure l'existence de facteurs
contextuels susceptibles de donner une autre lecture au syntagme:

/36/ je suis (typiquement) français"

Et il ajoute: "La mise explicite d'un adverbe entraîne, si l'on excepte des adverbes
d'exclusion /du type strictement, proprement, purement, etc./ cette
lecture qualificative:

¡311 je suis très français.

Il est difficile de savoir si Forsgren considère (36) comme qualificative ou non, mais à notre avis, cette phrase n'entraîne pas forcément une lecture exclusivement qualificative lorsque cet énoncé est dit par quelqu'un qui est de nationalité française et qui pense qu'il l'est d'une manière typique. Par contre, (37) peut même être dit par quelqu'un qui n'est pas français, et il s'agit bien sûr d'une interprétation qualificative, ainsi que le pense aussi Forsgren.

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Dans son compte rendu de Bartning 1976, Forsgren (1978b, p. 351) dit aussi que si l'on supprime l'adverbe dans la construction Dét-N-être-Adv-PA, on obtient l'interprétation relationnelle, comme par exemple dans (35), je suis français.

Or, et nous l'avons déjà suggéré à propos des catégories de Winther, il faudrait
nuancer une telle constatation, puisqu'il existe des phrases du type Dét-Nêtre-AE/PA
comme (38):

(38)(a) Cette attitude est américaine
(b) Ce comportement est chinois
(c) Cette mentalité est française

II y a dans ces phrases une interprétation implicite de "typiquement", malgré l'absence d'un adverbe de degré: ces phrases ont une lecture extensive (ou "parasitique" selon Levi) ajoutée à l'interprétation relationnelle, paraphrasée par "cette attitude (est comme une attitude qui) est typique des Américains"l4a.

Ce qui est en jeu ici, c'est très probablement le sémantisme du nom tête qui, dans ces exemples, contient un aspect 'manière'. D'autres substantifs du même type sont habitude, goût, allure, style, conduite, ambiance, pensée, etc., et on voit encore une fois (cf. section I) que le rôle du nom tête est décisif pour l'interprétation des deux constructions, attributive et épithétique. L'interprétation "typique" n'est pas limitée à la construction predicative, mais peut aussi se trouver dans la séquence Dét-N--AE comme dans (39):

(39)(a) (...) C'est un défaut français qu'on retrouve à toute époque: nous fermons
nos fenêtres et nos volets, et ce monde extérieur n'existe pas. (Expansion
116,p.167)

(b) II ya des éléments un peu symboliques dans chaque pays: l'âme slave, la
comédie italienne... et ce n'est pas toujours faux.
L'élégance française... Darrieux, c'est cela. Une émotion très étrange; la
grâce, la manière dont elle entre dans une pièce, dont elle sourit; quelque
chose de très rare, de très français, comme Boieldieu, "La Grande Illusion",
Renoir... de très charnel aussi... cette voix admirable! (NO 926, p. 4, Frédéric
Mitterand à propos de Danielle Darrieux.)

(c) Le réflexe de sécurité n'existe pas encore dans ce pays. On s'alarme quand on croit voir un danger, et puis tout retombe! (...) Nonchalance française, disent de leur côté les observateurs des pays étrangers, où le marché de la peur prend tournure. (Expansion 116, p. 95)

(d) Je donne les cadeux que Thérèse m'avait confiés pour eux: des fromages



14a: Cf. Persson 1974, p. 36, qui note "une nuance qualitative dans le N-AE le village picard dans (i) Le village du Pays de Caux se distingue par sa structure très lâche (...) le village picard est plus compact.

Side 196

et des chocolats. Au centre de la table un vase avec des lis raides et un glaïeul piqué au milieu. Dans cette maison française, ils ont reconstitué une atmosphère arabe. Les tapis ne sont pas par terre, ils sont aux murs, les meubles européens sont comme plantés et inutilisés, c'est vaste, c'est vide, c'est frais. /Je = l'auteur en visite en Algérie/ (M. Cardinal, "Au pays de mes racines" p. 112-113)

Cette interprétation de "typique" commence à être confirmée dans les dictionnaires: Le dictionnaire du TLF, tome 3 p. 11, la signale, du moins pour l'adjectif anglais, en disant qu'il s'agit d'une interprétation "par extension", paraphrasée par "qui est typiquement anglais":

(40) Les trois enfants exilés se trouvèrent bien seuls. Ils parlèrent des maisons anglaises, confortables et amicales; du thé anglais, chaud et parfumé, du ciel anglais, embrumé et doux; des hommes anglais, froids et bienveillants, qui parlaient leur langue et savaient prononcer leurs noms; des usuriers anglais, âpres mais obligeants. (Maurois)

Cet exemple de Maurois montre quelles peuvent être les propriétés connotatives de ce qui est typique des maisons anglaises, du thé anglais, etc. Dans la plupart de nos exemples pourtant, il n'y a pas, comme ici, d'autres épithètes pour préciser ce qui est typique du N-AE en question. Ce sont les associations subjectives des interlocuteurs qui fournissent leurs interprétations aux syntagmes.

Les propriétés connotatives des syntagmes N-AE exprimées par les épithètes qualificatives dans l'exemple de Maurois, approchent peut-être de ce qu'on pourrait appeler "le prototype" de l'idée de maison, de thé, d'homme anglais. (Parmi les psycholoques et les linguistes qui ont argumenté en faveur de l'existence d'une telle représentation mentale, il faut citer, entre autres, Rosch (1977)).

Il se peut que les mots dont nous disposons pour désigner les objets et les événements concrets correspondent à des stéréotypes ou à des prototypes dans le cerveau. L'aspect de ces prototypes dépendrait des expériences que nous avons faites des objets en question. Le prototype qui est réalisé par le mot tasse correspondrait donc à l'idée d'une tasse typique, celui qui est réalisé par le mot marcher, à l'idée de l'action typique de marcher. Ainsi on pourrait dire que le prototype réalisé par l'adjectif français correspond à l'idée de ce qui est "typiquement français". Le sens de ce qui est "typiquement français" dépend des expériences des interlocuteurs. Ce "sens" correspondrait à un noyau central de toutes les connotations possibles, et ce noyau correspondrait, dans la représentation mentale, au prototype.

Cette hypothèse de l'existence de prototypes nous semble très importante,
s'agissant de la description du sens des mots, et nous espérons pouvoir y revenir

Side 197

au sujet des N-AE (pour une application de cette hypothèse à la description
des verbes de mouvement, voir Schlyter, à paraître).

Les intuitions qui nous font dire que les syntagmes N-AE, même en construction épithétique, peuvent être interprétés comme "NI 'typique' de N2" (N2 = le nom d'origine de I'AE) sont corroborées par l'analyse des N-PA anglais faite par Levi (1978). En effet, cet auteur constate (p. 107) que les syntagmes comme "maternai attentions" peuvent être interprétés comme "attentions LIKE the attentions (which are typical) of a mother". Selon elle, il s'agit d'une lecture extensive qui implique une comparaison enchâssée. Dans Bartning (1976) nous avons nous aussi argumenté pour un groupe de PA ayant l'interprétation COMME, par exemple dans chaleur tropicale, gestes maternels, politique nixonienne.

Pour analyser ce type de syntagmes Levi (p. 107) ajoute au prédicat LIKE
un composant "typique", que ces syntagmes semblent contenir d'une façon
régulière:

(...) to analyze this différence in meaning solely in termes of a predicate such as LIKE is to ignore the notion of typicality that thèse CNs also regularly carry. Since, however, the use of typical (rather than accidentai or infrequent) features as a basis for comparison seems to be required for a wide variety of comparative constructions (e. g. He's as demandîng as my three-year-old is a comparison based on the typical demandingness of the latter), I shall assume that this must follow from some very general pragmatic

principie of comparison and so shall not emphazise it further in the présent work. Il nous semble correct de dire, ainsi que le fait Levi, que la notion de "typicalité" est une condition pour qu'il y ait comparaison dans ces syntagmes. A notre avis, il faut d'abord qu'il y ait dans le NI (de N2)(ou AE) quelque chose de typique qu'on puisse saisir de façon catégorique ou générale: La politique de Giscard, par exemple. L'interprétation de ce syntagme doit contenir le trait "typique", comme dans une politique bien giscardienne, pour qu'il y ait ensuite une politique giscardienne de X qui puisse être paraphrasé en politique qui est COMME celle de Giscard.

On peut illustrer ce développement à l'aide du schéma suivant, que nous
avons déjà présenté dans notre thèse concernant les N-PA:


DIVL3691
Side 198

A l'origine, nous avons donc le syntagme neutre (dénotatif) qui équivaut à un syntagme prépositionnel N-de-Dét-N: l'élégance française (= des Françaises, des Français). Supposons que ce syntagme accepte la présence d'un adverbe, contexte qui implique une interprétation "typique" comme une/l'élégance bien française. Le concept de "typicalité" est ainsi associé à une élégance française et le syntagme n'a plus besoin d'un adverbe pour exprimer la notion de "typique".

C'est ici que l'interprétation COMME s'ajoute au sens original. Le dernier stade de ce développement serait celui où les concepts de "typique" et de "COMME" sont intégrés dans le sens d'un N-AE et lexicalisés. Pour ce dernier stade, nous n'avons pas encore trouvé d'exemples convaincants parmi les N-AE, sauf des groupes idiomatiques comme boîtes chinoises ou jardin anglais. Par contre, parmi les N-PA, il y.a pièce cornélienne, héros cornélien, qui s'emploient comme des adjectifs qualificatifs.

Par quels tests pourrait-on démontrer d'une façon plus objective l'existence d'un composant "typique" dans les N-AE? Jusqu'ici, notre raisonnement sur l'existence d'un tel composant se base sur les jugements portés par nos cinq informateurs sur des énoncés authentiques et leurs paraphrases.

Essayons d'abord deux tests classiques qui servent à déterminer le statut sémantico-syntaxique d'un adjectif: d'abord les questions en qu'est-ce que c'est comme...? ou quel genre de...?, qui visent la fonction classificatoire du modificateur, et les questions en comment?, qui visent en principe la fonction caractérisante de l'adjectif; ensuite le test de coordination, qui présuppose normalement que les éléments coordonnés ont le même statut syntaxique et sémantiquel4b.

Disons tout de suite que le test des questions en comment? n'a pas été décisif
pour les interprétations relationnelles/qualificatives (cf. Bartning 1976, p. 108):

(41)(a) Comment était la chaleur? Elle était tropicale (AQ)
(b) Comment est cette horloge? Elle est électrique/musicale (PA)
(c) II nous a parlé de son travail. — Comment est ce travail? —II est manuel (PA) /
C'est un travail manuel (PA)

Comment réagissent les AE aux questions en commenti

(42) Comment est ce monsieur? Il est très français (AQ)
*I1 est français (AE)

(Ce dernier énoncé est acceptable dans l'interprétation qualificative avec into
nation non neutre: II est français!)

(43)(a) Peux-tu m'expliquer comment elle est, cette mentalité?



14b: Cf. Lyons 1977, 2, p. 405.

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(43)(b) Elle est très anglaise (AQ)

(44) Elle est anglaise (AE + "typique")

II s'avère qu'un AE peut à la rigueur accepter une question en comment, comme
le montre (44), à condition que le nom tête contienne un aspect "manière".

Dans ce cas, le sens de mentalité anglaise contient probablement des concepts tels que "modestie", "humour", "atmosphère décontractée", qui font partie du sens connotatif du syntagme en question. Nous entrons par là dans le domaine des interprétations connotatives des N-AE: le sens du N-AE en question devient "ouvert" à un ensemble non fini de traits conceptuels, et il est alors impossible, dans une description générale du système N-AE, de saisir tous ces emploisls.

Nous avons à la rigueur aussi:

(45)(a) Comment était le menu? - ??I1 était français
(b) Comment est la voiture? - ?Elle est américaine

mais non

(45)(c) Comment est le vin? - ?*II est italien

(Cette phrase est acceptable si I'AE est interprété comme AQ = "léger", "mauvais",

Pour ces substantifs, on préfère en général:

(46) Qu'est-ce que c'est comme vin? - Ce vin est italien
— C'est un vin italien

(47) Qu'est-ce que c'est comme menu? —Ce menu est français
- C'est un menu français

(48) Qu'est-ce que c'est comme geste? - Ce geste est français (+ typique)
- C'est un geste français (+ typique)



15: Rendre compte du sens "exact" de "typiquement anglais" dans ce contexte, revient à énumérer les qualités connotatives de ce qui est "anglais" pour les interlocuteurs, ce qui est évidemment exclu. Nous abondons dans le sens de Aarts & Calbert (1979 p. 7) qui disent: "If for example, we hâve to account for the interprétation of that man is a terrier, the model should tell us that an appeal is made to some factual belief about terriers in order to attribute some quality to the réfèrent of that man; moreover, the formai représentation of the interprétation of the phrase should indicate that this quality is not attributed to the réfèrent directly by using the lexical item naming the quality, but it is "borrowed" from the set of qualities that we associate with the class of referents denoted by thè word terrier; what the model should not try to do is to identify the particular quality (for example "agressiveness" or "pertinacity") which is thus attributed to the man." Pourtant, dans la recherche du contenu d'un prototype de "typiquement anglais", on pourrait soumettre des tests d'association à un certain nombre d'informateurs, pour essayer ainsi de cerner les propriétés connotatives les plus fréquentes et les plus typiques de cette expression.

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Comme (45)(b), (46) et (48) le montrent, les questions en comment et en
qu'est-ce que c'est ne distinguent pas entre les interprétations neutres et "typiques"
des N-AE. La coordination peut-elle nous aider?

On admet en général que la coordination ne peut conjoindre que des constituants de même nature syntaxique et sémantique. Ainsi, c'est un fait bien connu qu'un pseudo-adjectif dénominal ne peut être coordonné avec un adjectif

(49)(a) *Les transports routiers et dangereux de la France
(b) *De nouveau, nous avons vécu une crise ministérielle et grave

A première vue, il semble en être de même pour les AE et les AQ:

(50)(a) *des transports français et dangereux
(b) *une crise française et grave / *une crise grave et française

L'inacceptabilité de (49) est souvent expliquée par le fait que ces adjectifs sont des constituants non identiques, c'est-à-dire qu'ils n'ont pas les mêmes propriétés syntaxiques et sémantiques: pour les exemples de (49) et (50), on a proposé que c'est le trait /itprédicatif/ qui empêche la coordination. Nous avons vu cependant, que dans d'autres structures la propriété syntaxique /+prédicatif/ n'est décisive ni pour la distinction entre les PA et les AQ, ni pour celle entre les AE et les AQ.

Quand, alors, un AE peut-il se coordonner avec un autre adjectif? N'est-il
jamais possible de coordonner un AE avec un AQ? Et, si oui, que se passe-t-il
quant à l'interprétation de I'AE?

Il va de soi que les AE se coordonnent entre eux: un ministre européen et français, des sources bien informées américaines et israéliennes, etc. On trouve aussi des syntagmes tels que la clientèle française et étrangère où étrangère équivaut à un adjectif d'origine. Considérons cependant les phrases suivantes:

(51) En cette année (...) où un cancéreux suisse et fortuné a payé des tueurs pour
l'aider à mettre fin à ses jours. (L'Express, 27/8-82, p. 47)16

(52) (...) lui semblera "naturel" S'être victorieux et allemand. (TLF, Apollinaire
"Poèmes épistolaires", 1918)

(53) La France et le monde luttent et souffrent pour la liberté, la justice, le droit des gens à disposer d'eux-mêmes, la justice et la liberté gagnent cette guerre, en fait comme en droit, au profit de chaque homme, comme au profit de chaque Etat.

Une telle victoire française et humaine est la seule qui puisse compenser
les épreuves sans exemple que traverse notre patrie, la seule qui puisse ouvrir
de nouveau la route de sa grandeur. Une telle victoire vaut tous les efforts



16: Nous remercions Mats Forsgren, Uppsala, pour cet exemple.

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et tous les sacrifices. Nous vaincrons! (TLF, de Gaulle "L'Appel", L de P
p. 431)

(54a) En voyant passer devant moi ses chefs [de la résistance] venus à mon appel, je pensais que, peut-être, ceux d'entre eux qui survivraient formeraient autour de moi l'équipe dirigeante d'une grande œuvre humaine et française. (TLF, de GauUe "L'Appel", p. 237-238)

(54b) Dans un grand restaurant chic et français, un obèse explose littéralement
provoquant, parmi l'élégante clientèle, des cascades de vomissures dans les
assiettes en Limoges. (L'Express 1661, p. 15)

(55) ?*C'est une jeune fille française et douée

(56) ?*C'est un film français et intéressant

II semble qu'un AE accepte d'être coordonné avec un AQ plus facilement s'il y a un lien sémantique ou une dépendance présuppositionnelle entre les propriétés exprimées par les deux adjectifs. Ce lien semble être dû avant tout à des présuppositions d'ordre pragmatique et culturel dans un univers de discours où il est légitime de penser en stéréotypes.

On associe souvent à suisse la notion de "richesse". Cette notion est exprimée dans (51) par fortuné. De même, Apollinaire a associé les propriétés victorieux et allemand, tandis qu'au moment de la deuxième guerre mondiale, de Gaulle a associé les propriétés français et humain, comme dans (52), (53) et (54a). Dans (54b), le journaliste associe les propriétés chic et français.

Par contre, ce principe d'association (ou d'attente) n'existe pas d'une manière aussi évidente entre française et douée (55), ni entre français et intéressant (56). Dans l'exemple suivant, I'AE est devenu qualificatif grâce à la présence de bien, et il équivaut ainsi syntaxiquement à grivois:

(57) Elle [la mère de S. Signoret] prenait à lire ce qu'il y avait à lire, c'était toujours le Rire ou le Sourire, c'est-à-dire l'équivalent grivois et bien français, pour l'époque, de Play-Boy. Elle le feuilletait d'un air écœuré puis replaçait ostensiblement l'objet sur la petite table. (Signoret "La nostalgie..., p. 14-15)

Le fait que les AE contiennent des implications secondairesl7 apparaît très
nettement quand ils sont coordonnés par mais:

(58) Elle est italienne, mais blonde

(59) Elle est suédoise, mais brune

(60) Elle est française, mais grande

Si l'on accepte (58)- c'est dans un univers de discours où italienne est
lié à brune, suédoise est lié à blonde et française est lié à petite.

Il s'avère qu'on accepte aussi, sans avoir recours à des explications pragmatiqueset
culturelles, la coordination entre un AE et un adjectif normalement



17: Cf. Lyons 1977,1, p. 278.

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considéré comme un AQ auprès des noms têtes qui contiennent le trait "manière",qui
à son tour implique l'interprétation en "typique":

(61) Deux tentations sont constamment présentes: le colbertisme et le protectionnisme,
traditions françaises et socialistes. (L'Express 1630, p. 44)

(62) M. Smith ne se trouve pas toujours à l'aise en France. Il a horreur de cette
mentalité française et nonchalante qu'on retrouve surtout à Paris.

(63) ?Tout s'est passé dans une atmosphère anglaise et détendue / française et
spirituelle.

Il faut ajouter, quant aux phrases du type (55) et (56), qu'il y a d'autres facteurs contextuels qui rendent certaines séquences coordonnées acceptables: si on ajoute un adverbe de degré comme très au deuxième adjectif de ces phrases, elles deviennent acceptables:

(55') C'est une jeune fille française et très douée

(56') C'est un film français et très intéressant

L'adverbe de degré auprès du deuxième adjectif souligne et détache ce modificateur, et grâce au détachement, il n'est pas nécessaire que ce second modificateur ait le même statut sémantico-syntaxique que le premier. La phrase est alors acceptable.

Selon Kleiber (comm. personnelle), il se peut que le syntagme introduit
par et soit ici un syntagme elliptique d'une phrase introduite par un et à valeur
argumentative. Une paraphrase possible de ce syntagme serait alors:

(55") C'est une jeune fille française et elle est très douée

A notre avis, l'ellipse de cette phrase coordonnée peut être interprétée comme
un détachement.

Pour terminer cette section, constatons que l'interprétation "typique" n'est
pas une interprétation autonome dans le système N-AE, mais qu'elle dépend
du contexte immédiat de I'AE.

Comment rendre compte, alors, de cette interprétation superposée ou parasitique? Faut-il postuler des prédicats du type COMME ou/et TYPIQUE dans l'analyse sémantique de certains N-AE, ou faut-il avoir recours à quelque principe

Pour les syntagmes du type maternai attentions, family problems, Nixonian
politics, Markovian solution, Levi (1978, p. 114 ss) propose le principe pragmatique

If no literal meaning of a CN [complex nominal] makes sensé (or is relevant or applicable,
or internally consistent) in a given context, interpret a CN of thè form NI N2
on a reading comparable to "N2 which is like NI N2".

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Cette solution nous semble raisonnable, et le principe devient encore plus intéressant si on essaie de trouver les marqueurs contextuels "cachés" qui déclenchent les interprétations extensives. Parmi ces marqueurs se trouvent, comme nous l'avons vu, les traits sémantiques du nom tête et l'influence d'un AQ coordonné.

En guise de conclusion, nous nous permettons d'ajouter ici un autre principe pragmatique, qui nous a été proposé par F. Kiefer (comm. pers.). Ce principe essaie d'expliquer pourquoi nous interprétons les N-AE tantôt avec tantôt sans idées connotatives caractérisantes. L'existence d'aspects comme celui de "manière" du nom tête, ou d'autres traits contextuels, ne suffit apparemment pas pour expliquer pourquoi certains N-AE reçoivent une interprétation caractérisante.

Ce qui semble surtout être en jeu, c'est un principe qui concerne l'ensemble des connaissances extralinguistiques des interlocuteurs. Pour qu'une phrase telle que (38a), dans son interprétation "typique", ait un sens, il faut savoir ce que c'est qu'une attitude américaine, c'est-à-dire qu'il faut que le locuteur connaisse cette expression par son expérience extralinguistique. Sinon, il ne peut l'interpréter que "géographiquement". On pourrait alors formuler "le principe des connaissances ethniques" ainsi:

moins le locuteur a de connaissances sur le pays ou sur les habitants du pays en question,
plus l'interprétation relationnelle neutre, c'est-à-dire géographique, est probable.

Il s'ensuit que

Plus le locuteur a de connaissances ethniques, plus une interprétation caractérisante
est probable.

Grâce à ce principe, on comprend mieux le caractère flou et souvent contradictoire
des jugements des informateurs quant à l'interprétation sémantique
de phrases comme (38).

Si le locuteur a des connaissances ethniques suffisantes du phénomène en question, il peut se prononcer sur ce qui est typique des Américains, des Etats- Unis, et le sens de cette phrase correspondra à un stéréotype du sens du SN "attitude américaine" = "attitude ouverte", "attitude de vantardise", etc. (Pour une discussion sur l'avantage de l'addition des propriétés stéréotypes aux marqueurs sémantiques, voir Putnam 1970,1975.)

Dans la section IV, nous allons voir quel rôle peut jouer le contexte de
degré, et dans la section V, l'influence du choix des déterminants et des compléments
de NP en question.

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IV Les N-AE dans un contexte de degré

Milner (1978, p. 269 ss.) constate que dans les exclamatives qui contiennent des éléments tels que combien et que "l'interprétation sémantique met en cause le degré et plus précisément le haut degré de l'adjectif ou de l'adverbe", et il donne comme preuve quelques constructions syntaxiques, contenant entre autres, des AE:

Soit les adjectifs qui changent de sens suivant qu'ils admettent le degré ou non: ainsi les adjectifs désignant les nationalités; on oppose ainsi il est français (...) 'il est de nationalité française' et il est très français = 'il a le caractère d'un Français'. Or, dans l'emploi A.I. /qu'il est français!/, seul le second sens est possible: qu'il est français: 'il a le caractère très français'.

Nous sommes entièrement d'accord avec Milner quant à l'interprétation des
AE dans les exclamatives: il n'y a que l'interprétation qualificative qui puisse
s'installer dans Qu 'il est français/ et ceci vaut aussi pour

(64) Combien/Comme il est français!

Il est pourtant intéressant de noter qu'en présence des noms têtes qui contiennent
un aspect manière, l'interprétation "typique" se présente et I'AE
garde quelque chose de "relationnel":

(65) Quelle mentalité allemande!
Quelle maison anglaise!

Les phrases dans (66), par contre, ne sont guère acceptables:

(66) ?*Quel homme suédois!
?*Quel vin italien!

Selon Milner, il n'y a que les éléments "non-classifiants" qui puissent apparaître dans les exclamatives introduites, entre autres, par Quel..! (En ce qui concerne les adjectifs, Milner considère comme non-classifiants les adjectifs non-neutres, valorisants et affectifs tels que passionnant, abominable, etc., par opposition aux éléments "classifiants" comme anglais, bleu, ancien, etc.)

Encore une fois, les AE s'avèrent être une catégorie frontière, ainsi que le montrent (65) et (66). Cependant, la possibilité d'avoir un N-AE dans une exclamative semble être due à l'interaction du sémantisme du nom tête et de celui de l'adjectif, ainsi qu'à la relation existant entre eux, et probablement pas à une différence structurale dans la description du groupe nominal, comme le pense MilnerlB.

Dans les comparaisons, contexte de degré par excellence, il n'y a que Tinter
prétation qualificative qui se présente:



18: Cf. aussi Ruwet 1982, p. 302, note 12.

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(67) Et il se sent "complètement européen", ses enfants sont, eux, plus français que les Français: "Mon fils de 16 ans, raconte-t-il, parle français avec le pire accent toulousain qui soit. Sans compter les gros mots. A tel point que je comprends mieux ses copains français que lui." (L'Express 1457, p. 49)

(68) Je ne sais qui fit cadeau à maman d'une pièce de drap d'officier bleu horizon; une couturière y tailla pour ma sœur et moi des manteaux qui copiaient exactement les capotes militaires. "Regardez: il y a même une martingale", disait ma mère à ses amies admiratives ou étonnées. Aucun enfant ne portait un vêtement aussi original, aussi français que le mien: je me sentais vouée. (Beauvoir, Mémoires I, p. 31, TLF)

Comme nous l'avons vu dans la section 111, un très auprès d'un AE déclenche
normalement l'interprétation qualificative par son sens de "à un haut degré":

(69) Vu à la télévision (il s'agissait d'attendre minuit) un film très français: "Vincent, François, Paul... et les autres". Pourquoi très français""! — Vous voyez une jeune femme retirer ses robes d'un placard et bourrer sa valise: elle quitte le domicile conjugal: situation, adultère, crise. (NO 740, p. 68)

Pourtant, il n'est pas exclu de trouver auprès d'un AE un très qui n'implique pas "à un haut degré", mais qui équivaut à éminemment, strictement, etc., donc à un adverbe d'exclusion, comme dans l'exemple suivant, de Forsgren (1978 b, p. 350)19:

(70) Et, aux derniers jours de l'année, le meurtre de M. de Broglie a fait apparaître un singulier grouillement où les hommes de paille et les hommes de main côtoient des personnalités très politiques présumées respectables. (Le Monde, Sél.hebd. 1470, p. 7)

C'est dans ce sens de l'adverbe, mais cette fois exemplifìé par bien, que nous
avons trouvé les exemples suivants:

(71) Mais enfin, c'est fièrement perché sur un vélo bien français (il est fourni
par les cycles Lejeune, pièces détachées comprises) que l'on visite la pagode
penchée de Sushou (...). (Expansion, hiver 1981, Voyages, p. 9)



19: Cf. Milner 1978, p. 306 ss., qui essaie de démontrer que la notion de très, "de haut degré", est ambiguë: "d'une part, sans doute, elle s'insère dans la gradation dont elle représente le point extrême - en ce sens, "très" n'est que le dernier terme de la série moins, autant, plus; mais d'autre part, le degré élevé peut valoir pour luimême, de manière autonome, comme ce qui échappe précisément à la gradation continue, le "hors-classe"." Pour la deuxième interprétation (appelons-la B) de très, il y a des expressions multiples: très, extrêmement, étonnamment, diablement, terriblement, et pour la première (A), le très est interprété comme un degré parmi d'autres et très est interprété comme "classifiant". Nous voyons là un parallèle entre le très = "à un haut degré" = "extrêmement" dans l'exemple (69) (= le B de Milner) et le très ou le bien dans 70M72), qui égale éminemment, véritablement (= le A de Milner).

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(72) Curieux destin que celui de Jacques Carrière, 52 ans, qui évolue en zigzag, du ministère des Finances à la Banque mondiale, pour se retrouver, après dix ans d'expérience internationale, à la tête d'une entreprise bien française — la Seita. (Expansion 117, p. 55)

On voit que bien, ici, n'empêche pas I'AE de garder son sens original de rela
tion exprimant l'idée d'origine. Bien équivaut alors à entièrement, véritable
ment2o.

Ajoutons tout de suite qu'en général bien entraîne l'interprétation qualificative
ou au moins celle de "typiquement" :

(73) Bref, le complexe à l'égard de l'Allemagne est un complexe bien français.
Il a son histoire. Il a ses circonstances atténuantes. (NO 761, p. 45)

(74) En 1912 (...) j'adorais le Cyrano de la Pègre, Arsène Lupin, sans savoir qu'il
devait sa force herculéenne, son courage narquois, son intelligence bien française
à notre déculottée de 1870. (Sartre, Les Mots, p. 96, TLF)

On peut constater que les syntagmes N-AE qui acceptent l'adverbe bien tout en gardant leur interprétation originale, neutre, comme dans (71) et (72), sont du même type que ceux qui acceptent la prédicativité sans restriction, à savoir les N-AE exprimant l'origine. Ils appartiennent au groupe VII b-d de l'échelle.

Vu ce comportement syntaxique libre et inattendu, on peut se demander si les adjectifs de ce groupe ne devraient pas être mis à part et comparés par exemple aux adjectifs de couleur quant à leur comportement syntaxique. On pourrait les appeler "adjectifs d'identité" ou adjectifs d'origine2l.

V Le rôle des déterminants

Quel est le rôle des déterminants pour l'interprétation des N-AE? On s'attendrait
peut-être à ce que l'article indéfini entraîne l'interprétation "typique"
comme dans certains des syntagmes des phrases en (39) (p. 195-196).

Il semble qu'un syntagme N-AE ou N-PA indéfini, même sans contexte,
puisse être interprété comme "typique". Ceci a été soutenu par, entre autres,



20: Ajoutons que dans la construction épithétique aussi bien que dans la construction attributive, les adverbes les plus fréquents auprès des AE sont les adverbes d'exclusion du type strictement, proprement, notamment, etc.: (i) II y a pour nous [les Argentins] un élément négatif: c'est l'incompréhension de la presse étrangère, et notamment européenne, pour la nature et la forme du processus révolutionnaire en Argentine. (NO 714, p. 36) (ii) Le phénomène n'est pas uniquement français. Il est même universel, de Moscou à Rio. (NO 931, p. 22)

21: Comme nous l'avons dit dans la note 12, Ljung 1970 voit aussi une telle catégorie parmi les AE anglais.

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Winther (1976), qui prétend que les N-PA précédés de l'article indéfini reçoivent
même une lecture qualificative, comme dans(7s)(a):

(75)(a) une ville provinciale (AQ)
(b) la vie provinciale (PA)

II n'est pas difficile de trouver, parmi les N-AE, des exemples parallèles de
cette alternance, surtout si le nom tête contient un aspect "manière":

(76)(a) une attitude française ("typique")
(b) l'attitude française (AE - des Français)

Cette alternance semble surtout apparaître auprès des noms têtes abstraits, comme dans (75), qui peuvent varier entre le "concept générique" (75)(b) et un "concept qui renvoie à un réfèrent non permanent et temporellement localisé" (75)(a)22. Cette alternance est encore plus évidente pour les N-PA:

(77)(a) -un système nerveux
- le système nerveux
(b) - une végétation tropicale
- la végétation tropicale
(c) -un style cornélien
- le style cornélien

On ne peut cependant pas tirer trop de conclusions de syntagmes isolés: c'est
le contexte plus large qui est décisif pour l'interprétation, par exemple la présence
d'un complément de nom auprès du nom défini.

L'interprétation qualificative s'installe aisément dans les exemples suivants
malgré la présence de l'article défini du NP:

(7 8) (a) la chaleur tropicale de New York
(b) la végétation tropicale de notre serre

II arrive pourtant aussi que la valeur sémantique de I'AE ne soit pas influencée
par l'alternance défini/indéfini du NP:

(79) Mais au-delà de l'horizon arabe, cette reconnaissance d'lsraël, si limitée qu'elle
soit, recouvre aussi une victoire importante de la diplomatie américaine en face
d'un étonnant silence soviétique. (NO 931, p. 33)

En examinant de plus près le rôle des déterminants en ce qui concerne l'interprétation d'un N-AE, on voit qu'une des fonctions les plus fréquentes des N-AE est leur emploi comme NP définis génériques. On peut même discerner certains groupes de N-AE qui tendent à favoriser cet emploi. Les relations qui semblent facilement engendrer une lecture générique dans la séquence Dét-N-AE sont les suivantes:



22: Pour cette distinction, voir Danell à paraître.

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A 1 la relation "attributive" (Attribut-/ETRE/-sujet)(gr. III):

(80)(a) Alors que la discipline germanique masque bien souvent le vide moral, la
monotonie culturelle et l'uniformité personnelle, l'indiscipline française
traduit la spontanéité, la diversité, l'effervescence, bref la vie. (de Closets,
p. 193)
(b) La légende transforme le colon anglo-saxon en individualiste. Or, la dynamique
américaine relève, pour vous, prioritairement de la vitalité communautaire...
- C'est exact. (L'Epress 1597, p. 24)

A 2 la relation avec "avoir" (Objet-/AVOIR/-sujet)(gr. IV a)

(81)(a) Dans la mentalité française, c'est banalité de le constater, l'abstrait précède
et prime toujours le concret, (de Closets, p. 233)
(b) Non, la vraie grandeur américaine est dans l'impatience, l'éclat, la furia,
la transcendance du banal. Par principe, le cinéma américain est toujours
stylisé. (NO 901, p. 53)

A 3 la relation locative (+permanent)(gr. VI, VII e)

(82)(a) La base de l'éducation française, c'est le "non". "Non, c'est imprudent.
Non, ce n'est pas comme ça que cela se fait. Non, tu n'y arriveras pas."
(L'Express 1/7-77, p. 56)
(b) De ce fait, l'ouvrier et l'employé soviétiques travaillent dans un climat plus
détendu, ils ne sont pas constamment maintenus sous pression, ils ne connaissent
pas les angoisses du chômage, (de Closets, p. 147)

A 4 la relation "lieu d'origine" (Objet /PRODUIT/-agent/+origine)(gr. VII d)

(83) "Qu'est-ce que l'Europe, jeune Bavarois? La mode française, la bouffe italienne,
et la musique américaine. Tout ça, nous l'avons déjà ici à Munich."
(NO 760, p. 64)

Ces groupes contiennent bien sûr aussi des syntagmes à réfèrent défini spécifique, mais les syntagmes à réfèrent défini générique sont très fréquents. Par contre, nous n'avons trouvé presque aucun syntagme défini générique parmi les groupes qui restent:

B 1 la relation verbe-objet (gr. I)

la défense européenne, la réunification allemande

B 2 la relation verbe-sujet (gr. II)

(84) La protestation israélienne partira, cinglante, vers les Etats-Unis: si Young
n'est pas désavoué, c'est que l'Amérique manque à sa parole. (NO 772, p. 26)
ou le refus américain, le retrait vietnamien

Exceptions:

(85) La spécificité du comportement français ne tient pas à l'amour de l'argent,
mais au refoulement de cet amour. Or, un refoulement collectif est toujours

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le reflet d'une culture et d'une morale; c'est donc à ce niveau qu'il faudra
chercher l'origine des relations coupables entre les Français et l'argent.
(deClosets,p.92)

ou la grogne française, le désespoir allemand

B 3 la relation locative, non permanent (-origine)(gr. VII a)

vos vacances indiennes, un week-end américain

B 4 la relation "vague": CONCERNANT (gr. V b)

l'affaire polonaise, la politique israélienne (de la France)

Les facteurs qui contribuent à une interprétation générique des Dét-N-AE
définis sont donc les suivants:

- l'appartenance à l'un des groupes cités sous A ci-dessus.

- la présence d'un nom tête à composant /+manière/, comme dans (80 a-b)
et (81 a).

—la présence d'un AE avec le trait /+hum/ qui implique "l'ensemble, la
classe des Français", comme dans (80 a) et (81 a).

Ce dernier trait semble expliquer la lecture générique des exceptions au groupe V-S, comme dans le comportement français: une des conditions, pour que cette lecture s'installe, est qu'on puisse se prononcer sur une classe d'individus ou sur l'espèce en général du phénomène en question, et non pas sur des cas individuels. D'où la différence d'interprétation entre le comportement français (= des Français) dans (85), et la protestation israélienne (= d'lsraël, du gouvernement israélien) dans (84).

Cette condition est remplie tantôt par les propriétés référentielles de I'AE, comme dans (80 a-b) et (81 a), tantôt par le réfèrent du nom tête comme dans les relations locative et "origine". Dans ces derniers cas, c'est le réfèrent du nom tête défini qui attribue sa généricité au syntagme: dans (82 b) on se prononce sur la classe des ouvriers et des employés en URSS, et dans (82 a) et (83) sur l'espèce en général de "l'éducation en France" et de "la mode d'origine

Il faut ajouter que ce qui joue aussi, ce sont les aspects sémantiques des
substantifs noms tête: comportement (85) est un substantif qui exprime quelque
chose de permanent, tandis que protestation (84) exprime un aspect temporaire.

Si l'on regarde de plus près, on voit que les substantifs noms tête des N-AE
définis génériques ci-dessus ont souvent l'aspect permanent: indiscipline, dynamique
(?), mentalité, comportement, grogne (?).

Pour terminer la discussion sur le rôle des déterminants, nous voudrions brièvementaborder
un aspect qui est lié au choix des déterminants auprès des N-AE,

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à savoir leurs propriétés référentielles par rapport aux aspects connu/inconnu
du réfèrent du nom et de I'AE, et de leur relation.

Pourquoi accepte-t-on (86 a) mais guère (86 b)?

(86 a) II nous a parlé de l'accident américain toute la soirée.

(86 b) ?*II nous a parlé d'un accident américain toute la soirée.

Ou (87 a) mais guère (87 b)?

(87)(a) J'ai entendu parler de la catastrophe espagnole àla radio,
(b) ?*J'ai entendu parler d'une catastrophe àla radio.

Apparemment, on ne peut pas employer un AE pour référer à une localisation
inconnue après des noms têtes comme catastrophe, accident, etc. Dans ces
cas, il faut remplacer I'AE par le groupe prépositionnel correspondant:

(87)(c) J'ai entendu parler d'une catastrophe en Espagne, àla radio.

Les AE ont une tendance à être employés dans un SN où la relation "informationnelle" entre le nom tête et I'AE est déjà connue. Par conséquent, dans les phrases (b) ci-dessus, il y a une sorte d'incompatibilité entre un élément inconnu (le nom indéfini) et I'AE qui "exige" normalement un nom tête déjà connu23.

Les N-AE qui exigent ainsi un nom tête déjà connu, et donc défini, appartiennent
au groupe des N-AE locatifs non permanents, ceux qui refusent aussi
la construction predicative (cf. gr. VII a de l'échelle).

Les syntagmes à relation verbe-sujet acceptent par contre l'article indéfini:

(88) Ce matin on parle d'un débarquement anglais à Sfax. Des gens qui viennent
de Bizerte... (Gide, Journal, tome 2, TLF)

Cette différence est-elle due au fait que le nom tête accepte d'être sous-classifié
dans des catégories plus ou moins concrètes à des degrés différents? On accepte
facilement les phrases suivantes:

(89)(a) II nous a parlé d'un vin italien (toute la soirée).
(b) II nous a parlé d'une invasion soviétique (toute la soirée).

Or, quand on regarde la catégorie "purement locative" (VII a) de plus près,
on voit qu'elle accepte parfois des syntagmes indéfinis:



23: Une catégorie qui semble être à l'opposé de ce groupe locatif dont I'AE et le NI exigent des référents "connus", peut être exemplifïée par le type un groupe français, interprété dans notre système comme appartenant à la catégorie O-/PRO-VERBE:forment/-sujet, c'est-à-dire "groupe formé par quelques Français" ou "quelques Français forment un groupe". Ici, le nom source de I'AE n'est pas un nom à réfèrent défini comme en France, de la France, ou un nom à réfèrent défini générique comme "la classe des Français", mais un nom à réfèrent indéfini non spécifique, "quelques Français". D'autres groupes du même type: une minorité française (pour l'anglais, cf. Ljung).

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(90)(a) Lorsque Paris ne sera plus qu'à trois heures quarante de New York, tous
les prétextes seront bons pour s'offrir un week-end américain. Chacun le
sait, et personne n'en parle, (de Closets, p. 36-37)
(b) Avec 17 cabines, Africa Queen n'est décidément pas un bateau de croisière
au sens habituel du terme. Mais pas d'erreur: ce n'est pas une croisière à
frous-frous, simplement une belle et tranquille aventure africaine, une balade
au fil des fleuves en choisissant le mouillage idéal selon le temps qu'il fait,
la hauteur de la marée ou la force du vent. (Expansion Voyages, mars 82,
P. 75)
(c) Une très longue pratique bruxelloise ne m'a pas fait changer d'avis. (NO 749,
p. 58)

On pourrait s'attendre à ce que les noms tête des syntagmes appartenant à la relation purement locative (VII a) soient tous du type syncatégorématique. Ceci est confirmé par (86) et (87), car on peut dire accident de quoi? et catastrophe de quoi?, ce qui montre leur dépendance référentielle. Les N-AE de (90), cependant, refusent ce complément: *lun week-end de quoi?, *lune aventure de quoi?, *une pratique de quoi? Il nous semble que ces trois noms appartiennent au groupe catégorématique, mais ne pouvant pas trouver de solution définitive, nous laissons la question ouverte.

De toute façon, l'article indéfini dans (90) n'entraîne pas une sous-catégorisation comme dans (89), où l'article indéfini indique une invasion soviétique parmi plusieurs, ou un vin italien parmi plusieurs. Les N-AE dans (90) sont, de plus, tous susceptibles d'être remplacés par Prép-N/locatif/: un weekend aux Etats-Unis, une aventure en Afrique, une pratique à Bruxelles, ce qui est impossible pour les syntagmes dans (89): *un vin en Italie, *une invasion en Union Soviétique.

Un syntagme comme un week-end américain appartient à la langue publicitaire et peut être considéré comme un emploi néologique: en général, la relation purement locative préfère un syntagme prépositionnel, et ceci surtout si le nom tête est une nominalisation verbale:

(91)(a) II nous a parlé de ses tournées africaines.
*... d'une tournée africaine/d'une tournée en Afrique.
(b) II nous a parlé de l'opération libanaise (d'lsraël).
*... d'une opération libanaise/d'une opération au Liban.
(c) II nous a parlé de sa formation américaine.
*... d'une formation américaine/?d'une formation obtenue aux Etats-Unis.

Pour pouvoir préciser le rôle des déterminants dans le système N-AE et les
restrictions qui pèsent sur I'AE, il serait intéressant de considérer aussi les
structures parallèles Dét-N-de/Prép-/(dét)-N. On pourrait alors avoir une image

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plus complète des N-AE, ainsi que de l'alternance l'histoire française/de France
/de la France/ et de l'aventure africaine/l'aventure en Afrique.

Inge Bartning

Stockholm

Résumé

Section 1: D'une manière générale, on peut dire que l'hypothèse 1 (p. 180) est valable pour les N-PA et les N-AE: "Plus la relation entre le nom et le PA est typique de celle des constituants d'une phrase complète, moins la prédicativité est possible". La non-prédicativité de certains N-AE exprimant des relations V-0 ou V-S est expliquée par les propriétés référentielles du nom tête: si le NI est syncatégorématique (c'est-à-dire référentiellement vide et dépendant d'un complément), il ne peut pas fonctionner comme sujet dans la séquence N-être-AE. De plus, on ne peut pas attribuer une propriété à une entité à laquelle on ne peut pas référer.

Dans la section 2, est précisée la possibilité qu'a I'AE d'être employé comme attribut du sujet: un AE accepte la position predicative sous trois conditions: 1) si le syntagme contient un composant /+ origine/ (gr. VII a); 2) si le syntagme exprime une relation 'vague' comme CONCERNANT (gr. V a+b); 3) dans un contexte de contraste, même quand I'AE entre dans des relations typiques d'une phrase, et surtout s'il joue le rôle de sujet dans le syntagme.

La section montre qu'il est possible d'obtenir une interprétation extensive des N-AE dans la construction predicative aussi bien que dans la construction épithétique: il s'agit de la lecture superposée /+ typique/ qui s'ajoute à l'interprétation relationnelle ou qui renforce l'interprétation qualificative. On ne voit pourtant pas encore clairement s'il s'agit d'une interprétation indépendante et autonome. Dans cette section, on trouvera aussi un schéma qui montre la place d'une interprétation TYPIQUE dans le développement d'un N-AE pseudo-adjectival vers son interprétaion "métaphorique" paraphrasée par COMME, et vers une interprétaion potentielle comme syntagme qualificatif. Ces remarques ont été liées à la discussion sur l'existence d'un "prototype" potentiel pour un AE tel que français. Dans cette section on trouve aussi l'hypothèse d'un principe pragmatique modifié et emprunté à Levi (1978) pour les interprétations 'typique' et 'COMME', qui dit que si aucune interprétaion relationnelle neutre n'est possible dans un contexte donné, il faut interpréter un syntagme nominal du type N-AE comme "un N qui est comme ou typique d'un N-AE". Les marqueurs contextuels "cachés" que nous avons trouvés pour ces interprétations sont surtout les traits sémantiques du nom tête et l'influence des éléments coordonnés avec les AE. La section se termine par la proposition d'encore un principe pragmatique, à savoir celui des "connaissances ethniques". Ce principe dit que moins le locuteur a de connaissances sur les pays ou sur les habitants en question, plus l'interprétation relationnelle, c'est-à-dire géographique, est probable. Il s'ensuit que plus le locuteur a de connaissances ethniques, plus une interprétation caractérisante est probable.

La section IV montre que dans les contextes de degré réalisés soit par les exclamatives
(Quel N-AE!), soit par la présence des adverbes très ou bien, les AE reçoivent l'interprétation

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qualificative. Il y a pourtant des cas où l'interaction du sémantisme du nom tête et de celui de I'AE rend possible une interprétation /+ typique/ /+ relationnelle/ comme dans Quelle mentalité allemande! L'AE peut garder son interprétation relationnelle même dans un contexte avec bien, qui équivaut alors à entièrement; I'AE appartient à ce momentlàau groupe /+ origine/ (un vélo bien français).

Dans la section V, l'étude du rôle des déterminants aboutit aux résultats suivants: 1) S'il n'y a pas d'autre influence contextuelle, l'article indéfini peut favoriser une interprétation qualificative ou "typique". 2) L'une des fonctions les plus fréquentes des N-AE définis, d'après nos matériaux, est leur emploi comme NP génériques: un N-AE défini est interprété comme générique: a) si le syntagme appartient aux groupes 111, IVa, VI, VII e et d; b) si le nom tête contient un aspect "manière"; c) si I'AE peut être interprété comme /+ hum/ qui implique "l'ensemble, la classe des Français". 3) Le groupe purement locatif semble refuser l'emploi d'un article indéfini si le nom tête est syncatégorématique (*?/'ai entendu parler d'une catastrophe espagnole à la radio). 4) D'une manière vague et générale, les AE semblent préférer des relations "déjà connues" avec leur nom tête; aussi les N-AE définis sont-ils plus fréquents que les N-AE indéfinis.

Références

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APPENDICE

Contexte des N-AE figurant sur l'échelle de la figure 2

Groupe I: V-0

découverte africaine (X découvre l'Afrique, ou certains aspects de l'Afrique)

Sur Gambie et Casamance, le nouveau petit paquebot d'Africatours, l'Africa Queen, essaye de vous apporter, en même temps qu'une découverte africaine, les plaisirs de la plage, du ski nautique, de la planche à voile. L'Africa Queen: un gros yacht pour une trentaine de passagers! (Expansion, numéro spécial Voyages, 1982, p. 59)

défense européenne (X défend l'Europe)

Je pense qu'une coopération plus étroite entre la France et l'Allemagne dans le domaine de l'armement et du contrôle des armements serait certainement une chose positive. Cette coopération est un élément nécessaire de la défense européenne, mais elle ne doit pas être dirigée contre des tiers. (NO 772, p. 23)

Groupe II: V-S

débarquement britannique (la Grande-Bretagne a débarqué)

Le débarquement britannique dans l'archipel des Malouines occupé par les Argentins aurat-il
déjà eu lieu à l'heure où paraîtront ces lignes? On s'ingéniait à ne pas l'exclure, jeudi
dernier à Londres, au cours de nombreuses émissions de télévision. (NO 915, p. 20)

intervention vietnamienne (le Vietnam est intervenu)

La désapprobation par la France de l'intervention vietnamienne au Cambodge, n'a évidemment
pas fait plaisir au Kremlin, mais ce que voudraient surtout savoir les Soviétiques,
c'est jusqu'où Paris est tenté de jouer la carte chinoise. (Le Monde 11-12/2-79, p. 1)

Groupe III: Attribut-/ETRE/-S

fermeté américaine (les Etats-Unis /ou les Américains/ sont fermes)

En fait, la fermeté américaine à l'égard du Pakistan n'est pas seulement inspirée par l'apparente course aux armements dans le sous-continent indien, mais aussi par la crainte de voir les Etats arabes, amis traditionnels du Pakistan, bénéficier de ses capacités techniques et, demain, de la bombe. (Le Monde 19/4-79,p. 1)

présence française (la France est présente)

La présence française en Afrique pourra se transformer en un instrument de coopération
pour le développement des pays africains (...). (Le Monde 14/5-81, p. 11)

l'Etat français (la France est un Etat)

Fait inouï et vraiment nouveau, à la Chambre c'étaient les empoisonneurs qui se battaient entre eux pour savoir qui empoisonnerait le plus avantageusement, qui recevrait de l'Etat français le privilège d'empoisonner la France, (de Closets, "La France et ses mensonges", p. 296)

communauté française (la France est une communauté)

A bord, on Ut un peu de tout. "Charlie Hebdo"? Cava? Pourquoi pas, il a ses idées. Bien
sûr qu'il a le droit, qu'il a place dans la communauté française!" (NO 714, p. 40)

Groupe IV a: O-/AVOIR/-S

attitude britannique (les Britanniques ont cette attitude)

Après avoir envoyé tant de navires si loin, à un prix si énorme, pour ne pas reconquérir
militairement les Malouines? Inconcevable. La logique de l'attitude britannique conduisait
à l'assaut. Et pourtant... (NO 915, p. 21)

industrie française (la France a /possède/ cette industrie)

En 1975, au creux de la vague, l'industrie française produit 15% de moins qu'en 1974,
mais les effectifs n'ont diminué que de 3% (de Closets, op. cit. p. 211)

Groupe IV b: O-/FAIRE/-S

expérience britannique (la Grande-Bretagne a fait cette expérience)

Je suis sûr, qu'il tirera des leçons de l'expérience britannique. Mais je ne veux pas critiquer
Margret Thatcher. (NO 857, p. 60)

gestes français (les Français font ces gestes)

Nous avions observé, à l'école de Jacques Lecoq, que les gestes français les plus caractéristiques
sont toujours en relation avec la tête: cerveau, nez, bouche, yeux. (L'Express,
août 1977, p. 54)

Groupe V a: S-PP-/BUT/

campagne électorale européenne (campagne pour l'élection au Parlement européen)
La tournure prise par la campagne électorale européenne montre, à coup sûr, que la classe
politique a été facilement gagnée par cette conception introvertie. (Le Monde, 19/4-79, p. 6)

Groupe V b: S-PP/CONCERNANT/

politique européenne (la politique concerne l'Europe)

Nos partenaires de la CEE manifestent davantage d'inquiétude quant à la politique européenne
de la France socialiste. (Expansion, mai 1982, p. 140)

problème palestinien (le problème concerne les Palestiniens)

A l'origine du problème palestinien au Liban, on dit qu'il y a la constitution de l'Etat
d'lsraël. (NO 857, p. 21)

Groupe VI: S-/PRO-VERBE/-PP/+locatif//+permanent/

villes allemandes (villes qui se trouvent en Allemagne)

Dans les grandes villes allemandes, on abandonne les buildings et on reconstruit les vieux
quartiers détruits, exactement comme ils étaient autrefois. (NO 757, p. 60)

réalité soviétique (la réalité telle qu'on la trouve en Union Soviétique)

Encore sommes-nous loin de connaître ¡a réalité soviétique, (de Closets, op. cit. p. 244)

Groupe VII a: S,V-PRO-VERBE/-PP/locatif//-origme//permanent/

vacances indiennes (vacances passées en Inde)

Réception toute chaleureuse et empreinte de la grande hospitalité de vos vacances indiennes,
qui seront pour vous une expérience inoubliable. (Expansion, numéro spécial
Voyages, 1982, publicité p. 63)

tournées africaines (tournées faites en Afrique)

Comme l'a expliqué J.-P. Cot, qui prend désormais soin d'inclure dans ses tournées africaines
plusieurs pays non francophones, la nouvelle politique africaine de la France, ne
doit pas se limiter à des relations entre Paris et ses anciennes colonies. (NO 888, p. 33)

Groupe VII b: S-/PRO-VERBE/-/+origine//-locatif/

propriétaires français (propriétaires qui sont d'origine française)

Aux Seychelles, la ravissante villa Timbertin Lodge, à deux kilomètres de Victoria. Les
heureux propriétaires français de Timbertin ont réaménagé en 'guest house' cette demeure
seychelloise. (Expansion no 2 1982, Voyages, p. 78)

Groupe VII e: S-/PRO-VERBE/-/+origine//±locatif/

familles françaises (familles qui sont d'origine française /habitant ou non en France/)
Mais comparées aux familles américaines, les familles françaises restent profondément
unies. (Expansion, août 1977, p. 56)

chercheur américain (chercheur qui est d'origine américaine /habitant ou non aux USA/) Un chercheur américain a établi que, dans les situations qu'il a étudiées, 7% du contenu de la communication est donné par le sens des mots, 38% par la façon de la prononcer, 55% par l'expression du visage. (L'Express, aouût 1977, p. 54)

Groupe VII d: O-/PRODUIT/-agent/+origine/

croissants fiançais (croissants produits par la France)

II n'y aura décidément pas de croissants français au Japon! Mais cette attitude ultraprotectionniste
— même si l'on en comprend les raisons — reste pour l'équilibre occidental un
danger réel, que Versailles devrait corriger. (NO 916, p. 45)

vin italien (vin produit par l'ltalie)

Alors, il [Mitterrand] fermera les frontières. Comme il l'a fait pour le vin italien, il le fera
pour les téléviseurs hollandais, les produits chimiques allemands, l'acier belge ou luxembourgeois,
les chaussures italiennes. (Expansion, oct. 1981, p. 117)

Groupe VIII: COMME

cette monte américaine (une monte comme celle qu'on pratique aux USA)

Ah, quel cheval... Gaston se réjouit des étriers courts; ainsi pouvait-il tenir cette monte
américaine timide que certains hommes de cheval commençaient de pratiquer pour le
galop. (Dict. du TLF, tome 3, p. 744)

Groupe IX: AQ

son intelligence bien française

En 1912, j'ignorais tout de ces hauts personnages, mais j'étais en contact constant avec leurs épigones: j'adorais le Cyrano de la Pègre, Arsène Lupin, sans savoir qu'il devait sa force herculéenne, son courage narquois, son intelligence bien française à notre déculottée de 1870. (TLF, Sartre "Les mots", p. 96)

une façon bien alsacienne

M. Adam affirme que les impôts locaux ne seront pas augmentés: le maire et les adjoints ont abandonné au budget communal leurs émoluments de fonction, permettant ainsi de couvrir les intérêts des emprunts contractés pas la commune. Furchhausen au Far West? C'est, si l'on veut, une façon bien alsacienne d'interpréter le règlement: la loi à l'Ouest de la Zorn... (Dernières nouvelles d'Alsace, 1979 n° 203, p. 1)